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Jouer
au ping-pong avec des migrants et des exilés, en jouant avec leur vie ou leur
santé : ça semble devenu le dernier "sport" pratiqué, allègrement,
par certains gouvernements européens. Et ceci, non seulement au détriment des
droits fondamentaux, mais souvent au mépris du droit tout court.
Au premier rang, ou en tout cas se comportant de la manière la plus bruyante, se trouve le nouveau gouvernement italien formé, fin mai et début juin 2018. Un gouvernement de coalition dont le ministre de l'Intérieur n'est autre le chef du parti de l'extrême droite 'La Ligue', Matteo Salvini. Ce parti s'appelait jusqu'il y a quelques mois, encore, la 'Ligue du Nord', du temps où son ancien dirigeant Umberto Bossi - contraint de partir en 2013 pour malversations financières - tonnait encore que les barbares se trouvent au sud, y compris de son propre pays, et que " l'Afrique commence au sud de Rome " (y englobant donc une large partie de l'Italie). Depuis, le profil régionaliste voire séparatiste de l'ex- 'Ligue du Nord' a été troqué contre un discours dirigé contre les migrants venant d'autres pays, pour tenter d'élargir la base électorale du parti au centre et au sud de l'Italie. Avec un certain succès. Depuis dimanche, 11 juin 2018, Matteo Salvini a, donc, empêché un bateau de sauvetage en haute mer - l' 'Aquarius', navire néerlandais affrété par une Association allemande, l'ONG 'Sea Watch' - de rentrer dans un port italien pour y déposer les 629 personnes qu'il venait de sauver de la noyade. 629 personnes parmi lesquelles des femmes enceintes et des enfants en bas-âge, ayant traversé la Méditerranée à la recherche d'un exil. Le nouveau ministre de l'Intérieur italien, faisant jouer ses muscles, menaçait de bloquer l'entrée des ports italiens pour tout navire comparable, demandant à l'île de Malte de faire entrer l' 'Aquarius' dans celui de sa capitale La Valette. C'est finalement l'Espagne, conduite par le gouvernement, lui aussi, récent du Premier ministre Pedro Sanchez, qui acceptera de prendre en charge les 629 personnes sauvées, leur imposant une traversée supplémentaire de 4 jours. La position du gouvernement italien - consistant à chercher à imposer, à tout prix, que le navire soit pris en charge par un autre pays, quitte à le laisser attendre en mer - est, bien entendu, illégale à l'égard du droit international. C'est un SOS du " Centre italien de coordination du sauvetage maritime " ( MRRC ), situé à Rome, qui avait déclenché les opérations de sauvetage. A partir de ce moment-là, les conventions internationales pertinentes font incomber une responsabilité claire à l'Etat italien. Ainsi, le Chapitre 3.1.9 de la " Convention recherche et sauvetage ( SAR ) " - adoptée le 27 avril 1979, à Hambourg, en Allemagne, et entrée en vigueur le 22 juin 1985 - prévoit que les Etats doivent, dans leur zone de responsabilité respective, fournir des soins médicaux aux naufragés et les mettre en lieu sûr. Géographiquement située, entre ces deux pays ( l'Italie et l'Espagne ) et dotée d'un territoire plus grand, la France - représentée par ses autorités - n'aura d'ailleurs pas bougé le petit doigt pour accueillir, le bateau dans l'un de ses ports à elle. Sauf les dirigeants nationalistes corses qui le déclarait bienvenu sur leur île, souhaitant au passage se démarquer de la tutelle de Paris. A l'été 2017, le gouvernement français avait d'ailleurs interdit l'entrée de ses ports maritimes aux navires de sauvetage ayant appareillé, en Méditerranée depuis l'Italie, toujours pour tirer des migrants de la mer. Le gouvernement italien s'échauffe, cependant, sur une remarque du président français, Emmanuel Macron, qui avait fustigé " le cynisme " des autorités italiennes, convoquant même - mercredi 13 juin - l'ambassadeur français à Rome pour ce motif. En attendant, des élus du Parti communiste français ( PCF ) à Paris auront critiqué la veille, en utilisant précisément le même mot (" cynisme "), l'attitude de la France officielle, elle-même, vis-à-vis du navire et des passagers? A l'échelle de l'Union européenne, le paysage qui se dessine est le suivant : l'Italie, quoique hostile en principe ( sous son nouveau gouvernement ) à l'immigration, demande, plus que jamais, aux autres pays membres de l'UE de " partager le fardeau ", en relocalisant des migrants arrivés en Union européenne par le territoire italien sur leur propre sol. D'autres Etats membres dont les gouvernements montrent, au moins, tout autant d'hostilité de principe à l'immigration ( Hongrie, Pologne, désormais Autriche.. ) y répondent en substance : pas question. Alors que l'Italie demande qu'un autre pays-membre de l'Union européenne devienne responsable du traitement d'une demande d'asile, 2 ans après l'entrée d'une personne dans l'UE ( alors que l'individu se trouve sur son sol ), l'Allemagne par exemple souhaite que ça ne devienne le cas qu'au bout de 10 années révolues. C'est dans la logique de la " convention de Dublin " - à l'origine, largement, influencée par la politique allemande - que la plupart des autres Etats de l'Union souhaitent continuer à faire incomber la responsabilité de l'accueil des migrants, aux seuls pays de première entrée ( souvent : l'Italie, la Grèce, la Bulgarie ). Certains pays, représentés par leurs officiels, tirent les conséquences, ouvertement, inhumaines de ce " ping-pong ". Ainsi le secrétaire d'Etat à l'immigration de la Belgique - le nationaliste flamand Theo Francken, homme de la droite extrême, représentant du parti " Nouvelle Alliance flamande " (N-VA) et déjà épinglé pendant l'hiver 2017/18 pour avoir renvoyer des réfugiés au Soudan qui y ont probablement été torturés à leur retour - fait la proposition suivante : puisque l'Italie ne souhaite pas " garder " les migrants? et que d'autres pays de l'UE ne souhaitent pas les répartir, alors il faut empêcher les bateaux d'accoster. Theo Francken se fait ouvertement le porte-voix d'une solution qui consisterait à procéder au " push-back ", c'est-à-dire au renvoi des naufragés, ou bien en haute mer ou bien ( après s'être assurés qu'ils ne se noient pas ) dans leur pays de départ. Or, cette pratique est hautement illégale, puisqu'elle ne permet pas aux personnes pouvant prétendre au statut de réfugié politique de faire valoir les motifs de persécution au sens de la Convention de Genève sur les réfugiés ( Convention du 28 juillet 1951 ). Une Convention internationale dont l'article 33 consacre, d'ailleurs, le principe du " non-refoulement " qui interdit précisément le " push-back ", donc, le refus d'entrée opposé à toute personne avant tout examen d'une demande de protection internationale éventuelle. Ce caractère illégal de la pratique du " push-back " a aussi été reconnu dans plusieurs décisions de la Cour européenne des Droits de l'Homme ( CEDH ) à Strasbourg, dont l'arrêt " M.S.S. versus Belgium and Greece " du 21 janvier 2011. *Avocats au barreau de Paris |
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