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iii- Le lien étroit entre le
juge constitutionnel et le processus de transition constitutionnelle : une idée
à compléter
Pour mettre en exergue le rôle du juge constitutionnel dans le processus de transition constitutionnelle, il convient d'étudier l'hypothèse spécifique de sa création avant l'adoption de la nouvelle Constitution démocratique (A) et de sa place dans le processus de justice transitionnelle (B). A) La création d'une juridiction constitutionnelle avant l'adoption des nouvelles constitutions Des institutions, à la fois « bien faites et bien pleines » peuvent offrir des repères et constituer des moules de comportement, aidant ainsi à l'établissement d'un nouvel ordre juridique, en attendant qu'il devienne - aussi - spontané, dans le cadre de la nouvelle culture démocratique. L'État de droit est la qualification à laquelle prétend, aujourd'hui, tout régime qui se veut démocratique et libéral et dans lequel la garantie des libertés et des droits fondamentaux est assurée. L'Etat de droit est défini comme un pouvoir politique institutionnalisé, dont les différents organes agissent en vertu du droit et seulement ainsi, ce qui garantit que la puissance publique se montre respectueuse des droits humains fondamentaux, individuels et collectifs. En démocratie, la présence de l'Etat de droit doit s'exercer dans une légalité absolue qui assure la protection des libertés fondamentales. À ce titre, la Cour constitutionnelle (organe participant au processus constituant) représente la « pierre angulaire d'une démocratie saine ». Le lien étroit entre la juridiction constitutionnelle et le processus de transition constitutionnelle est observable dans certains systèmes juridiques qui ont permis l'entrée en fonction de cette juridiction avant l'adoption de la nouvelle Constitution. La Cour constitutionnelle rend des arrêts importants en matière de procès équitables et à diverses occasions s'occupe de la « justice transitionnelle » en se prononçant, plus particulièrement, sur la constitutionnalité des lois adoptées par cet État. La Cour constitutionnelle a un rôle clé à jouer dans le processus de justice transitionnelle. Sa mise en place est nécessaire dans les États en transition cherchant à établir la vérité à propos du passé. C'est pourquoi, le rôle du juge constitutionnel dans la réconciliation avec le passé doit être mis en évidence et clairement défini. Une fois fait, les juges constitutionnels sont habilités à exercer un contrôle (très scrupuleux) au niveau de la Cour constitutionnelle qui a pour mission de veiller à ce que la Constitution définitive ne soit pas en contradiction avec les principes constitutionnels fondamentaux qui doivent guider l'Assemblée constituante. B) Le rôle du juge constitutionnel dans le processus de justice transitionnelle La justice transitionnelle concerne de plus près le droit constitutionnel « de par sa complexité et ses enjeux au regard de la construction ou de la reconstruction du nouvel État de droit ». Ainsi, le professeur Xavier Philippe souligne que la justice transitionnelle est une composante de la transition dans laquelle l'État, sortant d'une période de conflit ou de crise, instaure les fondements du nouvel État de droit. La justice transitionnelle est définie comme un « éventail complet des divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d'établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation ». Plus précisément, il s'agit de faire entrer dans cette définition « l'ensemble des mécanismes judiciaires et non-judiciaires permettant la recherche de la vérité, de l'identification des responsabilités ainsi que des mesures de réparation à offrir aux victimes ». Parmi les mécanismes judiciaires, il convient de mentionner les juridictions nationales ordinaires, et le plus souvent, les juridictions pénales. Parmi les mécanismes non-judiciaires, il convient de faire référence aux commissions dites Vérité (et Réconciliation pour certaines d'entre elles). En somme, la finalité de la justice transitionnelle est de régler les comptes avec le passé et en particulier avec les coupables des infractions commises ayant un lien direct avec le précédent régime autoritaire. Les mécanismes de la justice transitionnelle doivent être envisagés comme des mécanismes complémentaires avec ceux de la justice pénale ordinaire et de la justice constitutionnelle. En effet, tant la justice transitionnelle que la justice constitutionnelle visent le même objectif à savoir la protection des droits fondamentaux et cela même si la justice transitionnelle reste une justice d'exception. La question de la constitutionnalisation de la justice transitionnelle se pose avec force. Elle doit être soumise au respect des dispositions de la Constitution telles qu'interprétées par le juge constitutionnel. Le juge constitutionnel est tenu d'effectuer un contrôle de la conformité à la Constitution des réparations proposées par le processus de justice transitionnelle. Plus particulièrement, ce sont les lois d'amnistie et les lois de lustration qui doivent faire l'objet du contrôle. En outre, il convient de préciser que ce contrôle de constitutionnalité est souvent accompagné d'un contrôle de conventionalité des lois. Cette jonction des contrôles de constitutionnalité et de conventionalité au profit du juge constitutionnel participe au renforcement de la protection des droits fondamentaux de la personne. Il convient de préciser que les lois d'amnistie visent à consacrer des mesures d'oubli des faits, souvent constitutifs d'infractions graves, commis par le régime autoritaire. Ces lois « possèdent pour effet d'éteindre toute forme de responsabilité pénale ou civile pour des actes pénalement répréhensibles » et leur adoption procède d'un choix politique. Toutefois, la Cour constitutionnelle peut remettre en cause l'idée selon laquelle les décisions d'amnistie effacent toutes les conséquences des actes commis par leurs auteurs. En effet, pour le juge constitutionnel, l'octroi d'une amnistie, qui vise la recherche de l'équilibre entre les droits des victimes et ceux des responsables, ne peut pas déboucher sur une immunité absolue allant jusqu'à effacer l'existence des faits. Finalement, l'action du juge constitutionnel dans la mise en œuvre du processus de démocratisation reste déterminante. Les Cours constitutionnelles des États en transition se sont vu attribuées par la Constitution des prérogatives étendues. À côté de la compétence d'exercer un contrôle de constitutionnalité des lois, certaines Cours constitutionnelles disposent d'une compétence « d'interprétation directe ou immédiate » de la Constitution. L'attribution de cette compétence par le pouvoir constituant est nécessaire afin de mettre en œuvre l'État de droit durant la période transitoire et notamment afin d'appliquer les nouveaux principes énoncés dans les constitutions et afin « de garantir la compréhension correcte et authentique du sens des normes constitutionnelles ». D'ailleurs, cette compétence a prouvé son utilité pendant la période transitoire étant donné « le nombre élevé de décisions rendues en matière d'interprétation durant les premières années d'activité des cours constitutionnelles ». À côté de cette compétence, certaines constitutions dotent le juge constitutionnel de la compétence d'interpréter la constitution à la lumière des traités internationaux. L'introduction de cette méthode d'interprétation de la constitution conduit à concevoir la comparaison constitutionnelle comme la voie par laquelle les différents exemples de constitutions communiquent, actuellement, entre eux. Comme le souligne le professeur De Vergottini, le phénomène de globalisation du droit favorise une réception des principes de la démocratie libérale. Conclusion Jamais la thématique du changement constitutionnel n'a connu une telle acuité depuis le recouvrement de notre indépendance. Pourtant, l'évocation d'une 2ème République n'est pas plus une idée neuve pour les constitutionnalistes qu'elle n'en est une pour l'opposition politique. Mais le report, sine die, des élections présidentielles d'avril 2019, conditionné, notamment par ce qu'il est, désormais, convenu d'appeler « le mouvement citoyen pour le changement du système », a récemment ravivé l'intensité (la pertinence ?) du discours des hommes (et femmes) politiques en faveur d'un changement de régime. Interpellée par des propositions foisonnantes, la doctrine constitutionnaliste s'invite, aujourd'hui, dans un débat au sein duquel elle a assurément un rôle déterminant à jouer. A ce titre, nombreux sont ceux qui, aujourd'hui, interrogent l'objet constitutionnel que pourrait, potentiellement, être la 2ème République. Plus rares en revanche sont ceux qui, en aval des discussions relatives à la nécessité d'un changement et en amont de celles relatives à la portée des transformations à entreprendre, s'arrêtent un instant sur les modalités concrètes devant permettre le passage formel à la 2ème République. Or, tant d'un point de vue théorique que pratique, la problématique de la filiation entre une constitution et celle qui lui succède, s'avère d'une complexité fondamentale dépassant, de loin, les aspects purement procéduraux censés n'intéresser que les spécialistes du droit. Concevoir, façonner et finaliser un texte nouveau pour la République, organiser dans le même mouvement les modalités de son entrée en vigueur, constituent autant d'étapes intermédiaires, lestées de difficultés majeures, qui ne sauraient être mises à l'écart du débat. Au contraire, elles y occupent une place épicentrale, indissolublement liée au contenu et au devenir du texte lui-même. L'histoire constitutionnelle montre en effet, sans nuance aucune, que les constitutions sont toujours dépendantes de leur contexte de production. Il est, de fait, impossible de détacher l'analyse d'un texte, quel qu'il soit, de l'environnement ? politique, social, économique, et culturel? au cœur duquel il puise ses fondements, sa substance et ses conditions de mise en œuvre. Autrement dit, la 2ème République ne saurait être autre que descendante de la 1re, avec tout ce que cela suppose de difficultés concernant la dichotomie (2 modalités) : filiation - reniement. Cela ne signifie pas, il s'entend, que les réflexions menées sur le contenu d'un texte à venir soient privées d'objet, car en toute hypothèse, les projets divers, aujourd'hui soutenus, fourniraient immanquablement, au moment du processus constituant, la matière première aux discussions engagées. Mais cela suggère, assurément, d'intégrer pleinement la phase transitionnelle dans une dimension réflexive d'ensemble qui sous-tend, d'emblée, deux questionnements au moins : est-il possible de réaliser une transition constitutionnelle scrupuleusement limpide entre les 1re et 2ème Républiques ? Quelles sont les conditions politiques indispensables à la réalisabilité de cette transition ? Une analyse objective fait rapidement apparaître un trouble manifeste quant à la réponse susceptible d'être apportée à la première interrogation. Une incertitude tout aussi inconfortable s'impose en réponse à la deuxième. Il s'avère en réalité qu'une transition constitutionnelle juridiquement irréprochable entre la 1re et la 2ème République est impossible. Pour la double raison suivante : l'absence d'une culture constitutionnelle et l'absence d'une transformation des mentalités qui rendent fragile la réception formelle des principes. En effet, la culture constitutionnaliste qui nécessite de forger « l'éthique constitutionnelle des gouvernants et des élites » se trouve, pour l'instant, à un état embryonnaire dans notre pays. De plus, nonobstant les retards compréhensibles dans la maturation d'un climat culturel, il serait illusoire de penser que la simple adoption d'une nouvelle constitution, formellement satisfaisante, permette de considérer le problème comme résolu. En réalité, la transition constitutionnelle transpose ses effets dans le temps. Dans les États en transition, il y a un décalage entre la proclamation et l'application effective des principes de la démocratie libérale. Et à ce titre, le juge constitutionnel devient un acteur déterminant dans le processus de transition constitutionnelle et dans la mise en œuvre de l'État de droit. *Consultant en management |