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Samia Khomri
et Hassan Laribi Députés d'Ennahda
et du FJL, mènent la charge contre la statue d'Aïn El
Fouara « pour l'intérêt du pays », disent-ils.
Au Parlement, les députés islamistes marquent un point d'ordre : ils rappellent, bruyamment, qu'ils sont les gardiens de l'ordre et de la morale. Ceux-là qu'on leur offre depuis qu'ils ont échoué à les arracher par l'immorale guerre sainte et le désordre des canons sciés. Ils exigent une halte temporelle, veulent un retour aux années GIA, rêvent d'un califat ou d'un sinistre Baghdadi. Ils réclament le retour à l'âge de pierre qui cache des corps et exhibe des cœurs en pierre. Retour sur une situation alarmante. Jeudi dernier : dispute parlementaire houleuse. Ambiance électrique. Orages cosmiques, tonnerres pieux des «représentants » d'Allah. Pluie de baves abondantes et mousseuses. Hurlements stridents. Voix rauques. Agressivités et grognements ; signes cliniques d'une rage extrême. Les décibels emplissaient la voûte de la chambre basse, qui faisait écho à un violent vent de colère. On s'agitait comme des sacs en plastique sous le vent des « smaim » (vent de sable chaud), comme des ombres brouillées qui cherchent l'embrouille. Les micros sifflaient, se tordaient sous des convulsions nerveuses et des mains qui auraient aimé tordre des bras et des cous. Pourtant, on ne parlait pas de la pénurie du lait qui oblige à dormir sous le comptoir d'une « alimentation générale», ni des coupures chroniques d'eau qui nous obligent à rester la nuit, éveillés, ni des sacs en plastique qui inondent nos campagnes, encore moins des ?harraga' qui dorment coulés sous l'eau pour la vie. On ne parlait pas de la rougeole qui châtie les enfants non vaccinés (par la faute de campagnes de boycott obscures), tels les « smaim », les vergers fruitiers. Personne n'évoquait l'apnée prolongée du président ou son cinquième mandat qui coule de source. On ne rappelait pas, non plus, les agressions sexuelles en immersion sur les médecins résidentes ou les rapports internationaux des droits de l'Homme qui déferlent furieux. Le pays coule comme un corps pesant d'un ?harraga' enroulé dans un sac en plastique, mais aucune gorge extrémiste n'était, ce jeudi-là, et tous les autres jours du calendrier de l'hégire, assez puissante pour dénoncer la corruption, les usines de montages automobiles factices, l'état scandaleux de l'autoroute à scandales Est-Ouest ou les biens mal acquis par des personnes bien connues et bien nanties d'un régime qui nous coule enroulés dans le tourment. Non, personne et pourtant, la dispute sous la voûte de la chambre basse fut âpre et houleuse et les bouches, pleines d'écumes et d'accusations beuglaient des verbes tranchants et assassins. Le sujet grave du jour concernait donc une femme en pierre, ou plutôt une pierre sculptée en femme. Ses seins morts et ses formes figées dérangent les têtes dérangées aux idées mortifères et figées. On demande son voilement ou sa séquestration, comme furent séquestrés les ossements du colonel Amirouche. Ce pays déteste son art et ses vrais héros. La présence à l'air libre de la statue est jugée plus préoccupante que l'absence d'un président en apnée. Son arrogante insouciance, sa curieuse indépendance dans un pays qui a tendance à emmurer vivants et morts, sa désinvolture, seraient plus préjudiciables au pays que l'arrogante désinvolture, l'insouciance et la curieuse indépendance des apparatchiks du système. Malgré son aspect libre, la sirène nue est prisonnière d'un océan d'inculture, pétrifiée par des campagnes de diabolisations déferlantes, des voix rauques, signes cliniques d'une rage extrême qui se généralise. L'histoire de cette statue est le syndrome évident d'un malaise, monté de toutes pièces, comme ces usines de voitures factices, la résultante d'un profond ouvrage belliqueux, sculpté depuis plus de cinquante ans. Les yeux des frustrés sont braqués sur elle, tels des attentats à la dynamite ou des coups de burin soutenus. La vieille dame nue est devenue l'obsession de la mouvance islamiste, la nouvelle conquête, le poste avancé de leurs idées belliqueuses. À Sétif se joue un nouvel épisode de la guerre sainte des tranchées que mène sournoisement le terrorisme résiduel. À Sétif, se joue la « ghazouat » d'Ain El Fouara. Pourquoi s'attarde-t-on sur le détail du nu ? Parce que c'est dans le détail que réside le diable qui hante les têtes en érection, d'une mouvance démoniaque et c'est de là, aussi, que l'on avance, à plat ventre, que l'on défriche à coups de burin et de marteau, endossant la « taquia » comme cape d'invisibilité, l'œil sur le nu d'une statue, le doigt sur la détente de l'ignoble, prêt à abattre un verbe libre, un ministre ou à conquérir la présidence. Le nu d'une statue permettra, alors, d'avancer rampant, par petites coudées, par petits pas, gagnant la loi et la morale, les âmes et les consciences, la rue et les institutions et le siège laissé pour vide, par un roi nu que tout le monde voit, mais qu'aucun islamiste n'ose dénoncer... pour le moment. |