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DELHI ? Bien plus que l'inflation qui fait couler beaucoup d'encre dans les
pays développés, ce sont les inégalités massives entre les pays riches et le
reste du monde (à l'exception de la Chine) qui constituent le principal
obstacle au redémarrage de l'économie mondiale. Restreignant l'augmentation de
la demande mondiale, ces inégalités laissent certains pays pauvres embourbés
dans la stagnation, ce qui va affecter les investisseurs des pays riches.
La forme de K de la reprise économique tient essentiellement aux énormes différences de réactions sur le plan budgétaire entre les pays riches et les autres face à la crise. Bien que la pandémie de COVID-19 ait entraîné partout une baisse des recettes publiques, le FMI estimait en avril 2021 que dans les pays avancés les dépenses publiques avaient augmenté de plus de 6% de leur PIB par rapport à leur niveau pré-pandémique, alors que celles des pays émergents n'ont augmenté que de 1% de leur PIB et celles des pays à faible revenu ont diminué. En octobre 2021, alors que de nouvelles vagues de COVID-19 perturbaient l'économie, en raison de la hausse de la dette publique accumulée lors des deux années précédentes, la «consolidation budgétaire» était déjà en route dans nombre de pays à revenus faibles ou moyens. Cela a assombri leurs perspectives économiques et les a empêché de réaliser des dépenses pourtant essentielles en matière de services de santé et d'alimentation. La nouvelle allocation de 650 milliards de dollars en droits de tirage spéciaux (DTS, l'actif de réserve du FMI) décidée par le Fonds en août 2021 constitue la seule étincelle d'espoir dans ce contexte peu encourageant pour une grande partie des pays en développement. Malheureusement les DTS sont attribués en fonction de la contribution financière des différents pays membres au FMI, ce qui dépend essentiellement de leur PIB. Ainsi, les pays à revenu faible ou intermédiaire n'ont reçu que quelques 250 milliards de dollars, tandis que les pays riches ont bénéficié pour leur part de près de 400 milliards de dollars dont ils n'utiliseront probablement qu'une faible partie. Ce système d'allocation des DTS est manifestement dépassé et illogique, surtout si l'on prend en compte les énormes inégalités qui existent aujourd'hui entre pays, ainsi que l'ampleur et l'urgence des besoins de financement des pays pauvres. Malgré tout, l'allocation de DTS a servi de bouée de sauvetage pour plusieurs pays en développement confrontés à un grave déséquilibre de leur balance des paiements, et elle a contribué à éviter un nouveau déclin économique. Depuis août, au moins 80 pays ont utilisé leurs DTS dans des objectifs variés ; 32 les ont échangés contre des devises fortes, 55 les ont utilisés pour payer leur cotisation au FMI, et 39 les ont inscrits dans leur budget, sans doute pour financer leur politique de santé publique et d'autres priorités. Les DTS présentent plusieurs avantages par rapport aux autres types de financement international. Ils n'alourdissent pas le fardeau de la dette extérieure et ils sont inconditionnels (contrairement aux prêts du FMI et d'autres prêteurs multilatéraux). Ils sont accessibles à tous les pays, y compris ceux à revenu intermédiaire qui peuvent être confrontés à des contraintes liées à leur balance des paiements et sont exclus des autres financements multilatéraux. Enfin, leur coût est quasi nul, avec un taux d'intérêt qui est actuellement inférieur à 0,1 %. Il est difficile d'imaginer un moyen plus facile d'aider financièrement les pays qui en ont un besoin urgent. C'est pourquoi de nombreux dirigeants souhaitent que les allocations de DTS soient plus fréquentes. Ainsi, lors de la Conférence de l'ONU sur le changement climatique (COP26) à Glasgow en novembre dernier, la Première ministre de la Barbade, Mia Amor Mottley, a appelé à l'émission de 500 milliards de dollars de DTS par an pendant 20 ans pour financer la lutte contre le réchauffement climatique. Les pays avancés n'ont pas tenu leur engagement relativement modeste fait lors de la COP15 en 2009 de financer à hauteur de 100 milliards de dollars par an la lutte contre le réchauffement climatique dans les pays en développement. De ce fait, des allocations régulières de DTS en leur faveur constituerait un financement précieux pour les aider à freiner le réchauffement climatique et à s'y adapter. Les DTS fourniraient aussi une partie du financement nécessaire à la réalisation des Objectifs de développement durable de l'ONU qui semblent actuellement hors de portée. Faut-il s'inquiéter des conséquences monétaires d'une distribution annuelle de DTS ? L a somme proposée est insignifiante par rapport à la hausse de 25 000 milliards de dollars de liquidités liée aux politiques monétaires relâchées des pays avancés depuis la crise financière mondiale de 2008. Avec 943 milliards de dollars, les DTS ne représentent que 7% des 12 800 milliards de dollars de réserves mondiales. Même si leur part dans ces réserves se trouvait dans un intervalle de 30 à 50%, il existe de toute évidence une marge importante pour en émettre davantage. Une question plus immédiate se pose : Comment utiliser les 400 milliards de dollars de DTS alloués à des pays riches qui n'en auront probablement pas besoin ? Le simple fait que le FMI détiennent ces DTS excédentaires constitue un énorme gaspillage, compte tenu des coûts d'opportunité considérables. Certains pays riches se sont engagés à redistribuer un total de 100 milliards de dollars de DTS, mais ils n'ont pas encore atteint cet objectif. La question du recyclage ou du réacheminement des DTS existants est donc urgente. Mais la proposition du FMI d'établir un «Fonds fiduciaire pour la résilience et la durabilité» de 50 milliards de dollars priverait les pays en développement de nombre des avantages des DTS. En premier lieu, le montant de ce fonds est scandaleusement faible. Pire, son aide interviendra sous la forme d'une dette qui devra être remboursée (à faibles taux d'intérêt il est vrai), et sera soumise par le FMI à des conditions qui se sont trop souvent révélées extrêmement contre-productives. Et elle ne sera accessible qu'aux pays à faible revenu ou à ceux qui sont inclus actuellement dans un programme du FMI, laissant de côté la majeure partie des pays en développement. En d'autres termes, le programme proposé par le FMI n'a rien d'exceptionnel, il n'y a pas grand chose à en attendre. D'autres propositions sont plus encourageantes. Les pays riches pourraient orienter leurs DTS vers les banques régionales de développement qui sont autorisées à en détenir. Des institutions comme la Banque africaine de développement pourrait les utiliser pour augmenter leurs fonds propres et aider davantage les pays en développement à lutter contre le réchauffement climatique et à atteindre les Objectifs de développement durable de l'ONU. Dans la même optique, un économiste, Avinash Persaud, propose de créer un fonds destiné à la lutte contre le réchauffement climatique financé par l'émission de DTS à hauteur de 500 milliards de dollars par an. Il aiderait les pays dont les projets laissent présager la plus grande réduction des émissions de gaz à effet de serre. Si les pays riches tardent à réagir aux propositions d'emploi de cet argent en attente, ils laisseront échapper une occasion extraordinaire de parvenir à une reprise économique mondiale plus équitable et plus juste - et ils auront à en payer le prix. Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz *Secrétaire exécutive du réseau d'économistes IDEAS (International Development Economics Associates) - Professeur d'économie à l'université du Massachusetts à Amherst et membre de la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises |