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Suite et fin Ainsi, compte tenu des multiples invasions qu'a connue cette terre, il n'est pas impossible que chaque arrivant ait pu laisser un peu de lui-même. Aussi, nous pouvons dire avec Berthier (ibid., pp.32-33) que « les Carthaginois n'ont pas disparu en corps, après la ruine de Carthage. Ce flot de Romains qui, pendant sept siècles n'a pas cessé d'aborder dans les ports africains, n'a pas repris la mer un beau jour, à l'arrivée des vandales, pour retourner en Italie. Et les Vandales qui étaient venus avec leurs femmes et leurs enfants pour s'établir solidement dans le pays, personne ne nous dit qu'ils en soient jamais sortis. Les Byzantins aussi ont dû laisser plus d'un de leurs soldats dans les forteresses bâties par Salomon avec les débris des monuments antiques ». Selon Berthier (op.cit, p.33), « de tout cela, il n'est rien resté que des berbères, tout s'est absorbé en eux ». Il ajoute fort à propos d'ailleurs : « je ne sais si l'anthropologie, en étudiant la couleur de leur peau ou la conformation de leur corps, distinguera jamais chez eux les descendants de ces divers peuples disparus ; mais dans leurs idées, leurs habitudes, leurs croyances, leur façon de penser, de vivre, il n'y a plus rien du Punique, rien du Romain, rien du Vandale ; c'est le berbère seul qui a surnagé ». Enfin pour Boissier (1895, pp.314-315), « Il y avait, dans cette race, un mélange de qualités contraires qu'aucune autre n'a réuni au même degré ; elle paraissait se livrer et ne se donnait pas entièrement ; elle s'accommodait de la façon de vivre des autres, et au fond gardait la sienne ; en un mot, elle était peu résistante et très persistante ». Pour terminer sur cette origine supposée du peuple algérien, nous ajouterons ce point de vue d'un chercheur algérien qui a signé son article dans le quotidien indépendant El-Watan du Dimanche 15 septembre 1996 par ses initiales Z.Y., que « l'Algérie d'aujourd'hui a réussi le tour de force de « digérer » tous les intrants humains et culturels qui se sont succédés sur son sol. C'est ainsi que le Phénicien a été berbérisé, le romain « numidisé », le Vandale « hawwarisé », le Byzantin « lawwatisé », l'Arabe algérianisé. Selon ce chercheur, à aucune phase de cette formation, l'allogène n'a fini par se substituer à l'autochtone et encore moins à le diluer. Cet autochtone qui n'est autre que le « barbari » quel que soit l'ensemble tribal auquel il se rattache. Qu'il fut judaïsé, christianisé ou islamisé, le Berbéro-Algérien n'a pas perdu son essence... » Pour ce chercheur, « tous les textes grecs, latins et arabes attestent la résistance de cet « acteur de l'histoire du Maghreb » aux différentes vagues de pénétration. Le paradoxe, selon lui, c'est que ce sont justement les auteurs du Moyen-Age musulman qui affirment l'identité berbère des peuples maghrébins. Ainsi, par exemple dans sa géographie du monde, Ibn-Hawkal consacre tout un développement relatif aux habitants de ce pays : Les Barbars. De même quatre siècles plus tard, Ibn-Khaldoun, dans ses Ibars, qui traitent de l'histoire des grands ensembles humains musulmans consacre aux Barbars deux volumes, détaillant leurs ramifications et, surtout, les pouvoirs qu'ils ont fondés des Rustumides aux Hafsides, consacrant leur prééminence tant démographique que socio-économique et politique ». En fait les vrais habitants de cette partie de l'Afrique se désignent eux-mêmes du nom d'Amazigh (Tamazight au féminin, Imazighen au pluriel) qui signifie « hommes libres ». Selon Julien, cette désignation signifie aussi les « nobles » et s'appliqua à plusieurs tribus bien avant l'occupation romaine. Quant au terme berbère, les habitants de l'Afrique du Nord le reçurent, selon Julien, des romains qui les jugeaient étrangers à leur civilisation et les qualifiaient de barbares (Barbari). Les Arabes en firent par la suite le mot Brâber, Berâber (au singulier, Berber, Berbéri). Il semble donc bien établi que l'apport arabe en terme de population n'a pas été important au point de modifier de manière radicale la trame raciale des habitants de l'Afrique du Nord. Et l'apport essentiel des Arabes, apport qui explique leur persistance en Afrique du Nord, c'est d'abord leur venue tardive par rapport aux civilisations qui les ont précédé, ensuite, et c'est là le plus important : l'islamisation des populations. C'est donc surtout par la religion que les Arabes se sont le plus durablement implantés en Afrique du Nord, par la religion et ensuite par la langue arabe, langue du message coranique qui explique la propagation de l'utilisation de cette langue dans la région. Enfin par la durée de leur présence, chose qui a beaucoup contribuée à l'assimilation de la culture arabo-musulmane par les populations berbères. En effet, les Arabes sont restés en Afrique du Nord du VIIe siècle jusqu'au XVIe siècle. Ensuite ils furent relayés par les Turcs, qui n'ont fait que perpétuer en fait les traditions arabo-musulmanes dont ils étaient en quelque sorte les dépositaires et ce jusqu'à l'avènement de la conquête française en 1830. Rappelons cependant qu'il y a eu deux grandes invasions arabes : une première, au VIIe siècle, oeuvre militaire de conquête qui s'est surtout bornée à « installer en Afrique des garnisons et des administrations », et une seconde au XIè siècle, « véritable migration de tribus avec armes et bagages, femmes et enfants, bêtes et tentes ». Pour Agéron (1964, p.3) « l'invasion arabe hilalienne du XIè siècle a amené dans une Berbérie faiblement peuplée des masses nomades de race arabes, qui vont bouleverser durablement la structure des pays maghrébins... ». On avance qu'ils furent près d'un million à venir ainsi coloniser l'Afrique du Nord. Cependant, selon Berthier, ce chiffre avancé paraît fort exagéré. D'après cet auteur, on ne peut croire que ces bédoins venus de la haute Egypte aient pu, au nombre d'un million, traverser le Sahara. Le chiffre de 200 000, retenu par Gautier est plus vraisemblable selon lui. 200 000 qui arrivent dans un pays peuplé d'une dizaine de million de berbères. Si bien que d'après cet auteur, l'importance de l'apport de sang arabe serait donc dans la proportion de 200 000 à 10 000 000, soit deux centièmes » (Berthier, op.cit., p.26). Nous ajouterons juste pour l'histoire que malgré la longue présence Arabe en Afrique du Nord, leur apport civilisationnel, mis à part la religion, reste pour ainsi dire insignifiant comparativement à ce que nous pouvons observer au sud de l'Espagne, c'est à dire l'ex Andalousie ou au moyen Orient (Bagdad notamment). De ce point de vue, l'Algérie a pour ainsi dire totalement méconnue certains aspects de la grande civilisation arabo-musulmane comme l'architecture, la philosophie, l'astronomie ou la médecine. Selon Berthier (op.cit., pp.27-29), « Cette civilisation a eu deux centres de floraison ; Bagdad à l'est, l'Espagne à l'ouest (...). L'Afrique du Nord ne fut en fait qu'une voie de passage. Quelques villes servirent de relais ; Alexandrie, Kairouan, Tunis, Tlemcen, Fez, Marrakech qui groupèrent autour de leurs mosquées de nombreuses et puissantes merderas. Mais c'est l'Espagne, qui accueillit avec le plus d'avidité ce riche apport de culture (...) La Berbérie n'a pour ainsi dire pas contribuer à ce mouvement. Si l'on peut citer les écoles d'astronomie de Tanger et de Fez, on ne trouve alors en Afrique du Nord ni un grand poète, ni un grand philosophe, ni un grand mathématicien, ni un grand médecin. L'historien Ibn-Khaldoun est une exception... » L'histoire nous enseigne donc que, de toutes les conquêtes qu'a subi l'Afrique du Nord, la conquête arabe n'a représenté qu'une conquête parmi d'autres, et si la culture arabe s'est en définitive solidement installée dans cette contrée, ce n'est pas du fait de la colonisation humaine, car l'apport arabe proprement humain reste tout à fait insignifiant pour pouvoir modifier de quelque manière que ce soit les caractéristiques propres de la population originelle. C'est en fait par le biais de la religion que la culture arabe et la langue arabe ont pu s'implanter durablement en Afrique du nord. En effet, c'est la religion musulmane mise au niveau affectif des masses par des sociétés mystiques et par une aristocratie de personnages religieux marabouts et Chorfâ (descendants du prophète) qui a peu a peu arabisé le pays à tel point qu'Agéron (1969) a considéré l'action de ces sociétés mystiques et de ces familles comme une action décisive ayant permis de forger chez le Maghrébin une « personnalité incontestablement orientale ». Cependant, malgré cet apport arabe, il reste que parler en Algérie d'Arabes d'un côté et de Berbères de l'autre est historiquement parlant injustifié. Cela, aurait été possible si l'invasion arabe avait déferlé dans un pays vide d'hommes, mais c'est tout à fait le contraire, le pays était même bien peuplé si on se réfère à Berthier (op.cit.). Aussi, ne convient-il pas mieux, comme le font certains historiens, plutôt que de parler d'Arabes et de Berbères, d'admettre l'hypothèse d'une population de Berbères arabisés ? Quant à l'existence encore dans les pays du Maghreb de régions où le parler et les traditions berbères sont restées vivaces cela n'est-il pas dû au fait que ces régions ont pu, de par leur relief accidenté, opposer une plus grande résistance à la pénétration arabe comme elles l'ont d'ailleurs fait par le passé face aux autres invasions ? Si le peuple algérien a pleinement intériorisé et assumé l'Islam. S'il a fait sienne cette grande religion, il reste que son arabité n'est pas du tout un fait avéré. Et si nous devons malgré tout parler d'arabité du peuple algérien, celle ci relève plutôt d'une identification fondée plus sur la religion que sur un quelconque facteur ethnique, car l'origine réelle du peuple algérien est plutôt berbère qu'arabe et comme l'écrivait Abbes en réaction à une déclaration faite par Ben-Bella à Tunis le 14 avril 1962 dans laquelle il a répété par trois fois nous sommes des Arabes: « Cette profession de foi n'est qu'à moitié vraie. Historiquement, nous sommes des Berbères chez qui le sang berbère prédomine. D'ailleurs c'est notre foi qui importe et non la race à laquelle nous appartenons » (in Ouerdane, 1993, p.112). Conclusion Si la religion en tant que facteur constitutif de l'identité nationale algérienne est indéniable, et si l'Algérien a fait sienne cette grande religion, il reste que son Arabité est historiquement une hypothèse hautement improbable. En fait, cette Arabité doit être considérée, comme le fait Guillaume, plus comme une « représentation » que comme un « ethnonyme », fondée plus sur des considérations d'ordre linguistiques que sur des considérations raciales. Quant à la Berbérité du peuple algérien, nous pouvons dire avec Ouerdane notamment qu'elle a toujours été combattue, refoulée et parfois même manipulée comme ça a été le cas à l'époque du colonialisme français et sa politique du « diviser pour régner ». Les Français qui, en se basant sur un facteur linguistique, ont tout fait pour créer un « mythe berbère » opposant les Arabes réfractaires à la civilisation occidentale aux kabyles plus ouverts et plus réceptifs à la modernité (sic). Le « mythe berbère » a surtout servi à entretenir volontairement cette dualité opposant l'image globalement négative de l'Arabe à celle plus positif et plus rassurante du kabyle. Si à l'époque coloniale les Français se sont servis du mythe berbère dans le but de diviser pour mieux asseoir leur domination, chez les nationalistes algériens, cette dimension berbère a tout le temps été passée sous silence par peur justement des divisions que le colonisateur français a su habilement introduire au sein de la population algérienne entre Arabes et Kabyles. Cette peur du particularisme kabyle, susceptible de porter atteinte à l'unité nationale, n'a en fait jamais été abandonnée même après l'indépendance. Et ce n'est que trente ans plus tard que les tabous ont finalement été levés, mais à quel prix? Si nous considérons que l'accès à son histoire, à une histoire démystifier, démythifiée et désacralisée est une condition sine qua non pour l'exercice d'une identité libre et assumée. Il se trouve concernant l'histoire de l'Algérie que des pans entiers de cette histoire sont occultés et remplacés par des constructions historiques mythiques. Nous pouvons lire à ce propos chez Z. Y., déjà cité, qu'« il y a une véritable occultation du patrimoine identitaire historique, patrimoine que l'on retrouve affirmé par ailleurs, selon cet auteur, dans toutes les sources et notamment le patrimoine matériel plusieurs fois millénaire incrusté sur le sol algérien, patrimoine de tout un peuple qui n'a jamais laissé son pays « bien vacant », ayant bien au contraire intégré les greffons humains et culturels divers. Z. Y. attribue cette occultation du patrimoine identitaire historique de l'Algérie à deux causes historiques. La première cause responsable de cette « amnésie » remonte à la période turque et le pouvoir daylical, quant à la seconde elle est reliée au comportement idéologique de la colonisation. Pour ce qui concerne la période turque, du XVIe siècle à 1830, l'Algérie aurait vécu, selon ce chercheur, une véritable catastrophe intellectuelle. En effet selon lui, aucun centre de rayonnement universitaire et culturel centralisateur et cristallisateur ne peut être relié à cette période. De même aucune production littéraire ou historique digne de ce nom ne peut être citée si bien que pour Z. Y. une des causes profondes de la défaite en 1830 se ramène à cette « catastrophe ». Quant à la période coloniale française, la colonisation a développé, selon ce chercheur, une sorte de jacobinisme latino-chrétien « dominateur et agressif, niant l'existence de l'Algérie en tant qu'entité historique. Ce « Jacobinisme » réducteur généra à son tout un « contre-jacobinisme » simplificateur fondé sur le fait arabe et le fait islamique (...). C'est ainsi qu'à la latinité-chrétieneté on opposa l'arabite-islamité. Cependant, selon Z. Y., si ce « contre-jacobinisme » était justifié durant la lutte de libération, il se trouve qu'il n'a malheureusement pas été révisé sur des bases objectives et scientifiques après 1962. Pour Z. Y., l'école algérienne s'est peu souciée de donner une culture historique de base réellement nationale à l'élève ; elle a même négligé la mise au point d'une conception objective et scientifique de l'histoire nationale : l'élève n'appréhende pas, à travers les programmes, les processus de fondation, de formation, d'évolution de l'Algérie, son pays, sa nation. Bref il ne voit pas, il ne « sent » pas l'Algérie dans ce qui lui est dispensé comme enseignement. De plus, l'élève et le citoyen en général, sont soumis à travers la télévision et certains colloques et séminaires, à un matraquage pseudo-historique, présenté par de dangereux apprentis-historiens dont l'ignorance le dispute à la suffisance et au crétinisme ». Ainsi, la démarche qui consiste à occulter des pans entiers de l'histoire d'une nation pour des motivations purement idéologiques ne peut être qu'aliénante et « mystifiante ». Pour qu'une identité soit pleinement assumée, il faut comme l'écrit Camilléri (1990), « que l'individu devienne l'auteur de l'histoire de sa société. Pour ce faire, il doit cesser d'accepter l'identité que lui assigne son système ». Et pour qu'il puisse cesser d'en être seulement le spectateur, pour qu'il puisse éprouver ce sentiment de liberté et d'assomption personnelle, seules conditions à une construction identitaire active, il est impératif que cette histoire soit démythifiée et démystifiée. Sinon, l'assignation d'une identité quelle que soit la noblesse des objectifs visés, ne peut donner lieu qu'a une identité de « façade », une identité superficielle. Ceci dit et pour clore notre propos, je dirais, du moins pour ce qui me concerne, que peu importe mon origine lointaine ou récente. En fait, je ne saurais jamais si je suis phénicien, romain, vandale, byzantin, turc, arabe, berbère ou même arabo-berbère tant le brassage des populations a été important en Afrique du Nord. Par ailleurs, peu importe l'outil linguistique dont je me sers, pourvu que cet outil me permette d'évoluer et d'accéder au savoir, car il ne restera qu'un outil, sans plus. Je peux donc parler arabe, berbère, français, chinois ou même martien cela n'ôtera rien a la seule certitude que j'ai, au seul sentiment qui ne souffre d'aucune équivoque : mon identité d'algérien, mon algérienneté riche de tous les apports qui ont contribué à sa construction. Je suis donc un algérien ni plus ni moins et je continuerai à le revendiquer avec fierté dans toutes les langues de la terre. *Université Mentouri-Constantine Références: ABBES, F. (1980), Autopsie d'une guerre, l'aurore. AGERON, CH. R. (1964), Histoire de l'Algérie contemporaine, Paris, P.U.F. AGERON, CH. R (1969), Histoire de l'Algérie contemporaine, 1830-1969, Paris, P.U.F AMROUCHE, M. (1956), Terre et Hommes d'Algérie, Alger, société algérienne de publication. BENNOUNE, M. & EL-KENZ, A. (1990), Le hasard de l'histoire, entretien avec Belaïd Abdesselem, Tome1, ENAG/Edition, Alger BERNARD, A. (1929), L'Algérie, Paris, Larousse. BERTHIER, A. (1951), L'Algérie et son passé, Ed. A. et J. Picard. BERQUES, J. (1976), Les Arabes d'hier à demain, 3ème édition revue et augmentée, Paris, PUF. BOISSIER, G. (1885), L'Afrique romaine, Paris. CAIRE, G. (1992), En guise de commentaires, propos d'un huron, in Algérie, de l'indépendance à l'état d'urgence, sous la direction de M. 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