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YORK - En 2020, la dénutrition chronique a retardé le développement de près
d'un quart des enfants de moins de cinq ans dans le monde. Les retards de
croissance découlant de la dénutrition chronique peuvent provoquer des dommages
physiques et cognitifs irréversibles et accroître le taux de mortalité des
infections courantes.
L'amélioration des vies de ces enfants ne dépend pas de l'apport alimentaire. La production actuelle de céréales alimentaires, environ 2,8 milliards de tonnes, procure assez de calories pour alimenter 11 à 14 milliards de personnes plus qu'il en faut pour combler les besoins actuels de l'humanité. Mais moins de la moitié de la production mondiale de céréales est consommée par les humains, le reliquat servant à nourrir les animaux ou à brûler comme combustible. Ainsi, chaque litre d'essence aux États-Unis comprend 10 % d'éthanol. Ceux qui souffrent de faim chronique ont un trop faible pouvoir d'achat et sont économiquement invisibles pour qu'ils puissent influer sur le prix des denrées céréalières sur les marchés mondiaux. Pour éviter les effets dévastateurs et irréversibles des carences en alimentation et en santé, nous proposons un nouveau mécanisme de financement qui aura pour effet d'attirer des investisseurs d'envergure et fera en sorte que les enfants souffrant de malnutrition recevront désormais une alimentation adéquate. En 2019, deux économistes de la Banque mondiale, Emanuela Galasso et feu Adam Wagstaff, ont calculé que les retards de croissance chez les enfants réduisent la productivité économique à l'âge adulte, estimant la perte en revenu par habitant entre 5 et 7 % dans les pays en développement. Et cette estimation ne tient pas compte des millions d'enfants en retard de croissance qui meurent en bas âge. Galasso et Wagstaff ont également mené une analyse coûts-avantages de dix interventions en nutrition ayant fait l'objet d'essais sur 10 ans dans 34 pays qui dans le monde entier comptent pour 90 % des enfants souffrant d'un retard de croissance. Selon leurs estimations, les avantages l'emporteraient sur les coûts par un facteur de cinq et le taux de rendement annuel serait à hauteur de 12 %. Ces retombées majeures pourraient amener les investisseurs à acheter des obligations à impact de développement axées sur la lutte contre les retards de développement des enfants dans les pays à faible revenu. L'idée sous-jacente de ce type d'instrument financier, dans lequel les investisseurs assurent un financement pour des programmes de développement et reçoivent un rendement sur le capital investi uniquement si des résultats sociétaux convenus d'avance sont atteints, consiste «à générer des retombées sociales et environnementales positives, appréciables en parallèle au rendement financier». Le Mécanisme de financement d'urgence en cas de pandémie (FUP) de la Banque mondiale a testé un mécanisme semblable, quoique pour assurer un financement d'urgence pour les pays les plus démunis en cas de pandémie. Les investisseurs ont acquis des obligations garanties en 2017, et les produits de l'émission devaient être versés aux pays en développement dans le but de contenir les épidémies de maladies infectieuses. La Banque a mis fin au mécanisme en avril 2021, sur fond de critiques voulant qu'il fût trop avantageux pour les investisseurs tout en étant trop strict et trop lent pour les versements aux États demandeurs. Toutefois, une analyse indépendante de la London School of Economics a conclu qu'un tel mécanisme correctement réformé présente un potentiel prometteur pour contenir les pandémies grâce à des interventions rapides et efficaces. Même si le rapport avantages-coûts élevé des interventions éprouvées en matière de nutrition apporte une justification probante pour les obligations à impact sur le développement, un modèle de financement privé ou un partenariat public-privé pourrait éviter les erreurs du FUP et même vaincre la corruption gouvernementale et individuelle, la lourdeur de l'administration publique et l'instabilité politique. Le rendement sur l'investissement des obligations pour les interventions en matière de nutrition serait lié aux retombées économiques projetées des programmes. Après tout, des interventions porteuses en matière de nutrition devraient stimuler la productivité et élargir l'assiette fiscale dans les pays participants. Par exemple, les États pourraient passer un contrat avec les émetteurs d'obligations pour établir et administrer des programmes de lutte contre les retards de développement des enfants pour ensuite augmenter progressivement les remboursements à ces émetteurs pour leurs interventions en matière de nutrition à mesure que les retombées économiques attendues se matérialisent. De la multitude de modèles possibles d'obligations pour le «développement des enfants», la majorité d'entre elles seraient émises conjointement par une entité parente dans le monde développé et sa filiale au pays. Ensemble, ces entités élaboreraient le programme en consultation avec l'État participant et les experts reconnus en nutrition infantile, en interventions sur le terrain et en évaluation des données. Après avoir reçu les fonds investis, l'entité parente les distribuerait hors taxe à la filiale pour effectuer les interventions en nutrition accompagnant celles de l'État. Ceci pourrait se traduire par l'achat de denrées alimentaires auprès de producteurs ou marchés locaux et les distribuer aux femmes enceintes démunies et aux enfants sous-alimentés. L'approvisionnement en nourriture, du moins en partie, par l'entremise de programmes de supervision des centres de puériculture, pourrait réduire les détournements de fonds. Dans le cadre du contrat avec l'entité parente et sa filiale (dont les modalités seraient publiques), les versements publics se feraient dans une monnaie forte. Un «fonds de remboursement» couvrirait le paiement des intérêts jusqu'à ce que l'État commence à constater des résultats. L'État aurait aussi le droit d'assumer la responsabilité du programme en tout temps en contrepartie d'un remboursement anticipé des obligations. Le modèle le plus simple offrirait l'option d'un remboursement fixe de capital et des intérêts, garantis par des versements fixes par contrat. Mais les investisseurs plus enclins au risque pourraient préférer que l'État rémunère les améliorations supérieures aux attentes en nutrition infantile et en revenus fiscaux afférents par des remboursements contractuels plus élevés, activant de plus grands versements aux détenteurs des obligations. Bien sûr, des améliorations en deçà des attentes donneraient des versements moins élevés. Il sera important de bien concevoir dès le départ les droits au remboursement. Étant donné les crises de la dette à répétition des marchés émergents et la tendance des États à rembourser en premier les institutions de finance du développement (les IFD), les investisseurs vont vouloir que ces obligations soient classées à égalité en droits au remboursement avec les dettes de l'État auprès des IFD. Ils pourraient également exiger que le contrat soit lié à une obligation gouvernementale d'une IFD, à une obligation garantie par les IFD ou à une entente avec une IFD pour qu'elle achète les obligations des détenteurs d'obligation en cas de défaut de paiement. Les obligations pour le financement des interventions en nutrition constituent un nouveau véhicule de financement qui promet d'assurer la subsistance des populations, de prévenir les retards de développement des enfants et de générer un rendement élevé pour les investisseurs. Lorsque bien structurées, elles peuvent s'avérer des catalyseurs efficaces de développement économique et d'amélioration du bien-être des personnes les plus vulnérables du monde. Traduit de l'anglais par Pierre Castegnier 1- Professeur en démographie à l'Université de Rockefeller - Et l'Université de Columbia est l'auteur de How Many People Can the Earth Support? (W. W. Norton & Company, 1996). 2- Conseiller principal à Clark Hill PLC, spécialisé en transactions internationales. |