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Ce
dimanche 24 avril s'est déroulé le deuxième tour des élections présidentielles
françaises. Le président sortant, Emmanuel Macron, a été réélu avec un score de
58,54% face à la candidate d'extrême droite, Marine Le Pen, qui a obtenu 41,46%
des suffrages.
Nous avons demandé à Naoufel Brahimi El Mili, professeur à Sciences-po (Paris) et auteur notamment de «France-Algérie, 50 ans d'histoires secrètes», de répondre à quelques-unes de nos questions sur ce sujet. Le Quotidien d'Oran : Le président sortant, Emmanuel Macron, vient d'être réélu à la tête de la République française face à la candidate Marine Le Pen. Même si cette dernière n'est pas parvenue, en fin de compte, à accéder au pouvoir, l'extrême droite qu'elle représente s'est quand même qualifiée au second tour de ces présidentielles françaises -et ceci pour la deuxième fois consécutive- sans provoquer une très grande indignation dans la société française en général. Si on y ajoute le fâcheux syndrome-Eric Zemmour qui a fait souffler un vent mauvais durant la campagne électorale, comment expliquez-vous cette sorte de grand accommodement de ladite société française, ces dernières années, avec des idées qui prônent ouvertement le racisme et le repli sur soi ? Naoufel Brahimi El-Mili : L'automne dernier a été médiatiquement dominé par l'intrusion spectaculaire d'Eric Zemmour dans le débat public en tenant des propos racistes et complotistes avec une brutalité jamais égalée. Un rapide florilège de ses fulgurances indique la violence de ces propos : «Le grand remplacement», c'est une idée déjà très répandue chez les néo-nazis américains qui évoquent le «White genocid» (le génocide blanc) car pour ces Américains, certes minoritaires, les Etats-Unis seront à terme un pays peuplé d'Afro-Américains. Ensuite, le candidat Zemmour évoque la création d'un ministère de la «Remigration», concept déjà connu dans l'Histoire sous le nom de purification ethnique ou bien de déplacement massif de population. Il en a résulté une image recentrée de Marine Le Pen qui l'a fait passer comme une figure présentable au sein d'une importante frange de la population française. S'installent dès lors un certain nombre de clivages : anti-mondialisation, souverainisme exacerbé, une véritable tendance du repli sur soi. Aujourd'hui se confirme la tendance anti-Union européenne. La guerre en Ukraine et ses conséquences économiques sur la France, entre autres, est un élément anxiogène. Au total se pose la question d'une nouvelle représentativité où les partis traditionnels de pouvoir sont laminés. Un chiffre est parlant : Anne Hidalgo, maire de Paris, n'a eu au premier tour, dans la capitale française, que 2,2% des voix. Q. O.: La scène politique hexagonale semble s'être réorganisée en dehors de l'ancien clivage traditionnel droite-gauche, et on assiste depuis les dernières présidentielles françaises de 2017 à une confrontation pour l'accès au pouvoir qui est assez proche de ce qui se passe aux Etats-Unis : d'un côté, le centre-droit incarné par Emmanuel Macron (l'équivalent des Démocrates aux USA) et de l'autre côté, l'extrême droite incarnée par Marine Le Pen (qui serait l'équivalent des Républicains américains «Trumpistes» actuels). Comment expliquez-vous ce grand chamboulement de la scène politique outre-Méditerranée et l'effondrement des partis politiques historiques comme le Parti socialiste ou la droite républicaine qui ne sont même pas arrivés à dépasser les 5% des suffrages ? N. B. El-Mili : Durant le premier quinquennat de Macron, ni le Parti socialiste ni le parti Les républicains n'ont véritablement travaillé sur un projet de société. A cela s'ajoute un mauvais casting de leur candidate dépourvue, chacune, de charisme. Au moment où Marine Le Pen avait fait une bonne campagne de proximité. A cause de la Covid, la France a été privée de véritable débat politique. Pendant deux années, les sujets les plus débattus portaient sur les masques, les vaccins et le pass sanitaire, une véritable ambiance anxiogène. Après sa victoire de 2017, Emmanuel Macron avait siphonné certains des ténors du PS et des Républicains. Son parti, La République en marche, une création ex nihilo, avait remporté la majorité de l'Assemblée nationale. De cette recomposition, s'est consolidé le bastion du Rassemblement national et l'émergence du parti Les insoumis qui ont capté une partie non négligeable du vote de la colère. En sciences politiques, la fonction de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon est connue sous l'appellation de «Fonction tribunicienne» qui consiste à récupérer les exclus. Q. O.: Quelle explication donnez-vous au fait que Jean-Luc Melenchon, le candidat du parti «La France insoumise», soit arrivé en tête chez les moins de 35 ans, au premier tour de ces présidentielles françaises ? Jean-Luc Melenchon qui prône exactement le contraire des idées de Marine Le Pen... N. B. El-Mili : Le succès des Insoumis chez les jeunes s'explique par son projet radical de renverser la table avec notamment la 6ème République. La radicalité est encore mieux illustrée par la montée dans les sondages d'Eric Zemmour qui avait surfé sur la lassitude due, en partie, aux confinements à répétition. Les idées diamétralement opposées des Insoumis et du Rassemblement national ont eu un certain écho chez la population française, essentiellement par la qualité de tribun de leur chef. Je ne saurai trop insister sur l'importance de la fonction tribunicienne. Q. O.: Est-ce que, selon-vous, les résultats de ce dimanche, favorables au Président Macron, peuvent être remis en cause dès juin prochain avec les élections législatives et la perspective d'une éventuelle cohabitation avec l'opposition qu'elle soit de droite ou de gauche ? N. B. El-Mili : Il est trop tôt pour parler d'une éventuelle cohabitation car les investitures aux législatives n'ont pas commencé, d'une part, et, d'autre part, les législatives seront une toute autre élection. Rien n'indique que les candidats Insoumis à la députation profitent des 7 millions de voix de Mélenchon qui, déjà, fait un procès d'illégitimité au Président Macron «élu avec un faible nombre de voix» (dixit le président des Insoumis) au moment où dans une démocratie, il suffit d'avoir 50% de voix plus une. L'enjeu réel est la mobilisation : un faible taux de participation bénéficiera à la majorité sortante. Par ailleurs, aussi bien la gauche que la droite ne semblent pas pour le moment regroupées autour d'un leader ou d'un projet. Les partis politiques sont assez fragmentés pour faire valoir un «vote utile». Le risque d'abstention qui serait une curieuse forme de vote de la colère, éloignerait une possible cohabitation. Q. O.: Durant le premier tour de ces présidentielles, l'électorat franco-algérien (estimé à pas moins de 1,4 million de voix) n'a pas constitué un bloc monolithique et s'est présenté en ordre quelque peu dispersé. Lors du deuxième tour, une bonne partie de celui-ci a voté en faveur du Président sortant Emmanuel Macron et une autre partie s'est abstenue. Est-il souhaitable, selon-vous, qu'à l'avenir, cet électorat puisse s'organiser en force de lobbying et s'exprimer de manière concertée ? N. B. El-Mili : La seule indication fiable sur le vote communautaire, c'est, par exemple, le vote du département de la Seine-Saint-Denis (le 93) où Mélenchon a dépassé les 50%. Autre certitude, le vote communautaire homogène est celui des Français d'origine arménienne, communauté structurée en lobby car peu nombreuse (moins de 500.000). Quant à la communauté algérienne, il est perceptible que le nombre d'inscrits sur les listes électorales est en hausse mais rien n'indique qu'une structuration poussée soit en bonne voie. Bien sûr, il est souhaitable que les électeurs d'origine algérienne se concertent mais il est à constater que pour les élections régionales, des candidats d'origine algérienne se sont retrouvés sur différentes listes mais rarement en position d'éligibilité, c'est un angle d'attaque qui mérite d'être affiné. Q. O.: Pensez-vous, concernant les relations algéro-françaises en particulier, que la réélection du Président Macron soit une bonne chose et qu'il va infléchir dans un sens positif ces relations qui ont connu, ces derniers temps, disons un certain froid ? N. B. El-Mili : Pour le moment, sur le plan international, la priorité du président réélu s'oriente vers la crise ukrainienne qui semble s'installer dans la durée. Ensuite, un autre défi attend Emmanuel Macron, celui du projet de l'autonomie de la Corse. Toutefois, l'Algérie qui reste une importante puissance régionale demeure incontournable sur les dossiers libyen et sahélien. Reste à savoir quelle est l'ampleur de la puissance de nuisance du Maroc, son rapprochement avec l'Espagne n'est pas un élément de confort. |