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Le dialogue
social a toujours été le parent pauvre de la fonction publique. Le statut de
carrière a invariablement prospéré sur le modèle autoritaire, avec à sa base le
sacro-saint principe affirmant que le fonctionnaire est vis-à-vis de
l'administration dans une situation statutaire et règlementaire.
Situation qui engendre une triple conséquence pour le fonctionnaire: tout d'abord, comme a pu le souligner le Conseil d'Etat français «les fonctionnaires ne peuvent invoquer aucun droit acquis au maintien de leur statut, lequel peut être modifié à tout moment», qui n'est rien d'autre que le principe de mutabilité qui gouverne le service public. Ensuite, le caractère légal et règlementaire de la situation du fonctionnaire, exclut que celui-ci peut être uni à son employeur par un contrat qui viendrait modifier, à la marge ou de manière plus substantielle les droits et les obligations de l'un ou de l'autre. Plus concrètement, il repose sur une forte subordination à la hiérarchie, à tel point que Léon Duguit a considéré, à un certain moment, que la grève des fonctionnaires est «une violation parfaitement caractérisée de la loi du service, par conséquent un fait illicite, et constitue donc une faute disciplinaire grave. C'est même la plus grave des fautes disciplinaires. C'est même un crime» ! Enfin, troisième conséquence, les accords collectifs passés entre l'administration et les organisations syndicales sont dépourvues de toute valeur juridique ou de force contraignante. Ils ne peuvent être opposables à l'administration que du jour où celle-ci veut bien s'y obliger en souscrivant formellement à un règlement ou à une loi. Ce n'est que sur le tard, que le modèle autoritaire a fait place à une logique participative, précisément lorsque la constitution française du 27 octobre 1946 a reconnu que «tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises », principe qu'il n'a pas tardé à étendre à la fonction publique. Dès lors que la participation a été constitutionnalisée, le législateur français a vite fait d'instituer les organes devant la porter et la concrétiser au sein de la fonction publique. Ce qui a donné lieu à la création d'un train d'instances qui ont pour nom, le Conseil supérieur de la fonction publique (un conseil pour les trois versants), les commissions administratives paritaires, les comités techniques paritaires, transformés ensuite en comités techniques tout court, qui ont fini par prendre la dénomination de comité sociaux et les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, qui ont intégré encore plus tardivement les comités sociaux. Tous ces organes sont aujourd'hui intégrés dans le droit de la fonction publique algérienne, sauf qu'il faut rallier la question de l'hygiène, de la sécurité et des conditions de travail comme compétence spécifique desdits comités techniques au sein des administrations et institutions publiques par une disposition modificative du décret exécutif n°91-05 du 19 janvier 1991, traitant indistinctement de la matière dans le monde du travail, spécifiant l'autorité exclusive des comités techniques vis-à-vis du secteur administratif. Il faut rappeler ici que ces organes de participation de la fonction publique ont déjà figuré dans l'ordonnance n°66-133 du 2 juin 1966, premier statut général de la fonction publique après l'indépendance et qui ont reçu leurs textes d'application, hormis le comité technique paritaire, créé au titre de l'article 13 de l'ordonnance susdite mais qui, n'ayant pas fait l'objet d'un texte d'application, est resté sans suite. Ce même comité a été ressuscité sous l'appellation de comité technique tout court au titre de l'article 62 de l'ordonnance 06-03 du 15 juillet 2006 portant statut général de la fonction publique. Ce comité a fini par être règlementé au bout de quatorze années passées, suivant le décret n°20-199 du 25 juillet 2020, qui a procédé en même temps à la révision du décret n°84-10 du 14 janvier 1984, fixant la compétence, la composition, l'organisation et le fonctionnement des commissions administratives paritaires, qui avait besoin d'être rafraichi et surtout pour donner cours aux dispositions de l'article 68 de l'ordonnance n°06-03, portant statut général, apportant la grande innovation que les représentants des fonctionnaires au titre de ces deux organes sont désormais élus parmi des listes proposées par les organisations syndicales. C'est précisément là-dessus que porte la présente contribution pour voir de plus près, si ce texte a vraiment apporté un acquis tangible en matière de participation des fonctionnaires dans le fonctionnement de ces instances. Les commissions administratives paritaires Ce qu'il y'a de nouveau et en même temps d'inacceptable dans le décret n° 20-199 mentionné ci-dessus, c'est qu'au lieu de s'en tenir aux dispositions de l'article 68 de l'ordonnance n°06-03 du 15 juillet 2006 portant statut général de la fonction publique, qui requiert que «les candidats à un mandat électif pour la représentation des fonctionnaires au sein des commissions administratives paritaires sont présentés par les organisations syndicales représentatives, (...)», Ledit décret s'en est allé faire de la surenchère par l'intermédiaire de son article 30 prescrivant, que «(...) les candidats à un mandat électif pour la représentation des fonctionnaires au sein des commissions administratives paritaires, remplissant les conditions d'éligibilité, sont présentés par les organisations syndicales les plus représentatives, conformément à la législation et à la règlementation en vigueur. (...). L'adverbe «plus» qui n'est pas mentionné à l'article 68 susdit du statut général, qui a valeur de superlatif, rend ipso-facto illégal l'article 40 en cause, tant il déroge, voire viole, sans cause et sans droit, la loi dans une de ses dispositions, qui de plus est substantielle. Cette disposition restrictive à l'égard de la représentativité des organisations syndicale vient à contre-courant du développement du mouvement syndical qui, à contrario, aspire à favoriser les organisations syndicales pour leur permettre d'affermir et d'encourager la représentation ouvrière (ici les agents publics). En fait, et si réparation il faut apporter ici, c'est bien l'article 68 de l'ordonnance 06-03 portant statut général de la fonction publique, qui doit être réécrit et réaménagé pour permettre à toutes les organisations syndicales, pas obligatoirement représentatives mais simplement reconnues, de présenter des candidats en vue de représenter les fonctionnaires. Ce modificatif, qui ne peut intervenir bien évidemment que par un changement du statut général, gagnerait à crédibiliser et à dynamiser le mouvement syndical dans l'administration publique. D'ailleurs et plus largement, on voudrait espérer substituer à l'article 35 de la loi n°90-14 du 2 juin 1990 relative aux modalités d'exercice du droit syndical, qui lie la représentativité des organisations syndicales des travailleurs à l'exigence de regrouper un taux minimal de 20% de l'effectif total des travailleurs couverts par les statuts desdites organisations, un critère bien plus légitime et incarnant bien plus concrètement la véritable audience des syndicats, qui ferait dépendre la représentativité des organisations syndicales aux scores qu'elles réalisent lors des élections professionnelles. Une autre constatation à noter au passif de l'article 40 du décret exécutif n°20-199, c'est qu'il prévoit, à tort, que «les électeurs choisissent les candidats à élire parmi les noms figurant sur la liste ou les listes des candidats». En fait, lorsqu'on est en présence d'un scrutin de listes, deux options sont possibles: soit les électeurs choisissent une liste parmi les listes en compétition et la liste ayant obtenu une majorité de voix rafle tous les sièges à pourvoir, soit c'est un scrutin ou on choisit des listes qui sont départagées à la représentation proportionnelle et dans ce cas de figure, les sièges sont attribués aux différentes listes proportionnellement aux voix qu'elles obtiennent. On ne choisit pas les candidats à élire, comme il est dit à l'article 40 suscité, parmi les noms figurant sur les listes ou la liste des candidats. En appliquant tel quel l'article 40 on aboutirait à détourner, ni plus ni moins, le poids et l'influence des organisations syndicales, qui sont libres de présenter et de classer leurs candidats comme elles l'entendent. Il faut savoir que le décret n°84-11 du 14 janvier 1984 fixant les modalités de désignation des représentants du personnel aux commissions paritaires est un scrutin plurinominal majoritaire à un tour. Sous l'empire de ce texte, les fonctionnaires se présentent individuellemnet aux élections des commissions paritaires et ceux qui obtiennent le plus de voix et dans la limite des sièges à pourvoir, sont élus soit comme titulaires, soit comme suppléants. Au final, et sans trop présumer de nos remarques ci-dessus, la logique voudrait que l'élection des représentants des fonctionnaires en vue de la constitution d'une commission administrative paritaire, appelle et nécessite, sans que cela soit obligatoire, un scrutin de liste à la représentation proportionnelle. Il n'y a aucun motif à s'en défier, c'est le plus juste moyen qui a été trouvé pour donner le plus de chances en matière d'élection, quel que soit d'ailleurs le domaine concerné. Nous y contribuons ci-dessous en explicitant l'itinéraire que peut emprunter un vote à la représentation proportionnelle: - déterminer le nombre de sièges obtenus par chaque liste. Celui-ci étant égal à autant de fois qu'une liste obtient le quotient électoral (total des suffrages exprimés divisé par nombre total de sièges), - déterminer les représentants titulaires élus en fonction des sièges obtenus et selon l'ordre dans lequel ils sont présentés par chaque l'organisation syndicale concernée, - attribuer à chaque liste un nombre égal de suppléants désignés selon l'ordre présenté par l'organisation syndicale concernée, - déterminer les sièges des représentants titulaires ou suppléants restant éventuellement à pourvoir. Ils sont attribuables, soit suivant la règle de la plus forte moyenne, soit celle du plus grand reste (le texte doit le prévoir), -les électeurs ne peuvent voter que pour une liste entière, sans radiation ni adjonction de noms et sans modification de l'ordre de présentation des candidats.Le texte peut même prévoir, comme pour les élections communales ou pour la députation, que les listes ayant obtenu moins de 5% de voix ne puissent pas gagner de sièges, Les mêmes observations mentionnées ci-dessus sont valables pour les commissions de recours. Les comités techniques Inconnus du grand public, les comités techniques sont une instance de représentation des fonctionnaires leur permettant de dialoguer avec l'employeur. C'est à peu près l'équivalent du comité de participation institué par l'article 91 de la loi n°90-11 du 21 avril 1990 relative aux relations de travail, qui existe au sein des entreprises et autres organismes employeurs, tels que les établissements publics à caractère industriel et commercial. A la différence des commissions administratives paritaires qui statuent sur les questions individuelles, les comités techniques sont chargés de donner leur avis sur les questions qui intéressent le collectif des agents publics. Ceux-ci peuvent dépendre, soit d'un comité technique unique qui relève d'une institution recouvrant tout un périmètre institutionnel donné, soit d'un comité technique commun à plusieurs institutions affiliées, d'une manière ou d'une autre, à tout un département ministériel. l'avis de ces comités techniques peut porter aussi bien sur les projets de textes relatifs à l'organisation et au fonctionnement des services, que sur les projets de restructuration et d'aménagement des conditions de travail, mais aussi sur les questions relatives à la santé, à hygiène et à la sécurité et même à la valorisation des parcours professionnels et le cas échéant aux modalités d'organisation et d''adaptation du temps de travail dans l'administration et d'autres préoccupations, dont fait mention sommairement le décret n°20-199 du 25 juillet 2020 dans son titre III. A ce sujet, on peut reprocher aux auteurs du décret susdit de s'être contentés de perpétuer et de recycler les dispositions de l'article 71 de l'ordonnance n°06-03, portant statut général, sans avoir entrepris d'introduire préalablement, par voie législative cela s'entend, les arrangements ciblés au statut général pour donner une plus grande faisabilité auxdits comités techniques, qui à n'en pas douter, vont rencontrer moult difficultés à leur démarrage. En conséquence et considérant qu'il est de principe que la loi est réputée parfaite, nos observations porteront par la force des choses, un peu par procuration, sur le décret lui-même. Elles sont les suivantes: -concernant la composition du comité technique (article 79, 80 à 88) L'article 79 du décret édicte que «les comités techniques comprennent en nombre égal des représentants des administrations et des représentants élus des fonctionnaires au sein des commissions administratives paritaires. Ils sont composés de membres élus et d'un nombre égal de membres suppléants». Pour sa part, l'article 80, sans qu'il soit nécessaire de le citer en entier, prévoit et fixe un nombre identique des membres titulaires et suppléants par palier d'effectifs au sein des administrations. Ce faisant, on se retrouve en plein système de parité entre les représentants de l'employeur et les représentants élus des fonctionnaires, ce qui ajouté à l'article 88 dudit décret, qui prévoit que «le comité technique est présidé par l'autorité auprès de laquelle il est placé (...)» débouche sur une surreprésentation de l'employeur. On constate ici, qu'on est loin de l'objectif de favoriser la participation des fonctionnaires par l'entremise de leurs représentants. On voit plutôt se construire un dispositif paritaire, au point qu'il aurait été de bon ton et de bon conseil de titrer simplement «comité technique paritaire » au lieu de «comité technique» tout court. La méprise, peut-on dire, c'est d'avoir confondu entre bipartisme et paritarisme. -concernant les articles 92 et 95 du décret. Passe encore pour l'article 95, qui habilite les représentants des fonctionnaires élus en qualité de titulaires dans les commissions administratives paritaires, à se faire élire comme représentants titulaires élus des fonctionnaires aux comités techniques (...), mais que dire de l'article 92 qui édicte que « sont électeurs, à un comité technique, les représentants élus des fonctionnaires (on suppose ici les suppléants) au sein des commissions administratives paritaires concernées. N'est-ce-pas quasiment un dispositif qui fonctionne en circuit fermé ! Pourtant, les affaires qui regardent le comité technique n'intéressent pas que les seuls délégués proposés par les organisations syndicales. En fait, elles concernent tous les fonctionnaires, pourvu qu'ils remplissent certaines conditions, et normalement même les contractuels à durée indéterminée, ce qui donc les habiliterait à élire eux-mêmes leurs représentants aux comités techniques. Bien évidemment, au-delà du décret suscité, qui reste un texte d'application de l'ordonnance 06-03 suscitée, la normalisation de cette situation ne peut advenir que de la mise à jour de l'article 71 de ladite ordonnance. Il ne s'agit pas de dire que ce problème, ou un autre, dans la mesure où on est convaincu qu'il requiert une intervention nécessaire, sera pris en compte lors d'une hypothétique réforme du statut général. La bonne démarche à suivre consisterait à procéder, autant de fois que c'est nécessaire, à un changement ciblé de la loi, même si cela ne coûterait que de modifier un article ou deux. Conclusion Le principe de la participation veut que les agents publics soient associés à tout ce qui concerne la marche du service, que ces mesures soient d'ordre individuel ou collectif. Au contraire de ce qui se passe dans le monde de l'entreprise qui s'est appropriée cette notion de longue date et qui maitrise plus ou moins son ingénierie, la fonction publique construite sur le concept du statut, accepte difficilement la participation, comme si elle amoindrissait son autorité et son pouvoir. Aussi, ne faut-il pas s'attendre à ce que celle-ci prenne vie rapidement dans le contexte de la fonction publique algérienne, qui ne reconnait que la hiérarchie et l'ordre, nonobstant sa reconnaissance ,subrepticement formelle, du comité technique, sur le fondement de l'article 62 de l'ordonnance 06-03, portant statut général. Ceci pour dire qu'il est quasiment certain qu'il faudra attendre longtemps pour que le statut général, pour ne pas dire l'administration, puisse accepter un jour que les organisations syndicales soient autorisées à participer au niveau national aux négociations relatives à l'évolution des rémunérations, des primes, du régime indemnitaire, ou mieux du pouvoir d'achat des agents publics avec le Gouvernement. On ne saurait même pas espérer que de simples négociations touchant aux statuts, à l'organisation des carrières et aux conditions générales d'emploi puissent voir le jour dans un futur proche. A ce moment-là, on pourra parler d'organisations syndicales les plus représentatives. *Énarque |