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L'ouvrage est issu d'une thèse
de doctorat en psychologie sociale sur les femmes détenues en Algérie.
L'auteure appréhende, de façon précise, les stratégies identitaires des
détenues.
Pour ce faire, elle tente de multiplier les éclairages théoriques et méthodologiques produits par les Sciences sociales (sociologie de l'expérience, sociologie de la prison et la psychologie sociale), pour comprendre finement et dans toute sa complexité les stratégies identitaires déployées par les détenues, dans l'espace carcéral, situé à Tizi-Ouzou. L'ouvrage reste, profondément, marqué par la logique académique, la conduisant à objectiver toutes les nuances méthodologiques qui lui ont permis d'accéder à certains résultats sur les pratiques quotidiennes des femmes détenues. L'auteure s'arme de toutes les précautions épistémologiques, pour rappeler avec rigueur les multiples facettes théoriques des notions d'identité, de stratégie, de projet personnel, etc. Fadhila Mouzaoui-Khoudjil refuse, à bon escient, la fermeture théorique, en optant pour la confrontation interdisciplinaire. Elle opte, avec beaucoup de pertinence, pour l'ouverture sur un nombre important de regards et postures présentés de façon détaillée dans l'ouvrage, lui permettant de s'appuyer autant sur Goffman, Foucault, Dubar, Pollak, etc., lui permettant d'indiquer la complexité de la notion d'identité centrale, dans sa thèse. Elle n'est pas dans une analyse statique, privilégiant au contraire le caractère construit et évolutif de la notion d'identité qui n'existe pas en soi et pour soi, mais fait constamment l'objet de transformation, au contact des Autres. Elle indique de façon très juste que «toutes les identités collectives sont, non seulement, construites mais en perpétuelle évolution». S'appuyant sur Erwing Goffman, sociologue interactionniste américain, elle montre que tout reclus (prison, asile, armée) vivant dans une institution totale, peut opérer dans la confrontation perpétuelle, entre le soi et l'espace carcéral, une adaptation secondaire qui consiste à reconstruire une stratégie identitaire. Autrement dit, l'ordre carcéral est l'objet de fissures, de transgression, «d'arts de faire», pour reprendre l'expression du philosophe français De Certeau (1991), permettant aux femmes détenues, de tenter, malgré tout, de s'en sortir. Même s'il faut rappeler que la prison capte de façon violente le corps physique et social de la personne détenue, la privant de toute intimité. Son identité est profondément abîmée et dépouillée de tout ce qui relève de son soi et de sa personnalité, contrainte à l'effacement de sa subjectivité et donc de sa liberté de parole, pour se conformer aux normes carcérales. Les atteintes sont, tellement, profondes et douloureuses que le corps, et à travers lui, l'identité sont blessés. Les multiples traumatismes endurés par les femmes en prison, vécus comme un affront à sa personne, peuvent aussi représenter un sursaut d'orgueil, pour certaines d'entre elles, pour se reconstruire en mettant en oeuvre des stratégies de résistance dans la reconquête de leur estime de soi. Nous reprenons ici, les trois logiques sociales déployées par les détenues pour tenter d'exister, de survivre à l'emprise carcérale. L'auteure montre bien que les stratégies identitaires ne sont pas produites arbitrairement. Elles sont mises en scène selon leurs histoires sociales respectives, leurs propres perceptions du délit provoquant leur enfermement, sans occulter leurs contraintes familiales actuelles. L'auteur insiste sur la précarité sociale et culturelle de la majorité des femmes détenues, ce qui ne leur interdit pas de produire des stratégies de déconstruction-reconstruction de leurs identités diversifiées. La logique de refus L'auteure met en exergue la logique de refus qui consiste à ne pas reconnaître l'acte délictuel commis, produisant une forme sociale de déni, à l'égard du crime de son enfant, comme l'atteste Safia, 24 ans, condamnée à 15 ans, pour infanticide : «Moi, je suis la victime dans cette histoire. Je n'ai jamais voulu la mort de mon bébé». On retrouve chez l'auteure, même s'il n'est pas mentionné dans les références, les travaux de Luc Boltanski sur l'importance de la justification de l'acte commis. La détenue produit toute une argumentation pour clamer son innocence. Elle opère une inversion, en se considérant plutôt comme une victime. Sous le coup de la violence, la colère, la vengeance, ou la passion ou autre sentiment, la détenue semble perdre la maîtrise de soi, face à l'agressivité de son mari, ou une autre personne victime. Ici, l'agir, la réalisation du délit semble être de l'ordre du non-dit, permettant à la femme détenue de s'appesantir sur l'Autre, étiqueté négativement parce qu'il serait à l'origine du drame social. La prison représente pour cette catégorie de détenues, une façon de se retirer totalement, refusant toute participation aux activités externe organisées dans l'espace carcéral, optant pour une tactique de la distanciation sociale, leur permettant de se protéger, tout en refusant tout dévoilement de leur vie personnelle. L'auteure montre bien les formes d'adaptation secondaire mises en œuvre par les femmes détenues, malgré l'arbitraire et les sanctions prises par les surveillants de la prison à leur encontre. Le refus de se conformer aux normes de l'ordre carcéral, est aussi une façon de montrer, même dans la violence, leur existence sociale, de prouver aux autres, qu'elles n'ont plus rien à perdre. Elles sont capables de recourir à la révolte individuelle, dans la prison, espace qui semble les avoir rendues plus «dures», selon leur propre terme. La logique de la participation Cette catégorie de détenues produit une logique sociale caractérisée à contrario, par l'acceptation de l'acte commis. Ces femmes assument totalement leur responsabilité dans le délit reproché. L'auteure a, totalement, raison de mettre en relief cette diversité des logiques sociales qui montrent la complexité de tout acte social qui n'est jamais appréhendé, de la même façon, par leurs auteurs. Pour cette catégorie de détenues, leur enfermement n'est pas de l'ordre de l'arbitraire, mais semble, bel et bien, admis, acceptant la sanction quand elle n'est pas trop sévère, s'inscrivant dans la «normalisation». En conséquence, leur séjour en prison est vécu dans la docilité, l'acceptation des règles, et le suivi assidu aux activités proposées par les responsables de la prison. La logique ambivalente Cette catégorie de détenues s'inscrit dans l'entre-deux, en optant, à la fois, pour le refus et la conformité aux normes carcérales. Ces femmes semblent jouer avec le système mis en place par la prison. Il s'agit, donc, pour ces femmes de tenter de survivre, en optant, à la fois, pour une résistance à toute forme de stigmatisation, tout en étant dans le faire semblant, du «respect» des directives imposées par les responsables de la prison. L'auteure s'appuie, avec raison, sur les travaux de Pollak, sur les femmes déportées dans les camps de concentration durant la Deuxième Guerre mondiale. Pour Fadhila Mouzaoui-Koudjil, il s'agit de montrer comment les personnes, dont l'identité est blessée par l'incarcération, sont à la quête d'un peu de dignité, en tentant de s'approprier un espace de liberté, dans le but de construite une image plus positive de soi. Se référant à Pollak, elle indique la prégnance des interactions nouées dans les institutions carcérales pour comprendre la façon dont se construit l'identité de la femme détenue. «C'est, en effet, au cours du face-à-face interactionnel, et grâce à lui, que l'on évalue le mieux et soi-même et les autres» (Pollak, 1992). Cette typologie proposée par l'auteure, nous semble intéressante parce qu'elle permet de relever, de façon pertinente, la prégnance d'une pluralité de mondes sociaux des personnes détenues, tout en partageant des conditions d'existence identiques en prison, sont à l'origine des stratégies de réadaptation différentes. L'emprise carcérale ne semble donc pas à interdire aux femmes, le déploiement actif de stratégies identitaires, pour tenter, pour chacune d'entre elles, et à leurs manières, de s'en sortir, en raison de leurs histoires sociales respectives, mais, aussi, du projet porté ou non par les détenues. L'ouvrage mérite d'être lu et peut-être approfondi concernant l'expérience sociale vécue par les familles des femmes détenues qui sont, aussi, dans la souffrance sociale et dans la stigmatisation de la société. «Cette expérience carcérale élargie» a été étudiée de l'intérieur par la sociologue Caroline Touraut, dans un très bel ouvrage centré sur «la famille à l'épreuve de la prison» (2012). |