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Le peintre
Leonardo Cremonini vient de s'éteindre à Paris, à l'âge de 84 ans. Né en 1925 à
Bologne, Cremonini y fait la première partie de ses études artistiques avant
d'intégrer les Beaux arts de Milan. Attiré par Paris il s'y installe dès le
début des années 1950 et devient l'un des ceux qui renouvellent la figuration.
Les notices qui condensent la vie et l'œuvre d'un artiste au moment de son
décès opèrent des raccourcis peu compréhensibles. Ainsi pour Cremonini dont la
dépêche AFP dit simplement que ce peintre passe à partir de 1960 de la peinture
de paysages et de scènes de genres à des représentations marquées par des
tensions et des violences. Il est donc important de préciser que c'est la
violence de la guerre coloniale faite au peuple algérien qui marque un tournant
dans son œuvre. Avec «Torture», «Tête torturée», «Désarticulation de la guerre
civile», toutes trois de 1961, Cremonini donne trois visions insoutenables de
la torture érigée en système. Il s'agit des œuvres parmi les plus fortes
dénonçant la torture, à peine figuratives, dans un monochromatisme rouge
éminemment saisissant. Les spécialistes de son œuvre, Max Clarac-Sérou ou Pierre
Gaudibert, avaient en leur temps indiqué qu'il s'agissait de
tableaux-charnières dans son œuvre et ses préoccupations esthétiques et
philosophiques.
Nulle complaisance face aux bourreaux, et une grande lucidité face à l'histoire. Dans les mêmes années, Cremonini comme d'autres peintres, utilisent le thème de la manifestation de rue pour contester la légitimité du pouvoir français qui poursuit la guerre alors que les manifestants dans les rues de Paris, réclament au contraire d'arrêter la guerre : Alors que le mot d'ordre le plus fréquemment utilisé dans les cortèges était «Paix en Algérie», Cremonini transcrit dans la toile le texte d'une banderole au slogan très explicite : «Algérie algérienne». Le cadrage de la toile, très particulier, retient tel un zoom, une image tout à la fois partielle et représentative d'une volonté collective, d'une multitude en mouvement. Le titre de l'oeuvre reprend le slogan : «Algérie algérienne». D'autre part, Cremonini est l'un des rares peintres européens créant à Paris à avoir voulu représenter la force irrépressible des manifestations à Alger : œuvre d'imagination, sa toile délaisse la facture réaliste pour une évocation presque abstraite de l'élan qui animait les manifestations de décembre 1960 à Alger. Des formes lumineuses, denses, verticales, saturent l'espace de la toile, se tendent ensemble, comme par milliers. Là encore, le titre est sans équivoque : «Opposition des masses à Alger, 1960». En 1964, le peintre offrit cette œuvre à l'Algérie. Elle est aujourd'hui au musée des beaux arts d'Alger. Lors de la préparation de l'exposition «Les peintres internationaux et la Révolution algérienne» en 2008, et malgré la maladie, Leonardo Cremonini nous avait beaucoup aidés en prêtant ces œuvres qu'il a toujours gardées avec lui. Il continuait de s'intéresser à l'Algérie avec passion. Peintre dont les œuvres sont présentes dans tous les grands musées du monde, dont le travail a été commenté par les grands écrivains de son temps, d'Italo Calvino à Umberto Eco ou à Moravia, Cremonini nous reste particulièrement proche. «Prenez-y garde, Cremonini restera» avait dit Régis Debray. Ceci n'est pas pour nous une vérité extérieure mais bien une intime conviction. * Historienne |
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