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Naoufel Brahimi
El Mili est docteur en sciences politiques et enseignant à Sciences Po à Paris.
Il est l'auteur de «Le Printemps arabe : une manipulation ?» (éditions Max Milo) ainsi que de «Algérie/France : 50 ans
d'histoires secrètes 1962/1992», chez l'éditeur parisien Fayard.
Son tout dernier livre «Histoire secrète de la chute de Bouteflika» devait paraître en mars dernier aux éditions L'Archipel (en France) mais sa parution a été reportée à cause de la pandémie du Covid-19. Malheureusement cet ouvrage vient d'être piraté et mis en ligne. Naoufel Brahimi El Mili a accepté de répondre aux questions du Quotidien d'Oran. Le Quotidien d'Oran : Vous venez de consacrer un livre à «L'histoire secrète de la chute de Bouteflika» (et qui dit «chute» dit rejet de la part de la population et abandon par les autres centres de décision !). Pourtant, durant les premières années de son pouvoir, cet homme à la personnalité complexe avait suscité un véritable élan d'adhésion de la part d'une grande partie du peuple algérien... Naoufel Brahimi El Mili : L'arrivée de Bouteflika au pouvoir, malgré l'adhésion apparente, renfermait en elle les germes d'une crise profonde. Il est à rappeler que les décideurs qui l'avaient appointé président ignoraient la complexité de sa personnalité d'une part. D'autre part la priorité des tenants de la décision de l'époque était le retour de l'Algérie sur les radars internationaux. Notre pays, lors de la décennie noire, était de fait mis sous embargo, il importait alors qu'Alger rejoigne le concert des nations. Il en a résulté que la politique intérieure se limitait à la construction d'une laborieuse et peut-être incertaine réconciliation nationale. C'est cette feuille de route, celle du retour à la paix civile (et qui était du fait de l'armée présente dans les maquis), qui se trouve à l'origine de la popularité réelle ou supposée de Bouteflika. Son bagout et les belles paroles ont fait le reste. L'aura de Bouteflika ne s'est pas effondrée très vite à cause de l'envolée des cours pétroliers. La dépense publique effrénée, matrice de la corruption, finit par consolider son pouvoir, le temps d'un premier mandat. En réalité, son premier séjour à l'hôpital militaire français Val-de-Grâce en 2005, a eu comme conséquence la prise du pouvoir, au moins partiellement, par son jeune frère Saïd. Q. O.: Pouvez-vous confier à nos lecteurs qui n'ont pas encore eu la chance de lire votre livre, quelques faits ou anecdotes concernant l'ancien président, que vous avez rapportées dans votre ouvrage et qui jettent une lumière crue sur des moments cruciaux de son itinéraire ainsi que sur sa personnalité ? Vous révélez, par exemple, que l'ancien président souffrait dans les années 1980 d'insuffisance rénale chronique qui a conduit à une transplantation rénale (tenue secrète) qu'il a subie dans un hôpital suisse. N. B. E. M.: Justement, Abdelaziz Bouteflika, méfiant et revanchard par nature n'accordait sa confiance qu'au cercle restreint de sa famille. Son problème rénal nécessitait une greffe et c'est son frère Saïd qui lui avait fait don du sien. De là, se renforce une relation plus que fusionnelle entre ces deux membres de la fratrie. Plus tard, ce rein partagé conduit au partage du pouvoir entre Saïd et Abdelaziz. Il est aussi à noter que le jeune frère, contrairement au président, avait plus vécu en Algérie. De ce fait, «Small brother» connaissait mieux le pays (en tant qu'enseignant et syndicaliste) que son frère aîné qui naviguait pendant une vingtaine d'années entre Paris, Genève et Abu Dhabi. Finalement, quelque part, ils se complétaient. Malheureusement pour l'Algérie qui récolte deux présidents pour le prix d'un. Q. O.: En 2013, le Professeur Debré avait diagnostiqué que l'état de santé de Bouteflika, alors hospitalisé au Val-de-Grâce à Paris, était sérieux. Les services de la DGSE connaissaient-ils cet état de fait ? Cela a-t-il joué un rôle sur les relations algéro-françaises ? N. B. E. M.: A aucun moment, l'Etat de santé de Bouteflika n'avait de secret pour le renseignement et les politiques français. Le principe constant de la diplomatie de l'Elysée est de privilégier la stabilité des pays proches géographiquement. Aussi, plus un pays est lointain plus Paris évoque les droits de l'homme (exemple des moines tibétains). L'Algérie est trop proche de la France pour que Paris s'encombre de considérations démocratiques. Et en plus, avec la manne pétrolière notre pays est devenu riche, donc fréquentable selon les normes de la diplomatie française. A aucun moment, les Bouteflika, Abdelaziz ou Saïd, sans doute les deux, n'étaient une menace pour les intérêts économiques français. Q. O.: Comment expliquez-vous la grande influence des lobbys économiques et des oligarques algériens durant la deuxième moitié du pouvoir de l'ancien président ? N. B. E. M.: Tout d'abord, sans la France, ces lobbys ne pouvaient être aussi puissants. Les centaines de milliards de dollars sans contrôle véritable, représentent un redoutable levier de pouvoir pour ceux qui seront appelés plus tard la «Issaba». Dans mon livre, pour des raisons de synthèse, je n'ai jamais évoqué le nom de l'ancien ministre de l'Industrie Bouchouareb, étant donné son éloignement du pays et de la politique, lors de la chute de Bouteflika. Alors que cet ancien ministre était l'un des principaux artisans de la prédation. N'a-t-il pas été un agent d'influence au profit de la France ? C'est sur injonction de Paris que le gouvernement algérien avait autorisé plusieurs hommes d'affaires à investir à l'étranger au nom de la réciprocité. Bien sûr, il y avait des conditions mais très vite contournées par un appel téléphonique de Saïd Bouteflika. Ainsi, les Ali Haddad et consorts se sont tissés d'importants appuis à l'étranger au point où ils se croyaient intouchables. J'ai en tête des titres d'articles de la presse française qui saluent les interventions d'Ali Haddad devant le patronat à Paris. Est-il normal que ce même individu soit le chef d'orchestre du Forum africain de l'investissement ? (qui s'est tenu en décembre 2016 à Alger. NDLR) Q. O.: Quels sont, selon-vous, les plus grandes erreurs qu'a commises l'ex-Président Bouteflika durant ses 20 ans de règne (dont, bien-sûr, la modification de la Constitution en 2008) et pensez-vous qu'à partir de 2013 et son AVC, il avait la pleine maîtrise de toutes ses facultés de décision ? Et si c'est non, pourquoi n'est-il pas parti ou pourquoi ne l'a-t'on pas contraint à partir ? N. B. E. M.: Ses erreurs découlent des défauts de son caractère structuré par un absolu appétit du pouvoir et une immense soif de revanche. Avec une exceptionnelle manne financière doublée d'une roublardise sans nom, il a réalisé les deux. Je ne connais pas son état de santé lors de sa convalescence aux Invalides pendant une cinquantaine de jours, je rappelle que ce haut lieu militaire héberge un centre d'interception des écoutes par les services secrets français. Le tout au moment où l'Algérie était dirigée par téléphone depuis Paris pendant plusieurs semaines. Ce type d'«erreur» tient de la démence mentale car les règles de sécurité de base étaient bafouées pour le bonheur de la France. Toutefois, l'absence de toute activité politique, à l'exception d'une rencontre, de temps à autre, avec des chefs d'Etat étrangers, pour des raisons de photos, confirme son incapacité de gouverner en accord avec le poids de la charge d'un président de la République. Les «Bouteflika» avaient tissé des appuis au sein du gouvernement, des partis politiques, afin que leur pouvoir ne puisse être challengé. Situation tellement aberrante qu'elle ne pouvait perdurer. Le Hirak suivi par l'intervention vigoureuse et énergique de l'armée ont fait un premier grand ménage dans le sérail. |