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Quelle sera la
situation de l'économie au lendemain des élections ? Que faut-il entendre, en
économie, par «transition »?
Deux questions qui ont été fréquemment posées durant cette campagne pour l'élection présidentielle algérienne d'avril 2014. La première liée au bilan ou à la conjoncture, et aux promesses de changer cette situation, ou au contraire de consolider ce bilan, pour ceux qui le jugent satisfaisant. L'autre mot, celui de « transition» est souvent revenu. Il a été durant ces derniers temps beaucoup utilisé par tous ceux qui peuvent s'exprimer dans la presse, notamment pour apprécier ce qu'il est convenu d'appeler «le système» politique. Pour prévoir sa fin, son implosion, ou tout au moins pour le souhaiter, ou au contraire pour plaider pour sa pérennité au nom de la «stabilité», ou encore de la peur de l'inconnu. Un penseur, Edgar Morin, à propos du «Système» a récemment écrit: «Quand un système est incapable de traiter de ses problèmes vitaux, il se dégrade ou alors il est capable de susciter un méta-système à même de traiter ses problèmes, il se métamorphose. » Je crois que nous en sommes un peu là. Mais restons centrés sur ces questions relatives à l'économie, sa situation actuelle, son évolution probable ou souhaitable. La première est une question plutôt de court terme ou de conjoncture économique. Quel sera l'état de l'économie au lendemain de la consultation électorale ? En matière de politique économique les acteurs de l'économie, entrepreneurs, collectivités territoriales, état, ont «objectivement» besoin d'un éclairage de la longue période, pour que leurs actes d'aujourd'hui puissent être performants demain. Avoir un cap! Si effectivement on vise à obtenir des résultats, c'est-à-dire que l'on dépasse les promesses électorales, dans le mauvais sens de l'expression, celui de propagande. Surtout s'il s'agit de transformer les structures économiques actuelles pour avoir une bien meilleure conjoncture que notre économie potentiellement pleine de ressources est capable de réaliser. Ce qui vient d'être dit, relève de ce qui est nommé de nos jours, la bonne gouvernance économique. Même si le comportement des êtres réels, impatients le plus souvent, par nature, cherchent à améliorer leurs conditions d'existence, sans avoir à attendre. Le dicton populaire exprime cette impatience ; «Fais-moi vivre aujourd'hui, tues moi demain !». Pourtant, comment régler par exemple, la très grave et bien structurelle question du «chômage massif des diplômés», du chômage massif des jeunes, cause parmi d'autres, mais cause déterminante des «explosions sociales» actuelles tant en Algérie, que dans les autres pays de la région. Il nous parait évident que faute d'avoir prévu et organiser une croissance économique de «qualité », c'est à dire une économie moderne productive (agriculture, industrie, services liés à la sphère productive) suffisamment performante et large pour «accueillir» les centaines de milliers de néo diplômés qui sortent chaque année de nos universités, le chômage massif est inévitable. Avec ou sans diplômes ces jeunes sortant chaque année en masse des écoles sont, pour la très grande majorité, condamnés à vivre avec peu de perspective pour leur propre avenir. Qu'ils voient bien bouché, sauf pour beaucoup à essayer de s'en sortir en «bricolant » dans les activités de l'Informel ou à affronter l'aventure de l'exil au péril même de leur vie. Et on s'étonne des explosions sociales, telle celle d'Ouargla, ou de toutes celles des autres régions de l'Algérie sans exception. Tous ces jeunes sans emplois, qui ne comprennent pas que vivants à côté de la poule aux œufs d'or, «plus de 60 milliards de $ qui nous tombent du ciel chaque année, et qui permettent des volumes considérables d'importations qui rendent « fous», les plus cupides), on ne puisse leur donner le minimum: un travail pour garantir leur dignité humaine. Mais «l'école en faillite» a aussi sa part de responsabilité qui n'a pas su préparer pour l'emploi. Osons pour aller vite un barbarisme, que je n'aime pas par ailleurs, le peu d' «employabilité » des jeunes par les entreprises, ou leur non préparation à initier des entreprises par eux-mêmes, expliqueraient aussi l'ampleur du chômage des jeunes. Leur marginalité ! Mais cette préférence pour le court terme, ou plus précisément, pour le rejet, de fait, de l'approche du long terme pour orienter l'économie ne vient pas simplement du fatalisme courant dans les opinions publiques, que le dicton cité plus haut peut exprimer. Les concepteurs nationaux des politiques économiques et ceux qui influencent beaucoup les décideurs des pays, ceux qui font «les discours à la mode» notamment les institutions internationales de Washington FMI/BM, ont beaucoup poussé au «courtermisme» dans les années 80 ; tout en agissant pour l'élimination des organismes de la planification du développement, précisément les institutions nationales en charge du long terme. La décrépitude de ces institutions peut se constater partout et en particulier en Algérie, ouvrant la route à la «dictature du court terme», au nom soi-disant de la priorité à la libre initiative des entrepreneurs, à libre entreprise, et au cantonnement de l'état aux missions «régaliennes», lequel état ne doit surtout pas se mêler d'économie. Mais depuis quelques années ce « discours à la mode» a un peu changé; l'intervention économique des états n'est plus un gros mot! Juste par illustration de cette évolution que je perçois aussi en Algérie, le «capitalisme algérien» lui-même au travers de ses organisations des entrepreneurs, semble aujourd'hui plutôt demandeur d'une vision à long terme de l'économie du pays -et c'est tant mieux- à travers la revendication d' «un ministère de l'économie ». Sans doute que nos capitalistes ne se font plus d'illusions sur le soi-disant «laisser-faire, laisser-aller» prôné par les néolibéraux. Ils savent sans doute que toutes les économies du Monde, surtout les plus puissantes, sont dans les faits, guidées dans leurs performances par de solides et puissantes institutions de régulation (pour ne pas utiliser le terme ringard de planification) telle que la FED (Usa), le MIT (Japon) ou la Bundesbank (Allemagne). Ce que j'interprète tout au moins dans cette revendication de nos entrepreneurs ( plaidant pour 'un ministère de l'économie'), comme un besoin d'une approche de l'orientation de l'économie qui dépasse l'approche court terme des lois annuelles de finance ; la pratique répétitive des lois complémentaires rectificatives des lois annuelles des finances raccourcie encore la durée, nous rapprochant d'une gestion au jour le jour, ou du «pilotage à vue»! Je vais essayer de répondre plus directement à ces deux questions : Quel sera fin avril, après les élections, la situation de l'économie ? Je lis, au travers des rapports notamment ceux du FMI qui suivent et scrutent la conjoncture de nos pays MENA (Moyen Orient et Afrique du Nord), que la question de l'équilibre des finances publiques leur procure des inquiétudes. Malgré un prix du baril de pétrole qui se maintient bien haut, les pays auraient des grandes difficultés à boucler leurs budgets, parce que leur soif d'importations est insatiable, conséquence d'un problème structurel (donc relevant du long terme !), du fait que la plupart, sinon tous, n'ont pas réellement d'économies productives (agriculture incapable d'assurer la ration alimentaire de base, économie non modernisée, non industrialisation et/ou désindustrialisation, incapable en conséquence de s'insérer valablement dans la nouvelle économie internationale «mondialisée ou globalisée» de la production de biens et de services, et incapable comme perçu plus haut d'offrir suffisamment d'emplois qualifiés et même des emplois non qualifiés en nombre suffisant. Et à court terme, l'inquiétude de nos observateurs de la région MENA porte sur la difficulté pour tous ces pays «à boucler les fins de mois».... Nous apprenant ainsi avec ahurissement qu'en dessous d'un baril de pétrole à 100 voire 110 $ le baril, il n'y aura point de salut ! Il sera difficile de sauvegarder les équilibres des finances publiques! C'est dire le niveau proprement fantastique atteint par les importations! A vue d'œil des importations souvent secondaires, inutiles ou futiles. Est-ce que «la protesta» généralisée, les explosions sociales qui marquent depuis longtemps notre conjoncture, pourra s'améliorer même après les largesses des subventions tous-azimut qui se développent dans notre pays (la campagne électorale l'accentuant fortement) ? Ces largesses budgétaires ici, comme ailleurs dans les autres pays de notre région se pratiquent, depuis la fantastique et brusque augmentation des prix agricoles internationaux de fin 2010/2011, prélude des «printemps arabes».Est ce qu'on peut par la grâce d'un coup de baguette magique, ou de «largesses» budgétaires, transformer la situation économique? Le «court terme» est rattrapé, si on peut dire, parce qu'on a voulu ignorer la réflexion sur le long terme; conséquence de l'insouciance de la non préparation de l'avenir. Cette remarque permet de répondre à l'autre question : «la transition» concerne-t-elle aussi l'économique? Généralement les écrits récents, durant cette campagne des élections présidentielles mentionnant la nécessité de la «transition», sont plus portés sur la politique et l'organisation des pouvoirs politiques. Mais peut -on séparer le politique de l'économique ? Si on dispose d'une réflexion sur le long terme, c'est à dire encore d'un plan de développement à long terme, on doit prévoir une «transition» pour transformer la situation économique. Pour mettre en œuvre ce «long terme» ; entre ce «souhaitable» (le long terme) et aujourd'hui. La conjoncture est ici, après donc le 17 avril, plutôt mauvaise si on prend juste les deux indicateurs mentionnés, le chômage massif des diplômés et l'insécurité alimentaire. Plus des 2/3 de la ration alimentaire de base sont importés des marchés internationaux de matières premières au sein d'une «mondialisation» chahutée et dangereuse par excès de financiarisation ou de cupidités. Il est bien évident qu'on ne peut améliorer cette conjoncture rapidement par coup de baguette magique. Il faut une «transition» ou plutôt des «transitions» autrement dit aussi des étapes. Mais autant pour définir « le long terme» souhaitable, c'est-à-dire, un réel plan de développement de l'économie productive, que pour organiser les transitions ou les étapes pour atteindre ce souhaitable, il est nécessaire d'avoir des institutions compétentes pour accomplir et susciter cette «métamorphose» selon l'expression d'Edgar Morin. Après la chute du mur de Berlin en 1989 ce terme de «transition» était largement en vogue, autant pour la forme de gestion de l'économie à adopter qu'en terme de choix d'un système politique : passage de l'économie dite administrée, à l'économie dite de marché, passage à la démocratie. Avec comme illustrations, deux exemples de transition, brutale ou d'effondrement de l'état telle que fut la mort de l'URSS, et d'une autre transition plus en douceur, la chinoise dont le Parti Communiste entends et poursuit l'instauration d'une économie sociale de marché, avec jusqu'ici beaucoup de succès, jusqu'à faire de la Chine une locomotive importante de l'économie mondiale, sous la houlette de la Commission du plan et des réformes. Dans les autres pays du Monde notamment en Afrique la «transition» politique dans les pays où « les états étaient plus ou moins improvisés» (après les indépendances des années 60), il a été confié, début des années 90, à des «Conférences nationales» (que certains partis et/ou personnalités proposent aussi aujourd'hui chez nous) d'organiser la «transition» ou comment faire le passage à la démocratie. Conférences Nationales et Transitions étaient à la mode dans ces années 90. Ils reviennent fortement aujourd'hui chez nous, tout au moins autour de ce 17 avril. Pour commémorer le 50ème anniversaire, j'ai fourni ma contribution parue dans El Watan de juillet 2012 où je tirais le principal enseignement de nos tentatives de politiques économiques globales durant 50 ans, par ce proverbe de chez nous «Si tu ne les frotte pas (les blés) tu ne pourras pas les manger». En bref malgré des « taux d'investissements» (part de l'investissement sur le PIB comme indicateur de la préparation de l'avenir) souvent très élevés, surtout dans la première étape de la mise en œuvre de la stratégie de développement, cette politique a échoué, parce que les réalisations matérielles effectivement accomplies souvent à des niveaux très élevés (voir les bilans que nous avons établis, mais aussi les descriptions sans doute plus «objectives » d'un géographe étranger, Marc Cote: Algérie, l'espace retournée, Flammarion 1988) n'ont pas été accompagnées par un développement institutionnel adéquat du pays .Ce cadre institutionnel est demeuré bien fruste, archaïque. Malgré des réformes plutôt cosmétiques des années 90 ! Dans tous les cas ce cadre institutionnel reste non tourné vers le Développement du pays, mais orienté à viser d'autres buts. A coup sûr, la capacité nationale de réaliser, a très peu émergé. Du fait de cette carence institutionnelle, mais aussi parce que notre «modèle de croissance économique» qualifié de «rentier» ou encore «d'extraverti» (c'est-à-dire où le moteur de la croissance économique et ses acteurs sont étrangers aux pays fournisseurs de matières premières, ici des hydrocarbures). Cette «extraversion» a très peu encouragé cette émergence de la compétence ; en effet par nature l'industrie pétrolière disent les économistes est très «capitalistique». C'est à dire utilisant beaucoup plus les machines que les hommes. Si les hydrocarbures sont le moteur essentiel quasi exclusif du PIB et des exportations, ils ne participent que très faiblement à l'emploi global, moins de 3%. Peu orienté donc par nature, à faire émerger en nombre suffisant cette «capacité nationale à réaliser» (On importe même des ouvriers prétendument qualifiés dans les chantiers de Travaux publics et du Bâtiment). Mais ce cadre institutionnel qui a tant fait défaut, aurait pu palier ce défaut de notre modèle de croissance, pour que les recettes du sous-sol soient en priorité affectées, à la seule «richesse des nations» qui vaille : la formation du «capital humain», étroitement liée à la création diversifiée des emplois. Créer des emplois à la hauteur de la demande (aspect quantitatif), en femmes et hommes formés, suffisamment qualifiés pour être en diapason avec l'économie moderne universelle définie comme «économie de la connaissance» (aspect qualitatif). Autrement dit créer des emplois en nombre suffisant, pas n'importe quels emplois, mais des emplois nécessitant des qualifications. Ce cadre institutionnel défaillant n'a pas permis de bien «semer le pétrole» (selon l'expression de Maurice Bye) ; on a confondu plus ou moins consciemment la fin et le moyen. On a aussi puisé sans discernement et précaution, la ressource minérale essentielle, les hydrocarbures, non renouvelables ; sans penser aux générations à venir par excès du «courtermisme» et de la cupidité. Les pronostics des spécialistes annoncent bientôt l'épuisement (?) de cette ressource essentielle et non renouvelable chez nous. Cette bonne gouvernance ou bonne préparation de l'avenir pourtant nous est dicté par le simple bon sens qui serait parait-il la « la chose au monde la mieux partagée», souvent contrarié chez nous très fortement par cette cupidité et le courtermisme, comportements dominants actuellement. Cette bonne gouvernance aurait pu être dictée aussi par la simple observation de la nature. Les jeunes générations très éprises de foot connaissent elles suffisamment ce bien prévoyant animal qu'est le fennec, la mascotte de l'équipe nationale, ce petit renard du Sahara qui se nourrit d'escargots ? Saint-Exupéry, dans Terre des Hommes, observait que le «fennec ne cueille pas tous les arbustes rencontrés sur son terrain de chasse, pourtant tous bien chargés d'escargots; il en passe beaucoup. Tout se passe comme s'il avait conscience du risque de dépouiller tous les arbustes, sans précaution. S'il se rassasiait sans précaution, il n'y aurait plus d'escargots. S'il n'y avait plus d'escargots, il n'y aurait plus de fennecs.» |