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L'on peut penser qu'on peut
éclairer le temps présent en l'insérant dans la moyenne-longue période et faire
ainsi œuvre scientifique - à l'instar des historiens, des sociologues ou des
psychologues. L'économiste n'est pas de cet avis : « car à long terme, nous
sommes tous morts » (Keynes). Il s'attache à répondre aux problèmes d'aujourd'hui,
quels que soient leur origine, les ressorts de leur naissance ou les conditions
idéales de leur déploiement. Qui a prévu le coronavirus ? Qui, partant du
passé, peut résoudre la pandémie ? Ou juste suggérer une sortie du confinement
?
De même, qui a prévu le Hirak ? Qui, partant du passé (avec ses luttes de clans ou de classes), peut indiquer le chemin de l'édification de la 2ème République ? Ou juste nous dire comment le Hirak va se déployer après l'éradication du coronavirus ? Des questions simples qu'aucun éclairage sociologique, politologue, historien, psycho-social ... ne peut prévoir, anticiper, dire. L'économiste, quant à lui, aura les yeux rivés sur... tous ces chômeurs de plus sur le marché du travail, tous ces capitaux qui ne trouvent où se placer, toutes ces décisions de politiques publiques prises pour affronter la crise pandémique... Soit donc : sur le nouveau, sur ce qui est hier n'était pas, n'existait pas. Pour ne pas aller chercher ses legs génétiques (le fameux « moyen-long terme ») mais pour révéler ce qui l'est, son ADN dans ce qu'elle a de particulier, de spécifique, d'inédit. La mentalité « passéiste » existe aussi chez les économistes quand ils cherchent à expliquer. Ils chercheront les « corrélations » (les liaisons) entre les variables économiques et celles non-économiques. Du genre, est-ce l'esclavagisme des Noirs afro-américains est pire, pour la même période, que le salariat européen ? Ou encore dans quelle mesure le droit (et les institutions) pèsent sur les décisions et anticipations des acteurs économiques (par exemple : à quel moment la décision d'un ministre ou un règlement du gouverneur de la Banque centrale - pris aujourd'hui - vont-ils avoir des effets sur le tissu économique?). L'intérêt de ce domaine de recherche, pour les économistes, est non pas d'expliquer ou interpréter mais plutôt d'être vigilant, circonspect, mesuré dans les recommandations et conseils qu'ils profèrent. C'est-à-dire de montrer - et non démontrer (car il n'y a que dans les mathématiques que l'on démontre ; aucune autre science ne démontre quoi que ce soit) - les limites de nos actions sur le présent. Nous sommes en plein Ramadhan, avec une trêve sanitaire du Hirak, avec des interrogations sur l'avenir immédiat - la fin de l'épidémie, les modes de sortie du confinement, la reprise des activités dans tous les secteurs (surtout la scolarisation de nos enfants). Un avenir immédiat marqué par l'entrée dans la période estivale qui suivra l'Aïd Seghir (au 23-24 mai), certainement borné par des migrations internationales très limitées (peu de voyages à l'étranger par exemple ; comme aussi peu d'échanges de marchandises), des mouvements de main-d'œuvre et de capitaux peu amples et surtout une machine étatique peu efficace ! Ce que donc je veux dire est : ce n'est pas l'arrêt des activités imposé par la propagation du Covid-19 qui est inédit - dans notre société, histoire ou mentalités (nous avons vécu la guerre de Libération 1954-1962 puis la guerre civile pendant la décennie noire) - mais la reprise lors l'après-coronavirus qui l'est ... si jamais nous réussissons totalement à éradiquer tout cluster de la pandémie, à éradiquer absolument tous les cas de porteurs de germes de ce virus. Notre avenir immédiat, jusqu'à et après la rentrée sociale en septembre 2020, n'est juste qu'un horizon temporel. Il revient aux décideurs politiques d'en dessiner les contours (et comme disait l'autre : s'il faut tester un antidote au coronavirus Civid19, qu'on l'essaie sur les députés puisqu'ils sont les représentants du peuple!). Or malheureusement, ces décideurs partout dans le monde (y compris dans les plus grandes démocraties) sont paralysés, se trouvent nus, isolés, impuissants. A part aller injecter l'argent des contribuables ou endetter plus l'État afin de limiter les dégâts sociaux et économiques, résultant de leur mesure administrative de confinement des population - par principe de précaution (que les assurances, disposant de fonds immenses, refusent d'assumer en « couvrant » ce risque sanitaire majeur) - les pouvoirs publics n'ont aucune prise sur l'état actuel des événements et encore moins sur leur évolution dans les jours qui viennent, soit sur le présent et l'avenir immédiat. Partout dans le monde, l'on s'interroge sur les jours à venir, sur ce que sera notre monde demain. Deux thèses s'affrontent : 1- rien ne changera 2- et rien ne sera pareil. En y regardant de plus près, nous trouverons les deux visions exposées ci-dessus : d'un côté, aujourd'hui pris dans les mailles d'hier (sociologues, historiens, psychologues ... pour faire vite), et de l'autre, aujourd'hui est un autre jour (économistes... en allant vite). Quand on observe que les banques centrales ont baissé leur taux d'intérêt comme elles ne l'ont jamais fait - par exemple : le fameux (jamais vu depuis 345 ans) 0,1 % de la Banque d'Angleterre, une des principales places financières du monde. Ou un prix négatif du baril du pétrole (avec sa montée agonisante jusqu'à son niveau de 1986). Ou encore ces pertes de croissance pendant premier semestre 2020 (et probablement lors du troisième trimestre 2020) des principales puissances économiques du monde, laissant présager une crise pire que celle de 1929. L'on ne peut raisonnablement postuler que rien ne changera et que ce corps économique malade va retrouver sa vigueur dans quelques mois... comme dans quelques jours le coronavirus va être éradiqué ou un vaccin anti-Covid19 immunisera la population mondiale ! L'on oublie par-là que le temps est d'abord une durée. Que le cheminement du temps N au temps N+1 puis N+2, etc. n'est pas aussi automatique que l'on pense. Le temps est un saut, une césure, une rupture. Rien ne nous dit de quoi seront faits les temps N+1 ou N+2 ...Cette incertitude foncière (non calculable) face au lendemain - et de quoi il est fait - est pourtant propre (pas seulement aux économistes mais aussi) à la pensée musulmane : notre Inchallah ! Or nous n'en prenons pas tous les sens et toutes les significations. Ce n'est pas de la résignation, de la démission ; bien au contraire : une incitation à l'action, une impulsion vers l'exercice de notre libre-arbitre, de notre responsabilité, de la mesure des poids des avantages et des inconvénients, du pour et du contre de nos décisions. Quand il est affirmé que : de toutes les façons, l'Algérie étant une économie fermée et une société vivant en repli sur elle-même, toutes ces turbulences dans le monde ne nous touchent pas du tout ou peu, aussi il n'y pas à s'inquiéter (on a peu de cas de cas infectés, peu de décès, etc.) et les choses reprendront vite. C'est là un discours irresponsable. Et à double titre : 1- car qui paiera si les choses se passaient différemment (et comment demander réparation) ? 2- et parce que les dégâts sont déjà là avec ces écoliers en désœuvrement, ces chômeurs forcés, ces villes et villages désertés... (et qui fera rattraper les cours, payer les salaires, relancer les activités...?). Une machine en panne n'est plus une machine, même dans l'atelier le plus isolé du monde ! Ainsi donc ces deux visions du monde et de l'avenir - la première, tournée vers le passé et le monde de jadis ; la seconde, plus encline à douter, minée par les incertitudes face au futur - s'entrecouperont dans nos échanges quotidiens en cette période de confinement et après. Dans les réseaux sociaux, les médias, les conférences (surtout dites scientifiques) et les réunions (par exemple : lors de la reprise des marches et regroupements des protestataires du Hirak - ou inversement, lors de l'exercice de la liberté de ne pas marcher, de ne pas protester). Elles s'entrechoqueront nécessairement dans nos débats (ou non-débats) publics et privés. Le Hirak, mouvement populaire pacifique, va ainsi lui aussi mûrir, muter. De la revendication radicale « Yatnahaw Gâ3 » au double processus : d'un côté des discours d'ouverture et des pratiques de tolérance par les tenants du pouvoir, et de l'autre des répressions et incarcérations (de toute voix émanant de ses rangs ou même en dehors : journalistes et photographes), sa stratégie de refus - d'avant le coronavirus et pendant la trêve sanitaire - de toute main tendue des représentants du « pouvoir réel » (le général de corps d'armée Gaïd-Salah puis au général-major Chengriha) ou du « pouvoir civil » (le Chef de l'État Bensalah au Président Tebboune) cette stratégie va-t-elle perdurer dans ce nouveau contexte ? Choisira-t-il aux mois de mai, juin, juillet ou plus tard : 1-la voie d'aujourd'hui c'est comme hier 2- ou la voie d'aujourd'hui est un autre jour ? (*) Économiste |