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quelque aspect qu'on considère ces Jeux, on est contraint de les rapporter à
une scène infiniment plus vaste et plus dramatique, dont ils ne sont qu'un
théâtre mineur quelques fois dérisoire, mais qui en certaines circonstances
occupe une place de choix pour les Etats, pour les nations, pour les
entreprises qui tiennent le sport pour une marchandise, un spectacle
mondialisé, vecteur de notoriété et source de profits de moins en moins
négligeables.
Dans les stades où s'affrontent les nations, on découvre alors, par-delà les parades, les cérémonies convenues, les discours affables, qu'il n'y a que peu de place pour la loyauté, le fair-play, le respect mutuel ou la fraternité universelle. Tous les coups sont permis, toute l'énergie est mobilisée, tous les moyens sont réunis pour décrocher les médailles que des soldats déguisés en sportifs arborent fièrement sur la plus haute marche des podiums. Tout le reste est littérature pour nigauds. C'est en ce sens, qu'il convient d'accorder à ce phénomène la plus grande attention comme nous y invitent les acteurs et les machineries qui les animent et les motivent ainsi que l'abondante littérature qui lui est consacrée. 1.- L'Amérique de MacArthur en Asie, armée jusqu'aux dents Ces XXIIIèmes J. O. ne se déroulent pas n'importe où. La réunification symbolique des deux Corée séparées depuis la guerre qui a opposée les deux Blocs entre 1950 et 1953. Les médias occidentaux ne consentent pas à restituer auprès leurs opinion publiques ce qu'il en est réellement de la situation politique en Asie * La réunion sportive des deux Corée impose une sorte de trêve qui n'a pas été du goût des Américains. Elle interrompe une campagne belliciste incessante destinée à faire passer la Corée du Nord pour une menace régionale mortelle pour ses voisins. Les Etats-Unis se présentent comme les défenseurs de leurs alliés en Asie. Toutefois, contrairement à ce qui est asséné régulièrement sur les canaux mondiaux de l'information, les Etats-Unis sont rejetés par la plupart des pays du continent. C'est le cas de la Chine. Mais c'est aussi le cas du Japon et de la Corée du sud. Le but affiché de Washington est de parvenir à un isolement diplomatique et économique du régime de Pyongyang pour le conduire à des concessions sur ses programmes nucléaire et balistique. Mais les objectifs réels sont de peser sur la Chine, d'empêcher toute alliance régionale que l'Amérique ne contrôle pas (par exemple les projets eurasiatiques de V. Poutine), de maintenir sa présence et s'assurer de ses intérêts. Le discours résolument guerrier du président américain inquiète les sud-Coréens. Et cela entretient un sentiment anti-américain populaire traditionnel. Les Etats-Unis apparaissent plus comme des boutefeux prêts à en découdre avec Pyongyang que des alliés protecteurs. Alors que le président américain promettait « le feu et la colère » à Pyongyang, la Corée du Sud élisait en mai 2017 Moon Jae-In, un président résolument favorable au dialogue avec le voisin du Nord. La politique de Donald Trump est vue à Séoul comme celle de « l'Amérique d'abord » (America First), certainement pas de « la Corée du Sud d'abord ». De tractations intercoréennes, les Américains ne veulent pas entendre parler. Pour l'ambassadrice américaine à l'ONU, Nikki Haley, des négociations entre la Corée du Nord et la Corée du Sud ne seraient qu'un simple « rafistolage ». Elle a averti que les Etats-Unis n'accepteront jamais une Corée du Nord dotée de l'arme nucléaire. Ils ne « prendront aucun entretien au sérieux s'il ne porte pas sur l'interdiction de toutes les armes nucléaires en Corée du Nord ». * La placidité coutumière des Japonais n'arrive pas toujours à dissimuler une profonde détestation de l'Amérique. Hiroshima et Nagasaki n'ont pas été oubliées. A titre d'exemple et pour rester dans le thème des Jeux Olympiques, rappelons que lors des Jeux de Tokyo en 1964, les Japonais (et ce n'était pas fortuit) ont choisi Yoshinori Sakai pour allumer la flamme olympique, un jeune né à Hiroshima le 06 août 1945, jour du bombardement atomique. CQFD ! L'accord de défense signé entre Japonais et Américains en 1951, compte tenu de l'interdiction constitutionnelle (imposée par les Etats-Unis) faite au Japon de disposer d'une armée nationale, la défense du pays est alors assurée par Washington, mais prise ne charge par le Japon. Selon une estimation publiée dans le quotidien japonais Mainichi, en incluant tous les paiements indirects, Tokyo paierait environ 75% de la facture pour la présence américaine dans le pays, un niveau plus élevé que tout autre allié avec un accord de sécurité semblable. Ainsi, la Corée du Sud ne paie que 40% des frais américains, l'Italie 40% et l'Allemagne 30%. « Nous avons un traité avec le Japon qui dicte que si le Japon est attaqué, nous devons utiliser toute la force et la puissance des Etats-Unis, déclarait D. Trump alors candidat républicain à ses partisans à Des Moines, dans l'Iowa. Mais si nous sommes attaqués, les Japonais n'ont rien à faire. Ils peuvent rester chez eux à regarder leurs télévisions Sony. »1 Les mafieux de l'entre-deux guerre ne tenaient pas un autre langage à leurs « protégés ». La suppression de la conscription procède d'une logique au fond guère différente. À Okinawa, qui abrite à lui seul 75% des installations américaines au Japon et plus de 25 000 soldats (essentiellement des marines, la moitié des 47 000 soldats basés sur le territoire japonais), la gronde populaire ne cesse de monter. Le problème est que non seulement les Japonais paient sans sourciller les Américains pour leur défense, alors qu'ils ont largement les moyens de s'en passer, mais que les dizaines de milliers soldats américains deviennent une source de désordres, d'inquiétude et pour tout dire un vrai fléau menaçant la sécurité des populations civiles. A Okinawa, près de 6 000 délits ? y compris des vols, meurtres, et viols ? ont été commis par des personnes engagées dans l'armée américaine et leurs familles entre 1972 et 2014. Toutes les tentatives de Tokyo de revoir leurs accords avec Washington ont trouvé porte close. Les Américains ont là une position de force qui ne peut, sous peine d'en affaiblir l'influence et d'en rogner les intérêts, être remise aisément en cause. Qui ne les comprendraient ? Mais qui accepterait volontiers de continuer à subir un tel « protecteur » sans réagir ? La situation est similaire un peu partout en Asie et dans le monde, là où sont implantées les bases militaires américaines. Les médias couvrent ces événements (quand ils ne les taisent pas) d'une complaisante discrétion. L'Allemagne et le Japon, pays défaits et désormais occupés, ont beaucoup à se faire pardonner. Ceci explique cela. Cependant, cette « industrie » de la culpabilité a de plus en plus de mal à réprimer une inévitable remise en cause de la présence militaire américaine dans le monde et une logique émancipation de pays qui ne peuvent éternellement, sans les nier, faire peser sur leur avenir les conséquences de leur histoire. Cela dit, Américains, Chinois, Coréens, Japonais... savent qu'en dehors d'un jeu d'échec subtil, à plusieurs dimensions, aucun apprenti sorcier ne s'aviserait de provoquer l'irréversible dans la région. Autrement, c'est toute l'économie mondiale, y compris l'économie américaine, qui en endurerait les très graves conséquences. Personne n'ignore, par exemple, que Pékin est le premier partenaire commercial de la Corée du Sud. Et que l'effondrement du marché sino-américain provoquerait une crise qui ferait oublier celle de 1929 une des causes pourtant d'une guerre qui a fait plus de 60 millions de morts et modifié irréversiblement le paysage géopolitique de la planète. La « trêve olympique » a été de courte durée. Dès la fin des Jeux (vendredi 23 février), Donald Trump annonce de nouvelles sanctions unilatérales contre la Corée du Nord, visant plus de 50 sociétés de transport maritime et navires qui, selon l'exécutif américain, aident Pyongyang à contourner les nombreuses restrictions auxquelles le régime est assujetti. Ces sanctions qui s'ajoutent à l'embargo qu'il subit depuis deux ans, ont été qualifiées par Pyongyang «d'acte de guerre» contre son pays. Le jeu (de dupes) continue... 2.- L'humiliation de la Russie En 2008, à la suite de la crise d'Ossétie du Sud (et d'Abkhazie) et de l'occupation russe de plusieurs points stratégiques de Géorgie, un mouvement de boycott des Jeux de Sotchi avait été initié. Il avait échoué. BHL qui y avait investi tant d'efforts s'en est sorti avec un revers de plus. La cause au service de laquelle il se place le dispense de tout estime de soi. Cependant, dès la fin de l'année 2014, l'ostracisme anti-russe allait reprendre sous un autre angle : le dopage systématique des athlètes russes, sensé être programmés par les « plus hautes institutions » du pays.2 Il allait aboutir à l'exclusion ès qualité de la Russie des Jeux de Pyeongchang, avec un interdit signifié à la plupart de ses sportifs, en particulier à tous ceux qui avaient une chance d'obtenir un titre. Equipes décimées : Par exemple, les meilleurs biathlètes ayant été disqualifiés, il n'y a pas eu de relais au biathlon, ni chez les femmes ni chez les hommes. Une bénédiction pour les autres sportifs qui vont se jeter sur des « médailles en chocolat ». De cette bonne fortune beaucoup n'en profiteront pas.3 Rappelons - quoi qu'on en dise par ailleurs - que la Russie a été la première nation médaillée à Sotchi (11 médailles d'or, 9 d'argent et 9 de bronze)4, suivie de la Norvège. À Pyeongchang, la délégation de « sportifs venus de Russie » a été contrainte de défiler derrière la bannière olympique. Et c'est l'hymne olympique qui a honoré les deux médailles d'or obtenues par ses athlètes. Ce n'est pas la première fois que les Jeux Olympiques ont été pris en otage. En 1980, les Etats-Unis et ses « alliés » boycottent les Jeux de Moscou, à l'exception de tous ceux qui ont refusé que le sport soit instrumentalisé (les autorités françaises et britanniques ont laissé le soin à leurs comités olympiques de décider). En 1984, c'est l'URSS et tous les pays proches qui à leur tour refusent de se rendre à Los Angeles. Ce n'est qu'en 1988 que la « famille olympique » se réunit à nouveau à Séoul. Que des athlètes se soient dopés, c'est là une affaire d'une vaste banalité, universellement entendue. Que le président russe ait été derrière un système de dopage généralisé, est à la fois plus discutable et en tout cas difficile à démontrer. Au reste, l'essentiel n'est pas là. Quand on observe une levée de bouclier et un régime de sanctions digne de la Guerre Froide dans un contexte conflictuel qui prend des proportions dangereuses pour la paix internationale, les compétitions sportives ne sont plus à l'échelle. D'autant moins que ceux qui s'improvisent arbitres neutres et vertueux et s'attaquent au sport russe, sont à la fois juges et partis. L'affaire du dopage russe à Sotchi que ce soit dans l'intendance de ses preuves que dans tous les prolongements qui s'en sont suivis, est plus facile à interpréter comme un des multiples espaces d'affrontement entre Russes et Américains que comme une offense faite aux idéaux sportifs. Bannir la Russie des Jeux de Pyeongchang dépasse largement les querelles de bac à sable plus ou moins infantiles auxquels se prêtent les nations et leurs sportifs en quête de médailles, avec des millions de téléspectateurs mondialisés que l'on divertit pour détourner leurs yeux de leurs tracas quotidiens infiniment plus préoccupants. 3.- Symptomatique paysage olympique mondial Les résultats de ces JO d'hiver en Corée illustrent, encore plus que les jeux d'été, les distorsions géoéconomiques du monde d'aujourd'hui. La Norvège, petit pays scandinave de 5 millions d'habitants, fait jeu égal avec l'Allemagne de plus de 80 millions d'habitants, la première puissance économique d'Europe et présente le premier solde commercial dans le monde. Arrivée deuxième en 2014 à Sotchi, la Norvège est première cette année en Corée. Elle obtient à Pyeongchang 12.7% des médailles totales distribuées et 13.6 médailles d'or. Alors que ce pays représente au plus 0.07% de la population mondiale. Classée au 16ème rang, la Chine (18.2% de la population mondiale) n'obtient qu'une unique médaille d'or et ne cumule que 9 médailles (2.9% du total). Certes, le climat, la pratique traditionnelle des sports nordiques explique en partie ces résultats. On peut aussi ajouter que la Chine est train de rattraper son retard, et cela dans tous les domaines pas seulement sportifs. Mais cela ne saurait tout expliquer. Les Pays-Bas (0.2% de la population mondiale) obtient, en 5ème position, un résultat surprenant : 8 médailles d'or, 7.8% des titres) et 20 médailles au total (6.5%), à peine moins que les Etats-Unis (4èmes avec 23 médailles). Pourtant, le « plat pays » ne compte ni de massifs alpins, ni pentes himalayennes. Il est vrai que le patinage de vitesse qui a procuré aux Bataves de nombreux podiums, vient de pratiques très anciennes du patinage comme mode de déplacement dès l'arrivée des premiers froids sur les canaux et les lacs, d'un pays passé maître en aménagement des eaux. 4.- Les absents 30 pays médaillés sur 109 participants (dont seulement 21 d'entre eux ont obtenu un titre de champion olympique). 72% (79/109 des pays participants n'ont obtenu aucune médaille). Contre 87 pays aux XXIIème Jeux à Sotchi en 2014. 109 participants et 30 médaillés sur 197 pays inscrits à l'ONU... A l'exception de la Corée, (mais est-ce pertinent de l'y rattacher ?), dans le classement des nations médaillées, n'y a aucun pays du tiers monde, aucun pays africain, ni de pays d'Amérique du Sud. D'Asie, il n'y a que la Corée, le Japon, la Chine. Avec le Kazakhstan, en 28ème et dernière position dans ce classement, avec une médaille de bronze, obtenue en ski acrobatique. Pourtant un effort a été fait en termes de participation. Absents des palmarès, des podiums et des retransmissions télévisés, on retrouve des athlètes venus de pays mineurs, inconnus de ces sports de neige et de glisse, c'est le cas des pays musulmans. Ainsi en est-il de la Turquie qui a envoyé 19 représentants, de l'Iran (14), du Liban (13), du Pakistan (4), de l'Inde (3), du Maroc (3)... Cela, à la différence de l'Algérie (gouvernement, fédérations et médias confondus) qui a préféré se mettre aux abonnés absents, l'Ouganda, le Pérou, le Sénégal, le Venezuela... sont présents avec... 0 athlètes. L'important n'est-il pas de participer, comme le disait P. De Coubertin ? 5.- Le biathlon, un fusil sur skis S'il y a un sport d'hiver, plus que d'autres, qui illustre le lien intime entre sportifs et soldats, c'est bien le biathlon. Mais son intérêt ici ne s'épuise pas dans cette homologie. Il est étrange de noter au passage que les Etats-Unis où l'arme fait l'objet d'un culte constitutionnel (cf. le 2ème amendement), le pays le plus armé du monde (en moyenne, deux armes par habitant) ne décroche aucun titre dans cette discipline. La patrie des cow-boys ne serait-elle qu'un mythe hollywoodien de plus ?5 Au moment où l'olympisme devient un marché et le sport une marchandise, les biathlètes français font la démonstration que l'Etat est le meilleur avantage comparatif du pays. Lors de ces JO, le biathlon est la discipline qui a rapporté le plus de médailles aux français : 30% des 15 médailles décrochées et 60% des titres. Mieux : cette année les biathlètes français ont trusté 5 médailles sur les 11 distribuées, soit 45% du total, dont 3 titres de champion sur 5. Le biathlon français est si performant que l'équipe de Norvège, l'une des meilleures, sinon la meilleure du monde, a décidé de recruter en 2016 Siegfried Mazet l'entraîneur de l'équipe de France, après huit années de bons et loyaux services à sa tête. Martin Fourcade, le champion français (dont les performances sont sur les traces de son homologue norvégien Bjørndalen6), est d'abord un soldat tarifé. Il entre au sein de l'Armée de terre en octobre 2008 à l'âge de 20 ans. Rattaché à l'École militaire de haute montagne de Chamonix, il est membre de l'équipe de France militaire de ski. Il est promu sous-lieutenant lors d''une cérémonie au sein du Ministère de la Défense à Paris le 5 octobre 2017. Avec des résultats plus modestes, la plupart des ses compagnons biathlètes, aussi bien les hommes que les femmes, sont des militaires soutenus, encadrés par l'armée française. Quelques exemples : - Anaïs Bescond entre au sein de l'Armée de terre en septembre 2007 où elle est caporal-chef. - Simon Fourcade, frère aîné de Martin est caporal-chef dans l'Armée de terre depuis 2004. - Simon Desthieux, est caporal dans l'armée, il fait partie de l'équipe de France militaire. - Vincent Jay ancien est licencié à l'école militaire de haute montagne. Les réussites du sport français ne dépendent pas du soutien du ministère des armées, c'est ce qui reste de l'encadrement public d'activités peu à peu délaissées par les collectivités nationales et locales, à l'exception des « sports d'élites ». Les réseaux associatifs, municipaux, régionaux... et même paroissiaux naguère, qui plongent loin dans le passé leur culture et leur philosophie générale, ne disposent plus des moyens nécessaires. Il y a désormais d'autres priorités... 6.- Les sportifs, des professionnels. Le sport, une marchandise Les métaphores sportives et ludiques disputent au langage de la guerre la lexicologie libérale : compétiteurs, compétitions, arbitrage, score, but, équipe, performances, résultats, ...7 On pourra recommander sur le sujet, la lecture des ouvrages de Jean-Marie Brohm et de Norbert Elias. On trouvera plus bas quelques références pour compléter l'information. Au XIXème siècle, la montagne (qui accouchera des sports d'hiver des décennies plus tard) sera l'archétype de la bourgeoisie montante émancipée en quête de pouvoirs. Depuis, la langue de la réussite des entrepreneurs sera celle des alpinistes à la conquête des sommets. Les marchés occupent le territoire laissé par la puissance publique. Mais ils ne reprennent que ce qui est rentable au terme le plus court. La culture et l'éducation ne sont pas de leur ressort, sauf quand, soumises à la loi de l'offre et la demande, elles rapportent plus que ce qu'elles ne coûtent. Fourvoyé dans un modèle économique forgé pour le football, le rugby est en train d'y laisser son âme et toutes les valeurs qu'il a cru porter : « Un sport de voyous pratiqué par des gentlemen ». Le football illustre les excès d'un système qui gagne peu à peu tous les autres sports. En réalité, un nombre limité d'équipes (trois ou quatre par championnat, toujours les mêmes qui alternent) qui dominent le football européen parce qu'elles débauchent à prix d'or les meilleurs joueurs de la planète que les petites formations sont incapables de conserver. Des formations multinationales qui ne représentent plus ni leurs villes, ni leurs régions, ni leurs pays. Le football anglais, et plus précisément londonien, a atteint ce qu'il y a de plus caricatural dans ce domaine. Il est arrivé que des équipes de football britanniques ne comprennent aucun joueur indigène, ni l'entraîneur, ni le propriétaire de l'équipe. Bien des formations qui tiennent le haut du pavé ne compte qu'un faible nombre de joueurs du cru. Chelsea Football Club a été la première à aligner onze titulaires sans aucun joueur anglais. La cause ? L'arrêt Bosman, une décision jurisprudentielle de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), rendue le 15 décembre 1995, a levé la limitation (la tenant pour discriminatoire) à trois joueurs professionnels étrangers pouvant être incorporés dans les équipes de football européennes. Il abolit les quotas de joueurs à partir de la saison 1996-1997. En octobre 2011, cette jurisprudence est généralisée à tous les pays de l'Union européenne et concerne tous les ressortissants des États membres de l'Espace économique européen, de Suisse (Accords bilatéraux), de Russie (Accord de Corfou UE-Russie) et des 79 pays ACP (Accord de Cotonou). De nombreux sportifs venant de pays du tiers monde (d'Afrique ou d'Asie), mais venant aussi, depuis 1990, d'ex-pays de l'est prennent la nationalité de pays européens, voire proche-orientaux pour faire briller les couleurs de leurs nouvelles patries. Le pillage des compétences (le « brain-drain » qui a vidé l'Europe d'une partie de ses compétences après 1945) demeure une compétition ouverte. Il vide aujourd'hui l'Afrique et l'Amérique Latine de leurs ressources, en l'occurrence de leurs athlètes. Les sportifs deviennent des forçats de la transpiration pour une rémunération démentielle dont ne bénéficie en réalité qu'une toute petite minorité d'entre eux. La liberté d'être exploités sans contraintes frontalières en contrepartie de rémunérations astronomiques est un mythe qui fait rêver tous les ratés de l'éducation nationale et leurs proches. Ainsi que tous les pauvres gamins du tiers monde, espérant trouver dans leurs jarrets les ressources qui leurs ont manquées ailleurs. A l'exception de quelques équipes historiques qui disposent de leurs propres écoles de formation, multisports, la plupart des joueurs sont recrutés par des prospecteurs avisés qui parcourent le monde à la recherche de talents. C'est ainsi que du « sang neuf » irrigue les « mercato ». Fonds de pensions et financiers transnationaux en quête de placements juteux s'investissent dans ces nouveaux territoires abandonnés par les collectivités. La puissance publique (locale ou nationale) est décriée. L'Etat n'est pas la solution c'est le problème, fredonnait sous R. Reagan la ritournelle des Chicago-boy's. Aux « Trente glorieuses » ont succédé les privatisations, les déréglementations, l'ouverture des frontières, la compétition fiscale et sociale, Tout cela, naturellement, en gage d'efficacité économique et sociale. La réalité est toute autre. Jamais les déficits (budgétaires et commerciaux) n'ont été aussi abyssaux, jamais les inégalités n'ont été aussi profondément creusées, jamais le chômage n'a été aussi généralisé (malgré d'habiles manipulations statistiques), jamais l'endettement (de l'Etat, des collectivités, des organismes de la sécurité sociale et des hôpitaux, des entreprises et des ménages) n'a été aussi préoccupant. Bientôt, il ne restera plus grand chose à privatiser, de marché à déréglementer, de souveraineté à solder. A sa manière le biathlon français apporte la preuve de ce qu'il en coûte à un pays de voir les collectivités soucieuses du bien public se retirer des activités sportives (entre autres) au profit des industriels multinationaux du biscoteau. En guise de conclusion... Nul besoin de remonter à la « Bataille de Marathon » (490 avant J.-C.) pour appréhender et gloser sur les origines guerrières des combats sportifs d'aujourd'hui, que le baron P. de Coubertin a ressuscités en 1894 sous la forme contemporaine.8 « Les sports ont fait fleurir toutes les qualités qui servent à la guerre », écrivait-il. Ainsi en est-il du sport comme de la politique, pour tenter de sublimer et civiliser la violence.9 L. B. Johnson, le vice-président successeur de J.-F. Kennedy après son assassinat à Dallas en 1963, a eu un mot célèbre (montrant en cela le haut niveau de civilité de l'élocution des présidents américains, confirmée par l'actuel locataire de la Maison Blanche). : « Clausewitz prétend que la politique est une autre manière de faire la guerre. Mon cul ! La politique, c'est la guerre. Point barre ! » Quelques références. - «Le sport c'est la guerre». Le Monde diplomatique. Manière de voir n°30, mai 1996. 98 p. - « Football et passions politiques ». Le Monde diplomatique. Manière de voir n° 39, mai-juin 1998. 98 p. - « L'épopée des jeux olympiques ». Les Cahiers de Science & Vie. Juillet 2004. 112 p. - « Géopolitique du sport. Compétitions, argent et diplomatie ». Revue : Diplomatie. Affaires stratégiques et relations internationales. Dossier n°57. 98 p. pp. 42-69. Juillet-août 2012 - « Penser est un sport de combat ». Le Monde diplomatique. Manière de voir n° 137, octobre-novembre 2014. 98 p. - « Les enjeux du sport ». Conflits. Revue de géopolitique, n°10. Juillet-Août 2016. pp. 42-73. Notes : 1- Le Monde, J. 17.11.2016. 2- Wikipedia récapitule avec exactitude l'essentiel des termes de cette campagne. Nous renvoyons pour les détails à son site à la rubrique : « Jeux olympiques d'hiver de 2014 ». 3- La France par exemple, ne battra pas son record de médailles (15) obtenu à Sotchi quatre ans plus tôt. 4- En novembre 2017, la Russie se voit retirer onze médailles (4 en or, 6 en argent et 1 en bronze) par la commission de discipline du Comité international olympique. Cependant, en février 2018, le Tribunal arbitral du sport (TAS) satisfait aux appels de 39 sportifs russes sanctionnés par le CIO. Après il enquête estime que les preuves étaient insuffisantes. Le TAS annule la suspension à vie de 28 sportifs russes et restitue plusieurs médailles, ce qui permet à la Russie de retrouver sa première place. 5- A voir, « Miss Sloane » un excellent film sur les liens entre fabricants d'armes, lobbyistes et politiques américains. 6- Ole Einar Bjørndalen, de nationalité norvégienne, est le plus grand champion de biathlon de tous les temps, l'athlète le plus médaillé des Jeux olympiques d'hiver avec treize médailles gagnées entre 1998 et 2014 (8 d'or, 4 d'argent, 1 de bronze). Il est le sportif le plus titré de l'histoire du ski, ayant battu le record de 86 victoires en Coupe du monde du skieur alpin suédois Ingemar Stenmark avec, à ce jour, 115 victoires en comptant les relais. Il est le seul biathlète à avoir gagné une épreuve de la Coupe du monde de ski de fond. 7- Lire « Le langage du sport ». Revue ELA, 165, janvier-mars 2012. Editions Klincksieck. 125 p. 8- Rénovateur des Jeux olympiques de l'ère moderne a fondé le Comité international olympique, dont il a été le président de 1896 à 1925. Les Français ne sont pas toujours prompts à célébrer ce baron qui sent le souffre. C'était un colonialiste militant sous une IIIème République où le racisme était une culture politique largement partagée. « Dès les premiers jours, j'étais un colonial fanatique » laissait-il entendre. Il voit dans le sport, un instrument utile de « disciplinisation des indigènes ». Eugéniste et mysogyne, il s'est opposé à la participation des femmes aux Jeux et ferme dans son amitié pour le régime nazi dont il outien les Jeux de Berlin en 1936 : « Comment voudriez-vous que je répudie la célébration de la XIe Olympiade ? Puisque aussi bien cette glorification du régime nazi a été le choc émotionnel qui a permis le développement qu'ils ont connu ». On se demande comment les Français vont se débrouiller avec des restes sortis des placards où sont discrètement rangés ses fantômes, à l'occasion des prochains Jeux à Paris en 2024. Si on laisse de côté les Jeux Nordiques qui balbutient au début du siècle dernier, les premiers JO d'hiver sont organisés dans la station française de Chamonix en 1924. 9- On n'y parvient pas toujours. Dans le cadre de la préparation de la Coupe du monde 1970, les rencontres entre le Salvador et le Honduras (dont les résultats ont été controversés) ont débouché sur une guerre (du 14 au 18 juillet 1969) qui a fait 3000 morts, 15 000 blessés avec l'expulsion du Honduras de Salvadoriens au nombre estimé entre 60 000 et 130 000. Ce n'est qu'en 1980 qu'un traité de paix a été signé et que la Cour de Justice arbitra en 1992 le litige frontalier entre les deux pays. Lire ou relire R. Girard (1972) : « La Violence et le sacré ». Grasset, 534 p. |
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