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«L'architecture est le témoin
incorruptible de l'Histoire». Octavio Paz (Mexicain, artiste, diplomate,
écrivain, essayiste, poète (1914 - 1998)
La dernière polémique autour des démolitions au quartier de Sidi El Houari, polémiques autant récurrentes que les démolitions, mettent en avant une question cruciale : Oran dispose-t-elle d'un Projet urbain ? Rappelons que les démolitions ont commencé dans les années 70, avec la destruction du Casino et de l'emblématique hôtel Martinez. Depuis, nous assistons, comme unique démarche, à une politique du bulldozer, sans aucun projet de réhabilitation. Certes, le Vieil Oran doit faire sa mue et se renouveler, mais il s'avère être le centre historique et, de ce fait, doit bénéficier d'une attention particulière, d'autant plus que, depuis 2015, il a été élevé au rang de secteur sauvegardé et a bénéficié d'une étude, chargée d'élaborer un plan de protection et de mise en valeur du secteur sauvegardé (PPMVSS), prévu par la loi n° 98/04, relative à la protection du patrimoine. C'est cette étude qui doit définir ce qu'il faut démolir, rénover, réhabiliter ou restaurer et produire les prescriptions pour les promoteurs ou propriétaires ; ces derniers pouvant même bénéficier d'une aide consistante de l'Etat pour réhabiliter leurs demeures. Durant le temps de l'étude, il y a un «sursis à statuer», c'est-à-dire que la délivrance de permis de démolir et de construire est suspendue. Si l'étude prend du temps, il se crée une situation intenable. Or, cette étude risque de prendre du temps, quand on sait que la 1ère phase a été présentée et adoptée, avec le diagnostic et les mesures d'urgence, et que la 2ème phase a été entamée et soumise à des réserves lors de sa présentation, au mois de novembre passé, au siège de l'APC d'Oran. Cette étude appelle deux remarques. Premièrement, c'est une étude d'envergure mais à faible budget (13 millions de DA). Deuxièmement, même le service fait de la 1ère phase n'a pas été honoré par les pouvoirs publics, depuis des mois. Or si, au départ, un cercle vicieux s'installe, il fera perdurer l'étude, alors qu'il faut, au contraire, l'accélérer, en demandant à renforcer les effectifs, à payer, dans les délais les plus brefs, les travaux réalisés et, pourquoi pas, augmenter le budget de l'étude. La forte délégation, présidée par le wali et qui a fait une visite au quartier le mois dernier, a-t-elle associé le bureau d'études concerné ? Mais, au-delà du quartier historique, notre ville dispose-t-elle d'un plan de développement urbain ? Oran a connu, cette dernière décennie, un immense effort de construction de logements et de relogement des occupants du «vieux bâti» et des bidonvilles. Beaucoup de terrains ont été récupérés. Ce n'est pas sans rappeler les années 30, qui ont vu un déclassement de la muraille d'enceinte de 1866 et des casernes de l'Infanterie, des Chasseurs, de l'Artillerie et de la Remonte, libérant ainsi d'énormes terrains en plein centre-ville, autour de l'actuelle rue Khemisti, appelée, lors de sa percée et à juste titre, rue des Casernes. Dans son livre «Oran, Art Déco» (1), Nabila Metaïr, architecte, qualifie cette période d'opportunité oranaise qui fera d'Oran une ville Art Déco, rivalisant avec les autres cités en Méditerranée. Nous sommes dans la même situation actuellement, avec la récupération de centaines, voire de milliers d'hectares, répartis dans tous les quartiers d'Oran. C'est une nouvelle «opportunité oranaise», qui pourra changer le visage de notre ville si un «Projet urbain», comme démarche, est adopté. Qu'est-ce qu'un «Projet urbain» ? C'est en quelque sorte une planification urbaine, basée sur le retour de la ville sur elle-même, c'est-à-dire un aménagement d'espaces urbains existants. Faut-il rappeler qu'à l'indépendance, Oran était la ville la mieux pourvue du pays, en termes d'équipements sportifs et culturels, à l'échelle de la ville et des quartiers ? Le Projet urbain doit se faire en concertation avec les populations qui exprimeraient leurs besoins par divers canaux. Cette démarche doit mobiliser urbanistes, architectes, chercheurs en sciences sociales et divers corps de métiers. C'est aussi un plan d'embellissement, qui allie architecture et urbanisme. Une charte urbaine ne serait pas de trop, avec une protection des «arbres et paysages remarquables» (2). La toponymie doit être revue et diversifiée, reprenant la profondeur historique, plus que millénaire, de notre cité et de son environnement méditerranéen. Nos rues et boulevards doivent porter, outre les noms réservés aux martyrs de la révolution, des noms de villes qui ont des liens historiques avec la nôtre, des noms d'artistes, d'écrivains, des noms évocateurs de la nature et de repères urbains (3). A ce propos, le Projet urbain devra encourager une reconquête du littoral et du port, à des fins de divertissement et de détente, afin qu'Oran ne tourne plus le dos à la mer ! La promotion immobilière, au sein du tissu urbain, doit respecter les critères et notamment le Prospect (rapport entre la hauteur de l'immeuble et la largeur de la rue). Au vu de l'étroitesse des rues, non seulement, il n'y a pas de retrait mais au contraire des porte-à-faux dès le 1er étage. Prenons un exemple, la rue Larbi Ben M'hidi a connu des ruptures par le passé. Citons les résidences Leclerc et Perret, respectivement de 12 et 20 étages. Ces deux ensembles ont été construits avec des retraits appréciables afin d'atténuer l'effet de rupture urbaine. Il en est de même pour l'Antinea sur la rue Tripoli. Au contraire, les promotions actuelles présentent des tours sans retrait et s'illustrent également par des porte-à-faux (comme si on voulait récupérer la partie réservée aux trottoirs piétons) ! Des silhouettes pesantes, donnant de mauvais exemples. Le quartier de Miramar est en voie d'être complètement défiguré. C'est aussi le cas d'autres quartiers résidentiels et paisibles. La promotion telle qu'elle s'effectue dans le tissu urbain a pris en otage la ville et compromet son avenir. L'exemple du Millenium, grand boulevard de l'Indépendance devant irriguer les nouveaux quartiers de l'Est, est mort dans l'œuf puisqu'il est impossible de l'élargir à cause des réservations de la voie qui ont été vite dilapidées. Le carrefour central de cette voie, en liaison avec Akid Lofi et la Pépinière, constitue un point noir. Sur la voie de réservation, on a fait déborder une mosquée, suivie d'une clinique et de promotions immobilières, en pleine intersection, qui se trouve bloquée de toutes parts. Le Projet urbain se doit de prendre en charge toutes ces problématiques, en engageant l'ensemble des acteurs en lien direct avec la ville ; autorités, élus, experts, organismes spécialisés et représentants des populations des différents quartiers dans un cadre de concertation à définir, sous forme d'un séminaire d'une ou deux journées pour les recommandations générales, suivi de mise en propositions concertées de projets à réaliser dans chaque secteur urbain et qu'animerait un comité local. La réflexion avant l'action Prenons quelques exemples. Le quartier Derb est relié par une pente aux «bas quartiers», c'est-à-dire Sidi El Houari. Comment résoudre cette «soudure» ? Par de murs de soutènement, comme on le fait à chaque glissement de terrain ou par une ingéniosité urbanistique comme une continuation des escaliers, situés derrière l'opéra jusqu'au centre du quartier ? Comment relier le quartier des Planteurs à la ville ? Peut-être par la reprise du Viaduc, idée de 1912, reprise par nos soins et qui a déjà bénéficié d'une étude au début des années 2010. Quand faudra-t-il reprendre et concrétiser complètement notre proposition d'extension de la place du 1er Novembre ? Avec un espace arboré en lieu et place des inutiles blocs en granit actuels, une récupération des fossés du Rosalcazar, du ravelin et son réduit, l'aménagement d'un accès supplémentaire à la promenade Ibn Badis. Et le projet de réhabilitation des 600 immeubles ? Et la requalification du marché de la Bastille ? Et le vaste terrain de la défunte Scaléra ? Comme on peut le constater, notre ville offre des opportunités en plein centre urbain (ce qui est rare actuellement). Sachons saisir cette «opportunité oranaise», qui ne se présente qu'une fois par siècle, et laissons l'empreinte de notre génération ; des réalisations esthétiques avec des repères urbains et non pas des bâtiments rébarbatifs, comme cet immeuble dit de Karguentah qui a été construit en lieu et place d'un marché Art Nouveau, ou encore, en guise d'hôtels, ces immeubles type crayons de couleurs, dressés effrontément sur le Front de mer. En fait, c'est nous les «Vieux bâtis», parce que nous manquons d'audace et d'expériences dans le renouvellement d'une ville. Nous n'avons pas su mettre à profit nos jumelages avec les villes qui ont acquis un savoir-faire dans ce domaine. Exit les conférences, séminaires et ateliers sur la ville, le lien avec l'université et les chercheurs, les associations innovantes et les revues scientifiques. Nous avions, depuis plus d'une dizaine d'années, fait une douzaine de propositions à l'échelle de la ville, fruits de nos ateliers croisés. Certaines ont connu un début de concrétisation (*4), d'autres non. Cependant, ceci ne saurait remplacer un Projet urbain. Le Projet urbain constitue cet outil consensuel et intersectoriel, qui manque tant à notre cité, et qui, en préconisant un retour de la ville sur elle-même, pense la ville durable, la ville où s'articulent harmonieusement urbanisme et architecture, la ville qui contribue à secréter «ces civilités urbaines» et cette douceur de vivre dont nous manquons terriblement. Les autorités qui réaliseront ce rêve entreront dans l'Histoire urbaine de notre cité et serviront d'exemples aux prochains bâtisseurs pour poursuivre une évolution harmonieuse et non chaotique comme vécu ces dernières décennies. 1 : «Oran Art Déco» par Nabila Metaïr, Ed. Bel Horizon, 2022. 2 : «Arbres et paysages remarquables» par Samir Slama, Ed. Bel Horizon, 2018. 3 : Rue de la Vieille Kasbah est un exemple de toponymie relatif aux repères urbains 4 : «20 ans au service du patrimoine» Magazine, Ed. Bel Horizon 2023 *Ingénieur, ex-Vice-président en charge de l'urbanisme et du Centre-ville à l'APC d'Oran (2007-2012). Président de l'association culturelle Bel Horizon. |