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Abdelaziz
Bouteflika est désormais cet ex-président de la République qui a été obligé de
remettre sa démission sous la pression du chef d'état-major de l'armée.
Le 11 octobre 1992, l'Algérie a vécu en direct la destitution d'un chef d'Etat par l'état-major de l'armée. Chadli Bendjedid remettait certes sa démission au président du Conseil constitutionnel mais après un conclave des hauts gradés de l'armée qui avait duré toute une nuit. C'était le coup d'Etat et l'enlisement de l'Algérie dans le gouffre de l'horreur. Le 02 avril 2019, l'histoire se répète, à des séquences près. «Ainsi, nous estimons qu'il n'y a plus lieu de perdre davantage de temps et qu'il faut appliquer immédiatement la solution constitutionnelle proposée, à savoir la mise en application des articles 7, 8 et 102 et entamer le processus garantissant la gestion des affaires de l'Etat dans le cadre de la légitimité constitutionnelle », avait ordonné mardi en fin d'après-midi le vice-ministre de la Défense nationale, chef d'état-major, le général de corps d'armée Ahmed Gaïd Salah qui avait pris le soin de s'entourer de tous les commandants de forces, des chefs des 6 régions militaires, les chefs des deux départements de l'état-major de l'ANP et du secrétaire général du MDN. Ainsi reconstituée après celle incomplète de la semaine d'avant, Gaïd Salah voulait cette image des chefs militaires pour démontrer «(?) une armée aux rangs serrés, prête à s'acquitter de ses missions en toutes circonstances(?), ceci, pour contrecarrer certaines parties qui s'échinent à cibler l'Armée en portant atteinte à sa réputation et la cohésion de ses composantes, afin de réaliser leurs desseins malveillants.» La décision de faire partir Bouteflika était sans appel. Le président de la République avait été lâché par tous ses appuis civils et militaires. Il l'avait compris en se pliant à l'ordre à peine quelques heures après. Dans la soirée du même jour, il a remis sa lettre de démission au Conseil constitutionnel. Le chef de l'Etat était sûr que son sort a été scellé. « S'il n'avait démissionné, il l'aurait été d'une manière moins humaine voire humiliante », soutiennent des observateurs. Le ton ferme et menaçant de Gaïd ne permettait plus de douter du fait qu'il n'allait lui accorder aucun délai et qu'il allait même agir très vite pour le destituer. Le retour de Toufik ? A la même minute, Zeroual rendait publique une lettre par laquelle il faisait part de sa réunion avec le puissant Toufik. Démis de ses fonctions depuis 2015, l'ex-patron du DRS activait ainsi au grand jour «pour régler la crise». Son retour ne fait plus de doute. S'il a décidé de le faire savoir, il a certainement eu recours à des tractations, négociations et autres compromis. C'est la règle du pouvoir. D'autant que dans le même ordre d'idées, le patron de l'ANP voyait ses pouvoirs menacés par des milieux qu'il a qualifiés dans sa lettre d'«entités non constitutionnelles et non habilitées» qui ont fait paraître selon lui «en date du 1er avril un communiqué (qu'ils ont) attribué au président de la République, ayant trait à la prise de décisions importantes concernant la phase de transition.» Il dénoncera à cet effet, l'entêtement, la tergiversation et la sournoiserie de certains individus qui œuvrent à faire perdurer la crise et la rendre plus complexe, avec comme seul souci la préservation de leurs intérêts personnels étroits, en se souciant que peu des intérêts du peuple et de l'avenir du pays. Bien qu'il a insinué que le communiqué du 1er avril n'avait pas été signé par le président, Gaïd a vite fait de se préserver contre toute éventuelle décision de dernière minute. Le vrai-faux communiqué était pour lui de trop parce qu'il faisait justement état de son limogeage par Bouteflika. Ce dernier avait jusqu'au 28 avril pour remanier l'ordre établi. Ce qui faisait paniquer Gaïd. Il l'avoue clairement, ou presque. « A l'heure qu'il est, elle (l'entité ndlr) s'affaire à contourner ses revendications légitimes (du peuple ndlr) en fomentant des plans douteux, tendant à déstabiliser le pays et l'entraîner dans le piège du vide constitutionnel». Ainsi, avait-il écrit, «nous estimons qu'il n'y plus lieu de perdre davantage de temps et qu'il faut appliquer immédiatement la solution constitutionnelle proposée, à savoir la mise en application des articles 7, 8 et 102 et entamer le processus garantissant la gestion des affaires de l'Etat dans le cadre de la légitimité constitutionnelle». Devant l'ordre militaire, le président s'exécute de suite et annonce sa démission en précisant que «cette décision procède de mon souci d'éviter que les excès verbaux qui marquent malencontreusement l'actualité ne dégénère en dérapages potentiellement dangereux pour la protection des personnes et des biens qui relèvent des prérogatives essentielles de l'Etat». Décision aussi qu'il a dit avoir pris «en mon âme et conscience» et qu'elle est «destinée à l'apaisement des cœurs et des esprits de mes compatriotes pour leur permettre de projeter ensemble l'Algérie vers l'avenir auxquels ils aspirent légitimement». Bouteflika présente ses excuses aux Algériens Prise sous la pression, la démission du président de la République semble même avoir été rédigée dans une précipitation qui n'avait pas permis de corriger des fautes d'orthographe -bien que minimes- contenues dans la version en français. Il fera savoir par sa lettre que « dans cette perspective, j'ai pris les mesures appropriées, dans l'exercice de mes prérogatives constitutionnelles pour les besoins de la continuité de l'Etat et du fonctionnement normal de ses institutions durant la période de transition devant mener à l'élection du nouveau président de la République ». Mises au pluriel, il ne s'agit pas en évidence de sa seule nomination d'un nouveau gouvernement. A moins que le coup de force militaire aurait tout annulé. Le chef d'état-major a rapidement tourné le dos à un président qu'il évoquait portant aimablement dans ses innombrables visites dans les casernes du pays. Il n'avait jamais tari d'éloges envers lui. Gaïd a toujours agrémenté ses discours devant les troupes de répétitifs «fakhamatouh» à qui, disait-il toujours (entre autres), «revenait l'exploit du retour de la paix dans le pays par les effets de sa politique de réconciliation nationale». Dans son intervention du mardi, il l'avait déjà effacé de son paysage immédiat. En notant «les efforts de l'armée au service de sa patrie (?)», il a affirmé que« tout ceci a été possible grâce à la stratégie judicieuse et pertinente adoptée par le Haut Commandement de l'Armée nationale populaire, constamment adaptée en fonction de l'évolution de la situation. Cette stratégie a porté ses fruits par l'instauration des facteurs de sécurité et de stabilité à travers tout le territoire national(?).» Beaucoup se rappellent encore que Bouteflika a été ramené par les militaires pour, en premier, effacer les effets du fameux «qui tue qui» brandi à l'étranger au temps des massacres de milliers d'innocents dans diverses régions du pays. Le Tribunal pénal international (TPI) allait agir de fait contre ceux qui étaient aux commandes du pays. Des plaintes ont été déposées contre certains d'entre eux à l'étranger. Bouteflika était même venu à leur secours en les faisant rapatrier d'une manière rocambolesque. Il survivra à de nombreuses crises fomentées contre lui. Les événements de Kabylie, Ghardaïa, In Salah se succèdent et se ressemblent dans le « tous contre lui ». Il commandera pendant 20 longues années sans avoir réussi à neutraliser les mauvais esprits de ce pays. Il faut reconnaître qu'il choisira les plus mauvaises méthodes pour le faire. Bouteflika a décidé hier de ne pas partir sans s'adresser une dernière fois au peuple. Dans une lettre qu'il a rendue publique hier, il fera ce qu'aucun responsable n'a fait avant lui. Il présente ses excuses aux Algériens et affirme avoir été «sincère» dans tout ce qu'il avait entrepris. |
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