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Il serait
réducteur d'expliquer uniquement par des raisons purement économiques et
sociales la migration.
La nouvelle génération de jeunes migrants n'est pas plus pauvre ou dans le besoin que leurs parents, qui n'étaient pas tentés par l'émigration ni par l'idée de quitter leur pays. De plus, bon nombre de ceux qui prennent les bateaux de la mort ne sont pas dans une situation de dénuement extrême. Certains d'entre eux viennent de familles de classe moyenne et plusieurs possèdent déjà une formation universitaire dont des travailleurs à plein temps. Alors que pour les générations précédentes, la notion de besoin se limitait à fournir les produits alimentaires de base, des vêtements et un logement modeste, c'est-à-dire les nécessités de la vie dans leur forme la plus élémentaire, les impératifs de la vie pour la nouvelle génération incluent désormais une maison confortable, une voiture et un emploi stable. Cela traduit un changement radical dans l'échelle des valeurs et dans la conception de la vie entre les générations. Si l'on admet que les jeunes migrants ne souffrent pas nécessairement d'une pauvreté extrême, qu'est-ce qui les pousse alors à risquer leur vie en traversant la mer et à s'engager dans cette aventure, qui pour beaucoup d'entre eux se termine par la noyade en pleine mer ? Derrière les vagues successives de migration provenant des pays du Maghreb se cache ce que l'on pourrait appeler «le rêve mortel», c'est-à-dire l'illusion que le simple fait de traverser vers l'autre rive de la Méditerranée garantit prospérité, richesse et bien-être. Ce rêve toxique paralyse l'énergie, l'esprit de travail et la persévérance chez de nombreux jeunes du Maghreb, les poussant à l'oisiveté, à passer leurs journées dans les cafés, et à perdre leur temps en attendant une opportunité de «harga» (migration clandestine) vers les côtes italiennes ou espagnoles, d'où ils espèrent se faufiler vers d'autres pays européens. Au lieu que le besoin soit un moteur pour l'effort, le travail et la lutte contre les difficultés de la vie, il devient un prétexte à la paresse et à l'évitement des responsabilités, tout en cherchant des chemins d'aventure et des moyens de subsistance. Rien ne semble dissuader les jeunes de penser à la migration, sauf l'obtention d'un emploi stable dans le secteur public avec un salaire fixe. Lorsque cela devient impossible par des moyens légaux, il ne leur reste d'autre option que de monter à bord des bateaux de la mort et d'affronter les vagues déchaînées, avec l'espoir d'atteindre un paradis de prospérité, sans réfléchir sérieusement aux dures réalités de la vie et au racisme qui les attendent dans des sociétés en crise, où les mouvements d'extrême droite, hostiles aux migrants, prennent de l'ampleur, sans parler des risques de dérive dans les réseaux criminels. Les technologies de communication modernes ont contribué à alimenter ce rêve de migration vers les capitales européennes, approfondissant ainsi le sentiment de frustration et d'injustice parmi une grande partie des jeunes du Maghreb. Il est possible de dire ici que ces pays paient ce que l'on pourrait appeler une «taxe géographique», avec ses aspects positifs et négatifs. Leur proximité géographique avec l'Europe a rendu le rêve de traverser vers l'autre rive de la Méditerranée presque tangible, visible à l'œil nu par les rêveurs de migration. Cette proximité géographique a accentué l'écart entre la réalité et les ambitions des jeunes du Maghreb, qui regardent les chaînes de télévision occidentales, les films étrangers, et naviguent sur Internet, sans voir de raison pour laquelle ils ne devraient pas vivre eux aussi comme leurs pairs à Paris, Rome, Bruxelles, et dans d'autres capitales européennes, sans tenir compte des distances économiques et financières qui séparent les pays du Nord et du Sud. La réalité est arabe et africaine... et le rêve est européen et américain... Et nos pays, épuisés, ne peuvent combler cet écart entre l'imaginaire et la réalité vécue. Nous faisons face à une jeunesse remplie d'un sentiment d'injustice et de pauvreté (il y a une différence entre la pauvreté réelle et le sentiment de pauvreté), un sentiment mêlé à des frustrations et à la colère, nourries par la musique rap et d'autres musiques jeunes et bruyantes. Les bouleversements politiques qui ont touché et touchent encore certains pays du Maghreb ont accentué le climat de tension, de colère contre l'environnement social, et tout ce qui l'entoure. Nous faisons face à une jeunesse qui refuse de travailler dans les secteurs de l'agriculture, de la construction, des travaux publics, ou des services. Cette jeunesse est pleine d'amertume et de colère, qui ne voit d'autre salut que dans l'aventure migratoire pour réaliser son rêve de bien-être et de richesse. Bien sûr, il serait injuste de faire porter aux jeunes la responsabilité de leur situation difficile ou de leur tentative de suicide en mer. Derrière ce phénomène se cachent des choix de développement erronés qui se sont accumulés sur des décennies et un système économique incapable de créer suffisamment de postes d'emploi. Si même les pays européens, en particulier ceux du sud de la Méditerranée, comme l'Italie, l'Espagne, la Grèce, voire la France, souffrent de taux de chômage élevés, ainsi que de migration vers le nord de l'Europe, que dire alors des pays comme la Tunisie ou le Maroc, qui manquent de ressources et de moyens ? Même s'il n'existe pas de solutions radicales pour surmonter le phénomène de la migration et des «bateaux de la mort», la révision des choix économiques, de développement et éducatifs reste l'un des moyens les plus efficaces pour atténuer la gravité des crises et l'état de désespoir qui pèse sur la jeunesse. L'Algérie, avec ses vastes ressources pétrolières et son potentiel économique, semble effectivement mieux positionnée pour affronter le phénomène de l'émigration clandestine. Cette affirmation doit être nuancée par une analyse profonde des multiples facteurs qui influencent la migration et la gestion des ressources nationales. La richesse pétrolière, bien qu'importante, n'est pas une garantie automatique de stabilité économique ou sociale. L'Algérie a longtemps dépendu des revenus du pétrole, ce qui a créé une forme de vulnérabilité à la volatilité des marchés internationaux. Quand les prix chutent, l'économie algérienne en souffre, exposant ainsi des fragilités structurelles. Il devient alors difficile de créer des emplois durables, diversifiés, et de fournir des perspectives aux jeunes, ce qui alimente, en partie, le désir de migrer. Par conséquent, la richesse pétrolière, si elle est bien gérée et réinvestie dans d'autres secteurs économiques comme l'agriculture, l'industrie ou les nouvelles technologies, pourrait permettre à l'Algérie de construire un modèle économique plus stable et moins dépendant des fluctuations externes. L'Algérie dispose d'autres atouts considérables : une population jeune et dynamique, des ressources naturelles diversifiées, une position géographique stratégique et un potentiel agricole énorme. Si ces potentialités sont pleinement exploitées, elles pourraient offrir des alternatives à la migration clandestine. Mais cela exige une vision stratégique claire, des réformes économiques profondes et une modernisation des infrastructures pour capter et retenir le talent national. La lutte contre l'émigration clandestine ne se résume pas seulement à l'économie. Il s'agit aussi de créer un environnement où les citoyens se sentent écoutés, valorisés et investis dans l'avenir de leur pays. En encourageant un climat de confiance, en renforçant les institutions démocratiques, et en offrant des perspectives de développement personnel et professionnel, l'Algérie pourrait freiner la tentation de l'exode. C'est cette transformation globale, mêlant bonne gouvernance, justice sociale et investissement dans l'avenir, qui rendra l'Algérie plus apte à faire face à ce phénomène. |
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