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Augustin Jomier
est maître de conférences en Histoire contemporaine du Maghreb à l'INALCO
(Institut national des Langues et des civilisations orientales, Paris). Il a
publié Le Maghreb par les textes avec Charlotte Courreye
et Annick Lacroix chez Armand Colin en 2020. Il a travaillé sur l'Histoire du
Mzab dans son ouvrage Islam, réforme et colonisation, une histoire de l'ibadisme en Algérie (1882-1962), tiré de sa thèse et paru
aux Éditions de la Sorbonne en 2020.
Tributaire de la province ottomane d'Alger, situé au cœur d'un vaste plateau pierreux du nord du Sahara algérien, le Mzab a d'abord été un protectorat français en 1853 et a été annexé par la France en 1882. Les Français ont surnommé les sept ksour ou bourgs fortifiés du Mzab l'heptapole (les cinq ksour de la pentapole à savoir Ghardaïa, Beni Isguen, el-Atteuf, Bou Noura et Melika plus les deux ksars plus éloignés Guerrara et Berriane). Le Mzab a été administré par les militaires français de 1882 jusqu'en 1957 où le gouvernement français le transforme en département. L'islam ibadite pratiqué dans cette région est spécifique. Augustin Jomier en retrace l'histoire contemporaine en s'intéressant particulièrement au réformisme ibadite en montrant ses prolongements après 1962. Emmanuel Alcaraz : Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à l'ibadisme au Mzab ? Augustin Jomier : C'est en 2007-2008, alors que j'étais coopérant dans une bibliothèque universitaire à Alger, que je me suis rendu pour la première fois au Mzab, à l'invitation d'un collègue originaire de la région. Après quelques mois en Algérie, où déjà ma curiosité avait été éveillée, me conduisant à me poser une foule de questions sur la culture algérienne et l'histoire de la période coloniale, la découverte du Mzab m'a beaucoup frappé. Outre la beauté de la région, deux éléments m'ont particulièrement intrigué : d'une part, sa culture lettrée ancienne, visible à ses nombreuses bibliothèques ; d'autre part, l'apparente cohésion et l'organisation de la communauté mozabite ? les Berbères ibadites du Mzab ? avec ses traditions, ses institutions et des figures de proue comme Mohammed Atfayyish et Ibrahim Bayyûd. J'ai rapidement eu l'idée d'étudier dans le cadre du Mzab les questions que je me posais sur l'Algérie à la période coloniale. Emmanuel Alcaraz : Quelles sources avez-vous utilisé pour mener cette recherche ? Avez-vous pu faire du terrain en Algérie et consulter des archives ? Augustin Jomier : Oui, j'ai eu la chance de mener un long terrain (7 mois) au Mzab en 2008-2009, puis de pouvoir y retourner régulièrement jusqu'en 2015. J'ai été très bien accueilli sur place et aidé par des associations de préservation du patrimoine ibadite. Cela m'a permis de récolter une vaste documentation, d'aller aux archives de la wilaya, de visiter les institutions réformistes, de mener des entretiens et de faire la connaissance de collègues universitaires. Difficile de dire en quelques mots toute la richesse de cette expérience ! Elle m'a conduit à nouer des liens avec les dépositaires de l'histoire que j'étudiais, à prendre en compte les usages actuels de ce passé, et à donner en définitive une coloration ethnographique à ma recherche. Grâce à cela, j'ai aussi utilisé des sources locales, principalement en arabe, comme la presse mozabite (les journaux d'Abû al-Yaqzân et d'Abû Ishâq Atfayyish), des manuscrits, des pamphlets et traités de la période coloniale. Mon travail est, par ailleurs, fondé aussi sur des sources coloniales (de l'administration militaire locale et des services du Gouvernement général à Alger), des écrits des pères blancs (des missionnaires présents dans la région depuis les années 1880), et des travaux d'ethnographes, folkloristes et berbérisants qui se sont intéressés au Mzab. J'ai voulu au maximum croiser ces différents discours pour pouvoir restituer le mieux possible la façon dont les populations du Mzab avaient traversé la « nuit coloniale ». Emmanuel Alcaraz : Pouvez-vous nous rappeler les spécificités de l'islam ibadite par rapport à l'islam sunnite? Augustin Jomier : L'ibadisme représente aujourd'hui une minorité infime dans l'islam. Cette branche est née de la « grande discorde » (Hichem Djaït) du Ier siècle de l'hégire, lorsque les ancêtres des ibadites n'ont suivi ni les partisans de ?Alî, ni ceux de Mu?awiya. De ces confrontations inaugurales découlent quelques différences doctrinales entre ibadites et sunnites. Pour n'en citer qu'un exemple, fondamental, la foi (imân) se compose pour les ibadites indissociablement de la parole et des actes (al-qawl wa al-?amal). La profession de foi ne suffit donc pas à assurer le salut : il faut, pour être sauvé, accomplir l'ensemble des actes témoignant de la foi. Ce type de croyances a une traduction sociale puisqu'il définit les contours de la communauté des croyants et les liens de solidarité qui les unissent. Autre exemple, cette solidarité walâya qui lie les membres de la communauté et leur impose de se porter secours la barâ'a (dissociation) constitue une obligation pour les croyants, qui doivent aussi exclure les pécheurs de la communauté. Cette doctrine de la walâya (l'association) et de la barâ'a a une traduction sociale : jusqu'à la période coloniale (et parfois au-delà), au Mzab, seul un ibadite méritant la walâya avait le droit de témoigner, d'avoir une sépulture, d'épouser un ibadite et d'hériter. Emmanuel Alcaraz : Quel a été l'impact de la colonisation sur l'islam ibadite et plus spécifiquement sur une institution qui jouait un rôle clé dans la région avant la venue des Français : la halqa des azzabas, un cercle de savants musulmans gérant la vie religieuse d'un ksar ou bourg fortifié du Mzab ? Les religieux et lettrés ibadites ont-ils résisté ou se sont-ils accommodés de cette présence coloniale ? Vous évoquez le rôle de Mohammed Atfayyish (vers 1820-1914), dit le Qutb. Pouvez-vous nous rappeler son importance ? Augustin Jomier : L'annexion de la région en 1882 est bien évidemment vécue comme un choc immense. La mise en place de l'administration coloniale française vient notamment perturber les institutions locales, à commencer par les halqa, les cercles d'oulémas qui jouent, à côté des djemaas, un rôle important dans la direction de chacun des sept ksour. L'administration française instaure des tribunaux (mahakma) ibadites et construit des écoles. Les cheikhs des halqa risquent alors d'être marginalisés dans leurs fonctions centrales (rendre la justice et transmettre le ?ilm). Ils repensent donc leur rôle et vont guider la communauté dans ces temps d'incertitude politique et culturelle. Ils se concentrent notamment sur des domaines du fiqh que les tribunaux coloniaux ne couvrent pas et entament une réforme des institutions éducatives ibadites. La figure clé qui négocie ce passage est en effet Mohammed Atfayyish, principal savant ibadite à l'époque, originaire du ksar de Beni Isguen. A la fin du XIXe siècle, il tente d'assurer au mieux la pérennité des institutions ibadites (notamment en influençant indirectement la politique coloniale dans la région), réinterprète le fiqh pour répondre aux défis du temps, et commence à repenser les rapports de la communauté avec la majorité sunnite. Le développement de l'imprimerie de langue arabe lui permet de diffuser son œuvre à grande échelle, du Mzab à Zanzibar, en passant par le Caire. Il a eu de nombreux disciples et reste aujourd'hui une figure majeure pour les ibadites. Emmanuel Alcaraz : Point intéressant, l'étude de l'islam ibadite au Mzab témoigne d'une histoire autonome des ibadites par rapport aux colons européens portée par les circulations entre le Mzab et les autres régions du Maghreb (Tunisie, Libye), du Moyen-Orient (Egypte), voire de l'Afrique de l'Est. Vous évoquez les liens entre le Mzab et le sultanat de Zanzibar. Ces circulations sont demeurées intenses même sous la colonisation ? Augustin Jomier : L'histoire de l'Algérie à la période coloniale est souvent vue uniquement comme un face-à-face Algérie-France. Ce qui m'a intéressé à travers le cas des Mozabites était de voir des commerçants, des étudiants, et des cheikhs circuler de façon intense du Mzab vers l'est du Maghreb (Tunis, Djerba, le Djebel Nefousa libyen), mais aussi vers Le Caire et plus loin. Ils se déplacent le long de routes et dans des réseaux dont l'existence remonte au moins aux XVIe-XVIIe siècles, et ces circulations s'intensifient grâce aux progrès des transports (navigation à vapeur, ouverture du canal de Suez...). Les autorités françaises peinent à contrôler ces mouvements, et j'ai ainsi trouvé dans différentes sources des traces de centaines d'étudiants qui partent du Mzab à Tunis ; des livres et des journaux imprimés au Caire ou à Zanzibar qui sont acheminés au Mzab ; des cheikhs libyens qui s'installent au Mzab ; des Mozabites au Caire... Bref, tout un monde qui circule, échange des idées et qui aide à comprendre, d'une part, comment des liens antérieurs à la colonisation perdurent et sont même réactivés et, d'autre part, comment l'histoire vécue par les Algériens durant la période coloniale n'est pas résumée à la confrontation avec la France : cela permet de mieux saisir quelle était leur marge de manœuvre, quelles ressources ils ont pu trouver pour résister, se réinventer... Emmanuel Alcaraz : Votre travail s'intéresse beaucoup aux réformistes ibadites à l'époque coloniale, dont le pôle était Guerrara, qui sont entrés en concurrence avec les religieux conservateurs, dont le pôle était Ghardaïa. Quelles sont les grandes figures du réformisme ibadite ? Quelles sont leurs spécificités et leurs points communs par rapport aux autres réformistes algériens comme Ben Badis ? Que voulez-vous dire par l'expression de réformisme ibadite d'interface ? Augustin Jomier : Au début des années 1920 émerge une nouvelle génération d'oulémas, qui se font remarquer par leurs idées pédagogiques audacieuses et qui vont se réclamer du mot d'ordre de la réforme (islâh). Beaucoup d'entre eux viennent de Guerrara, ville la plus périphérique du Mzab, dont ils font le centre du mouvement réformiste, parvenant en 3 décennies à prendre le contrôle de la plupart des institutions religieuses du Mzab. Parmi les figures marquantes, certains ont étudié à Tunis, comme le poète, journaliste et imprimeur Abû al-Yaqzân (1888-1973), ou le journaliste Abû Ishâq Ibrahim Atfayyish (1886-1965), qui passe l'essentiel de sa vie au Caire. À partir des années 1930, les réformistes du Mzab ont pour figure de proue le cheikh Ibrahim Bayyûd (1899-1981), qui ne vient pas d'une famille d'oulémas mais s'impose par son talent d'orateur et sa capacité à mobiliser la jeunesse (écoles, scoutisme...). C'est lui qui fait de Guerrara ce lieu central et qui organise la conquête réformiste de la région, tantôt contre les autorités coloniales, tantôt avec leur aval tacite. Les réformistes du Mzab ont beaucoup de points communs avec ceux de l'association des oulémas (AOMA) de Ben-Badis : ils cherchent à « purifier » la pratique populaire de l'islam, notamment en luttant contre les ziyârât et veulent moderniser leur communauté, par exemple en reprenant un certain nombre d'innovations techniques et scientifiques européennes, en développant la scolarisation des enfants, ou bien encore en encourageant l'esprit d'entreprise... S'ils ont des buts communs avec l'AOMA (unir la umma, promouvoir la langue arabe...), si Abû al-Yaqzân et Bayyûd en sont membres, les écoles réformées du Mzab n'ont jamais rejoint le réseau des oulémas. Ils formulent des propositions de réforme à l'intérieur d'un cadre doctrinal ibadite et pour la communauté mozabite avant tout. J'ai parlé de « réformisme d'interface » car j'ai été frappé de voir combien les oulémas du Mzab ont utilisé le discours de la réforme/islâh pour se positionner comme des leaders de leur communauté auprès des autorités coloniales. Ils utilisent le fait qu'islâh se traduit par réforme en français pour s'adresser à la fois aux Mozabites, et aussi dans la sphère publique francophone, où les débats sur l'avenir de la colonie et les réformes politiques sont très importants dans les années 1930. De cette façon, cheikh Bayyûd parvient progressivement à devenir un za?îm, interlocuteur incontournable pour les autorités coloniales. Emmanuel Alcaraz : Comment ces réformistes ibadites ont-ils réussi à s'imposer par rapport aux lettrés conservateurs ? Quel impact ont-ils pu avoir sur la sphère du sacré et quels liens ont-ils tissé avec la diaspora marchande mozabite ? Etaient-ils porteurs d'un renouveau dans leur manière de penser les relations avec les musulmans sunnites ? Augustin Jomier : Mon livre raconte la lutte féroce que se livrent des années 1920 aux années 1950 les oulémas qui se disent « réformistes » (muslihûn) et leurs opposants « conservateurs » (muhafizûn) : les réformistes divisent d'abord la société locale par leurs choix en matière éducative (proposer une offre éducative « moderne » inspirée de modèles européens), en matière d'innovations techniques et de consommation, puis par leur lutte contre les visites dans les cimetières et les mausolées. A chacune de ces étapes, ils rendent de plus en plus caduques (ils « ringardisent ») les conservateurs, qui n'ont d'autre choix que de réagir aux positions réformistes et ne parviennent pas à être eux-mêmes force de proposition. Parallèlement, ils développent toute une série d'écoles et d'activités à destination de la jeunesse, qu'ils prennent en charge et forment. De cette façon, les réformistes gagnent une influence très forte dans la vallée et finissent par la transformer profondément. A partir de 1948, c'est aussi sur la scène politique qu'ils se lancent : Bayyûd devient le représentant de la région à l'Assemblée algérienne, puis les réformistes remportent progressivement presque tous les mandats locaux. Les commerçants de la diaspora, dans le Tell, sont leurs alliés principaux : ils financent les activités (associations, écoles) des réformistes, ils mettent leurs moyens de transport à leur service alors que, dans une forme d'échange, les réformistes développent tout un discours sur l'économie, la richesse, les pratiques financières et commerciales qui légitime cette nouvelle élite commerçante, qui profite aussi des écoles réformistes pour donner une éducation « moderne » à ses fils. Les réformistes repensent aussi les relations avec la majorité sunnite : après des siècles d'exclusion mutuelle entre ibadites et sunnites (qui n'ont en réalité pas empêché une certaine coexistence) un mouvement de rapprochement (taqrîb) est mené au long du XXe siècle. Les réformistes revisitent l'histoire de la fitna et surtout l'histoire médiévale de l'Algérie (le royaume rustumide) pour montrer qu'ibadites et sunnites peuvent vivre ensemble et se reconnaître mutuellement comme des croyants. Le contexte colonial est évidemment important pour comprendre ce rapprochement : il s'agit d'unir les Algériens face aux Français et, de façon plus large, les musulmans face à l'impérialisme européen. Emmanuel Alcaraz : Pendant la guerre d'Algérie, comment se sont positionnés les réformistes ibadites ? Augustin Jomier : Je n'ai pas étudié cette question d'aussi près que d'autres, mais ce que je peux en dire est qu'il n'y a pas de position réformiste unie. Certains financent la lutte pour l'indépendance ou s'y engagent directement (certains comme Abû al-Yaqzân sont des militants nationalistes depuis des décennies). La position d'un leader comme Bayyûd est complexe, car l'essentiel pour lui est de préserver l'existence de la communauté ibadite, ce qui implique de ménager ses relations avec le FLN et avec les Français. À cet égard, il tire un parti astucieux du fait que le Mzab est relativement à l'écart, peu touché par les opérations armées. Par ailleurs Guerrara est périphérique et la guerre est plutôt une période d'approfondissement de l'ancrage local de Bayyûd, qui à la fois cautionne l'engagement nationaliste des uns et garde une certaine réserve. Vers la fin de la guerre, il s'engage plus nettement, en luttant contre le projet visant à séparer le Sahara du reste de l'Algérie. Il est en cela fidèle à son engagement, depuis 1947, pour que le Mzab soit à part entière dans l'Algérie. Cette position d'équilibre lui permet d'être nommé délégué culturel à l'Exécutif provisoire algérien en mars 1961, organe dans lequel, à côté de six représentants du FLN étaient nommées trois « musulmans indépendants », et trois « Européens libéraux ». Emmanuel Alcaraz : Vous évoquez notamment dans votre livre l'importance du 14 mai 1971 où des mozabites ibadites, influencés par le cheikh Bayyûd (1899-1986), de sensibilité réformiste, se sont mis à effectuer une prière le vendredi précédé d'un prône ou khotba, ce qui était une première depuis la chute de l'imamat rostémide au Xe siècle, les mosquées ibadites n'ayant pas de minbar. Il s'agissait de montrer l'allégeance des ibadites au nouveau pouvoir algérien. Depuis l'indépendance, quelle est la place des réformistes mozabites au sein de la République démocratique et populaire algérienne et plus globalement quelles relations ont tissé les musulmans ibadites avec l'Etat algérien renaissant ? Augustin Jomier : Difficile de répondre à tout cela. Disons que dans l'épilogue de mon livre, j'essaie de voir comment les institutions et les réseaux réformistes, développés pendant la période coloniale, ont perduré et ont été utilisés après l'indépendance pour essayer de conserver une certaine marge de manœuvre à la communauté. Alors que la politique française jouait des divisions religieuses et linguistiques pour s'imposer, l'Etat algérien indépendant ne reconnaît pas de communautés : les tribunaux ibadites sont très rapidement supprimés par exemple. J'ai essayé de montrer comment, malgré cela, jusqu'aux années 1970 (je peux difficilement parler de ce qui suit que j'ai moins étudié), les réformistes parviennent à garder une forte influence localement, mais aussi dans les réseaux des anciens membres de l'AOMA par exemple. Cela permet, entre autres choses, que les écoles réformistes soient épargnées par la nationalisation des écoles privées en 1976. Tout un tissu associatif demeure, ainsi que les halqa des ?azzaba et les djemaa, qui sont autant de relais pour l'influence locale des réformistes (ou d'autres élites et mouvements) et qui permettent à la communauté ibadite de perdurer. Emmanuel Alcaraz : Enfin dernière question, quels conseils méthodologiques donneriez-vous aux jeunes chercheurs algériens qui veulent se lancer, comme vous, dans une recherche historique de grande ampleur en Algérie avec l'idée de croiser les méthodes des sciences sociales et l'islamologie ? Augustin Jomier : De façon générale, il faut bien entendu lire le plus de travaux possibles, afin de ne pas enfoncer de portes ouvertes ; consulter des archives dans plusieurs régions et pays (en fonction du sujet évidemment) ; trouver et exploiter des sources en arabe et en tamazight pour ne pas dépendre des seuls discours tenus en français. Pour ce qui est de croiser sciences sociales et islamologie, c'est ce que j'ai essayé de faire dans mon livre, et bien sûr cette démarche est reproductible. Pour ne pas dépendre des seules sources européennes, j'ai étudié les textes produits par les acteurs du champ religieux (oulémas, tolbas...) : des textes doctrinaux ou hagiographiques, des fatwa, des prêches (khutba) etc. Il fallait donc (c'est le versant islamologique) comprendre le sous-texte doctrinal, religieux, l'ancrage islamique de ces textes, et en même temps les considérer comme des productions historiques et sociales (c'est le versant sciences sociales), émanant d'une société à un moment donné. Lues ainsi, des sources qui semblent ne parler que de religion offrent en réalité aussi un regard neuf sur ce que les historiens étudient : les violences des conquêtes coloniales et ses effets, l'influence des catégories et des pratiques juridiques européennes, la grammaire politique des populations algériennes. En un mot, cela permet de voir les transformations d'une société qui fut tout sauf statique. Je suis persuadé que tout un travail reste à faire en ce sens, à partir des productions de foyers lettrés comme la Kabylie, le Touat, et bien d'autres encore ! *Docteur en Histoire, agrégé d'Histoire et de Géographie, il vient de publier Histoire de l'Algérie et de ses mémoires des origines au hirak chez Karthala. |