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François
Hollande s'enfonce dans les sondages comme dans son échec. Mais au-delà des
performances du moment, c'est la France qui n'est jamais arrivée à sortir de sa
monarchie républicaine.
La nation a coupé la tête au roi Louis XVI, impossible pour elle de retrouver un équilibre institutionnel après plus de deux siècles d'instabilité. Louis XVI est mort mais son esprit continue de hanter la France. C'est l'un des sujets permanents du droit constitutionnel. La France, depuis la révision constitutionnelle de De Gaulle en 1962, est devenue une monarchie républicaine. Elle, qui a été l'exemple même de la rupture en coupant la tête au roi, ne s'est jamais remise de ce régicide. Toute la politique française, toutes les ambitions, les espoirs et les responsabilités sont portés sur les épaules d'un président que les Français veulent couronner puis immédiatement trancher la tête. C'est comme un rituel psychanalytique dont il est impossible de se défaire tant il imprègne l'histoire de ce pays et les mentalités politiques profondément ancrées dans la mémoire. Ce n'est pas nouveau et la présidence de François Hollande perpétue le malaise. Cependant, jamais la France n'a pu faire autant le parallèle entre le roi assassiné et l'actuel président. Un embonpoint certain, une hésitation permanente dans les décisions, une répugnance à trancher ou créer l'incident, jamais rapprochement physique comme comportemental n'aura donné l'occasion de faire le lien avec la rupture historique française. De plus, la similitude des apparences fait corps avec le rapprochement entre les événements. Une crise économique aiguë et le refus de Louis XVI d'entamer les réformes économiques voulues par Necker. Il ne faut pas beaucoup d'agilité intellectuelle pour y voir un Valls ou un Macron. Et voilà que la France se met à revivre son appréhension habituelle de l'instabilité. Pour bien comprendre le sujet constitutionnel, il faut impérativement aborder l'histoire qui lui est consubstantielle. Nous verrons pourquoi la France est un cas unique dans le monde. Une situation qui fait d'elle la championne du monde des révisions constitutionnelles. Les deux concurrences au pouvoir royal De pas en pas, le pouvoir royal s'installe sur un socle de légitimité absolue pendant plusieurs siècles. Mais c'était sans compter la concurrence de deux autres pouvoirs qui allaient sans cesse menacer son autorité. Le premier est celui-là même qui le légitime, le pouvoir religieux. L'autorité royale a du combattre l'influence de l'Église et, par conséquent, celle du pape. Ne pouvant risquer de s'attaquer directement à la croyance du peuple puisqu'elle fonde son pouvoir, les rois guerroyaient sans cesse avec l'autorité de l'église romaine. Si d'une manière générale, chaque souverain essayait d'obtenir le «label» de l'Église, fondamental pour son assise, chacun faisait comprendre à l'évêque de Rome qu'il ne fallait pas empiéter sur son territoire. Le pape possédait «l'autorité spirituelle» et le roi, «l'autorité séculaire». Mais cette frontière n'était pas si claire et la bataille fut constante. Des rois excommuniés pour leur agissements furent légion et ces derniers ne manquèrent pas d'attaquer directement, voire militairement l'autorité du pape. Parmi les très nombreux exemples dans l'histoire, Philippe le Bel le fit comprendre d'une manière rude, jusque dans la menace de mort. Mais c'est Henri VIII qui alla le plus loin puisqu'il décida que le chef de l'Église d'Angleterre, ce serait finalement lui et nul autre. La seconde concurrence au pouvoir royal fut celle de la noblesse puis de la bourgeoisie. En Angleterre, la coalition des deux forces aboutit à une représentation parlementaire forte puis de plus en plus équilibrée. Nous savons que ce pays vit naître le parlementarisme tel que nous le concevons dans l'ère moderne. Ainsi, inéluctablement, le pouvoir politique royal allait progressivement disparaître pour donner naissance à des monarchies constitutionnelles. Le temps venant, la démocratie devint compatible avec ce régime et plus personne ne doute de la légitimité des parlements de ces pays (Angleterre, Pays-Bas, Espagne, Suède...). D'autres ont choisi un système républicain dans lequel le chef d'État est élu. En se focalisant sur les seules démocraties, le chef d'État, monarque ou président, représente le socle de la continuité et le garant de l'équilibre des pouvoirs lorsque celui-ci alterne entre les majorités successives. L'institution royale permet la représentation nationale, donc l'image de son incarnation et du recours légitime. En cas de soubresauts politiques, de guerres ou de nécessité d'une représentation extérieure forte, le «souverain» est là pour être le recours. Mais en aucun cas, il ne peut s'immiscer dans les affaires politiques qui sont de la compétence exclusive de la représentation nationale. Si le pouvoir religieux a définitivement échoué dans son hégémonie politique, le parlementarisme est devenu, depuis longtemps, le schéma dominant des institutions dans le monde, avec un chef d'État, souverain ou élu. Partout dans le monde ? Non, justement, car le contre-exemple parfait est celui de la France qui allait choisir, tout récemment, un système unique et dont elle ne sait plus comment en sortir. La vengeance post mortem d'un régicide Au départ de la révolution, personne n'avait imaginé, même chez ceux dont l'appétit de la guillotine était quotidien, que le roi allait subir le sort qu'il a eu. Malchance pour l'histoire parlementaire, le roi refusa les exigences du pouvoir révolutionnaire et s'enfuit. Arrêté à Varennes, accusé de collusion avec l'ennemi, les révolutionnaires disaient n'avoir plus de choix et être contraints à couper la tête au roi. Dès ce jour, jamais la France n'a retrouvé son équilibre constitutionnel. Les institutions ont vu, par deux fois, la restauration monarchique et même, la création de l'empire. Devenus soupçonneux envers toute dérive vers un «césarisme», les Français n'ont plus jamais fait confiance à la monarchie et ont opté pour le parlementarisme républicain avec un président élu, sans grand pouvoir. Mais après une instabilité chronique du parlementarisme, le pire allait arriver avec la réforme de 1962. Deux légitimités par le suffrage universel s'opposent dorénavant, celle du président et celle de l'Assemblée nationale. Alors que les États-Unis, pour des raisons historiques, ont choisi une séparation nette entre les deux pouvoirs issus du suffrage universel, la France a refusé de l'installer. Comme on pouvait s'en douter, le pouvoir monarchique du président allait prendre le dessus sur l'autorité du parlement et l'étouffer. Et si nous rajoutons la décision d'avoir couplé les législatives avec l'élection présidentielle, c'était enterrer la réalité du pouvoir de la représentation nationale. Celle-ci est définitivement inféodée à la majorité présidentielle car on ne voit pas comment le peuple peut se renier en désignant, quelques semaines après avoir élu le président, une majorité d'opinion différente à l'assemblée. La schizophrénie française et la monarchie républicaine Dès cette révision constitutionnelle de 1962, la monarchie républicaine s'installe en France. Les Français retrouvent leur monarque, avec ses palais, sa cour et son pouvoir absolu. Ce fut encore plus marquant avec celui qui l'avait pourtant farouchement combattue auparavant, François Mitterrand, puisqu'il a porté cette monarchie républicaine à des sommets. La Constitution de la cinquième République avait recréé et renforcé de vielles prérogatives royales comme le droit de grâce ou celui de la dissolution. Lors de son élection, le président apparaît à la foule dans un cérémonial royal, il forme sa cour, ses rites monarchiques apparaissent et il devient l'astre autour duquel tout tourne. On dit les «ministres régaliens» et le «domaine réservé du président», toute une sémantique qui rajoute au fait que la République s'est installée dans le cadre immobilier des anciens palais de la noblesse dont ils gardent encore le nom. Et voilà que les Français retrouvent leur vielle schizophrénie d'antan vis-à-vis du pouvoir royal. Après avoir élevé la personne au sommet du pouvoir monarchique, elle est aussitôt houspillée, on réclame sa tête. L'un a osé toucher à la dignité présidentielle, l'autre a osé vouloir être « normal » et, finalement, aucun ne convient, tous sont bons pour la guillotine. La crise faisant à son tour son office d'accélérateur des exaspérations et des mauvaises humeurs. Le souci est qu'il n'existe plus aucune autorité qui garantisse la stabilité par la continuité et l'équilibre des pouvoirs. La fonction de Premier ministre ne servant plus à rien puisque c'est un organe institutionnel qui n'a de sens que dans un réel régime parlementaire. Le « fusible » politique que représente le Premier ministre dans un tel régime n'existe donc plus. Toutes les tensions, les rancœurs et les impatiences remontent au président qui s'occupe de tout, est sur tous les fronts, des plus insignifiants jusqu'aux plus lourds. Comment, dans ces conditions, veut-on que la stabilité institutionnelle soit rétablie après avoir créé un objet constitutionnel unique au monde, une espèce de corps hybride à deux têtes, instable et incapable de maintenir la confiance pérenne ? Ce pauvre François Hollande, tout en rondeur, est effrayé de heurter les sensibilités et jamais partant pour les conflits rudes. Un homme dont les femmes successives ont nourri passion et détestation de la foule et, au final, ont été portées au bûcher du verdict populaire, comme le fut Marie Antoinette. Un président qui ne peut trancher que mollement face à son Premier ministre impétueux. Un chef d'État qui a les yeux rivés sur une courbe du chômage qui ne veut désespérément pas s'inverser. Hollande serait-il la réincarnation de Louis XVI ? En attendant, Louis XVI, de là-haut, doit savourer sa vengeance éternelle car, en grand passionné des mécanismes d'horlogerie qu'il était, le voilà enfin maître du temps. Et nous voyons bien son sourire coquin à chaque fois que la représentation nationale se réunit au... Palais Bourbon, le nom dynastique du bon vieux roi assassiné. Décidément, la tête de Louis XVI n'a pas fini de hanter la France ! *Enseignant |