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De plus en plus de «
médiateurs » sur la toile, des politiques ou de simples citoyens se lancent, à
la faveur de la facilité de communication qu'offrent les réseaux sociaux, dans
des tentatives d'explication des origines des noms de famille (ou patronymes)
et des noms de tribu (ou ethnonymes) algériens.
Beaucoup vont jusqu'à énoncer, dans beaucoup de cas, des étymologies fantaisistes, et certain(e)s, dans le pire des délires investissent le registre de l'insulte collective ou l'instrumentalisation politique, individuelle ou collective, ciblant, dans des cas précis des noms propres algériens, en l'occurrence, ceux qui se terminent par « oun » : Hanoun, Remaoun, Haroun, Saadoun, Dahmoun, Yamoun, Chimoun, Chenoun, Chemroun, etc. Le sens de ces patronymes est renvoyé soit à des références religieuses (Islam, Chrétienté, Judaïsme), soit à des références linguistiques (arabe, hébreu, espagnole, française...) ou géographiques (orientale, occidentale)... Il n'est pas exagéré de dire, au regard de la récurrence et du matraquage de ce type de déclarations, et au vu de sa montée en puissance ces derniers temps, soit à partir de l'étranger, soit à partir de relais en interne, que les présupposés idéologiques, politiques, géographiques à la base de ce discours sont, indubitablement, la fragmentation identitaire et la reprise de concepts déjà usités dans le domaine de l'anthropologie coloniale. Le tout est adossé, sans être naïf, à l'atteinte de la cohésion sociale et par là, à l'évidence, aux trames historiques de la solidarité sociale et familiale, et à terme, à l'unité nationale et la matrice fondatrice de l'Algérie et de l'Algérianité : le territoire. Objectif : susciter le doute et maintenir un seuil minimal d'adversité à dominante identitaire. Le summum, sous forme d'insultes et de stigmatisations racistes, a été atteint en Algérie quand des patronymes de personnalités politiques algériennes, pourtant issus d'un lignage et d'une généalogie séculaires et prestigieuses : cas de Benghebrit (Ghebri, Ghabri, Ghabrit, Ghoubri, Ath Ghoubri, Ath Ghovri, Beni Ghoubri, Beni Ghoubrit, Beni Ghobrine, Ighobrinen, Ghobrini, etc.) ; voire plusieurs fois millénaire : cas de Tebboun (Ath Tebboun, Tebbou, Ait-Tabbou Tebount, Tabbou, Tabbount, Toubount, Tabount, Touat n Tebbount, Tebuhasant et Tebouaçant, Tebouten Tîhtebbout, âhtebbou, ihtebbouten...) La terminaison «oun» dans les noms propres: de l'Inde à l'Andalousie Parler des noms propres de personnes ou de tribus formés avec le suffixe «oun» en quelques lignes est un défi risqué, eu égard à la couverture géographique d'un domaine aussi étalé dans le temps (plusieurs milliers d'années) et étendu dans l'espace, allant du Maghreb à la limite de l'Inde. Plusieurs hypothèses sont formulées par des spécialistes sur l'origine de ce « oun » : celle de Kuentz (1952). Il rattache cette terminaison à un substrat oriental, antérieur aux Arabes, en particulier chez les Sabéens, de Harrân, et même plus loin dans le temps, en langue syriaque et en araméen (comme noms communs de proximité : gabrâ / gabrûnâ, talyâ/talyûnâ), bien que des noms soient attestés dès les premiers siècles de l'Hégire : Hamdûn, ?Abdûn. L'Occident musulman n'a donc fait, précise Marty (1936) que développer l'emploi d'une forme arabe venue d'Orient. Il souligne, à juste titre, le caractère occidental de la terminaison «oun», «à la façon de l'onomastique andalouse»: Hamdoun, Hamroun, Sahnoun, Zaïdoun, Bahroun, Khaldoun, etc. Celle de Schimmel (1998), reprise par Ouerdia Yermeche (Directrice de l'unité de recherche sur les systèmes de dénomination -RASYD du CRASC), appuie cette hypothèse selon laquelle l'usage du «oun» serait la marque de l'augmentatif, «fréquemment attesté en Afrique du Nord et dans l'Espagne médiévale où l'on rencontre de nombreux Hamdoun, Khaldoun, Hafsoun». Cette terminaison connaît un allongement en « - a » : Hamdouna, Rahmouna, Mimouna, Benouna... Des rapprochements ont été facilement établis entre cette terminaison en «oun» et le «- on» espagnol ou le «-one» italien, étudiée par Dozy. L'illustration parfaite est le cas du castillan Ra'mon / Ramon / Remaoun / Rem3oun ; Chem3oun /Chemaoun / Chemoun / Simoun, Simo'n, Simon... Geoffroy, spécialiste du soufisme et fin connaisseur de l'Algérie, rejoint cette hypothèse et précise que le suffixe « oun » serait la forme du pluriel, masculin régulier en arabe classique, d'origine andalouse. Cet emploi est associé également à son usage espagnol comme suffixes augmentatifs dans le domaine familier. Le plus employé est - ón, ona, il exprime une idée de grandeur sans signification péjorative: silla > sillón sala > salón puerta > portón casa > caserón. Cet usage du « oun » augmentatif connaît une généralisation après l'islamisation et l'arabisation du Maghreb. De Slane (traduction de l'Histoire des Berbères... d'Ibn Khaldoun) insiste sur le caractère prestigieux et nobiliaire de la terminaison «?oun» chez les grandes familles d'origine arabe : « pour servir d'appellation distinctive d'une famille, on en choisissait un, composé de trois lettres radicales, et on y ajoutait la syllabe oun. Ce fut ainsi que se formèrent les noms de Bedroun, Abdoun, Sidoun, Zeidoun, Azzoun, Khaldoun. En Espagne surtout cet usage fut très répandu ». De manière générale, les noms algériens de souche espagnole ou hispanisée ne représentent qu'une infime proportion dans le paysage nominatif algérien. Pour les noms de personnes, selon Yermeche (2008), ils représentent moins de 0,28%. Ils sont encore moins présents, voire insignifiants, dans les noms de lieux (Benkada, Benramdane, 2004). Les noms de personnes algériens de souche espagnole ou hispanisée, eu égard aux conditions historiques de contact humain durant la période médiévale (sphère ibéro-maghrébine), renvoient à des références d'origine géographique : Ghenouchi/Guenouchi «Galicien» ; Gharnati «Grenade» ; Korteby «Cordoba /Cordoue» ; Andalousi «Andalou», Balensi «de Valence», Qastuli, Qastali «de Castille». Il faudra ajouter d'autres noms référant à d'autres domaines tels : El Korso, Moutchachou, Tchikou/Benchicou/Bentchikou, Mouro... Les noms «algériens» en Andalousie et en Sicile A l'échelle du bassin méditerranéen (Occident musulman du moyen âge), des similitudes ont été relevées dans l'évolution du stock des anthroponymes (ou noms de personnes) : Maghreb, Andalousie et Sicile, ce que Pierre Guichard nomme les « zones de contact entre monde chrétien et monde musulman » (1994). L'historienne Nef Annliese, explorant l'anthroponymie de Sicile, celle des jarâ'id notamment : Palerme, Iaci, Cefalù, zones de Calatrasi et Corleone, sur une période s'étendant de la fin du XIe à la fin du XIIe siècle, note que la nomenclature des noms, fruit du travail de l'administration royale des souverains normands de Sicile, se présente comme suit : ?Allûn (de Ali), ?Amrûn (de ?Amar), Farjûn, Hassûn, ?Issûn (Issa), Jabrûn, Ghafrûn, Harzûn, Rahmun, Maymûn, Sahlûn, etc. Par excès de généralisation, l'auteur ne connaissant pas certainement l'onomastique algérienne (amazigh et darija) attribue le qualificatif «arabe» à tous les noms relevés, alors que des noms berbères ou berbérisés (sous la forme de la darija) sont facilement décelables dans les listes citées : Bâdîs, Zekri, Qadur, Zirwal, Zanîna, Zemmita, Majjan, Sawdan, Wasif, Ya'la, Yanâr... C'est dire que les mouvements et zones de contacts prolongés et étroits des relations humaines les plus marqués et ayant fait l'objet d'études les plus approfondies sont la Sicile arabo-normande et, surtout, l'Espagne sur la Tolède mozarabe. Plusieurs régions ont été des espaces de fixation de noms berbérisés et arabisés. Nous citerons quelques représentants : Ebraheme (Ibrâhîm), Kacemene (Qâsîm), Haceme (Hazm), Esoabene (peut-être de ?Isaben), Taref (Târîf), Alef (Alif), Mutarrafe (Mutarraf), Alvalit (Al-Walid), Abderahana (?Abd al-Rahmân), Aiza (?Issa), Ababdella (Abû ?Abd Allaâh), Abaiub (Abû Ayyûb), Abiahia (Abû Yahya), Abol Cacem (Abû l-Qâsim), Abdella Iben Taion (?Abd Allâh ben Taion), Abol Feta (Abû l-Fida), Iscam Recaredez (Hishâm), Zuleman (Sulayman), Mahomat, Abzecri [contraction de Abû et de Zekri, berbère])... (A. Cyrille , 2008). Il y a également la fameuse Alcalá de los Gazules (Kalaa des Guezoul) de Iguezoulen. Rappelons que la cité de Tihart, capitale rostémide, est construite sur le flanc du Djebel Guezoul (VIIIe siècle). Permanence des noms de tribus amazighes en Andalousie Suite à la défaite du roi Rodrigue (19 juillet 711), l'entrée des Berbères changea le cours latino-chrétien et hispano-wisigothique de l'histoire péninsulaire, mettant en place les fondements d'une culture arabo-islamique dans laquelle l'élément berbère, bien que non prédominant, conserva tout son dynamisme et contribua grandement à assurer l'identité et la spécificité de cette culture (J. Bosch-Vilà, 2012). Les tribus berbères qui traversèrent à plusieurs reprises le Détroit du désormais (Gibraltar) sont listées et continuent à faire l'objet de beaucoup de travaux de recherche en Espagne, au Portugal et au Maghreb. Dans l'armée de Tariq l'amazigh, les soldats appartenaient aux différentes tribus des Zenata, Meknassa, Medyunaa ([Mediouna / Beni Médiane), Hawwara, Gomara, Masmuda... Des chercheurs ont établi des recoupements entre les différentes données des historiens musulmans et pu dresser le catalogue partiel des ethnonymes berbères, arabisés ou non, qui s'établirent en Al-Andalus: les Banu Ifran, Banu Ilan (ou Aylan), Banu Qazar. Accompagnés de leurs familles, il faut ajouter les Sanhadja, Malzuza, Azdaça, Sadîna et Ulhasa ; Awraba et Zuwawa (confédération Ketama) ; Gumara, Matgara, Sadîna, Malîla, Nafza, Haskura et Masufa, Banu Jizrun. Leur présence a été cristallisée dans les noms de lieux (toponymes) : Atzneta ou Atzaneta (Zanata), Atzueva (Zwawa), Favara (Hawwara ?), Senija (Sanhaça / Sanhadja) et les nombreux « Beni » suivis du nom de famille berbère ou arabisé. D'autres sources plus récentes, se rapportant au Xe siècle, permet d'ajouter les noms des Garawa, Zuwaga, Lamaya, Djebala, Karnata, Sumfa, Hawlana, Mistasa, Luwata, Gazula, Matmata, Magrawa (Maghraoua), Mazata, Hawtuta, Lamtuna et Banu Zarwal de la tribu des Magila (Maghila/Meghila)... La productivité du «oun» dans la darija: une évolution permanente Cette productivité de la terminaison en «oun» s'explique par les implications linguistiques et interlinguistiques, générées par le contact prolongé entre l'élément arabe et l'élément amazigh. Mustapha Tidjet, spécialiste en anthroponymie et directeur du Centre national de recherche en langue et culture amazighes, évoque plusieurs indices expliquant cette formation particulière des noms en «oun». La terminaison arabe «oun» est perçue comme consonne finale par les non-Arabes (Berbères et/ou Espagnols), alors qu'elle n'est, précise-t-il, « qu'une simple voyelle pour l'arabe, ce qui aurait contribué à sa fixation comme consonne finale. Exemple : Muslim< Muslimoun, Hakim-oun ; Raïs ?oun. Il y a aussi le phénomène populaire de l'attraction paronymique, connu en onomastique, lorsqu'il y a déformation de sens d'un terme inconnu, exercé par un vocable plus courant ou prestigieux. Ce procédé est décelable dans les noms tels que «a[eggun, ame[fun, amejnun (...) et on le trouve dans beaucoup de noms tels que aqjun « chien », amdun « trou naturel où se conserve l'eau ». On y ajoutera la prédominance du noun, comme le signale Beaussier dans son célèbre dictionnaire (1887), du fait de la transcription arabe ou arabisée des noms de tribus amazighs. Le mécanisme de généralisation a produit Banu Ifroun (Ifri), Ouled Tadjroun (Tadjer), Sanhadjioun (de Sanhadja), Matmatioun (de Matmata)... Enfin, l'emploi du « oun » connaît une extension de sens au Maghreb, à connotation augmentative, négative cette fois-ci, relevant parfois de l'insulte : Kelb, Beni Kelboun ; Tama'> Ben Tam'oun A la faveur de son important corpus, Yermeche et Tidjet confirment la vitalité et la productivité de cette terminaison, dans une autre valeur sémantique, notamment dans l'arabe algérien (darija), permettant la formation de noms diminutifs affectifs ou hypocoristiques, (exemple : frère / frérot). Ils citent des noms de famille : Saadoun « très heureux » de Saad ; Cheikhoune/Chikhoune hypocoristique de Cheikh ; Haddadoun / Haddad; Aidoun - Aidoune/Aid, Djebloun- Djebloune / Djebli - Djebel ; Drahmoune / Drahem. Tidjet y relève d'autres dérivés : Aichoune, Aidoun, Aidouni, Chabouni, Djemaoun, Akroun, Arkoun, Dahmoun/Dahmoune, hypocoristique de Dahmane ; Selmoun<Salim, Hammoun/Hamoun/Himoun< Hamane ; Hannoun < Hanna ; Chinoune/Chennoun/Cheinoun, de Chanai. Hassoun/Hasoun de Hassan, Habba>Haboune ; Chemma> Chemmoun ; Hamane > Hamoun/Himoun ... Ce type de formation est devenu un modèle par imitation, dans des situations affectueuses, élargies surtout aux prénoms : Nasser > Nasroun ; Hassan > Hassoun > Hassouna... Ils peuvent également exprimer la descendante collective : Beni Khalfoun « descendants de Khalef ». La vitalité de «oun» dans les noms de tribus amazighs Pour notre part, il y a dans le stock des noms de tribus et de lieux amazighs avec ses déclinaisons dans darija, un nombre considérable (des centaines de milliers) de noms formés avec la dite terminaison. Ce constat est déterminant dans la définition du substrat anthropologique de base de l'Algérie, de son peuplement et territoire. Nous citerons : Ahl Zalboun (Tlemcen), Harchoun (Draa Mizan), Beni Semghoun (Bayadh) Oued Aghrioun / Agrioun, Azzefoun (Tizi Ouzou), Beni Khalfoun (Isser), Bouchagroun (fraction des Zibans), Beni Djermoun (Sétif), Tazga Haggoun, Tadjeroun, Medrouna, Safioun (Ghardaia), Fekroun (Bousaada), Azib Zemoun, Beni Chenoun, Tadjrouna, Eng-Megraoun (Goléa), Ksar Heïnoun (In Salah), Oued Zergoun (Ouargla), Ouled Aroun (Gourara), Ksar Tarahmoun, Tehen Tlemoun (Goléa), Affroun (Blida), Aggoun, Dernoun, Serdoun, Chioun, Fakaoun, Droun, Medjkoun, etc. Il n'est pas exclu d'énoncer, eu égard au nombre considérable de noms de lieux et de tribus formés avec cette terminaison, l'hypothèse que ce type de dénomination existe en Afrique du Nord, avant l'avènement des Arabes. Ceci pourrait relever du domaine du libyque, dans l'antiquité. Les autres dénominations relèveraient du contact avec d'autres langues : les langues sémitiques comme le phénicien, l'akkadien et l'araméen, mais surtout le phénicien, puis le punique, langue de Carthage, fondée en 814 avant J.C. Mais est-il que les travaux en onomastique (science des noms propres), en l'état de nos connaissances actuelles, corrélés aux résultats des recherches de type génétique (ADN) montrent la prédominance, quand on cible des noms propres précis (toponyme, anthroponyme ou ethnonyme) d'un même fonds démographique et anthropologique, d'Afrique du Nord et de la Péninsule ibérique (Espagne et Portugal) aussi bien à consonance berbère ou berbérisée, arabe ou arabisée, hispanique ou hispanisée. *Professeur des universités, directeur de recherche - associé CRASC, président de la SASO (Société algérienne savante d'onomastique) |