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![]() ![]() ![]() Pourquoi les entreprises et ménages américains ont besoin de la Chine
par Shang-Jin Wei* ![]() NEW YORK – La Chine ne pourra que bénéficier d’une normalisation de ses relations commerciales avec les États-Unis, mais il est important de comprendre que ceci vaut également pour l’Amérique. Le géant technologique américain Apple ayant récemment revu à la baisse ses prévisions de chiffre d’affaires, son PDG Tim Cook a expliqué que la diminution des ventes en Chine – où la guerre commerciale menée par le président américain Donald Trump aggrave les effets du ralentissement de l’économie – y avait très significativement contribué. Les performances moindres d’Apple soulignent combien le marché chinois est devenu important pour les résultats de nombreuses sociétés américaines – et révèlent les risques que soulève le protectionnisme de Trump pour l’économie des États-Unis.
La vérité, c’est qu’Apple vend aux Chinois beaucoup plus d’iPhones et d’iPads que le suggèrent les statistiques des exportations américaines. De même, General Motors vend plus d’automobiles en Chine que l’indiquent les données d’exportation de l’Amérique – d’ailleurs plus qu’aux États-Unis et au Canada en ventes cumulées. Ceci s’explique par le fait que ces entreprises, comme beaucoup d’autres, opèrent en Chine et vendent directement aux consommateurs chinois. Les entreprises chinoises sont considérablement moins nombreuses à effectuer des ventes directement aux États-Unis. Les sociétés américaines ayant au fil des années développé leurs opérations en Chine, les statistiques relatives au commerce bilatéral ne reflètent que partiellement l’importance du marché chinois pour l’économie des États-Unis. Entre les années 2000 et 2018, les exportations américaines vers la Chine ont enregistré une croissance explosive de 530 % – bien supérieure à la croissance cumulée des exportations américaines de 130 % au niveau mondial. C’est le résultat direct de l’importante libéralisation commerciale unilatérale opérée par la Chine après son entrée à l’Organisation mondiale du commerce en 2001, notamment de la réduction de son taux de droits de douanes, qui est passé de 30 % avant son accession à l’OMC à moins de 6 % aujourd’hui. Par ailleurs, près de la moitié des importations en Chine ne sont soumises à aucun tarif douanier lorsque la production se destine au marché mondial. La rapide croissance du PIB chinois a certes dynamisé les importations, mais cet essor a également été facilité par la libéralisation des échanges commerciaux, ainsi que par d’autres réformes favorables au marché. Aucun pays au monde n’a abaissé autant de barrières au commerce, ni entrepris autant de réformes en faveur du marché, que la Chine au cours des quarante dernières années. Les réformes chinoises axées sur le marché ont libéré une vague d’entrepreneuriat, tout en permettant aux sociétés du secteur privé – domestiques comme étrangères – de prospérer et bien souvent d’enregistrer une croissance plus rapide que les entreprises d’État. Ceci s’inscrit en net contraste avec le discours de certains selon lequel la Chine ignorerait ou fuirait largement ses engagements pris au moment de rejoindre l’OMC. Si tel était le cas, la Chine ne serait tout simplement pas parvenue à enregistrer une croissance plus rapide que celle de 95 % des pays de la planète depuis 2001. Certains considèrent que même si les entreprises américaines ont bénéficié de leur accès au marché chinois, les échanges commerciaux entre les États-Unis et la Chine impactent négativement les travailleurs américains dont les emplois sont exposés à la concurrence des faibles salaires versés aux travailleurs chinois. Or, la disponibilité de biens importés à bas coût en provenance de Chine réduit les prix non seulement pour les consommateurs américains, notamment pour les ménages aux revenus faibles et intermédiaires, mais également pour les entreprises américaines, et soutient la création d’emplois. Près de 40 % des importations américaines en provenance de Chine consistent en pièces, composants et intrants intermédiaires. Les économies de coûts conférées par ces importations aux entreprises américaines contribuent à renforcer leur compétitivité, leur permettant ainsi d’embaucher davantage d’employés. Comme l’illustrent mes recherches aux côtés de mes collègues, cet effet de chaîne d’approvisionnement crée davantage d’emplois que la concurrence chinoise directe en fait disparaître. Tandis que les emplois perdus se concentrent dans un sous-ensemble de secteurs manufacturiers, les emplois gagnés grâce aux échanges commerciaux avec la Chine sont répartis dans toute l’économie, y compris dans de nombreux secteurs tertiaires modernes. Grâce à cet effet de création d’emplois, le commerce des États-Unis avec la Chine bénéficie à 75 % des travailleurs américains, avant même de prendre en compte l’effet positif sur leur pouvoir d’achat, et avant tout transfert de revenus des gagnants vers les perdants. Pour autant, beaucoup aux États-Unis demeurent uniquement concentrés sur le rôle potentiel que jouerait ce libre-échange dans les pertes d’emplois. Lorsqu’une entreprise américaine licencie ses employés, le commerce avec la Chine est souvent cité en coupable. En revanche, quant une société américaine embauche davantage de travailleurs, le rôle joué par des intrants chinois à moindre coût est rarement évoqué. Certains aux États-Unis en appellent à une désolidarisation des économies américaine et chinoise. Or, si cela se produisait, les entreprises américaines recourant à des intrants chinois perdraient en compétitivité par rapport à leurs semblables européennes et japonaises, leurs salariés risqueraient de perdre leur emploi, et le niveau de vie des ménages américains à revenus faibles et intermédiaires souffrirait face à l’augmentation du prix de nombreux produits. Il ne s’agit pas d’affirmer que la Chine n’aurait aucun changement à opérer. Il incombe au pays d’œuvrer pour abaisser encore davantage les barrières au commerce, réduire les subventions aux entreprises d’État, assouplir les contraintes imposées aux sociétés étrangères opérant en Chine, ainsi que pour renforcer les droits de propriété intellectuelle. Mais si l’objectif est celui d’un commerce bilatéral plus juste et plus efficace, les États-Unis vont eux aussi devoir conduire certains changements. Il s’agirait notamment pour l’Amérique de réduire les droits de douanes très élevés (souvent aux alentours de 20 %) sur le textile et les vêtements, un pan majeur des exportations chinoises. Il est également nécessaire que le pays réforme son système de lutte contre le dumping (en le fusionnant avec son régime antitrust), et qu’il revoie un certain nombre de règles injustes qui, en imputant à la production chinoise les coûts de production d’autres pays à coûts élevés, placent les exportateurs chinois dans une situation de désavantage artificiel. Chine et Amérique ont toutes deux à gagner d’une normalisation de leurs relations commerciales bilatérales. Les réformes politiques sont difficiles partout, en raison des pressions politiques et intérêts particuliers. Pour autant, une approche réciproque et équilibrée pourrait constituer la clé d’un progrès durable pour les deux pays. La question est de savoir si leurs dirigeants feront preuve du courage et de la sagesse nécessaires pour réorienter leurs relations sur la bonne trajectoire. Traduit de l’anglais par Martin Morel *Ancien économiste en chef de la Banque asiatique de développement - Est professeur en affaires et économie de la Chine, ainsi que professeur de finance et d’économie à l’Université de Columbia. |
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