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YORK - Le 19 janvier 2023, le stock total de la dette fédérale des États-Unis a
atteint 31 400 milliards $, se heurtant ainsi techniquement au plafond
réglementaire de la dette du pays. Le Trésor recourt actuellement à des
«mesures extraordinaires» pour gagner du temps, afin de permettre au Congrès
d'élever ou de suspendre ce plafond avant que les paiements des intérêts ou du
capital ne deviennent exigibles. L'incapacité à y parvenir signifierait le
défaut souverain.
Si vous doutez que cela puisse arriver, détrompez-vous, car cela s'est déjà produit. En 1790, sous la direction d'Alexander Hamilton, le Trésor américain prend en charge la dette des États, et reporte à 1801 le remboursement des intérêts. En novembre 1814, la guerre de 1812 ayant conduit à la destruction du Trésor et de la Maison-Blanche, le gouvernement ne possède plus suffisamment d'or et d'argent pour rembourser les intérêts sur sa dette. En 1862, le gouvernement fédéral refusera de la rembourser en billets verts imprimés l'année précédente. Plus tard, en 1933, à la demande du président Franklin D. Roosevelt, le Congrès refusera d'honorer l'obligation du gouvernement d'effectuer ses paiements en or à un prix fixe sur les «Liberty bonds». De même, en avril et mai 1979, une défaillance technique conduira la Trésor à manquer l'échéance du remboursement de 122 millions $ en bons du Trésor exigibles, et certains investisseurs devront attendre plus d'une semaine pour être payés. En vertu de l'article 1, section 8, de la Constitution des États-Unis, le Congrès jouit seul de l'autorité d'emprunter pour le compte du gouvernement fédéral. Le plafond de la dette a été instauré par le Liberty Bond Act de 1917, qui l'a initialement fixé à 11,5 milliards $. Avant cette législation, le Congrès autorisait chaque dette fédérale émise. Depuis sa création, le plafond de la dette n'a toutefois cessé d'entraîner des affrontements chaotiques entre les conservateurs budgétaires du Congrès et les administrations présidentielles en exercice. Depuis 1960, le Congrès est intervenu à 78 reprises - 49 fois sous une présidence républicaine, et 29 sous une présidence démocrate - soit pour rehausser le plafond de la dette, soit pour le reporter ou le suspendre temporairement, soit encore pour remanier sa définition. Outre l'épisode de défaut accidentel de 1979, nombreuses ont été les collisions évitées de justesse. La plus récente remonte à 2011, lorsque S&P Global Ratings a revu à la baisse la notation de crédit à long terme des États-Unis, la faisant passer de AAA à AA+, même si le pays a finalement échappé au défaut souverain, et le Congrès élevé en fin de compte de 2 400 milliards $ le plafond de la dette. Ce chaos périodique et les mesures exceptionnelles relatives au plafond de la dette sont à la fois coûteux et inutiles. En raison de cette contrainte artificielle sur la dette active, les conflits entre dépenses publiques et recettes fiscales doivent généralement être résolus à deux reprises au moins, une première fois lorsque les programmes de dépenses et de recettes franchissent les obstacles parlementaires et sont signés par le président, puis à nouveau chaque fois que le plafond de la dette se rapproche. Tout est ici en réalité question d'arithmétique pure et simple. Le stock de la dette publique est un artéfact historique. Excepté en cas de défaut, il ne peut être changé. Le Congrès et la situation économique du pays (susceptible d'être influencée par les programmes budgétaires) déterminent les dépenses publiques fédérales (hors paiement des intérêts) et les recettes fiscales fédérales. Rapprochés des paiements d'intérêts sur le stock de la dette, ces chiffres nous indiquent le déficit budgétaire fédéral pour la période actuelle. Ajoutez au déficit actuel le stock initial de la dette de la période actuelle, et vous obtenez le stock initial de la dette de la prochaine période. Cet exercice peut être répété pour les périodes futures, afin de déterminer la séquence entière des stocks futurs de la dette publique. Il n'existe par conséquent aucune logique à ajouter un plafond supplémentaire de la dette à l'arsenal budgétaire et financier du Congrès. La limite de dette déterminée par le Congrès est soit redondante, soit incohérente. Elle se révèle redondante lorsque l'obligation n'est pas contraignante, et incohérente lorsque l'obligation est contraignante, dans la mesure où elle bloque des politiques budgétaires et de dépenses auxquelles le Congrès a déjà conféré force de loi. Les cas de redondance n'entraînent pas de dégâts, mais font passer l'État pour un idiot. Les cas d'incohérence, en revanche, se révèlent à la fois coûteux et potentiellement catastrophiques. Cette problématique peut être résolue de plusieurs manières. Soit le plafond de la dette l'emporte, auquel cas le Congrès doit réduire les dépenses et/ou augmenter les impôts dans la mesure nécessaire pour maintenir la dette en dessous du plafond. Soit c'est le déficit qui prévaut, et le Congrès se contente alors d'élever ou de suspendre le plafond afin que puissent être mis en œuvre les programmes de dépenses et de recettes qu'il a déjà approuvés. Dernière possibilité, le Congrès ne fait rien, et laisse les États-Unis entrer en défaut de paiement. Un scénario de défaut non accidentel entraînerait des conséquences extrêmement sérieuses. Compte tenu du rôle du dollar américain en tant que monnaie de réserve mondiale, et de l'importance des titres du Trésor américain au sein du système monétaire et financier planétaire, un tel événement engendrerait probablement une crise financière et une récession grave aux États-Unis comme à travers le monde. Que faire alors ? Le Quatrième amende-ment de la Constitution américaine énonce que «la validité de la dette publique des États-Unis [?] ne sera pas mise en question». Cette disposition, à laquelle on peut ajouter le bon sens pur et simple, plaide en faveur d'une abolition de facto du plafond de la dette. Il n'existe aucune autre option concrète. Révoquer l'autorité constitutionnelle du Congrès d'emprunter, ce serait aller trop loin, et même si elle était réalisable, cette option nécessiterait trop de temps. Une meilleure solution consisterait à conférer au Congrès, via la loi, l'autorité tacite d'élever automatiquement le plafond de la dette (à supposer que ce plafond soit contraignant, comme il l'est aujourd'hui) pour chaque période actuelle et future, à hauteur du déficit induit par les programmes fédéraux de dépenses et de recettes déterminés par le Congrès et approuvés par le président. Cette solution équivaudrait à une suspension permanente du plafond de la dette. L'heure et venue de prendre au sérieux la Constitution, l'arithmétique, l'économie ainsi que le bon sens, et d'en finir une bonne fois pour toutes avec le plafond de la dette. Traduit de l'anglais par Martin Morel *Ancien économiste en chef de Citibank, et ancien membre du Comité de politique monétaire de la Banque d'Angleterre, est conseiller économique indépendant |