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Tout
le monde ne cesse de le dire et de le répéter : le football est un sport
collectif qui met en valeur les vertus de solidarité, d'abnégation et même
d'intelligence collective chez les membres d'une même équipe.
Mais, dans le même temps, tout le monde sait aussi qu'une équipe sans joueur exceptionnel aura toujours un atout en moins par rapport à ses adversaires. Certes, cela peut s'avérer être pénalisant quand la vedette n'est pas en forme ou absente. L'Egypte n'est pas une grande équipe de football et cela apparaît très vite quand sa star Mohamed Salah n'est pas sur le terrain. De même, l'Argentine sans Lionel Messi n'est guère dangereuse pour ses adversaires. Mais toute équipe rêverait d'avoir un Mo Salah ou un Léo Messi avec elle. Nous avons donc affaire à un sport collectif où, néanmoins, certains joueurs ont des statuts à part du fait même de leur talent. Et si l'on va au-delà du discours convenu du " chacun doit remplir sa tâche " ou bien encore du " nous formons un ensemble soudé ", analyser la manière dont sont considérés ces joueurs d'exception est particulièrement intéressant. Cela doit d'ailleurs interpeller celles et ceux qui, dans leur travail, ont à " gérer des équipes ", expression consacrée pour dire qu'ils sont chefs - petits ou grands - et qu'ils ont des subordonnés sous leur coupe. Il y a quelques jours, Jorge Valdano, joueur argentin champion du monde en 1986 et reconverti dans l'analyse des rencontres - ce qui lui vaut notamment le surnom de " philosophe du football " - a accordé un entretien au quotidien sportif L'Equipe (*). L'occasion pour lui d'aborder la question du leadership et du statut des grands joueurs. Première chose, il faut, selon lui, se garder d'oublier qu'un seul joueur ne peut remporter un match à lui tout seul. Extrait : " Si on cite l'Argentine parmi les favoris, c'est parce qu'elle a Messi. Ce qu'on ne peut pas faire, c'est lui demander ce qu'on demande à une équipe entière. C'est une injustice et même une aberration typique de notre époque où on s'obstine à individualiser la réussite et l'échec. " Les médias ont leur part de responsabilité dans cette individualisation de la responsabilité. Mais ils ne sont pas les seuls. Les sponsors jouent aussi un rôle néfaste en mettant en avant de manière systématique les joueurs les plus connus. Cette omniprésence a ses conséquences : quand le succès est là, c'est la vedette qui est encensée. Quand la défaite survient, le joueur tête d'affiche est directement visé. Je n'aime guère le système de notes que certains journaux attribuent aux joueurs (à l'arbitre et à l'entraîneur aussi) après un match. C'est parfois violent (on imagine ce qui passe par la tête d'un joueur qui a obtenu un deux ou un trois sur dix), c'est souvent subjectif mais cela a le mérite de mettre en lumière les bonnes performances de joueurs dont on ne parle pas assez. Tout en gardant à l'esprit la notion de juste répartition des responsabilités, Valdano a tout de même un avis tranché concernant la place que doit occuper un joueur vedette au sein d'un collectif. Deuxième extrait de l'entretien : " le joueur de génie doit avoir un statut à part. Ensuite, personne ne doit se planquer dans son ombre. Le génie est exceptionnel et il mérite de vivre une vie différente. Les autres font partie des simples mortels. À eux de veiller à l'équilibre de l'équipe, d'être disciplinés. " Et de citer le cas de l'entraîneur Cesar Luis Menotti (vainqueur du titre mondial en 1978) qui, lors d'une causerie avec ses joueurs demanda d'abord à Diego Maradona de sortir de la pièce avant de demander au reste de l'équipe : " À votre avis, combien de ballons devez-vous donner à Diego au cours d'un match ? Ne me répondez pas. La réponse est : tous les ballons. " C'est donc à l'entraîneur de faire passer la pilule aux autres joueurs. Certains d'entre eux accepteront sans aucun problème le statut à part du " génie " que Valdano compare à une " arme de destruction. " Mais d'autres y retrouveront à redire, estimant que leur talent n'est pas suffisamment reconnu ou que celui de la vedette est surévalué. L'époque actuelle est celle des égos surdimensionnés, de " ma pomme d'abord ". Beaucoup d'équipes souffrent de cette situation où la concurrence entre personnalités débouche sur des désastres sur le terrain. Bien entendu, tout dépend aussi du " génie ". Comparons, à ce sujet, ce qui ne devrait pas l'être, du moins pas encore. Le brésilien Pelé reste le plus grand joueur de tous les temps. Neymar, son compatriote, est un talent très prometteur. Le premier a su se mettre au service de son équipe et quand il tirait trop la couverture à lui avec ses comportements de diva, certains de ses coéquipiers (Carlos Alberto, Rivelino, Jerson,?), qui ne lui déniaient pas sa primauté sur eux, savaient tout de même le rappeler à l'ordre. Le second, lui, semble échapper à tout contrôle. Trop égoïste, trop individualiste, incapable de bonifier le jeu de ses partenaires, il est à craindre que ses performances n'aillent guère très loin. On peut aussi citer le cas de Zlatan Ibrahimovic. S'il n'avait pas autant écrasé de son égo ses coéquipiers, allant même jusqu'à les martyriser, il est probable que la Suède aurait enregistré de meilleurs résultats au cours de la dernière décennie. En football, comme ailleurs, le bon " génie " est celui qui possède une dose suffisante d'intelligence pratique et, surtout, d'altruisme. (*) "Pour les grandes équipes, gagner ne suffit pas", 15 juin 2018. |
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