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Lila
Borsali sort, ces jours-ci, son cinquième CD qu'elle a
baptisé «Pour l'espoir». Cette interprète de chant andalou, qui s'est abreuvée,
adolescente, à la source de la prestigieuse école de musique andalouse de
Tlemcen, a inscrit son art dans une sorte «d'ijtihad»
tout à la fois inventif et respectueux de la tradition.
Lila Borsali est née le 12 juillet 1976 à Alger, au sein d'une famille originaire de Tlemcen. Très jeune, elle s'initia à la maitrise de la mandoline puis rejoignit l'association musicale tlemceniene «Ahbab cheikh Larbi Ben Sari». En 1995, elle s'installa à Paris où elle co-fonda l'association «Les Airs Andalous», dirigée par Abdelkrim Bensid et tomba amoureuse de la kouitra qui devint son instrument musical fétiche. Au cours de ses années parisiennes, elle perfectionna son talent à l'université de la rigueur, de la confrontation et de l'audace intellectuelles. En 2009, Lila Borsali revint en Algérie et enregistra son premier CD, en tant que soliste, puis intégra l'association musicale «Les Beaux-Arts d'Alger». Quatre ans plus tard, à la suite d'un drame familial, elle s'exila de la scène artistique avant de renouer avec sa passion artistique de toujours, à l'occasion de l'enregistrement de son nouvel opus, «Nouba Ghrib». Il y a quelques jours, entre deux récitals, Lila Borsali a bien voulu répondre aux questions du Quotidien d'Oran. Le Quotidien d'Oran: Lila Borsali, vous sortez, ces jours-ci, votre dernier album de chant andalou. Il porte le beau nom de «Pour l'espoir». Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre chemin de vie et votre métier d'artiste, qui sont, je crois, étroitement liés puisque vous exercez votre vocation artistique, si on peut dire, à plein temps ? Lila Borsali: Oui effectivement, non seulement ma vocation artistique occupe l'essentiel de mon temps mais elle est étroitement liée à ma vie elle-même, dans la mesure où elle en épouse l'évolution, les méandres, les aléas? et bien entendu, l'espérance constante d'un mieux à venir, sans laquelle toute vie est inutile. Cela explique, en grande partie, le titre que je donne à mon dernier album, «Pour l'espoir», titre qui renvoie, non seulement à la thématique globale qui est celle de l'amour et du vivre-ensemble mais aussi qui fait de l'expression artistique, le lieu, par excellence, de tout ce qui peut en assurer la concrétisation. Très jeune, portée par un milieu familial favorable à l'art et l'écriture, j'ai eu la chance d'être initiée à ce que le patrimoine poético-musical andalou a de plus beau, grâce aux maitres que j'ai eus à Tlemcen, ma ville natale. Cette musique m'a, de nouveau, suivi dans mon exil à Paris. Quinze années où, fortement encouragée par mon mari (Allah yarhmou)- lui-même issu d'une famille de mélomanes- j'ai pu exercer mon art, toujours dans un cadre associatif, avec comme maitre remarquable, Abdelkrim Bensid. En fait, mon apprentissage arrivait alors à un stade de maturité qui me conduisait à faire de la musique andalouse un espace d'affirmation de mon identité, en même temps que celui d'un dialogue possible avec l'Autre. J'ai la conviction que l'art est le seul discours possible pour rapprocher les êtres humains. A mon retour à Alger, j'ai gentiment été accueillie par l'association «Les Beaux Arts» avec comme maitre, M. Boukoura. Ce passage est important pour moi car il m'a permis de comprendre, de facto, que si chaque école avait ses particularismes, les passerelles que nous pouvions installer entre l'une et l'autre ne pouvaient qu'assurer un flux très positif entre ces mêmes particularismes. C'est aussi M. Boukoura qui m'a encouragée à publier mon premier album «Frak lahbab», suivi ensuite de deux autres. Et depuis ma carrière professionnelle a commencé à se dessiner. Après le décès de mon mari, les choses sont devenues très difficiles pour moi. La composition d'une nouvelle nouba «Hosn Essalim» m'a permis, avec la collaboration de notre ami Tewfik Benghabrit, qui en a été le compositeur, non seulement de rendre hommage à sa mémoire, mais aussi de dire à tous ceux qui ont été fortement présents à mes côtés, dans ces moments si particuliers, que je prenais l'engagement de ne pas les décevoir dans leur attente, de marquer, d'une note d'espoir, la vie qui forcément reprenait ses droits. Mon dernier album s'intitule, pour toutes ces raisons, «Pour l'espoir». Q.O.: Cet album, comme le suggère son titre («Pour l'espoir») semble être une sorte de manifeste en faveur de l'espérance, un chant pour la vie. L. B.: Oui effectivement, c'est un chant pour la vie, pour l'amour, pour tout ce qui rend possible le vivre-ensemble, loin de toutes les pressions sociales et toutes les contraintes qui en empêchent le cours naturel. «Pour l'espoir» résume aussi la démarche dans laquelle je m'inscris. En fait, j'ai la conviction que rien n'est jamais tout noir et qu'il nous revient à nous d'avoir une vision à long terme qui nous permette de croire en la vie, avec ce qu'elle a de meilleur. «Pour l'espoir» indique aussi une dynamique au sein de notre patrimoine culturel qui nous sort forcément du figisme et qui peut nous permettre de redonner, à partir de ce qui le fonde, une touche de fraicheur qui lui assure un regain de vie. Ainsi, dans le spectacle qui marque la promotion de mon dernier album, nous avons choisi de faire dialoguer autour de la même thématique, plusieurs formes d'expression artistique: l'image avec le court-métrage réalisé par Belkacem Hadjaj, la narration qui met en scène deux récits qui disent, dans des espaces-temps très éloignés l'un de l'autre, tout ce qui empêche les êtres humains de s'aimer pleinement; l'expression corporelle qui épouse dans des figures chorégraphiques modernes, les modulations de la musique, et bien sûr, la musique elle-même, une nouba entièrement nouvelle, composée par Tewfik Benghabrit et réalisée par toute notre équipe musicale. Je pense que dans le domaine très précis de la musique andalouse, c'est une première. Mais pas une dernière, je l'espère! (rires) Q.O.: Vous répétez souvent que «Pour survivre, un patrimoine doit continuer à vivre». Dans le même sens, vous dites également que «tradition EST créativité». Que voulez-vous soutenir exactement ? L. B.: Je reste sur mon idée. En faisant la promotion de notre projet, nous avons délibérément joué sur les mots en remplaçant la conjonction «ET» (qui ne fait qu'assurer une relation entre deux situations, somme toute différentes) par «EST» qui renvoie à l'idée que c'est un mode d'être, que tout patrimoine ne continue à vivre, à plaire, à attirer toutes les générations, que si on le «nourrit» de l'intérieur, que si on lui apporte, sans toucher à ses fondements, des formes nouvelles et, pourquoi pas, de la matière nouvelle. Le patrimoine, par définition, EST donc créativité! Refléchissons bien : n'est-il pas le fait d'hommes qui, au fil de la chaine créative qui s'est constituée, lui ont apporté, au fur et à mesure, tout ce dont nous sommes si fiers ? Alors ? Pourquoi cette chaine devrait-elle être interrompue sous prétexte d'un conservatisme poussé à ses dernières limites ? Q.O.: Nous terminerons cet entretien par une question plus personnelle. Être artiste, en Algérie, est un chemin ardu. Être femme est un métier difficile. Où puisez vous, Lila Borsali, la force qui vous permet de résister ? L. B.: Dans la passion qui m'aide à la vivre! C'est vrai que chez nous, c'est un dur «métier» que d'être femme et artiste. Néanmoins, une seule règle d'or: c'est la qualité du travail que vous vous forcez à proposer à votre public, qui vous assure le respect de tous. Hamdoullah, je n'ai pas à me plaindre. Exception faite de personnes qui ne sont pas du tout sensibles à la culture, j'ai toujours eu un accueil très chaleureux et, quand le besoin s'en est fait sentir - notamment dans mon dernier projet qui a été très difficile à mettre en place- j'ai bénéficié d'aides, à la fois de pouvoirs publics et de sponsors privés qui ont cru en moi. |