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PASSÉS (DÉ-)COMPOSÉS

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Histoire d'un berger de Kabylie pendant la guerre d'Algérie. Témoignage de Ali Mebtouche. Editions La Pensée (L'Harmattan, Paris 2007), Tizi-Ouzou, 2016. 600 dinars, 176 pages



Berger, puis soldat mobilisé au sein de l'armée française pour aller combattre, durant trois années, en Indochine, puis revenu au pays sous-officier bardé de médailles, soucieux d'exploiter un tel statut pour conforter sa place économique et sociale dans la société, il se retrouve brusquement prisonnier des harkis qui le malmènent et le torturent. Il arrive à s'évader...

Recruté par l'Aln, il rejoint le maquis («il n'avait pas le choix») et devient un de ses plus valeureux combattants... Hélas, cela ne va pas durer très longtemps, se retrouvant jalousé en raison de ses exploits (car, aussi, devenu sous-lieutenant puis lieutenant) mais aussi et surtout pour la belle jeune fille qu'il vient d'épouser. Une querelle intestine habituelle qui, avec ses dérapages incontrôlés, va avoir de lourdes conséquences... sur tout le monde.

A partir de l' «enlèvement» de l'épouse par le sous-lieutenant amoureux de la belle et les pires exactions commises sur la belle-famille, la vie va alors basculer. Après les durs combats pour la libération du pays du joug colonial, le héros va devenir... harki ; un harki sanguinaire... D'un extrême à l'autre !

L'Auteur : Né à Ait Aissa ?Mimoun (Tizi Ouzou). Scolarisé durant la guerre à l'âge de treize ans jusqu'à l'âge de quinze ans, il a émigré en France à l'âge de dix-neuf ans.

Extraits : «Si la France métropolitaine était devenue un pays laïc depuis 1905, la France et l'Algérie n'avaient jamais pratiqué la laïcité. Au contraire, elle s'était servie de l'Islam, en s'appuyant sur les chefs religieux les plus rétrogrades pour diviser et régner sans inquiétude au milieu d'un peuple arriéré, fanatisé par la religion» (p 34), «Même s'ils (les villageois des montagnes) étaient en désaccord avec les méthodes appliquées par le Fln, ils soutenaient la lutte de ce dernier, d'abord par peur des représailles, mais aussi par principe, car beaucoup de gens n'aimaient pas jouer le rôle de traître qui dénonce ses frères à l'ennemi. Souvent, ils étaient pris entre deux feux» (p 47), «Souvent, durant la guerre d'indépendance, des luttes de pouvoir se produisaient entre les hommes du Fln. Quelques uns d'entre-eux n'hésitaient pas à éliminer purement et simplement leurs compagnons, par jalousie et surtout pour pouvoir prendre leur place dans l'administration, à la fin de la guerre» (p 119).

Avis : Une vie bouleversante et bouleversée, réelle en totalité ou en partie, assez bien romancée certes et prenante. Dommage, trop de digressions politiques (avec des remarques à l'emporte-pièce) et cultuelles avec un dernier chapitre (de trop !) sur la période post-indépendance sentant fort un certaine rancœur. Une «grosse» dent (de la haine) contre les marabouts et le maraboutisme en Kabylie ? Des déceptions quelque part ?

Citations : « Pendant la guerre d'indépendance, tout le monde soupçonnait tout le monde» ( p 41), «Si les marabouts avaient fait régner la peur grâce à la religion, ils étaient devenus encore beaucoup plus forts depuis l'arrivée des Français en Algérie. La France s'appuyait sur eux pour fanatiser encore davantage le peuple paysan» (p 83), «Si la guerre d'indépendance allait bientôt mettre fin à cent trente ans de colonialisme français, cette même guerre avait ouvert les yeux au peuple soumis à la domination de ces marabouts qui, depuis des siècles, dépouillaient les plus démunis par la tromperie de leur pseudo-religion» (p 94)



Mots Turks et Persans dans le parler Algérien. Recueil de Mohammed Bencheneb. Thala Editions, Alger 2014, 450 dinars, 83 pages



634 mots dont 95 ne semblent plus être employés par suite de la disparition de l'objet désigné ou bien sur le point de tomber en désuétude, remplacés soit par des mots arabes ayant une plus grande prépondérance, soit par des mots européens...

239 mots ayant véritablement une origine turke ou plutôt turko-persane, et 49 mots arabes ayant la particule turke comme préfixe ou suffixe...

A ce nombre, il faut ajouter 9 mots arabes ayant une acception turke, 5 mots d'origine grecque et 32 mots méditerranéens.

Une liste bien incomplèrte, mais qui prouve quand même, il n'y aucun doute pour le chercheur, que les Turcs ont introduit dans le parler algérien un certain nombre de vocables... Toutefois, à l'exception d'un proverbe et de quelques rares locutions, les Turks n'ont eu, à ce qu'il semble, aucune influence sur le langage algérien. Il est vrai qu'ils ont vécu, tout au long de leur présence (occupation à objectif d'exploitation par délégation plus que de peuplement ), très en marge de la société algérienne, ne la considérant que pour la «mobiliser» dans ses armées ou pour l?accabler de taxes et de charges.

Notes intéressantes : dans la liste des mots recensés, il y a 72 mots militaires... et 65 liés aux métiers... C'est tout dire des «présences» turques ?sur le terrain- en Algérie.

Mots m'ayant interpellé : «Bazina» (sorte de bouillie), «Balak» (peut-être), «Baltagi» (sapeur), «Bakhchich» (gratification), «Bechkir» (longue serviette), «Bachmaq» (pantoufle), «Baqradj», «Bekkouch» (muet), «Bellara» (vase en cristal), «Tebsi», («Traz» (dessert de fruits secs), «Tchappa» (pioche), «Tchouchou» (oiseau), «Tchouqala» (gargoulette), «Zbentot» (célibataire), «Ziza» (sein), «Sebsi» (longue pipe), «Cherbet» (citronnade), «Tandjra» (marmite en cuivre), «Fengal» (tasse à café), «Gana» (aussi), «Qazan» (chaudron ), «Qmargi» (joueur), «Qoga» (grand, énorme) «Kabca» (grande cuillère), «Nanna» (grand-mère)... et bien d'autres, adoptées par le langage populaire et, parfois, pour certains, difficiles à rapporter ici.

L'Auteur : Né en 1869, de parents d'origine turque. Grand-père retraité de l'armée ottomane de l'ex-régence. Devenu professeur à partir de 1889, maîtrisant plusieurs langues, en plus de l'arabe et du français, il a appris le latin, l'anglais, l'italien, l'espagnol, l'allemand, le persan et le turc. Il a enseigné à l'Ecole supérieure des beaux-arts d'Alger avant d'être envoyé en 1898 à un professeur aux Madrasas de Constantine où il est resté pendant trois ans. Il est retourné à Alger en 1901 en tant que professeur et, en 1908, a été responsable des conférences sur l'enseignement supérieur. Il a publié plusieurs articles: l'un de ses premiers articles était dans la «Revue Algérienne de Droit» en 1895, puis dans la «Revue Africaine» («African Journal») où la plupart de ses articles étaient recueillis.Auteur de plus de 50 ouvrages.

À la suite d'une maladie que les médecins n'ont pu combattre, il décéda le 5 février 1929 à l'hôpital Mustapha-Pacha.

Extraits : «Il décéda à l'âge de 60 ans. Son dernier cours ?ironie du sort- fut consacré à l'étude de deux vers du grand poète arabe Abu El Alaâ El Maârri, parlant de ce que pourrait contenir justement... une tombe !» (p 7), «Ses funérailles (celle de l'auteur) furent à la dimension et à la popularité de l'homme» (p 7)

Avis : Petit livre très, très utile. Il gagnerait à être complété par nos chercheurs spécialisés... si ce n'est déjà fait.

Citation : «Les Turks n'ont eu, à ce qu'il semble, aucune influence sur le langage algérien» (p 11)



Mes souvenirs au passé composé. Sidi Aïch : 1952-1962. Récit de Kamel Benyaa. Lazhari Labter Editions & Edition Pixal Communication, Alger 2015. 500 dinars, 201 pages.



Il a vécu jusqu'à l'âge de quinze ans à Sidi Aïch. Des moments fabuleux avec une adolescence heureuse mais, aussi, les pires moments de la guerre avec une enfance malheureuse. Passer, sans transition, des ténèbres à la clarté, par le bon vouloir de la politique et des événements, a de quoi traumatiser. Heureusement, aussi, de s'attacher encore bien plus à ses racines et ses souvenirs.

L'enfance malheureuse, c'est «l'état de siège», la grève des huits jours, les déchirures, un père recherché en cavale, la souffrance de la maman devenue, contre son gré, cheffe de famille, les ratissages et les maisons «visitées» par les militaires et les harkis, les récits de torture, la peur quotidienne sur le chemin de l'école, des événements marquants (comme celui du «Puits Chabour» où, en septembre 1957, 35 citoyens arrêtés sont précipités dans un puits et ensevelis sous des tonnes de terre).

9 août 64, c'est le départ sur Alger. Un autre monde, une autre vie, mais toujours accompagné par la ville de son enfance. Une ville et une région qui lui ont beaucoup donné et auxquelles il essaye, aujourd'hui, de «rendre la pareille» en signe de reconnaissance pour les instants de bonheur (réels ou imaginés) récoltés.

Bien sûr, la ville et la région, re-visitées, bien après l?indépendance, ne sont plus ce qu'il avait vécu et gardé. Donc, une visite douloureuse et une sensation d'être étranger chez soi. Faut-il s'en étonner ? C'est un peu le cas de la plupart des petites villes et gros villages du pays qui, avec l'exode rural, ont changé de fond en comble, contenu et contenant. Démographie galopante et urbanisation débridée ont accéléré le délabrement de l'environnement. Le chapitre (cinquième partie), intitulé «Le pèlerinage» (en 2010) est tellement noir (pas noirçi mais juste) ! Tout est méconnaissable. Tout a été tranformé au bon plaisir des appétits et au mauvais goût des décideurs du moment. La Soummam n'est plus ce qu'elle était et son eau, devenue rare, est, de plus, polluée... et on aimerait bien savoir ce que sont devenues les deux magnifiques stèles féminines sculptées par... Paul Belmondo, qui ornaient la place centrale. Démontées, mais emmenées où ? Mal exposées dans un musée, oubliées dans une cave, chez un particulier ou, alors, «exportées» ?

L'Auteur : Médecin allergologue, natif de Sidi Aïch (Bejaia). Témoin et victime collatérale, entre 1956 et 1960, des affres de la guerre de libération nationale.

Extraits : «La France coloniale avait ses supplétifs parmi les autochtones. Elle les choississait minutieusement pour en faire des soutiens indéfectibles pour la mère patrie. En contrepartie, elle leur accordait des biens et des privilèges... Ben Ali-Chérif était une figure emblématique de la commune mixte. Il régnait en seigneur et par la terreur dans la région sud de Sidi-Aich...» (pp 58-59), «Les années de vie communautaire ont forgé l'esprit du Français d'Algérie qui se confectionna un personnage narcissique moulé par la magie du pouvoir et le climat de la colonie «(p 85), «L'armée française vaincue pendant la Seconde Guerre mondiale a gardé une fascination vis-à-vis de son bourreau nazi. Elle veut se hisser à hauteur de son vainqueur d'hier. Pour cela, elle adopte et pratique ses méthodes de tortures, ses jugements expéditifs et ses exécutions sommaires...Une revanche sur l'histoire qui transforme l'élève humilié en tortionnaire Ss» (p 155)

Avis : Un récit qui ne nous rajeunit pas, mais un récit de vie comme on aimerait en voir tant et tant...pour réconcilier les citoyens, surtout les jeunes, avec leurs racines... et pour que les «vieux» n'oublient pas d'où ils viennent. Excellemment écrit !

Citations : «L'oubli est l'enfant indigne de l'ignorance et de l'ingratitude des hommes» (p 7), «Le berceau est la première lettre du récit de la vie et le tombeau en est le point final» (p 16), «Les belles choses ne sont enfantées que par la douleur» (p 44), «La saison des amours est l'été, et l'hiver est celle de la haine. Les saisons intermédiaires sont plus mitigées, l'une et l'autre jouant l'indifférence» (p 49), «La France a quitté l'Algérie en laissant un héritage qui ne nous était pas destiné» (p 146), «La dynamique moderniste créée par la révolution et par une école performante a duré une dizaine d'années après 1962. Puis, elle s'est essouflée pour disparaître complètement devant les coups de boutoir d'un pouvoir autoritaire et du parti unique» (p 179), «La crise d'identité se pose de façon cruciale. L'Algérien ne sait plus qui il est. C'est le marasme culturel dans une société en déroute» (p 182)



PS : d'une chronique Médiatic du jeudi 14 juillet 2016 : «On nous annonce la prochain création d'un (premier) marché d'arts plastiques...ainsi que l'ouverture de galeries d'art à Alger, qui seraient des salles de ventes de tableaux. Une idée intéressante qui pose (consciemment ?) la problématique de la promotion des Arts plastiques auprès des citoyens collectionneurs ou tout simplement amoureux de la belle et vraie peinture artistique. Mais, la solution est-elle dans la prise charge par l'Etat et l'Administration de la partie diffusion (commerciale !) du produit culturel ? Comme si ce qui est déjà fait ne suffisait pas, comme la protection sociale et professionnelle (plus de 5100 cartes d'artistes déjà distribuées par le Cnal, en espérant qu'il n'y ait pas de «faux artistes» comme il y a eu des «faux moudjahidine»). Il faut laisser cet aspect de la diffusion et de la consommation de la culture à l'initiative de l'artiste lui-même et de ses organisations et associations (voir l'exemple merveilleux de l'exposition collective Picturie générale III au marché de la rue Volta d'Alger). Il faut laisser la place aux mécènes (dont l'Etat, à condition que cela en vaille la peine). Il faut laisser la place au marché libre et concurrentiel qui va, avec le temps, déterminer qui vaut la peine d'être «acheté», qui vaut la peine d'être suspendu dans un musée ou dans un salon de domicile ou dans un bureau. Il faut que l'Etat se contente de diffuser, par le biais de l'Ecole, entre autres, l'amour du beau. Un gros travail tant il est vrai que le «laid» a déjà envahi tout notre environnement... et nos esprits.

On ne sait pas qui a imité l'autre, mais on apprend que l'Arabie saoudite «veut s'ouvrir aux arts» pour «doper son économie et pour changer l'image de l'Arabie dans le monde alors qu'elle fait l'objet d'accusations et de stéréotypes»...Un pays qui ne compte ni théâtre, ni cinéma publics et qui se positionne à la 165e place sur 180 pays dans le classement de Rsf sur la liberté de la presse ! On aura tout vu.»