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Du souterrain à la lumière: avec son synthétiseur à hauteur d'épaule et sa voix
déchirante d'où sort un raï romantique, l'Algérien Mohamed Lamouri
s'est fait un nom dans le métro parisien au point de prendre le train jusqu'au
Printemps de Bourges.
Les usagers de la ligne 2 qui parcourt le nord de la Capitale d'Est en Ouest et inversement connaissent son visage, marqué par une cécité quasi totale. Et plus d'un a été hypnotisé par son vibrato éraillé et ses mélodies mélancoliques qui composent la bande originale de leurs trajets quotidiens. Parmi eux, Benjamin Caschera, cofondateur en 2013 du collectif La Souterraine, qui a réussi là où tous les autres acteurs de l'industrie se sont cassé les dents: attirer Mohamed Lamouri dans son écurie. «Plein de gens m'ont abordé, des producteurs m'ont fait des propositions. Mais je n'avais jamais donné suite, question de confiance», raconte l'artiste algérien de 36 ans, qui chantait samedi à Bourges. Un petit saut dans l'inconnu somme toute incomparable avec celui qu'il fit en 2003 à 21 ans, en décidant de ne pas rentrer au pays après un court séjour en France où il accompagnait à la darbouka (percussion à main) une chorale arabo-andalouse en tournée. «J'aurais dû finir mes études là-bas. Mais j'ai décidé de rester ici. Mon oncle et ma tante, qui vivent à Pavillon-sous-Bois, m'ont accueilli», raconte-t-il. Jusqu'alors, Mohamed Lamouri vivait dans sa région natale de Tlemcen près de la frontière marocaine. La musique, il tombe dedans en regardant la populaire émission «Bled Music» dont il reprend ensuite les tubes a capella, quand il n'accompagne pas des musiciens qui jouent du oud dans la rue. Autodidacte, il apprend à jouer de la darbouka à cinq ans et du synthétiseur à onze. Avant de parfaire son apprentissage grâce à un professeur de luth de son école pour non-voyants. «Mais à cette époque-là en Algérie, c'était difficile de faire de la musique», dit celui qui reste marqué par l'assassinat en 1994 de son idole Cheb Hasni, star du «raï love» dont il reprend des chansons. Bientôt l'album «Il y a eu aussi les assassinats du producteur Rachid Baba Ahmed en 1995 et du chanteur Lounes Matoub en 1998. C'étaient des années noires. Aller dans un studio d'enregistrement, c'était vraiment risqué. J'étais un ado et j'avais la sensation d'être en danger juste parce que j'aimais la musique», confie-t-il. Ses premières années parisiennes sont rudes. Mohamed ne connaît personne, il abandonne même la musique pendant trois ans. «Mais à force de voir ces musiciens du métro, qui vendaient parfois leurs disques, j'ai fini par rebrancher la prise...» Armé de son Casio SA75, plus large que le modèle au-dessus dont il a fait l'acquisition l'an passé, Mohamed connaît des débuts compliqués, «notamment avec la RATP». Il se distingue pourtant avec son adaptation d'»Hotel California» des Eagles, dans laquelle il raconte son histoire, ses «yeux qui pleurent», sans que l'auditoire non-arabophone n'en saisisse le sens. «J'ai aussi souvent repris +Billie Jean+ de Michael Jackson. Celle-là marchait bien. Sauf une fois, je ne comprenais pas, les gens étaient tristes. En fait il venait de mourir... Du coup, je l'ai jouée toute la journée», rit celui qui avoue un faible pour le reggae de Bob Marley et aime la variété française, Jean-Jacques Goldman en tête. S'il continue régulièrement de faire du métro son théâtre musical, autant par passion que par nécessité - «même si financièrement ça va un peu mieux» , Mohamed Lamouri s'apprête à sortir le 26 avril, jour de ses 37 ans, son premier album «Underground Raï Love» enregistré avec le groupe Mostla. Un disque qu'il aimerait bien pouvoir jouer chez lui un jour en Algérie. «Ma mère et mes soeurs vivent là-bas. J'aimerais les revoir et m'y produire, mais ça dépend de beaucoup de choses. Des choses importantes qui se jouent actuellement. J'espère que ça va amener à de gros changements. Le peuple en a vraiment besoin», soupire-t-il. Y croit-il ? «Depuis toujours, ce que je me dis au fond de moi c'est: +le jour viendra+». |