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Monsieur l'éditeur et militant
de l'algérianité
De prime abord, j'ai visionné votre conférence le jour même de l'érection de la fameuse statue de Chichnaq. Vous comprenez maintenant quel fut mon étonnement et quelle a été la teneur de ma réaction. Mais évaluant votre attitude face à la réalité que vit notre pays, j'avais décidé de ne pas vous répondre conscient que cela ne servira à rien. Ce qui m'a incité finalement à réagir, c'est l'intime conviction d'éclairer l'opinion publique sur les réalités historico-anthropologiques du pays et de dévoiler le non-fondé de vos allégations que vous présentez comme arguments historiques irréfutables. Je ne répondrai pas non plus à vos insultes. Elles sont le signe d'une indigence intellectuelle et de votre sectarisme : vos procédés s'inscrivent dans le contexte du sophisme grec (procédé rhétorique déformant la vérité). Ceux qui insultent autrui sont ceux dont la force de persuasion est déficiente. Vous avez essayé aussi, par votre attitude passionnelle et votre ton comminatoire de m'attirer sur le terrain d'une polémique partisane; peine perdue ! Je suis et je resterai ce qu'ont fait de moi mon ancestral environnement culturel et cultuel, mes études supérieures et surtout les saines pratiques universitaires, c'est-à-dire : un historien archéologue agissant selon le code de la rigueur scientifique et de la probité. Aussi, permettez-moi, monsieur de vous faire part de quelques remarques, que j'ai pu relever dans votre virulent exposé : Correctifs à vos sournoiseries - Je ne peux me référer ni à l'ancien testament ni au « Livre des rois » dont les adeptes eux-mêmes qualifient de document ayant subi des falsifications. L'histoire s'écrit sur la base de documents écrits ou épigraphiques et de traces authentifiés. En écrivant son livre, A. Weigall n'a pas puisé son information uniquement du « Livre des rois ». (Vous avez essayé de minimiser son apport en faisant de lui un journaliste, il était ancien inspecteur général des antiquités du gouvernement égyptien). En sus, vous ne cachez pas votre réticence envers les égyptologues anglais qui ont souvent contredit les travaux des égyptologues français. Mais l'importance de ce livre, c'est qu'il a été édité en 1968, presque deux ans après la création de l'académie berbère : il fut en son temps une première réponse contraire à vos projets. Quant au professeur Oum El Kheir Lagoune de l'université d'Oran, elle a fait honneur à sa spécialité d'historienne de la période antique. Elle analysa objectivement des faits historiques, sans leur donner l'attitude partisane que vous lui prêtez. Elle nous apprend (p.194) que Chichnaq voulant préserver le pouvoir central, va déroger aux règles ancestrales des anciens pharaons, en octroyant les postes clés de l'Etat à des chefs militaires des « Mechaouch ». Et pour prendre de l'ascendant devant ces chefs, il va renier le titre qu'il avait auparavant, celui de « Chef suprême des Mechaouch », pour ne garder que celui de Pharaon : il a pris ses distances vis-à-vis des Libyens et se définit comme égyptien. - La reine Tinhinane : l'étude faite sur les restes d'une tombe baptisée «tombe de Tinhinane » a démontré que le squelette appartient à un garçon de quatorze ans. Vous faites souvent référence à des données erronées et, à chaque fois que vous êtes acculé, vous criez « au complot », alors que votre exposé est truffé d'attitudes complotistes. C'est le voleur qui crie « au vol ! ». - Confusion : le terme « chez vous » que vous soulignez, ne veut pas dire l'Algérie, mais « chez vous » est « une Tamazgha » englobante et dissolvante sous la bénédiction de «hizb frança », c'est-à-dire les tenants de l'académie berbère, et les affligés de sa dissolution en 1978. - Erreur de jugement : j'ai fait mes études supérieures uniquement en Algérie et en arabe. Ma thèse de doctorat a été suivie par un éminent professeur de philosophie de l'université d'Alger : feu Rabia Mimoun (un véritable « Argaz » de la tribu des Koutama). C'est pour dire que la culture berbère est ancrée en moi et je la défends contre toute attaque de l'intérieur comme de l'extérieur. Et ce n'est pas parce que je suis en mesure d'écrire en français, et que je maîtrise cette langue, que je deviens -pour vous- un élément de l'école coloniale. Mes actions et mes écrits restent toujours conformes à mes convictions. - Vos allusions sur Ibn Toumert, El Haddad et Léon l'Africain sont erronées. A titre d'exemple, vous citez le « livre des noms » d'Ibn Toumert, alors que vous ignorez son contenu : il s'agit de « Kitab El Asmaa wa Sifat ». Il concerne le dogme de l'islam selon l'école Achaarite. C'est un chapitre du livre d'Ibn Toumert : A'azzou ma Youtlab. Je vous fait savoir que ce chef spirituel a voulu rédiger son livre en parler des Mesmouda, mais se ravisant, il le rédigea en arabe. (Nous n'allons pas discuter ici le pourquoi dans cette modeste mise au point). Quant à Yaghomracen, fondateur de l'Etat zianide, tout indique que vous ignorez complètement sa personnalité et son projet de société. - Athènes : c'est votre style qui était ambigu. je sais bien que le site de la ville d'Athènes ne peut se déplacer et que la ville a plus de trois mille ans d'existence. Quant à la déesse Athéna (ou Minerve), déesse de la sagesse et protectrice de la ville qui porte son nom, c'est l'œuvre d'Homère qui a contredit vos assertions. N'a-t-elle pas (la déesse) durant tout le récit de l'Odyssée protégé Ulysse contre le dieu Poséidon ? Et vous savez bien que les travaux d'Homère datent de neuf siècles av. J.C. ! Alors, à qui vous faites allusion ? Peut-être à la statue d'Athéna du musée de Tripoli ? Celle-ci date du premier siècle après J.C. Mais cela ne veut pas dire comme vous l'assurez « qu'elle est née chez nous ». Etes-vous sûr que le sculpteur était berbère ? Et même s'il l'était, l'œuvre s'inscrit dans la culture romaine (à moins de faire l'apologie de la romanisation des berbères). Berbère/Amazigh Vous dites que vous réfutez catégoriquement la dénomination de berbère, parce qu'elle est coloniale. Là réside votre sectarisme ou votre ignorance. Sachez bien, monsieur, que les deux termes Berbère et Amazigh nous ont été légués par la culture arabe. Les Français l'ont emprunté à l'arabe. Ibn Khaldoun dans sa généalogie affirme que les anciens habitants du Maghreb sont les « fils de Ber, fils de Mazigh ». Est-il logique de réfuter le père (Ber) et d'adopter le fils (Mazigh !). Pour plus de précision et dans une optique anthropologique, ce sont les auteurs de langue arabe qui ont été les premiers à avoir étudié la composante humaine du grand Maghreb de façon systémique; et là où les auteurs des anciennes civilisations n'ont vu que des tribus disparates, les historiens de langue arabe les ont définies comme entité homogène : ils les ont étudiées selon le mode de vie et non ethniquement. De toute façon, ce n'est pas les seuls termes que vous rejetez. Exemple : vous utilisez à nouveau le terme « Afrique du Nord » au dépend du « Maghreb » parce que ce dernier se réfère à l'arabité. D'ailleurs, les deux noms (Afrique et Afrique du Nord) sont d'origine latine. Ils n'existaient pas à l'époque des pharaons (afer = noir). Aussi, vous n'aimez plus que l'on vous nomme ?Kébaïl', car vous êtes des Amazighs qui signifie paraît-il « homme libre ». C'est faux ! Anthropologiquement, ce terme s'applique aux populations transhumantes, et non pas aux populations sédentaires. Il désigne ceux qui n'ont aucun lien avec la terre et qui sont « libres » d'aller où est leur intérêt. Les « hommes libres » ne peuvent aspirer à une patrie puisqu'il va leur manquer le socle où s'active une entité nationale ayant la volonté de vivre en commun. Quant à l'appellation « Amazigh » que vous chérissez tant, quel est son enracinement anthropologique dans les parlers berbères ? Citez ne serait-ce qu'un document nommant les berbères Amazighs, avant la colonisation française. Selon mes connaissances, du reste que je reconnais modeste à côté de vos supposées encyclopédiques, il n'y en a pas. Le grand militant de la cause nationale, feu Mohammed Chérif Sahli, auteur de « Décoloniser l'histoire», n'a utilisé que la dénomination de « berbère ». Plus encore, il nous apprend « qu'en 1857, Lalla Fatma N'soumer fit appel aux moussebline pour un dernier et suprême effort » (in Décoloniser l'histoire, p. 62). Le terme moussebline fait référence à la culture musulmane. C'est pour vous dire que le livre de cet authentique patriote algérien a été pour moi un livre de chevet. Et si l'on remonte encore plus loin dans le temps, à Fez en 712 h (1312 g), un anonyme et brave berbère va faire l'éloge des Berbères. Il appela son livre : « MAFAKHIR EL BERBER », il ne mentionne pas le mot : amazigh. Vous affirmez que vous avez parcouru un livre ancien utilisant le terme amazigh, faites une copie d'une page seulement. En réalité, le terme a vu le jour lors de la crise berbériste (1948-49), lorsque les nationalistes de la Kabylie chantaient « Kher a mmi-s umazigh » (Lève-toi fils de Mazigh). Je souligne à l'occasion que l'auteur de la chanson a utilisé le mot Mazigh, et non amazigh et l'ajout du préfixe a donné Amazigh et son pluriel Imazighen... et par enchaînement et enchantement, il y a eu Tamazigh et enfin Tamezgha. Dans la rive sud de la Méditerranée, c'est la terre qui fait l'homme non le contraire. Est-il admis qu'en changeant de nom, on renforce notre personnalité et par-delà on enracine notre identité ? Dans le domaine de la recherche, les ethnologues français qui ont travaillé au Maghreb ont mis au jour des crânes dolycéphales et des brachycéphales, peut-on les ranger dans une même ethnie ? Aussi, les résultats des scientifiques de la géographie historique et des préhistoriens confirment que le Maghreb a été un couloir de l'humanité, et un couloir brasse les ethnies. C'est pour cela que l'origine des Berbères restera une énigme. Mais ce n'est pas une tare ! Au contraire, c'est une richesse ajoutée à notre environnement. Dans la mythologie grecque, Zeus, pour punir le titan Atlas, lui a imposé de soulever la voûte céleste à partir des deux chaînes de montagne de notre terroir. La symbolique qui se dégage : le Maghreb est le socle et le couloir de l'humanité ! Alors pourquoi cet entêtement pour la recherche de la race pure ? Comment pouvez-vous accepter qu'un noir (Youssef Ibn Tachafine), un blond (Ziri Ibn Mened), un rouquin (Abou Tachafine le zianide), un bronzé Téhénou (Chichnaq), puissent appartenir à une même ethnie. C'est le comble de l'irrationnel ! Revenons à Chichnaq A aucun moment je n'ai refusé l'existence de Chichnaq, mais je m'élève contre la falsification de l'histoire. Admettons qu'il soit d'origine lybienne lointaine, le texte en hiéroglyphe de la stèle ci-contre, semble-t-il, le confirme. Le document est conservé au musée du Louvre. (Cf. catalogue Tanis p.36). La stèle nous informe que quatre pharaons ont porté ce nom. La professeure Oum El Kheir va jusqu'au sixième de ce nom (p.189). Mais de là à affirmer que le fondateur de la XXII° dynastie a étendu son autorité de la Palestine jusqu'à la Libye (vous soulignez que Libye voulait dire du Nil à l'Atlantique !), est une falsification des évènements concernant le Maghreb et qui interpelle tout chercheur. Vos propos contredisent donc toute vie politique de toute la rive sud de la mer méditerranée. Stète de Pasenhor Comment pouviez-vous justifier les règnes des successeurs de Meryev si Chichnaq avait réellement étendu son pouvoir jusqu'à l'Atlantique ? Etaient-ils ses vassaux ? Carl Ginberg, dans « Histoire Universelle » (p. 74 ed. Marabout de poche) se demande comment un pharaon de la période de déclin politique de l'Egypte pouvait régner sur un empire très instable surtout dans sa partie nilotique. Votre logique ne tient pas ! Le comble, c'est que vous faites de Chichnaq un personnage clé du destin des peuples. Je cite vos propos : « Lorsque vous lisez attentivement le passage de l'ancien testament, on s'aperçoit que Chichnaq était le bras de l'Eternel avec lequel il a sanctionné le peuple qui a péché après la mort de Salomon ». Vous y croyez ?! Voulez-vous insinuer que Chichnaq avait embrassé la religion de Salomon ? alors que nous le connaissons comme prêtre du temple d'Amon et sachant que la division de l'empire de Salomon eut lieu en 915 av. J.C. C'est-à-dire bien après la mort de Chichnaq premier (la division est considérée comme péché). Par quel moyen Chichnaq a-t-il puni Roboam fils de Salomon alors qu'il était dans l'autre monde ? Nicolas Grimal (Histoire de l'Egypte ancienne, p. 418, Fayard 1988), nous donne une autre version sur l'invasion de Jérusalem : l'incursion de tribus bédouines, mettant en péril la route commerciale menant vers la Phénicie. Comment pouvez-vous porter un quelconque crédit à de telles fabulations ? En somme, vos propos sentent la mauvaise foi et ou l'ignorance ! Il n'y a rien dans la vie de Chichnaq qui prouve qu'il ait eu un quelconque sentiment d'être chargé d'une mission divine ou autre en faveur de l'Afrique en général, et de l'Afrique du Nord, en particulier. En réalité, Chichnaq n'est qu'un pharaon, comme ses prédécesseurs. Il n'avait à cœur que la défense de l'Égypte telle qu'il l'a héritée de manière illégitime et illégale. Sa politique extérieure était, comme celle de ses prédécesseurs, tournée vers la défense des frontières est du territoire égyptien, essentiellement contre les Hittites, (les Perses n'avaient pas encore percé). L'éditeur confond mythe et histoire ! Il est dans le déni, donc dans l'impasse et c'est lui qui fausse la discussion par ses présupposées vérités, pas ceux qui les réfutent sur des bases tirées de l'Histoire telle qu'elle peut être reconstituée à partir des traces. En conclusion Monsieur l'éditeur, tous les peuples du monde, lors de l'écriture de leur histoire nationale, ont eu recours à un mythe fondateur, mais tous ces peuples ont choisi leur mythe dans leur terroir. Ils ne l'ont pas importé. Pourquoi vous voulez imposer à la région un étranger, alors que vous avez autour de vous d'éminents stratèges qui remporteraient l'adhésion de tous les Algériens. Je cite comme exemple Yougherthen (Jugurtha), l'homme qui a tenu tête à l'armée romaine et qui humilia Rome elle-même... et qui est mort de faim dans un cachot à Rome ! On aurait accepté avec enthousiasme que sa mort en 104 av. J.C. puisse être la date inaugurale du « calendrier berbère ». Malheureusement vos conseillers n'ont pas lu le « Message de Jugurtha » de Da Mohamed Chérif Sahli. Vous lui avez préféré un pharaon qui n'avait plus rien de Libyen et qui portait son intérêt vers l'Orient en se détournant complètement de l'Occident. En réalité, il vous a renié ! Et vos allégations ont attiré l'ire de nos voisins et pays frères : Libye et Egypte. Ce qui est évident, c'est que Chichnaq n'est pas l'élément représentatif de la berbérité, et que, viendra le moment où les habitants de Tizi Ouzou vont eux-mêmes déboulonner une statue étrangère au patrimoine ancestral commun ; pire encore, elle divise ! Et quoi que vous fassiez, Chichnaq restera un étranger au Maghreb. L'Histoire est implacable et ne vous pardonnera pas ! Voilà monsieur l'éditeur. J'en ai terminé avec ma réponse visant à éclairer nos compatriotes. Par contre, notre échange prend fin ici. Pr* |