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« La
crise est le moment où l'ancien ordre du monde s'estompe et où le nouveau doit
s'imposer en dépit de toutes les résistances et de toutes les contradictions.
Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce
clair-obscur, surgissent les monstres » Antonio Gramsci
L'actualité de ces derniers temps nous met en présence d'un climat délétère. Il semble que nous vivons un remake de la fin des années trente du siècle dernier avec la fin d'un cycle et l'apparition de l'ordre nouveau qui était en gestation dès le XIXe siècle avec les idéologues chantres des races supérieures tels que Renan, Chamberlain Ferry. Conforté à la fin du siècle par différentes affaires dont celle du capitaine Dreyfus. La crise pour un nouvel ordre n'eut pas de répit, Hitler et son fameux Mein Kampf, et Mussolini mirent en pratique plusieurs paramètres sous couvert d'espace vital, ils mirent en pratique le mythe des races supérieures. Mutatis mutandis, nous vivons la même période caractérisée par de nouveaux boucs émissaires, non plus au nom de la race uniquement mais aussi au nom de la religion. Les musulmans sont à n'en point douter: «les Juifs du XXe siècle». De ce fait, des nuits de cristal se préparent dans l'indifférence totale. Même le rapport du 14 avril 2016 publié par le département d'Etat reproche à la France son côté donneur de leçons et sa politique concernant un nombre croissant d'incidents islamophobes et antisémites. Nous allons illustrer cela par trois «affaires» qui nous paraissent constituer les prémices. L'affaire Benzema Il y a trois ans, le meilleur joueur de l'équipe de France de football était stoppé net dans son ascension, suite à une accusation -non encore prouvée- dans une affaire de sextape. Tout le monde s'y est mis pour l'écarter de l'équipe de France, le président de la FFF, avec un langage doucereux, le sélectionneur, l'opinion publique et le Premier ministre de l'époque pour qui il ne présente pas les qualités morales pour prétendre représenter la France. Naturellement, pas un mot sur une autre affaire concernant deux volleyeurs qui, bien que condamnés par la justice, n'ont pas été écartés de l'équipe nationale. Fers de lance de leurs sélections respectives, les volleyeur Earvin Ngapeth et handballeur Nikola Karabatic ont continué leurs aventures en sélection, malgré leurs condamnations. Pour Guy Roux, l'ancien entraîneur de l'AJ Auxerre, pour qui ce carton rouge de l'exclusion est indéniablement lié aux origines du buteur des Bleus. «Si Benzema a été privé de l'Euro, c'est en raison de ses origines ! Il faut avoir le courage de le dire. S'il s'appelait Jean-Claude et était né à Brest, on ne parlerait pas autant de cette affaire. Il faudra un siècle avant que ce genre de préjugés disparaisse». A l'évidence, Benzema a été victime d'une justice d'exception. Même Jean-Michel Larqué, ancien de l'AS Saint-Etienne et journalsite, est revenu sur les propos tenus par Patrick Kanner, ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports. Ce dernier recommandait d'écarter Karim Benzema en attendant que le jugement sur l'affaire soit rendu. Je ne comprends pas qu'un ministre de la République ne suive pas le déroulement normal des institutions. Tant que Karim Benzema n'est pas condamné, il peut, de la même manière que les frères Karabatic, porter le maillot de l'équipe de France. Pour l'avocat, maître Dupond?Moretti, de Benzema: cette affaire est en instruction. Karim Benzema est présumé innocent. Il y a une espèce d'immixtion de l'exécutif dans la justice d'une certaine façon. Que je sache, le Premier ministre n'a pas connaissance de l'instruction en cours ou alors c'est à désespérer de tout. Et de surcroît, dans cette instruction, il est mis en examen et cela ne signifie pas qu'il est coupable. Il est pour le moment présumé innocent, comme n'importe quel justiciable dans ce pays. La réponse de Benzema à Manuel Valls mérite d'être rapportée: 12 saisons que je suis professionnel, 541 matchs joués, 0 carton rouge, 11 cartons jaune !!! Et certains parlent de mon exemplarité ??? En réalité, écrit Aïssa Hirèche, le joueur d'origine algérienne a fait les frais d'un racisme incroyable. D'une vague raciste inouïe et sans pareille en France. Benzema n'est pas un joueur hors pair, mais il demeure un joueur d'un excellent niveau quand même. (?) Dans un premier sondage effectué en «décembre 2015 par l'institut Elabe pour RMC-BFMTV, 82% des Français se disaient opposés à un retour en équipe de France de Benzema».(1) L'Affaire Ramadan Le prédicateur bien connu, au verbe éloquent que l'on apprécie ou pas, est victime de son éloquence. C'est une affaire à la Dreyfus sans Zola pour dire le droit ! Voilà quelqu'un accusé on ne sait pourquoi de viol sans faire la différence entre le citoyen et le musulman. La vindicte est tellement importante que des âmes charitables font des appels à dénonciation du prédicateur sur internet et Facebook, où ces ci-devant justiciers font leur marché. Il s'est même trouvé une journaliste controversée à faire le réquisitoire au lieu et place de la justice. Coup de théâtre: une dépêche de l'AFP alimente l'hypothèse d'une collusion évidente des deux plaignantes et d'une subornation de témoins. Les investigations ont donc révélé «des connexions entre les plaignantes et des détracteurs reconnus de Tariq Ramadan. Ce tapage a été catalysé par tous les journalistes qui ont un problème avec l'islam. Comment, en effet, peut-on comprendre la «question» d'El Kabbach à un responsable religieux musulman: «Que prévoit votre religion pour le viol ?». Ces patriotes justiciers vont jusqu'à dicter à la justice que qu'elle doit dire ou faire. Ainsi, on ne peut exclure que devant cette kabbale, la justice (tout de même, deux juges) décide de maintenir Tariq Ramadan, qui serait malade, en prison sans qu'il ne soit jugé. Pas même la possibilité de payer une caution. Alors que dans le même temps, plusieurs affaires du même type sont traitées avec plus de droit. C'est le cas des hommes politiques qui ont comparu et condamnés libres. Pour d'autres, c'est carrément le «circulez, il n'y a rien à voir !». Les affaires concernant les deux ministres du gouvernement ont été classées sans suite. Que doivent penser les victimes supposées de ces affaires qui laissent un goût de cendre et la démonstration de l'injustice de la justice. Naturellement, ce fut un tollé, il y a les pour et les contre. Les revanchards et très peu de personnes pour dire le droit, à savoir que Tariq Ramadan est présumé innocent jusqu'à preuve de sa culpabilité. Nous avons vu même Abdennour Bidar enfoncé sous prétexte de moral pour des motifs douteux. A le lire, il demande aux «decideurs» d'écouter d'autres voix, celles de ceux qu'il met en avant en embarquant dans la même galère Mohamed Arkoun qui vole à une autre altitude en proposant d'écouter ceux qui prônent de mon point de vue un islam soft, sans épaisseur mondain laïco-compatible à son entendement, Bref, un islam à la sauce laïque. Par honnêteté, nous rapportons ses arguments dans la contribution suivante. (2) Tariq Ramadan, lettre ouverte Une voix dans le désert, celle d'une chercheuse Fanny Bauer?Motti, qui témoigne à décharge: «Traité comme un coupable, déferlement de haine et spéculation en tout genre. Pourtant, il y a quelque chose de fondamental et important qui unit les hommes et structure nos identités respectives: il s'agit de la loi. (?) Le mensonge est parfois une construction auquel on croit. (?) Je connais le professeur Tariq Ramadan. J'effectue une recherche à Oxford qu'il accompagne et il fait partie de ces amitiés que l'on sait éternelles. J'ai passé du temps avec lui, passé du temps avec d'autres chercheurs et étudiants(es) d'Oxford, j'ai échangé avec d'autres comme moi, qui travaillent et font de la recherche auprès de lui. Des hommes et des femmes de toutes les origines, de tous les genres et de multiples identités. Empiriquement donc, je n'ai jamais vu Tariq Ramadan avoir des gestes ou mots déplacés ni avec moi ni avec d'autres étudiantes. Au contraire, contrairement à d'autres hommes et à mon expérience de femme sur le terrain, il fait partie de ces rencontres masculines paternelles, fraternelles qui respectent chaque être humain, femme ou homme sans abus de pouvoir, sans névrose, dans une simplicité aussi bien professorale qu'humaine. (?) ». (3) Tariq Ramadan ou le présumé coupable «La présomption d'innocence, lit-on sur la contribution suivante , n'a pas le même effet lorsque l'on parle d'un ministre encore membre du gouvernement -et qui a toute la confiance du Premier ministre- ou d'un universitaire réduit au titre de prédicateur sulfureux. Est-ce le musulman ou le citoyen que l'on juge ? «Qu'est-ce que prévoient vos textes sacrés sur celui qui viole ?». C'est dans ces termes que Jean-Pierre El Kabbach interpelle Amar Lasfar (?). Qui peut imaginer qu'une telle question ait été posée à Dominique Strauss-Khan lors de l'affaire du Sofitel «Qu'est-ce que prévoit le Talmud sur celui qui viole ?». Question impensable, car DSK est jugé en tant que citoyen, Tariq Ramadan en tant que musulman-citoyen (?). Le 30 octobre 2017, Caroline Fourest, journaliste et éditorialiste, est l'invité d'Yves Calvi sur la radio RTL matin. Reconnue comme sa principale détractrice en France, notamment pour ses confrontations lors de plusieurs débats télévisés, mais aussi pour lui avoir consacré un livre «Frère Tariq» où il est question de démontrer son imposture intellectuelle et son double discours. Elle n'hésite pas à se faire le porte-voix des victimes présumées en parcourant les plateaux télévisés pour marteler à qui veut l'entendre «qu'elle avait raison»: Comment justifier le glissement de la duplicité supposée des idées vers la duplicité de la personnalité ? (.. ) La journaliste est donc coutumière des allégations approximatives et mensongères. (4)«Le tribunal médiatique est ouvert: les journalistes occupent la place des magistrats, les questions sont inquisitrices; les plateaux télévisés se transforment en cours d'assises, les débats se métamorphosent en plaidoyers pour la condamnation de l'accusé. (?) Les témoins sont appelés à la barre. Manuel Valls, Caroline Fourest, Ian Hamel, Jean-Pierre El Kabbach, et bien d'autres donnent le ton des débats ou faudrait-il dire des sentences. Hier des adversaires politiques et idéologiques, aujourd'hui des accusateurs acharnés qui saturent l'espace médiatique. Les complices sont convoqués à la barre. Edwy Plenel, Edgar Morin, Pascal Boniface, Alain Gresh sont sommés de s'expliquer. Vous saviez ? Pourquoi n'avez-vous rien dit? Etes-vous mal à l'aise ? Répondez ! Les intéressés se débattent comme si l'on maintenait leur tête sous l'eau. A ce moment précis, la moindre erreur de vocabulaire peut briser une carrière, anéantir une réputation (?)» (4) «Ces mêmes médias qui offrent un silence assourdissant sur l'affaire Darmanin et sur la scène invraisemblable d'un ministre qui est ovationné par une assemblée qui le soutient contre la plainte d'une femme qui l'accuse de viol. En filigrane de cette affaire, on s'aperçoit combien le statut du prévenu et l'opinion publique lui sont défavorables tant on en arrive à se demander si c'est le citoyen ou le «prédicateur sulfureux» que l'on juge. (?) Au vu des éléments que nous avons parcourus à travers ce texte, nous pensons que le traitement qui lui est réservé ne vise pas à rendre la justice, mais à briser le symbole, étouffer le discours, démolir l'homme, neutraliser les idées, anéantir toute forme de retour dans le débat public. L'affaire Ramadan ne concerne pas plus l'homme que ses idées. Est-ce le musulman ou le citoyen que l'on juge ? A vous de juger ? » (4) En fait, nous pourrions ajouter, c'est une religion ostracisée de plus en plus pour la faire détester même par les plus tolérants et il est évident que les juges -à moins d'un miracle- suivront le tribunal médiatique et condamneront l'homme, qui sera socialement inaudible en France. L'affaire Ibtissem Une autre victime de la curée anti-islam, anti-arabe antipalestinienne, en l'occurrence Mennel Ibtissem, a été obligée de déclarer forfait au concours The Voice D'anciens tweets et messages Facebook ont été déterrés et utilisés contre elle par des personnes qui ne voulaient pas qu'elle gagne le concours. «Elle ne risque pas d'oublier sa prestation. Mennel Ibtissem est pourtant arrivée le cœur en fête ce 3 février sur le plateau de TF1. Passionnée de musique, la belle aux racines turco-syriennes du côté paternel et algéro-marocaines du côté maternel avait ébloui les membres du jury par sa majestueuse prestation lyrique. Mais depuis, la jeune fille est la proie d'accusations aussi insensées qu'infondées. Elle fait face aujourd'hui aux commentaires les plus odieux, Chacun rivalisant dans les accusations les plus ridicules aux plus saugrenues, rien ne lui est épargné. Même la chanson interprétée avec tant de talent en arabe et en français, Hallelujah de Leonard Cohen n'aura pas pesé en sa faveur. Depuis sa prestation, la polémique enfle et se nourrit des rumeurs les plus folles. Les cheveux couverts d'un turban, ce qui lui vaut probablement cette chasse aux sorcières rondement menée par la meute médiatique, la jeune étudiante en master d'anglais est sortie de son silence pour faire face à ses détracteurs. Bref, des accusations en cascade dont la jeune fille se défend sur Twitter: « Depuis hier, je lis beaucoup de choses qui sont sorties de leur contexte. On me prête des intentions qui ne sont pas les miennes et qui ne reflètent aucunement ma pensée». «Je suis née à Besançon, j'aime la France, j'aime mon pays. Je condamne bien évidemment avec la plus grande fermeté le terrorisme. Je prône un message d'amour, de paix et de tolérance, la preuve en est mon choix de chanter Hallelujah de Léonard Cohen». (5) Mennel Ibtissem avait fini par annoncer le 9 février qu'elle quittait le télé-crochet de TF1. «J'ai un message à vous faire passer, avait-elle expliqué sur Facebook. En tant qu'artiste, chanteuse, j'ai participé à The Voice avec l'intention de rassembler, pas de diviser, d'ouvrir les esprits, pas de les assombrir. J'ai foi en l'humanité et en la bienveillance des gens. J'ai foi en un futur rempli d'amour, de paix et de tolérance. J'ai foi en mon pays, la France, avait insisté la jeune femme. Je vis très difficilement les tensions survenues ces derniers jours [...] J'ai donc pris la décision aujourd'hui de quitter cette aventure». TF1 avait salué ce départ «responsable». Dans la foulée, sur YouTube, la jeune femme avait posté une interprétation d'Imagine, de John Lennon. «Un titre prônant la tolérance et la paix» Exit Mennel !! Mennel Ibtissem, la voix musulmane qui déchire la France L'affaire Mennel Ibtissem, après l'affaire Tariq Ramadan ? Alors que la communauté musulmane française se remet difficilement des déboires judiciaires du prédicateur suisse, toujours maintenu en détention à Fleury-Mérogis, une secousse médiatique d'un tout autre genre secoue l'Hexagone. En cause ? Le déferlement de messages et de prises de parole -les uns pour la soutenir, les autres pour la vilipender- après la décision de Mennel, une jeune apprentie chanteuse originaire de Besançon, de quitter le plateau de l'émission The Voice qu'elle avait dominée, le 2 février, par son interprétation de «Hallelujah», l'une des chansons-cultes du barde Leonard Cohen, décédé en novembre 2016. (6) «L'histoire est tristement, tragiquement simple. Au lendemain de l'attentat de Nice, le 14 juillet 2016, Mennel Ibtissem, alors âgée de 22 ans -amatrice de prêches de Tariq Ramadan- se fend de «posts» stupides et complotistes sur Facebook, laissant entendre que la version officielle du gouvernement français sur le terroriste tué sur la Promenade des Anglais, Mohamed Lahouaiej Bouhlel, n'est peut-être pas la bonne. «C'est devenu une routine. Un attentat par semaine. Et toujours pour rester fidèle, le terroriste prend avec lui ses papiers d'identité. C'est vrai que quand on prépare un sale coup, on n'oublie surtout pas de prendre ses papiers», rugit la jeune femme. Une attitude à des années-lumière du visage d'ange qu'elle présente, le 2 février, les cheveux cachés par un turban coquet, lorsqu'elle entonne les paroles de paix et d'amour de Leonard Cohen devant les juges de The Voice: les artistes Zazie, Florent Pagny et Mika (?)6 Une France assommée de se découvrir ainsi divisée, polarisée, toujours exposée au risque de tomber dans les fractures communautaires attisées par les médias. «Mennel n'est plus une gamine française interprétant en arabe la chanson d'un chanteur juif, superbe symbole, s'insurge dans Libération un professeur de lycée, Saïd Benmoufflok. Non, elle est désormais un agent de l'ennemi. Elle est le mal au visage d'ange. Elle est le paravent de l'islamisme, ce mot fourre-tout qui autorise la confusion entre un tweet imbécile et une complicité criminelle. Voilà comment certains pourfendeurs du complotisme sont eux-mêmes devenus des complotistes». «Le retour aux sources -soit à l'après-attentat contre Charlie Hebdo et à l'après-13 novembre 2015- fait d'autant plus mal que le premier procès apprend donc qu'elle a twitté des idées stupides à tendance complotiste, poursuit le professeur. Très exactement ce que la plupart des enseignants de France ont entendu dans leurs classes après les attentats, en 2015 et 2016». (6) Pas facile d'être musulman en ce moment en France et en Europe Pourtant une voix s'est élevée, il me faut saluer, une fois n'est pas coutume, celle du coup de gueule de Tahar Ben Jelloun, écrivain de talent: «Il règne, écrit-il, en ce moment en France un climat détestable. Derrière Mennel Ibtissam et Tarik Ramadan, certains visent l'islam. Cette religion est ainsi confondue avec ceux qui la défendent ou la pratiquent. Il n'est pas bon être musulman aujourd'hui en France et même dans le monde occidental. Le terrorisme au nom de cette religion a fini par détruire et massacrer l'image de l'islam et des musulmans; il a aussi ouvert la porte aux préjugés les plus fous concernant cette religion et ceux qui s'en réclament. Stigmatisés, condamnés d'avance, les musulmans dans leur écrasante majorité souffrent en silence de ce regard torve et puant que pose sur eux le reste du monde. Révolue l'époque où un Louis Massignon, un Jacques Berque, ou un Vincent Monteil donnaient par leurs œuvres une image positive, universelle, du message islamique. Ces orientalistes sont oubliés. Ils ont été remplacés par des journalistes, des experts qui parlent de l'immédiat et n'approfondissent pas leurs analyses, contribuant ainsi et parfois à leur corps défendant, à forger chez le grand public une image de l'islam souvent erronée, ouvrant le chemin à la stigmatisation et même à la haine. On évoque souvent l'islamophobie, or c'est de rejet et de haine qu'il s'agit». (7) «L'affaire de la belle chanteuse de vingt-deux ans Mennel Ibtissam a révélé combien la haine de l'islam est ancrée profondément dans les consciences de très nombreuses personnes. Elle chante en anglais, en français et aussi en arabe, sa langue maternelle. Comme beaucoup de jeunes de sa génération, elle a fait des erreurs, a écrit des choses inadmissibles après l'attentat de Nice. Elle a reconnu avoir mal fait puis s'est excusée. Au lieu de l'admettre et de considérer sa prestation dans «The Voice» d'un point de vue strictement artistique, on l'a traînée dans la boue jusqu'à la dégoûter et la pousser à renoncer à chanter de nouveau dans le cadre de cette émission». (7) «On est condamné, poursuit l'écrivain, avant d'être jugé. On est accablé et insulté. On est lynché avant d'être entendu. Ce nouveau tribunal fait peur à tout le monde, en tout cas, aux personnes publiques, qu'elles appartiennent au monde politique ou artistique. Mais quand, en plus, on est d'origine arabe et musulmane, les dérives médiatiques et réseaux sociaux ressemblent à un bulldozer qui écrase tout sur son passage. Evidemment, Tarik Ramadan n'échappe pas à cet immense soupçon. Cet islamologue est actuellement en prison, accusé de violence et de viol et attend son procès. Sans se prononcer sur la culpabilité ou l'innocence de cette personnalité populaire en milieux arabes, le tribunal médiatique l'a déjà condamné et ce que vont faire les juges en leur âme et conscience devient secondaire Le cas de Mennel Ibtissam n'est pas arrivé jusqu'aux tribunaux de la République. Mais il a suffi du tribunal médiatique pour qu'elle quitte la scène. Il n'est pas bon d'être musulman, migrant ou réfugié en la France d'aujourd'hui et par extension en Europe». (7). La montée des nationalismes et de l'extrême droite A n'en point douter, l'atmosphère de l'Europe en général est celle de l'intolérance envers les faibles. Il n'est que de voir aussi en Italie, dans les anciens pays de l'Est, en Allemagne. Qu'arrivera-t-il si on laisse faire ? Alain Gresh nous met en garde contre les dérives lentes mais inexorables en écrivant «Imaginons, en 1931 en Allemagne, en pleine montée de l'antisémitisme, un hebdomadaire de gauche faisant un numéro spécial sur le judaïsme (la religion) et expliquant à longueur de colonnes, sans aucune connotation antisémite, que le judaïsme était rétrograde, que la Bible était un texte d'apologie de la violence, du génocide, de la lapidation, que les juifs religieux portaient de drôles de tenues, des signes religieux visibles, etc. Evidemment, on n'aurait pas pu dissocier cette publication du contexte politique allemand et de la montée du nazisme, et écarter d'un revers de la main, comme le fait Charb dans Libération du 20 septembre, les conséquences de telles prises de position. Nous vivons en Europe la montée de forces nationalistes, de partis, dont l'axe de bataille n'est plus, comme dans les années 1930, l'antisémitisme, mais bien l'islamophobie. Un climat malsain s'est installé et les idées hostiles à l'immigration, et particulièrement aux musulmans, se répandent dans les formations de droite comme de gauche. En dehors de quelques illuminés (comme Breivik), personne ne réclame un génocide des musulmans. Mais peut-on faire comme si ces forces n'existaient pas ? Peut-on reprendre le discours et les propositions de ces groupes, accepter le terrain sur lequel ils se placent, sans risques sérieux ?» (8) Dans une contribution percutante suite à l'assassinat par Bervik de 77 personnes, Uri Avnery Israélien, militant des droits des Palestiniens et pacifiste convaincu, écrit dans le même ordre d'idée pour décrire le linkage des extrêmes: «Le ministre nazi de la Propagande, Dr Joseph Goebbels, appelle son patron, Adolf Hitler, par enfer-phone. «Mein Führer», s'exclame-t-il tout excité, des nouvelles du monde. Il semble que nous étions finalement sur la bonne voie. L'antisémitisme est en train de conquérir l'Europe !» «Bon!», dit le Fürher, «Ce sera la fin des Juifs !» «Hum? eh bien? pas exactement, mein Fürher. Il semble que nous avions choisi les mauvais Sémites. Nos héritiers, les nouveaux nazis, sont en train d'annihiler les Arabes et tous les autres musulmans en Europe». Puis, avec un petit rire, «Après tout, il y a beaucoup plus de musulmans que de juifs à exterminer». «Mais qu'en est-il des juifs ?», insiste Hitler. «Vous ne le croirez pas: les nouveaux nazis aiment Israël, l'Etat juif, et Israël les aime!» (9) Conclusion Ces trois affaires, qui attendent un Zola pour faire prendre conscience à la France profonde celle des Droits de l'Homme, sont symptomatiques d'un climat malsain et ce n'est pas s'ingérer que de témoigner pourquoi cet acharnement de ceux qui se disent de souche qui, comme les moutons de Panurge, prêtent leur voix aux sirènes de la division. Peut-on expliquer cela par les temps difficiles ou faut-il y ajouter le sionisme qui travaille le corps social français pour étouffer la cause palestinienne. Véronique Anger explique cela par la peur et par le comportement de meute vis-à-vis de celui qui est différent: «Cette expression ?de souche' me fait doucement rigoler, car si les Français qui se prétendent ?de souche' avaient la curiosité -ou l'honnêteté- de rechercher leurs origines ethniques dans un test ADN, ils seraient nombreux à tomber des nues en découvrant qu'ils ont du sang coloré dans les veines... (...) Quand on a peur de manquer, on est moins disposé au partage et on favorise donc son groupe d'appartenance, sa meute» (ses enfants et le cercle familial élargi puis le groupe social, ethnique, religieux,... auquel nous appartenons (10). Plus largement, il s'agit de la place de ces Français musulmans qui sont là depuis plus longtemps que ceux qui dictent la norme à la France, les Zemmour El Kabbach, Finkielkraut qui font l'actualité. Dans une belle lettre, le Prix Nobel de littérature Jean-Marie Le Clezio à sa fille, explique, en creux les racines de la mal-vie des Français musulmans: «J'entends dire qu'il s'agit d'une guerre. Sans doute, l'esprit du mal est présent partout, et il suffit d'un peu de vent pour qu'il se propage et consume tout autour de lui. Mais c'est une autre guerre dont il sera question, tu le comprends: une guerre contre l'injustice, contre l'abandon de certains jeunes, contre l'oubli tactique dans lequel on tient une partie de la population en ne partageant pas avec elle les bienfaits de la culture et les chances de la réussite sociale. Le premier souffle de vengeance qui passe les a embrasés, et ils ont pris pour de la religion ce qui n'était que de l'aliénation. (...) Il faut remédier à la misère des esprits pour guérir la maladie qui ronge les bases de notre société démocratique.» (11) Antonio Gramsci avait vu venir la deuxième catastrophe mondiale mutatis mutandis nous risquons d'en connaître une autre. On sait que la majorité des conflits actuels mettent aux prises des musulmans avec un ordre occidental venu lui imposer sa vision du monde par une démocratie aéroportée. Si rien n'est fait pour mettre un terme à ces dérives en Occident, il arrivera aux musulmans ce qui est arrivé aux juifs du XXe siècle, des Nuits de cristal de plus en plus récurrentes. Que l'on ne s'y trompe pas ! Les ennemis des Européens ou des prolétaires occidentaux d'en bas ne sont pas les étrangers, les mélanodermes et les musulmans qui, les premiers, servent de variables d'ajustement en temps de crise, c'est justement la crise générée par un libéralisme sauvage, une mondialisation-laminoir qui ne fait pas de place aux plus faibles, et qui se faisant attise les tensions les rendant sensibles au discours de la haine, de l'étranger qui vient lui imposer la chari'a.. Sans vouloir nous ingérer les affaires franco-françaises, tant que le racisme du fond rocheux persiste, tant que le plafond de verre reste une réalité, il y aura mal-vie. La République laïque devrait de notre point de vue être équidistante des cultes. Les Français nés musulmans, pratiquants ou pas, sont des citoyens comme les autres. Ils ont le droit de vivre leur éventuelle espérance sans faire dans l'ostentation à l'ombre des lois de la République qui devrait manifester une forte volonté d'intégration pour un vivre ensemble qui devrait être un plébiscite de tous les jours.» (12) Note 1.http://www.lexpressiondz.com/sports/239735-l-origine-la-barbe-les-attentats-et-dieu-sait-quoi-encore.html 2.http://elnetwork.fr/affaire-ramadan-nous-restons-tragiquement-aveugles-aux-racines-du-mal-de-l-islamisme 3.Fanny Bauer-Motti http://www.huffpostmaghreb.com/fanny-bauermotti/tariq-ramadan-lettre-ouve_b_18366146.html?ncid=engmodushpmg00000004 4.Https://blogs.mediapart.fr/jeunnessecitoyennegmailcom/blog/180218/tariq-ramadan-ou-le-presume-coupable 5.http://www.alnas.fr/actualite/communaute/face-aux-accusations-mennel-ibtissam-sort-de-son 6.https://www.letemps.ch/monde/mennel-ibtissem-voix-musulmane-dechire-france 7. Tahar Ben Jelloun 19/02/2018 http://fr.le360.ma/blog/le-coup-de-gueule/pas-facile-detre-musulman-en-ce-moment-en-france-et-en-europe-156637 8A Gresh http://blog.mondediplo.net/2012-09-20-Charlie-Hebdo-la-liberte-d-expression-et-l 9.Uri Avnery: Le nouvel antisémitisme 30 juillet 2011, «The New Anti-Semitism» pour l'AFPS Gush Shalom?-http://www.france-palestine.org/Le-nouvel-antisemitisme 10.http://veroniqueanger.blogspot.com/2009/07/racisme-ordinaire.html 11. http://www.lemonde.fr/livres/article/2015/01/14/lettre-a-ma-fille-au-lendemain-du-11-janvier-2015-par-jmg-le-clezio_4556225_3260.html#oU8l6XPCJ2r52FRV.99 12.Chems Eddine Chitour https://www.mondialisation.ca/le-sort-des-musulmans-au-xixe-siecle-la-troublante-analogie-avec-les-juifs-du-xxe-siecle/5307093 *Professeur Ecole Polytechnique Alger |
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