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L'agence
de presse officielle de Pyongyang, KCNA, a annoncé qu'elle suspendait, à
compter du 21 avril 2018, ses essais nucléaires et ses tirs de missiles
balistiques intercontinentaux (ICBM, susceptibles de frapper le territoire
américain), et démanteler un site à partir duquel elle procédait à ses tests
d'armes atomiques.
Cette annonce a été aussitôt saluée par le président américain Donald Trump qui doit prochainement rencontrer le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un pour un sommet inédit. «La Corée du Nord a accepté de suspendre tous les essais nucléaires et de démanteler un site de première importance. C'est une bonne nouvelle pour la Corée du Nord et pour le monde - Quel progrès ! Je suis impatient de me rendre à ce sommet», a-t-il écrit.(1) Séoul s'est empressé de saluer un «progrès significatif pour la dénucléarisation de la péninsule coréenne, que le monde attend». De son côté, «la Chine, principale alliée de Pyongyang, a salué la décision de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) de suspendre ses essais nucléaires et ses tests de missiles balistiques intercontinentaux». Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Lu Kang, s'est ainsi exprimé samedi dans un communiqué. KCNA a cité M. Kim disant que la mission de construire une force nucléaire avait été accomplie et que la voie stratégique pour le Parti du travail de Corée était maintenant de se concentrer sur la construction économique. «La Chine pense que la décision prise par la RPDC permettra de calmer la situation et de promouvoir la dénucléarisation de la péninsule coréenne ainsi qu'une solution politique de la question péninsulaire», a indiqué M. Lu. «Une péninsule dénucléarisée et une paix durable dans la région sont conformes aux intérêts communs des peuples de la péninsule et de la région», a-t-il indiqué en ajoutant que c'était également l'attente de toute la communauté internationale. «Nous espérons que la RPDC continuera de réaliser des progrès dans son développement économique et l'amélioration de la vie de son peuple», a poursuivi M. Lu. La Chine soutient la RPDC et les parties concernées pour résoudre leurs propres préoccupations via le dialogue et la consultation, afin d'améliorer leurs relations, a affirmé le porte-parole. «Il est à souhaiter que toutes les parties concernées se rencontreront à mi-chemin, prendront des mesures concrètes et feront les efforts nécessaires pour aboutir à la paix durable et au développement commun de la région», a indiqué M. Lu. «La Chine continuera à jouer un rôle actif à cet égard», a-t-il conclu. (2) Peut-on conclure que c'est une bonne nouvelle cette annonce par la Corée du Nord de suspendre les essais nucléaires et les tests de missiles intercontinentaux ? Assurément, oui. Elle met fin à l'escalade verbale violente entre le président américain qui promettait «le feu et la colère» au dirigeant nord-coréen qui menaçait de tirer des missiles à proximité du territoire américain de Guam. Cependant, il est difficile de ne pas penser que cette annonce attend une contrepartie, voire même prépare et balise ce qui va ressortir des négociations entre Donald Trump et Kim Jong-un, lors du sommet prévu en principe fin mai ou début juin. Qu'en est-il ? La crise nucléaire de la Corée du Nord relève d'une dynamique herméneutique du monde Les questions basiques que l'on doit se poser avant tout pour comprendre le sens de cette crise nucléaire entre les États-Unis et la Corée du Nord, et les réponses que l'on veut les plus objectives possibles, résident dans le fait que non seulement elles rendent compte de l'historicité de ce problème crucial que représente la Corée du Nord et la crise nucléaire, qui est le nœud gordien qui lie les trois puissances nucléaires, dont la Chine en premier, la Russie en second, et enfin les États-Unis en troisième même si ceux-ci sont les protagonistes directs avec la Corée du Nord dans ce conflit historique, mais déterminent dans un certain sens le futur à la fois économique, géopolitique et géostratégique de la région et du monde. C'est cela qui est en puissance dans cette crise nucléaire qui oppose la Corée du Nord à la première puissance mondiale. Aussi, posons ces questions basiques pour tenter de voir clair ce qui ressort de cette crise. 1. Pourquoi la crise nucléaire de la Corée du Nord a-t-elle été portée à son paroxysme par l'escalade verbale entre le président américain et le président nord-coréen ? 2. Pourquoi, après des mois de confrontation verbale violente, le leader Kim Jong-un a changé complètement d'attitude, le 1er janvier 2018, et tendu la main à son voisin du Sud ? Tout en affirmant que son pays est devenu une puissance nucléaire capable de frapper les États-Unis, Kim Jong-un s'est ouvert à ses voisins de Corée du Sud. Il a évoqué la possible participation de la Corée du Nord aux Jeux olympiques d'hiver en Corée du Sud, le mois prochain. Après cette ouverture aussi inattendue que surprenante, les événements se sont accélérés. Deux sommets sont programmés. Le premier réunira, le 27 avril 2018, les deux présidents nord-coréen et sud-coréen et portera sur une discussion directe de l'avenir des deux Corée et des modalités de réunification, se tiendra dans la zone démilitarisée, dans le village de Panmunjom, où fut signé l'armistice de la guerre de Corée, en 1953. Le second devrait avoir lieu entre MM. Kim et Trump, en principe fin mai ou début juin. Pour la première question, bien qu'elle soit très importante parce qu'elle détermine la question suivante, la réponse rationnellement dite n'est pas aisée à saisir. Elle est ce qu'on peut dire «herméneutique». Pourquoi herméneutique ? Parce qu'il y a un problème d'historicisation de la crise. La crise nucléaire nord-coréenne n'est pas venue ex nihilo, il y a des soubassements géostratégiques au niveau planétaire. La péninsule coréenne a été et l'est encore un carrefour de rencontre des trois principales puissances mondiales. Par sa position, la Corée du Nord devient un instrument d'équilibre latent de ces trois puissances nucléaires mondiales. Or, cette latence est en train de prendre fin. Et par latence, on entend ce qui est caché en termes de forces historiques. Dès lors, si cet équilibre n'est plus stable, l'équilibre géostratégique mondial devient automatiquement instable. Pour étayer cette herméneutique des forces en présence, rappelons ce qu'était la région des Balkans à la veille du Premier Conflit mondial. On avait d'un côté les Alliés, avec l'Angleterre, la France et la Russie, qui étaient trois empires coloniaux, et la Triplice de l'autre, avec l'Allemagne, l'Autriche et la Turquie, également des empires. Les Balkans, qui étaient le carrefour de rencontre des six puissances mondiales toutes liées les unes aux autres en deux fronts opposés, étaient pour ainsi dire un instrument d'équilibre latent entre les grandes puissances de l'époque. Un déséquilibre est survenu -l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand, héritier de l'Empire austro-hongrois, et son épouse, le 28 juin 1914- a été le prétexte au déclenchement de ce qui deviendra la «Première Guerre mondiale». La situation va s'enchaîner et amener une «Deuxième Guerre mondiale». A l'issue de ces deux guerres mondiales, un nouvel état du monde est né. Des continents entiers furent décolonisés. Plus de 100 pays acquièrent leurs indépendances. Dès lors se comprend l'herméneutique des forces historiques tant dans la région des Balkans que hors des Balkans. Toutes les forces étaient liées entre elles et le feu de la guerre s'est propagé d'une extrémité d'une mèche à l'autre, entraînant la mise à feu à d'autres mèches, comme si des mèches se superposaient les unes sur les autres. On comprend pourquoi, à la fin de la guerre en 1945, les conflits armés se sont déplacés en Afrique, au Proche- et Moyen-Orient et en Asie. Après 1975, la situation a globalement bien évolué en Asie, la guerre du Vietnam s'est terminée, les deux Viêt-Nam furent réunifiés pour former l'actuelle République socialiste du Viêt-Nam. Il ne restait qu'un conflit latent et majeur pour le monde qui n'a pas été résolu, celui de la Corée du Nord. Précisément, dans cette dynamique de l'histoire, la Chine a gravi prodigieusement en 30 ans seulement, de 1980 à 2010, l'échelle de puissance économique dans le monde. Elle est devenue deuxième puissance économique mondiale par le PIB, et première puissance mondiale par le pouvoir de parité d'achat (PPA). La Russie qui a aussi fortement changé depuis la dislocation de l'Union soviétique s'impose aujourd'hui dans pratiquement tous les théâtres de guerre dans le monde. Retrouvant pratiquement son rang de naguère, sa puissance militaire contrebalance la puissance militaire occidentale. Cette nouvelle situation en Asie change les donnes du monde entre les puissances occidentales et leurs adversaires-partenaires que sont la Chine et la Russie. Sans rentrer dans la dynamique causale qui a amené la Corée du Nord à franchir tous les stades pour parvenir à s'imposer sur le plan nucléaire, disposant d'arsenaux en bombes A et H et de vecteurs pouvant toucher n'importe quel point du territoire américain, cette puissance nucléaire a permis au dirigeant nord-coréen une reconnaissance tacite puisque le président de la première puissance du monde, Donald Trump, a accepté à le rencontrer, d'égal à égal, dans un lieu qui reste à déterminer. On comprend dès lors pourquoi la Corée du Nord est devenu un «instrument d'équilibre latent» entre les grandes puissances. Il faut préciser que toutes les guerres qui ont duré comme les régions du monde n'ont pas, sur le plan de la paix mondiale, la même importance. La guerre du Vietnam, pourtant très longue et extrêmement destructrice, n'a pas constitué un péril pour la paix mondiale. Par contre, l'île de Cuba a constitué un risque de confrontation nucléaire entre les États-Unis et l'Union soviétique. Les guerres au Proche- et au Moyen-Orient de même, et se poursuivent aujourd'hui, ne constituent pas un péril pour la paix mondiale. Dans ces guerres Proche- et Moyen-Orientales, il existe un accord tacite, voire même des accords officiels pour ne pas mettre en péril la paix entre les puissances belligérantes. En revanche, la Corée du Nord constitue un carrefour de rencontre des trois principales puissances mondiales. Au nord, la Russie et la Chine, au sud, les États-Unis. Et les guerres dans les pays non dangereux pour la paix mondiale n'ont pas impacté l'équilibre géostratégique de puissance mondiale comme cela fut pour la région balkanique à la veille du Premier Conflit mondial qui, par un enchaînement d'une succession de causes/effets, a changé, à la fin du Second Conflit mondial, non seulement l'équilibre des puissances mais la face du monde. Aussi, peut-on dire que la Corée du Nord, par ses frontières et la crise qu'elle a provoquée, font d'elle et de la péninsule coréenne, à l'instar de la région des Balkans, un «instrument d'équilibre latent» des trois puissances nucléaires mondiales. Et, aujourd'hui, cet état de latence est en train de prendre fin. Avec tous les périls pour la paix mondiale que peut constituer la Corée du Nord dans sa nouvelle posture de puissance nucléaire déclarée par ses tests nucléaires et balistiques réussis. Une différence néanmoins avec la région balkanique, les guerres mondiales ne sont plus autorisées depuis la découverte de la formidable énergie dégagée par une réaction nucléaire. Depuis les deux explosions nucléaires à Hiroshima et Nagasaki, les conflits entre les grandes puissances sont régis par le principe de la «dissuasion nucléaire», ce qui signifie une «destruction mutuelle assurée». Dès lors se comprend l'escalade verbale entre le président américain et le président nord-coréen qui a été portée pratiquement à son paroxysme. Elle a joué en quelque sorte une perspective d'une guerre nucléaire entre les deux pays sans qu'elle ne soit réellement une entorse au principe de dissuasion nucléaire puisqu'elle n'a constitué qu'une «guerre de mots». La crise de Cuba a joué aussi comme une «guerre de mots». Malgré toutes les menaces de guerre, elle n'a pas dépassé la ligne rouge, la ligne fatidique qui allait plonger le monde dans une «Troisième Guerre mondiale». Ceci pourquoi ? Tout simplement parce que personne ne gagnerait. Moscou, Washington partiront en poussière comme si ces villes n'ont pas existé, avec des millions d'êtres humains qui disparaîtraient par les bêtises de ceux qui dirigent ces puissances. Le problème donc n'était pas l'escalade verbale elle-même, mais ce qui pouvait se prévaloir en termes de réalité de l'antagonisme entre les deux pays qui ont des systèmes politiques opposés et absolument inconciliables, et qui pouvaient déboucher sur une guerre nucléaire. On sait très bien que les États-Unis ne pouvaient accepter les menaces nucléaires de la Corée du Nord, menaces qui sont une véritable épée de Damoclès sur leur pays. D'où la nécessité absolue pour la première puissance du monde la «dénucléarisation de la péninsule coréenne». Et on entend par «dénucléarisation», une dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible de la Corée du Nord. Ce qui n'est pas acquis, et sera l'objet de la rencontre Kim Jong-un et Donald Trump au prochain sommet. Mais on ne peut oublier aussi que les États-Unis ont participé à cette menace qui aujourd'hui pèse sur leur territoire. N'ont-ils pas mené des guerres tous azimuts pour maintenir leur hégémonie sur le monde. Peut-on en vouloir à ces pays, pour se défendre, d'avoir recours à l'arme nucléaire ? D'autant plus que l'équilibre de puissance mondiale a été rompu au début des années 1990 par la disparition du contrepoids de puissance que fut l'URSS face aux États-Unis. Il y a donc une historisation de l'histoire à faire, ou plus simplement, une intellectualisation des forces de l'histoire à mener pour saisir la marche du monde humain. Comprendre la crise nucléaire par une «simulation d'une guerre nucléaire en Asie et aux USA» La deuxième question vient en droite ligne de la première. En effet, la volte-face de Kim Jong-un était presque prévisible. Pourquoi le changement d'attitude du président nord-coréen était-il pour ainsi dire prévisible ? Pourtant rien ne le laissait paraître. Peut-on attribuer ce changement d'attitude aux sanctions du Conseil de sécurité ? Évidemment, on peut penser que ce sont les sanctions draconiennes du Conseil de sécurité sous l'impulsion des États-Unis qui ont fait leur effet. Cependant, il faut rejeter cette explication. Le huitième train de sanctions ne pouvait influer sur la position nucléaire et balistique nord-coréenne, pour la simple raison que l'armement nucléaire constitue le garant de leur régime politique. Si ce ne sont pas les sanctions internationales, la question se pose : «Qu'est-ce qui a fait fléchir le président nord-coréen ?» Quelles ont été les causes qui ont amené le Numéro 1 nord-coréen à passer brusquement de l'escalade verbale à la diplomatie de la main tendue ? Pour comprendre les événements, il faut se rappeler un événement important, «la menace de Pyongyang de tirer quatre missiles vers Guam», et en réponse, «Washington a mis en garde Kim Jong-un»(3) Supposons pour les besoins de l'analyse de cette main tendue un scénario qui aurait pu se produire mais heureusement ne s'est pas produit parce qu'il ne rentrait pas dans l'histoire réelle. Supposons que la Corée du Nord a mis à exécution sa menace et a tiré quatre missiles vers l'île américaine de Guam, dans le Pacifique. Partant du principe comme on le lit dans un des médias : «Le régime nord-coréen affirmait que seule la force fonctionne avec le président américain Donald Trump, «un gars qui a perdu la raison».»(3) Tout événement est possible, y compris l'emploi de la force. «Selon KCNA, l'armée nord-coréenne aura achevé à la mi-août ses plans pour une attaque contre Guam. Ces plans, prévoyant le tir de quatre missiles qui survoleront le Japon, sera présenté pour approbation à Kim Jong-un et constituera un «avertissement crucial aux Etats-Unis», a précisé l'agence. Et l'agence d'indiquer que ces quatre missiles «voleront 17 minutes et 45 secondes sur une distance de 3.356,7 km, et s'écraseront en mer à 30 ou 40 km de Guam». Cette île reculée de quelque 550 km2 est un avant-poste clé pour les forces américaines sur la route de l'Asie, où vivent 162.000 personnes. Environ 6.000 soldats y sont déployés et elle dispose surtout d'une base aérienne capable d'accueillir les bombardiers lourds américains du B-52 au B-2 en passant par le B-1» (3) Supposons que le hasard fait mal les choses et qu'un des missiles tombe sur l'île, provoquant destructions et morts d'hommes, quelle serait la réponse américaine ? Elle se devine aisément. La Corée du Nord a donné une occasion en or pour une riposte américaine. Evidemment, une occasion comme celle-ci, on peut dire qu'elle est unique et pourrait peut-être ne jamais se présenter. Forcément la riposte américaine sera massive. Les États-Unis n'emploieraient que des armes conventionnelles mais qui seront extrêmement destructrices. Il est clair qu'elles ne viseront que les points stratégiques où sont conservées les armes nucléaires, les sites de production d'armements nucléaires, les missiles balistiques. Les destructions opérées par l'aviation américaines et les attaques missiles poseront un problème de riposte à la Corée du Nord. Ces plans de riposte nord-coréens sont certainement préparés et prêts à l'exécution. L'armée nord-coréenne va-t-elle bombarder la capitale sud-coréenne qui se trouve à 50 km de la frontière. Cela n'aura pas de sens. De plus, Pyongyang serait aussi bombardé. Par conséquent, seuls le choix des cibles militaires américaines et américano-sud-coréennes feront à leur tour l'objet d'attaques conventionnelles massives. Cependant, il demeure qu'avec la formidable puissance militaire américaine, ses bases dans le Pacifique (Corée du Sud, Japon), ses groupes aéronavals (flotte de surface et sous-marine), la Corée du Nord n'a guère de chance de contenir l'offensive des États-Unis dont le souci de l'état-major américain est de mettre à tout prix à genoux la Corée du Nord. L'objectif central de Washington est le démantèlement de l'arsenal nucléaire nord-coréen. On peut penser que l'offensive américaine durera tant que la Corée du Nord n'émettra pas une volonté politique de négocier la fin des attaques contre un contrôle vérifiable de tous les armements nucléaires et balistiques qu'elle détient. La Chine et la Russie peuvent-ils s'interposer entre les États-Unis et la Corée du Nord dans cette guerre ? D'emblée peut-on répondre : «ils n'ont aucun moyen de s'interposer sauf à provoquer une Troisième Guerre mondiale». Ce qu'ils ne voudront jamais. Le régime chinois acceptera-t-il que des villes chinoises, dont Pékin, la capitale, peuplée de plus de 21 millions de Pékinois, soient effacées de la surface du globe. De même pour le régime russe. Acceptera-t-il que des villes russes, dont Moscou, la capitale, peuplée de plus de 12 millions de Moscovites, soient effacées de la surface du globe. Pour quelle cause ? Sauver la Corée du Nord. Ni la Chine ni la Russie ne sont menacés directement par un pays qui vient d'avoir toute la panoplie d'armes nucléaires (de la bombe A en kilotonnes de TNT à la bombe H en mégatonnes de TNT) et les missiles balistiques intercontinentaux (ICBM), ayant une portée de plus de 13.000 km, pouvant toucher tout le territoire américain. Tandis que les États-Unis sont menacés par la Corée du Nord. Comme on le lit dans une dépêche : «Réagissant aux récentes sanctions décidées par le Conseil de sécurité des Nations unies, le Comité coréen pour la paix a accusé Washington d'avoir fomenté ces nouvelles sanctions et estimé que la punition appropriée serait de «battre à mort ce chien enragé, à coups de bâton». Très en verve, le porte-parole cité par KCNA a également promis aux Etats-Unis de les «annihiler», de les «réduire en cendres» et de les «plonger dans les ténèbres». Les alliés asiatiques du pays de Donald Trump ont également eu droit à leur scénario catastrophe : «Les quatre îles de l'archipel (japonais) doivent être coulées à l'aide d'une bombe nucléaire» a continué le porte-parole, estimant que l'existence du Japon n'était plus «nécessaire» à proximité de la Corée du Nord. Quant à la Corée du Sud, elle devrait simplement être «balayée par le feu», selon ce même porte-parole (4) On comprend dès lors que les États-Unis vont mettre toutes les forces pour annihiler définitivement la puissance nucléaire de la Corée du Nord. Confrontée à cette situation d'annihilation et ne comptant plus sur l'aide de la Russie et de la Chine, la Corée du Nord, ne comptant que sur soi, n'aura pas d'autre alternative que de faire appel à ce qu'elle nomme «cette épée chérie» que sont les arsenaux nucléaires souterrains disséminés secrètement à travers tout son territoire.(5) Évidemment l'usage de missiles balistiques nucléaires va changer complètement le cours de la guerre. On peut penser que les premières cibles pour la Corée du Nord seront essentiellement les bases militaires en Corée du Sud, au Japon (Okinawa), l'île de Guam...Des destructions et pertes humaines considérables auxquelles répondra une riposte nucléaire américaine tout aussi massive sur des points de regroupements militaires. La situation nouvelle qui se pose tant pour les États-Unis que pour la Corée du Nord est que non seulement le Conseil de sécurité ne peut plus rien dans la résolution du conflit, puisqu'il n'a pu arrêter la première phase de la guerre qui était conventionnelle, mais que l'issue du conflit dépendra essentiellement des États-Unis et surtout de la Corée du Nord pour mettre fin à ce début de conflit nucléaire. Pourquoi surtout la Corée du Nord ? La réponse vient d'elle-même, les États-Unis voudront éliminer à tout prix l'«épée de Damoclès nucléaire nord-coréenne» suspendue sur leur territoire. Pour eux négocier l'arrêt de la guerre ne passe que si la Corée du Nord s'engage à prendre des mesures totales, vérifiables et irréversibles en vue de l'abandon de ses armes nucléaires. Donc le cours de la guerre dépend essentiellement de la décision de la Corée du Nord. Si la Corée du Nord s'engage à détruire ses arsenaux nucléaires ainsi que les sites où s'effectuent ses essais nucléaires et balistiques et à accepter toutes les inspections américaines ou internationales, la guerre nucléaire déclenchée par la Corée du Nord s'arrêtera de facto. Cependant, après l'acceptation de la Corée du Nord, le bilan en destructions, et surtout en pertes humaines qui se chiffreront, en quelques jours, probablement en centaines de milliers de morts, sera une catastrophe pour l'humanité. Si la Corée du Nord refuse, la guerre nucléaire se poursuivra. Et ce ne sont plus des centaines de milliers d'êtres humains qui mourront, mais des millions d'êtres humains. Des villes entières seront rasées de la terre. Tant en Amérique qu'en Asie, la guerre nucléaire touchera les deux Corées, les États-Unis et le Japon. Ces quatre pays verraient plusieurs villes détruites. Il est évident que la Corée du Nord sera détruite et occupée par les États-Unis et les forces sud-coréennes. C'est le prix de l'apocalypse nucléaire qu'aurait provoqué la Corée du Nord. Qu'auraient gagné la Russie et la Chine ? Rien sinon la destruction de villes entières et des millions d'êtres humains tués dans ces quatre pays, en Asie et aux États-Unis. La Russie et surtout la Chine perdra de son aura de pays pacifique puisqu'en tant qu'allié direct, elle n'aura pu ni su arrêter une guerre extrêmement destructrice en pertes matérielles et humaines, ni n'a pu sauver son allié, comme durant la guerre 1950-1953, de l'occupation, et de la fin de la dynastie des Kim, unique monarchie communiste dans le monde. Ce sera un grave revers pour la Chine sur le plan tant géopolitique que géostratégique. Et une occupation de la Corée du Nord par les États-Unis et ses alliés asiatiques déstabilisera le régime communiste de la Chine. Donc un enchaînement de causes à effets qui, comme en 1914, avec la crise des Balkans, a déclenché un processus qui a duré une trentaine d'années. À l'issue duquel, il a changé la face et l'ordre du monde. Un processus prometteur Corée du Nord - Corée du Sud et Etats-Unis - Corée du Nord pour la paix Ce scénario de guerre qui serait mortel pour le régime nord-coréen a certainement été «pensé», «simulé» par les états-majors des puissances adverses qui s'opposent à l'hégémonie américaine sur le monde, y compris par les centres de réflexion du Pentagone. Aussi peut-on dire que les grandes puissances, essentiellement la Russie et la Chine, ont certainement «conseillé» la Corée du Nord de changer d'attitude en mettant fin à l'escalade verbale, en prônant une attitude conciliante et s'ouvrant au dialogue. C'est surtout la Chine, en tant que premier allié de la Corée du Nord qui a dû recommander à son protégé d'éviter les dérapages qui risquent d'être irréversibles pour la sécurité de la Corée du Nord et pour l'ensemble des pays asiatiques. Une guerre nucléaire qui serait extrêmement dévastatrice amènerait la fin du régime communiste nord-coréen et provoquera une grave crise politique interne en Chine, et des destructions innommables tant les pertes matérielles et humaines seraient difficiles à décompter, que la raison ne pourrait l'admettre. Des recommandations que certainement le régime nord-coréen prendra à la lettre, lui intimant d'aller avec prudence dans ses rapports avec les États-Unis et la Corée du Sud. Et c'est ce qui s'est opéré depuis le premier message du Nouvel An à la nation du dirigeant nord-coréen. La Corée du Nord devait donc urgemment «décélérer l'escalade verbale», voire même prendre un «profil bas» pour sortir de ce piège qu'elle s'est créé elle-même, pensant qu'avec son «épée chérie» les États-Unis reculeront. Il est clair que la première puissance mondiale ne reculera que si les forces herméneutiques de l'histoire constitueront un vent contraire pour la faire reculer. Or, dans le cas de la Corée du Nord qui menace par des armes nucléaires, la première puissance du monde ne pourrait reculer. Pourquoi ? Parce que c'est le faible qui menace le fort. D'autre part, le faible qui menace le fort fait courir un risque de guerre avec le fort, avec des conséquences graves qui peuvent résulter pour le faible. Cependant, on peut penser qu'en réalité, le risque a été, dans un certain sens, «calculé» par la Corée du Nord, et probablement par les puissances qui la soutiennent, et mené jusqu'au bout de la logique psychologique pour s'inverser ensuite à 180°. Ceci sur un point. Sur le plan de sa posture historique, la Corée du Nord qui est passée par les stades nécessaires pour la maîtrise de l'armement nucléaire et balistique devait parvenir historiquement au statut de puissance nucléaire, reconnue ou non. Qu'elle fût aidée par une puissance amie, peu importe. La réalité est là, elle devait être ce qu'elle est devenue : une puissance nucléaire avérée, qu'on le veuille ou non. En d'autres termes, ce sont les lois de l'histoire qui régissent le devenir des peuples. Toutes les puissances nucléaires sur ce plan ont été aidées par leurs alliés, déjà détenteurs de l'arme absolue. L'Union soviétique, à son époque, a bien aidé la Chine à acquérir l'arme nucléaire. La Chine, à son tour, a aidé le Pakistan pour faire face à l'Inde. Les États-Unis ont aidé la France et l'Angleterre pour acquérir l'arme nucléaire et les vecteurs porteurs. Et ainsi de suite. D'autre part, que la Corée du Nord change d'attitude ne peut être qu'une décision sage, tant pour l'Asie que pour l'Amérique. Car elle éviterait des centaines de milliers de victimes humaines, voire de millions d'êtres humains tués pour rien. Il est certain que la Chine veille au grain et ne veut pas de dérapage en Asie qui lui serait très préjudiciable tant sur le plan géostratégique que sur le plan de la politique interne. De même pour la Russie. Quant aux États-Unis, cela renforcerait la paix au lieu du risque d'une guerre nucléaire. Un autre point ; celui-ci est herméneutique. Qui est le vrai agent proliférateur de l'armement nucléaire. Est-ce la Russie, la Chine ? Ces deux pays menacent-ils d?autres pays ? Non. Qui est le pays qui a mené le plus de guerre dans le monde, depuis 1945 ? N'est-ce pas le pays que l'on appelle le «gendarme du monde» ? Combien de pays ont souffert des guerres menées par les États-Unis, le plus souvent montées en coalition et essentiellement occidentale ? Pratiquement dans tous les continents. Et parmi ces pays agressés, certains ont cherché à se prémunir en menant des programmes nucléaires clandestins pour se défendre en cas d'agression. Peut-on donc blâmer la Corée du Nord d'avoir mené un programme nucléaire clandestin. Et devenir aujourd'hui une puissance nucléaire ? Il y a donc un enchaînement de causes à effets qui explique pourquoi ceci a amené cela. Dans le sens qu'il existe un ordonnancement dans les événements du monde et tous ces événements qui s'ajustent par la guerre, la menace, les alliances, les ambitions des puissances, les défaites, le statu quo, les victoires, participent à la marche de l'histoire. Aussi, peut-on dire que les sommets à venir, Corée du Nord/Corée du Sud et Etats-Unis / Corée du Nord, viennent en droite ligne de cet ordonnancement qui pourrait être prometteur. Le chemin sera long, mais il ouvrira la voie à la paix. Peut-être que l'establishment américain apprendra à être moins arrogant avec les pays qui ne suivent pas sa politique hégémonique. *Chercheur spécialisé en économie mondiale, relations internationales et prospective. Notes : 1. «Pyongyang suspend ses essais nucléaires», par Reuters. Le 21 avril 2018 https://www.challenges.fr/monde/pyongyang-suspend-ses-essais-nucleaires_582282 2. «La Chine salue la décision de la RPDC de suspendre ses essais nucléaires et ses tests de missiles balistiques intercontinentaux», par French.china.org.cn. Le 21 avril 2018 http://french.china.org.cn/china/txt/2018-04/21/content_50932813.htm 3. «Pyongyang menace de tirer quatre missiles vers Guam, Washington met en garde Kim Jong-Un», par la dépêche.fr. Le 08 août 2017 https://www.ladepeche.fr/article/2017/08/08/2624877-trump-promet-feu-coree-nord-si-poursuit-menaces.html 4. «La Corée du Nord menace de réduire «en cendres» les Etats-Unis et de «couler» le Japon», par RT France. Le 14 septembre 2017 https://francais.rt.com/international/43204-reduire-etats-unis-cendres-couler-japon-coree-du-nord 5. «Corées : le président sud-coréen Moon veut un traité de paix», par La presse.ca. Le 19 avril 2018 http://www.lapresse.ca/international/asie-oceanie/201804/23/01-5162078-seoul-cesse-sa-propagande-a-la-frontiere-avant-le-sommet-intercoreen.php |