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Je
voudrais ici réagir à l'article intitulé «Le nouveau paradigme du Docteur Omar Aktouf, à l'épreuve des sciences et des faits : l'économie néoclassique
et le néolibéralisme ne sont que destructions», récemment publié dans les
colonnes du Quotidien d'Oran, sous la plume de M. Mohammed Bachir Amokrane, un
autre intellectuel algérien «sortant des sentiers battus», que je découvre à
mon grand plaisir.
Je voudrais ici apporter non seulement ma totale adhésion à l'entièreté de la teneur de son texte, mais également ajouter un peu de mon propre «grain de sel». En complément de ce que l'analyse de M. Amokrane apporte, et en prévision de ce qu'il compte, selon ce que j'ai compris, encore apporter par de prochaines publications. Un remarquable travail d'initiation en «pensée complexe» Tout d'abord, avant d'aborder le vif du sujet, je voudrais exprimer mes plus vives félicitations au Quotidien d'Oran et à son équipe rédactionnelle pour avoir publié un texte de si haute tenue intellectuelle. Cela est, hélas, plutôt rare, particulièrement pour des médias dits de «grand public». Je persiste et signe : merci messieurs dames de ce journal d'avoir mis à la disposition du «lecteur moyen» (sans aucune idée péjorative), de Monsieur et Madame Tout-le-Monde d'Algérie -et d'ailleurs- un texte d'une telle densité académique, digne de revues dites «scientifiques» ou «spécialisées». Au moment où la supercherie (Tahkout) l'emporte sur les vrais débats qui sont éludés de la place publique je ne peux que me réjouir de cette occasion qui me permet de tenter d'expliciter plus encore cette notion de développement durable que Omar Aktouf tente difficilement de faire accepter par nos décideurs obnubilés par le pétrole et le yoyo du mouvement des prix. Mon remerciement va aussi et surtout à l'auteur, M. Amokrane, pour l'étendue et la profondeur du travail fourni dans l'analyse de cette partie cruciale des travaux d'Omar Aktouf. Ce qui est du même coup une belle et claire introduction à ce que l'on dénomme «pensée complexe». Il convient en effet de bien mesurer et reconnaitre l'importance de l'effort fourni pour ainsi nous résumer, décortiquer et si bien «vulgariser» (au sens noble du terme) cet aspect central de l'œuvre d'Aktouf : les liens entre l'économie, la gestion, les lois de la nature, les lois de l'univers et les lois de la physique. Il s'agit là de ce que l'on dénomme en épistémologie, de «la pensée complexe», «transdisciplinaire» ou encore «complémentariste», sinon «multi-complémentariste». L'affaire est loin d'être simple ou banale ! Car il ne s'agit de rien de moins que de rendre compréhensible ce qui est éminemment compliqué et complexe : ce qui se trouve aux confins des frontières et des croisements entre de multiples sciences. Ne peut pas se livrer à cela qui veut ! M. Amokrane fait ici, à mon humble avis, preuve de sa capacité à être lui-même à la hauteur des niveaux d'analyse «de complexité» auxquels le professeur Aktouf s'attaque. Quitte à heurter sa propre modestie (comme il le dit à propos d'Aktouf), je n'hésiterai pas à affirmer que je connais fort peu de gens capables d'aller au bout des comptes rendus qu'il nous livre avec tant de limpidité sur cette pensée aktoufienne qui, effectivement, en plus d'être sérieusement du domaine du «complexe», mène tout droit vers un nouveau «paradigme». En tant qu'adepte de longue date de la pensée de notre intellectuel Omar Aktouf qui, soit dit en passant, dérange pas mal de monde, je me réjouis de constater que non seulement je ne suis pas seul, mais que je me trouve en fort compétente compagnie. Et surtout, je me réjouis de la qualité et de la hauteur d'analyse avec lesquelles il commence, enfin, à lui être rendu justice et hommage. Justice et hommage par ailleurs plus que mérités. Un nouveau important paradigme «aktoufien» ? Oui ! M. Amokrane s'attaque à un travail auquel j'aurai voulu qu'on s'attelle bien plus tôt, tant la pensée et l'œuvre du professeur Aktouf sont en effet originales, profondes et multidirectionnelles. Mais déjà dans ce premier «essai», M. Amokrane nous a livré une inestimable série de clés de lecture de biens des passages cruciaux, de concepts pointus, de démonstrations abruptes, de conclusions fascinantes que cette œuvre recèle et que toute analyse non avertie peut facilement rater. Ainsi en est-il du fait d'avoir décelé dans le livre La stratégie de l'autruche les contours d'une étonnante, toute nouvelle, radicale et décisive façon de concevoir ladite «science économique». C'est l'économiste que je suis qui le découvre et qui vous le dit : oui, l'un des apports aktoufiens est d'avoir bel et bien ouvert la voie à un changement paradigmatique, autant en économie que, cela va de soi et en découle, en gestion. M. Amokrane a l'immense mérite de nous guider, à travers un fil conducteur dont il a su reprendre la trame, vers l'irréfutable conséquence des liens entre économie-gestion et physique-thermodynamique que fait Aktouf, soit la nécessité désormais de compter avec. C'est-à-dire de ne plus considérer l'économique comme indépendante des lois de la nature et de l'univers, et d'en admettre l'inexorable conséquence : un changement paradigmatique complet, d'envergure et de retombées insoupçonnables. Omar Aktouf, le lanceur d'alerte Il convient en effet de bien peser l'importance de ce dont on traite ici : tout simplement la démonstration implacable, scientifiquement conduite, de ce que l'économie -et la gestion- NE CRÉENT RIEN ! Oui, ne créent rien. Quelle dure constatation ! Cela est non seulement, évidemment de portée paradigmatique, mais cela est aussi le cruel constat que, effectivement, «notre monde marche sur sa tête depuis près de deux siècles». Ce qui veut dire que l'ensemble de l'énorme édifice économique, politique, managérial, construit autour des idées néoclassiques, et à fortiori des idées néolibérales, est remis à plat. Il s'agit d'un édifice dont les idées remontent au 19ème siècle. Avec surtout les théories dites des marginalistes et celles dites de l'équilibre général des marchés -ayant cours depuis notamment les travaux de Léon Walras dans son Éléments d'économie politique pure-, paru pour la première fois en 1874. Mais aussi avec ceux des Jevons, Menger et autres, qui ont bâti «le modèle» occidental actuel. Modèle qui s'avère à revoir, de fond en comble ! On acceptera ici aisément l'idée que cela fait d'Omar Aktouf, comme on dit en anglais, un initiateur de «breaktrough», c'est-à-dire un déclencheur de «percées nouvelles». Je dirais un lanceur d'alerte des temps modernes. Ceci est loin, très loin, d'être rien ! Si on permet cet euphémisme. En effet nous nous trouvons, les économistes en particulier, mais aussi les politiciens, sociologues, spécialistes des «sciences» de l'administration et du management, devant l'obligation de tirer, dans toutes leurs énormes étendues, toutes les conséquences qui découlent du fait d'avoir à concéder l'idée que l'édifice complet de ce que Aktouf dénomme avec justesse «l'économie-management», est bâti sur de fausses fondations qui ne peuvent durer. C'est ce que M. Amokrane explicite bien pour nous : accepter l'idée aktoufienne que, tenant compte des croisements entre économie-management et sciences de la vie, de la nature et de la physique, il devient impossible de ne pas admettre que ce que l'on dénomme «profit» n'est que le reflet incomplet d'une systématique destruction et exploitation de deux facteurs qui en sont les victimes structurelles : le salariat et la nature. Lesquelles destruction-exploitation s'accompagnent de nombreux corollaires : guerres, invasions, famines, dérèglements climatiques, inégalités abyssales, misère et pauvreté grandissantes. Qui peut oser nier une telle évidence ? Aujourd'hui partout tellement aveuglante ? Évidence que des économistes aussi réputés que des Jacques Généreux ou Bernard Maris résument sous la cinglante formule : «Ce n'est plus les profits qui créent emplois et bien-être, c'est le chômage et la pollution qui créent les profits» ! Omar Aktouf donne les clés de lecture de la non-tenue des promesses de l'économie-management et du modèle occidental. Connaissant plus ou moins complètement l'essentiel de l'œuvre du professeur Aktouf, que je me suis astreint de re-relire pour la rédaction de cette contribution, je ne peux qu'adhérer sans réserve à la totalité de ces «premières déductions» si bien mises au jour par M. Amokrane. Mais aussi, j'aimerais ajouter qu'Aktouf donne les raisons, les explications de ce pourquoi des économistes comme ceux cités ci-haut en arrivent à conclure que ce sont chômage et destruction des milieux naturels qui font le profit, et non l'inverse, comme les chantres de l'économie «à l'occidentale» ne cessent de le rabâcher. Omar Aktouf s'en acquitte largement à travers les analyses conduites, notamment dans La stratégie de l'autruche, là où il décortique minutieusement ce qu'il appelle les raisons de la non-réalisation des promesses des trois révolutions occidentales successives : l'industrielle, celle de la mécanisation, et enfin celle de ladite économie de l'information. C'est que, comme le fil conducteur principal de la déconstruction thermodynamique qu'il effectue le démontre -je dis bien le démontre-, aucune de ces «révolutions» ne viendra faire tenir ses promesses au modèle néoclassique occidental. Et ce parce que toutes sont assises sur les mêmes fausses prémisses, absolument contraires aux lois de la vie et de l'univers. Nommément, la croyance en la possibilité de «créer» alors qu'on ne fait que «transformer», ce qui implique d'abord détruire ; puis la croyance, plus folle, en ce que l'on peut «créer indéfiniment» : la fameuse «croissance infinie» ; enfin la croyance que l'on crée plus que ce que l'on détruit pour transformer : les fameux profits. En mettant radicalement à plat toutes ces croyances infondées, Aktouf nous invite aussi - nous «oblige» -, devrais-je dire, comme le souligne fort bien M. Amokrane, à remettre à plat et «refonder totalement» tout ce qui constitue nos soi-disant «sciences» économiques, politiques, managériales. Vaste nouveau paradigme ! Pour conclure ce simple «témoignage d'appui» à M. Amokrane dans son effort de faire justice aux travaux aktoufiens, je voudrais aborder -je suis sûr que cela sera fait dans les «suites» annoncées-, un autre point d'importance étonnante. C'est celui qui touche à la démonstration du fait que l'argent fait par la spéculation, par les jeux de casinos que sont les Bourses et la finance, est encore bien plus «entropique» -c'est-à-dire plus destructeur et vorace en énergie- que l'argent fait par la «production physique-matérielle» de biens et services ! C'est là un des points qui m'ont le plus frappé, et particulièrement séduit le professeur de thermodynamique colombien dont parle M. Amokrane. Ce qui rend encore plus étonnante l'œuvre aktoufienne : là où on attendait le moins de destructions et dégradations, et où on attendait le plus de la «pure création», on trouve plutôt, par la vertu du «principe de conservation d'énergie par le travail», intégralement et infiniment plus de dégradations, que pour toute production via le travail et la transformation physique. Pas aisé à saisir, mais quelle fulgurante percée intellectuelle ! En aborder la complète démonstration ici serait bien trop long. J'invite pour cela à la lecture attentive du chapitre 6 de La stratégie de l'autruche. Mais je dis avec force que cet aspect du travail aktoufien, avec les conséquences gravissimes qui en découlent, rend encore plus urgente la nécessité de revenir sur les fondements du modèle néoclassique-néolibéral. Tout comme M. Amokrane, j'appelle de toutes mes forces mon ami Aktouf à nous revenir avec ses cinglantes analyses qui nous manquent cruellement. Et aussi je reprends l'excellente idée de M. Amokrane de sérieusement songer à un colloque, en terre algérienne, autour d'une œuvre dont on commence à peine à cerner les fascinantes portées. *Economiste, Montréal |
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