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BERKELEY
? Les USA ont de toute évidence un problème avec l'inflation. Mais on ne sait
pas encore quelle va être son évolution et sa durée. Inquiets, certains
observateurs font le parallèle avec les années 1970, lorsque le prix des
matières premières a explosé.
La FED (Réserve fédérale américaine) a alors tardé à réagir et l'attente d'inflation n'a plus connu de limite. Les producteurs, les consommateurs et les travailleurs s'attendaient à ce que la hausse des prix se poursuive ou s'accélère. En conséquence de quoi, les ménages ont adapté leurs dépenses, les syndicats leurs revendications salariales et les entreprises leurs prix, ce qui a déclanché une spirale inflationniste. Par contre aujourd'hui l'attente d'inflation reste stable. Selon un sondage de l'université du Michigan, les consommateurs s'attendent à ce que l'inflation approche 5% cette année, pour ensuite descendre un peu au-dessus de 2 % au cours des quatre années suivantes. L'anticipation d'inflation liée aux bons du Trésor indexés sur l'inflation à cinq ans montre à peu près la même chose : elle est en moyenne de 2,8 % au cours des cinq prochaines années. Compte tenu de l'anticipation de 5 % pour 2022, on peut en déduire que l'attente d'inflation pour la période 2023-2026 est inférieure à cette valeur. Autrement dit, rien ne laisse présager d'importantes variations de l'attente d'inflation. La situation peur certes évoluer. L'anticipation d'inflation, aussi stable soient-elle pour le moment, le restera-t-elle, ou bien évoluera-t-elle toujours à la hausse comme dans les années 1970 ? Répondre à cette question suppose de déterminer dans quelle mesure les conditions qui ont conduit à la «Grande inflation» des années 1970 appartiennent désormais aux oubliettes de l'Histoire. N'oublions pas qu'en 1973, lorsque l'inflation des prix à la consommation a atteint 6%, il était logique que les consommateurs, les producteurs et les travailleurs extrapolent ce taux pour l'avenir. Ils estimaient que l'inflation allait persister, car il n'y avait aucune raison de penser que la Réserve fédérale allait la juguler. La Fed, en tout cas ses responsables, ne disposaient même pas d'un modèle de relation entre la politique de la banque centrale et l'inflation. Dans les années 1950 et jusqu'au début des années 1960, la politique monétaire se décidait avant tout dans le cadre du système monétaire international de Bretton Woods. Les banques centrales et les Etats étrangers pouvaient alors échanger leurs dollars contre de l'or au prix fixé par les USA, 35 dollars l'once d'or. Une inflation excessive ou une politique laxiste des banques centrales pouvait menacer la stabilité de ce cours. Si les taux d'intérêt américains étaient trop bas, les capitaux risquaient de fuir le pays, diminuant les réserves d'or et contraignant la Fed à augmenter ses taux. Si la demande était trop élevée, elle devait la freiner, une hausse des importations se traduisant par une diminution des réserves d'or. Le mandat de la Fed ne constituait ni à maîtriser l'inflation, ni à minimiser le chômage, mais à protéger les réserves d'or américaines et à maintenir le dollar au cours fixé par les accords de Bretton Woods. On attribue généralement la Grande Inflation à l'effondrement du système Bretton Woods en 1971-1973. En réalité, ce système avait déjà perdu en efficacité et l'inflation avait commencé à s'accélérer dès la seconde moitié des années 1960. Les USA ont adopté des mesures telles que l'impôt d'égalisation des intérêts sur les investissements financiers américains à l'étranger (IET, Interest Equalization Tax) qui ont relâché le lien entre inflation et diminution des réserves d'or. Le Trésor américain s'est imposé dans la gestion du marché des changes, et de ce fait, la Fed a considéré que la diminution des réserves d'or et la faiblesse du dollar ne relevaient pas de sa responsabilité. C'est ainsi qu'aux USA l'inflation approchait déjà 6 % en 1970, avant même l'effondrement du système de Bretton Woods. Cet effondrement aurait été sans grande conséquence si la Fed avait eu une théorie cohérente du lien entre politique monétaire et inflation. Mais son président, Arthur Burns, considérait que la politique monétaire n'avait pas d'importance. Il estimait que l'inflation était due aux revendications salariales excessives des syndicats, à la hausse des prix décidée par les entreprises en position de force, aux mauvaises récoltes, au prix élevé du pétrole et aux dépenses publiques excessives. Son successeur, G. William Miller, qui n'avait pas les titres universitaires de Burns, était peu enclin à remettre en question les idées de son illustre prédécesseur. Finalement, Paul Volcker s'exprimera à ce sujet, mais seulement après avoir accédé à la présidence de la Fed en 1979. La situation d'aujourd'hui ne pourrait pas être plus différente. Les responsables de la Fed savent que dans presque toutes les situations exceptionnelles, politique monétaire et inflation sont intimement liées. Ils s'inscrivent dans un cadre politique cohérent et ciblent un taux d'inflation donné. Tout laisse à penser que les acteurs des marchés financiers et les personnes interrogés lors des sondages leur font confiance. Néanmoins le chemin à venir s'annonce difficile pour la Fed. Une hausse des taux d'intérêt pourrait déséquilibrer les marchés financiers, susciter une fuite des capitaux et générer des difficultés pour les pays émergents. Telles sont les conséquences d'une trop grande temporisation. Mais contrairement à ce qui s'est passé en 1970, aujourd'hui la Fed a conscience des enjeux. Elle est fermement décidée à rattraper son retard. Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz *Professeur d'économie à l'université de Californie à Berkeley. Il a écrit de nombreux livres, dont notamment In Defense of Public Debt (Oxford University Press, 2021). |