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L'Algérie est entrée dans une
phase particulièrement sensible depuis que l'ancien président a décidé, non de
son propre gré, mais contraint et forcé, de présenter sa démission, et que le
Conseil constitutionnel a entamé, suivant les dispositions de la Constitution
actuelle, la procédure de déclaration de vacance du poste de chef de l'Etat,
ouvrant la voie à la désignation d'un président intérimaire, aux compétences
réduites, et essentiellement chargé de préparer les élections présidentielles.
Une démarche légaliste, mais non légale Cette démarche est, légalement et si l'on s'en tient à la lettre de la Constitution, parfaite. On ne peut pas reprocher au président du Conseil constitutionnel de s'en tenir à cette lettre, car c'est sa fonction même de veiller à ce que ce texte fondamental soit respecté lorsqu'il s'agit de rien de moins que d'assurer la continuité de l'Etat, et le maintien de la stabilité et de la paix civile dans le pays. Il s'agirait, suivant ceux qui tiennent au respect littéral des clauses constitutionnelles, d'éviter que, faute d'un homme nommé selon les normes constitutionnelles, à la tête du pays dans cette phase «transitoire,» et bénéficiant de l'appui de la loi suprême, qui ne saurait être violée, des conséquences graves s'en suivraient pour la pérennité de la Nation. Une démarche légaliste qui fait des circonstances politico-sociales présentes Le problème avec cette démarche, toute tissée de légalité, est qu'elle se place dans la stricte construction juridique tissée par les clauses de la Constitution, en tout isolement d'autres facteurs autrement plus importants dans le contexte actuel. Une loi ne vaut que par l'environnement socio-politique global dans lequel elle est établie et appliquée. Tirer la leçon de la gestion législative de la guerre de Libération nationale par la «patrie des droits de l'Homme» L'histoire de la lutte de Libération nationale a vu l'ex-colonisateur, qui pourtant se targue d'être la «patrie des droits de l'Homme,» et proclamait que l'Algérie était «La France,» et que les Algériennes et Algériens «indigènes» étaient aussi «français,» que les Auvergnats et les Bretons, a, en toute contradiction avec ses propres nobles principes humanitaires, déclaré la loi d'exception, à la suite du soulèvement du peuple algérien, et a délibérément marché sur ses lois, du code civil, en passant par le code pénal, sans oublier le code de procédure pénal. Il a même légalisé les exécutions extra-judiciaires, les destructions délibérées de propriétés et les confiscations de biens privés, l'emprisonnement sans cause, le regroupement dans des «camps de la mort,» etc. etc. de millions de «Français de souche nord-africaine,» (FSNA) sous lesquels étaient classés les Algériens et Algériennes. Ils ont fait fi de leurs propres lois pour répondre à une situation exceptionnelle, et, pourtant, on ne peut pas dire que la République française n'est pas un Etat de droit. Mais, lorsqu'il a fallu choisir entre d'un côté la loi et de l'autre, la conception que l'ancien colonisateur avait de l'intégrité territoriale, il n'a eu aucune hésitation, il a choisi de défendre avec brutalité cette conception, contre le vœu et la volonté de la majorité de la population du pays. L'ex-président a donné le coup de grâce final à sa propre constitution Dans le cas actuel, on ne peut pas affirmer que l'ex-président ait appliqué avec fidélité les clauses de la Constitution, dont il est pourtant le concepteur, sinon l'auteur déclaré, puisque ce texte a été publié, avec sa signature, dans le Journal officiel de la République démocratique et populaire. La toute dernière de ses violations, qui pratiquement enlève toute crédibilité à ce texte fondamental, est la décision d'annuler les élections présidentielles, et de se donner une extension de son quatrième mandat. Cette violation délibérée, - destinée à éviter à cet ex-président d'être soumis aux clauses précises de dépôt de sa candidature, et à la lourde période de campagne électorale, que, visiblement, il ne pouvait mener, - a, non seulement été officialisée par sa publication au Journal officiel, mais a également été approuvée, même de manière bancale, par le Conseil constitutionnel. Ce texte fait, maintenant, partie de la loi algérienne, car aucun texte ultérieur n'est venu l'annuler. Quant à la validité du mandat du président du Conseil constitutionnel, on sait qu'elle est obérée par le fait que sa nomination viole un article de la Constitution. Un président du Conseil constitutionnel qui siège en violation de la Constitution On a donc là, une Constitution dont plusieurs articles relevant de l'élection présidentielle et du mandat du président ont été suspendus, et un président du Conseil constitutionnel qui préside, siège, délibère et décide en violation de la Constitution. Et il se charge, paradoxalement, de veiller à ce que la vacance du poste présidentiel soit établie sur la base d'un texte qui a volé en éclats, du fait de décisions unilatérales prises par l'ex-président et publiées dans les formes prévues par la loi ! Un légalisme pointilleux qui ressemble à une volonté de revalider et proroger le système politique bouteflikien Ceux qui tiennent à ce que cette période de transition s'effectue en respectant la loi constitutionnelle font preuve d'un légalisme qu'ils avaient omis de rappeler, lorsque l'ex-président a tenté un dernier coup de force illégal, pour se maintenir au pouvoir sans passer par une procédure de réélection. Apparemment, ces défenseurs «corps et âme,» de l'intégrité constitutionnelle, ont un sens de la légalité, pour le moins qu'on puisse dire, «à géométrie variable.» On aurait porté foi à leur intention, maintenant affichée, de défendre la Constitution, s'ils avaient montré la même détermination à s'opposer, à la dernière ruse de l'ex-président. Or, alors, ils se sont soi tus, - et le silence vaut approbation ! - soit franchement appuyé sans réserve cette démarche, pourtant sans conteste anticonstitutionnel. La seule représentation populaire légitime : le peuple en marche ! Il faut ajouter à cette argumentation, dont l'objectif est de confirmer que la Constitution actuelle n'a plus aucune valeur juridique, du fait des multiples violations qu'elle a subies au cours de ces dernières semaines, que la représentativité du Parlement, supposé officialiser la vacance dans le poste de président et la mise en œuvre du dispositif de transition, a été entamée, pour ne pas dire annulée par le mouvement populaire. Comment deux chambres qui ne représentent plus qu'elles-mêmes et le précédent président peuvent-elles décider de mettre en œuvre une période de transition ? A moins que l'objectif soit d'enlever toute légitimité à ce mouvement populaire, qui, même s'il n'a pas de leadership reconnu, n'est constitué pas moins une représentation de l'opinion du peuple, autrement plus légitime que ces deux chambres, dont l'élection a été, non seulement, entachée de fraude, mais dont la représentativité ne dépasse pas dix pour cent des électeurs du pays. Donc, elles sont doublement non représentatives, d'abord du fait de l'émergence sur la scène politique du mouvement populaire, ensuite du fait que statistiquement tous leurs membres ne reflètent que les vues de dix pour cent des électeurs. Un processus de transition en porte-à-faux avec la Constitution et la situation politique du pays Ainsi le processus de transition est-il en porte-à-faux non seulement avec la légalité constitutionnelle, mais également avec la situation politique actuelle. Ceux qui insistent pour que la période transitoire suive le schéma prévu par la Constitution veulent , en fait, revalider le triste héritage politique laissé par l'ex-président. Au lieu d'aller dans le sens de la reconnaissance des revendications populaires et de la représentativité du mouvement, ils veulent faire revenir en arrière le pays, en impliquant que la démission de l'ex-président aurait eu lieu dans des circonstances politiques et institutionnelles ordinaires, ce qui n'est, visiblement, pas le cas. En Conclusion. Ainsi, dans le contexte actuel, tant institutionnel que politique, certains ne cherchent rien moins que de continuer, sous-couvert de légalité constitutionnelle, à mettre entre parenthèses le mouvement populaire et à maintenir Bouteflika comme maître du destin du pays. Même s'il n'est plus au pouvoir, il reste maître des destinées du pays ! C'est là une situation des plus cocasses : au lieu de saisir cette unique occasion historique de rupture avec l'ordre ancien et d'acceptation de la voix du peuple, on confirme la légitimité du règne de Bouteflika et on gère le futur de l'Algérie comme si ce ex-président était encore à la tête du pays. Il n'y a aucun fondement juridique raisonnable à cette attitude des tenants actuels du pouvoir, et il y a, encore moins, de fondements politiques à cet acharnement à gérer la période de transition comme l'édicte la Constitution. Les vrais «décideurs» doivent maintenant choisir entre réhabiliter Bouteflika après l'avoir chassé honteusement du pouvoir, ou mettre définitivement une croix sur ce passé politique malheureux du pays, et ouvrir une page nouvelle dans son histoire politique, en définissant une période de transition sans référence à la Constitution. Bouteflika a essayé de le faire, et il a échoué, car il voulait simplement prolonger son mandat de manière illégale. Maintenant on veut être plus légaliste que lui, alors qu'on a, à ses côtés, le peuple. S'agit-il réellement pour les «décideurs» de mettre un point final à ce système politique unanimement rejeté, ou de lui donner une nouvelle vie ? Le Choix est simple et clair, et il y a une seule façon pour ces «décideurs» de prouver où ils ont l'intention de mener le pays, vers une survie du système «Bouteflika» sous un autre nom, ou vers un vrai Etat de droit reflétant, de manière irréfutable, la volonté populaire ? Trêve de slogans ! On veut voir clair dans la stratégie et la démarche de ceux qui, malgré eux, il faut le souligner, tiennent les rênes du pouvoir. Sinon, ce sont des lendemains peu enchanteurs qui attendent l'Algérie. La crise politique actuelle est trop profonde pour qu'on tente de la noyer dans un légalisme constitutionnel qui n'a plus lieu d'être. |