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Nous saisissons
l'opportunité de la 64e commémoration de la grève dite des 8 jours de 1957 (28
janvier-04 février) pour évoquer une page inédite de « La Bataille de Tlemcen
».
«Lors de la grève nationale des 8 jours en janvier 1957, j'ai été appelé par le responsable Mokhtar par l'intermédiaire de Rachid Charif en vue de procéder à une embuscade sur la route des cascades (El Ourit) contre une Jeep qui empruntait régulièrement ce couloir avec à son bord 5 soldats... », tel est l'unique passage, d'ailleurs « hors contexte », extrait d'un témoignage de Mohammed Abdelmadjid Mesli, ancien élève de la Medersa, fidaï condamné aux travaux forcés à perpétuité, contenu dans le recueil « La Bataille de Tlemcen » (par Sid Ahmed Taleb Bendiab et Abdesselam Tabet Aoul; Ecolymet/Tlemcen 2006). Le livre « Le Dr Benaouda Benzerdjeb, premier médecin chahid » de Bellahcène Bali renferme le témoignage de Morad Megheli cité plus haut, au sujet du tournage clandestin réalisé par son frère Noureddine lors de ces évènements. « La solidarité dont avait fait preuve le peuple avait permis à tous les Algériens d'avoir à manger durant tout le temps de cette grève. Quelque temps après la fin de la guerre, avec des amis, alors que nous avions évoqué cet évènement, l'un d'eux, dont la famille était très pauvre, nous avoua qu'il n'avait jamais mangé à satiété une nourriture aussi riche et variée que durant cette grève. Un deuxième, lui aussi issu d'une famille démunie, nous dit que souvent, il leur arrivait de chercher à qui donner le surplus de ce qu'ils avaient reçu. A l'instar des quelques familles un peu aisées, ma mère nous remplissait un ou deux couffins de nourriture que nous emportions en toute discrétion aux familles qu'elle nous avait indiquées... », relate Abdesselam Tabet Aoul, ancien membre de l'OCFLN, frère du chahid Touhami, dans son ouvrage autobiographique « Survivant du sinistre Bastion 18 » (paru aux éditions Konouz; Tlemcen 2019). Au quartier Rhiba, les habitants, en grève, se regroupaient au niveau de la tahtaha et discutaient politique... Et pour cause. Bab el Djiad n'était-il pas la houma emblématique de nombre de patriotes et de martyrs, à l'instar de Messali Hadj, Bellahcène Bali, les frères Benchekra, les frères Zerga, Hamed Bendimered, les Abadji Abdelkader et Mohammed, entre autres... Même le four banal de Ba' Mesli était fermé, mais le quartier était alimenté à profusion en matlou' par les voisins... Une fois, un voisin, fonctionnaire aux Ponts et Chaussées, fut ramené de force dans une Jeep à son poste de travail, se souvient Chergui du SIT. « De peur d'être pillés, nous vidions l'atelier de chaussures de derb Lihoud dont nous mettions la marchandise en sécurité à la maison à Hart R'ma », témoigne Moulay Benchenafi qui travaillait avec son regretté frère Abdelmadjid, un militant. Lors de la grève, les voisins se rencontraient sur les terrasses pour le compte rendu de la journée à travers les échanges de nouvelles, à l'instar des anciennes « masria », selon cet ancien fabricant de chaussures. Au niveau d'El Medress, plusieurs commerçants et marchands de légumes, dont les Mesli Mohamed et Kada Kouider, Chaoui, Abdelaziz Addou, M'barek Bahmane (père du footballeur), Tchouar Braham, Lachachi Chaïb, entre autres, furent l'objet d'interpellations et d'incarcération au centre de concentration de Turenne, d'après un parent, selon Mesli, fils d'un ancien mandataire qui nous cite aussi des noms d'enseignants emprisonnés, à l'exemple des frères Boukli Saïd et Abdeldjelil, Omar Baba Ahmed, Djamel Berber, Benali Selmi... Là, les grévistes étaient soumis à des travaux forcés supervisés par des légionnaires; ils servaient également de porte-faix en transportant, en guise de mulets, les caisses de munitions et autre arsenal de guerre, selon Hadj Abdesselam Lachachi, ancien négociant. Une centaine de commerçants de la ville, des gens bien mis, furent conduits au commissariat central. « Voilà une bonne prise », jubilait le commissaire Fau à la vue de ces indigènes dignes, acquis à la cause du FLN. Parmi eux, Lachachi Benyounès, grossiste de la place du marché, qui fut malmené malgré son état de santé défaillant. « Ah ! On a affaire à un marabout », s'écria un soldat lorsque le chapelet de l'infortuné commerçant, en tenue traditionnelle, tomba par terre... Plusieurs locaux furent livrés au pillage à la suite de l'effraction des rideaux. Le magasin d'habillement des Benyettou fut endommagé dans ce cadre, selon leur fils de la rue Ibn Khamis. Ba' Ahmed Houari, boulanger auprès de l'intendance relevant de la caserne du Mechouar déserta de son poste et disparut dans la nature, entendez le maquis. Il habitait Bab Zir et avait des proches à Bab Ali, dans le même secteur, où les forces coloniales venaient le rechercher. Convoquée à Dar Général pour s'expliquer sur cette disparition sujette à caution, son épouse eut la présence d'esprit de les induire en erreur. « C'est Djebha qui l'a enlevé à cause de vous pour ne pas avoir observé le mot d'ordre de grève; c'est normal, vous l'aviez contraint à travailler... », raconte son fils, retraité de la Soitex. Il faut savoir que cette grève touchait tous les secteurs d'activité (commerces, transports, enseignement...). On ignore le taux de suivi ainsi que le bilan des interpellations policières au niveau de Tlemcen, faute de documents archives et en l'absence de sources bien informées. La population tlemcénienne ne fut pas affectée outre mesure par cette grève en matière de provisions du fait que la culture de la « a'wla » était bien ancrée dans les mœurs alimentaires des gens quel que soit leur statut social, selon Hadj Lachachi. Par ailleurs, il faut signaler que lors de cette grève, un fidaï exécuta le 1er février 1957 devant l'école de la gare l'instituteur Djilali Fardeheb, par ailleurs correspondant de presse (alias Souridor) qui n'aurait pas observé le mot d'ordre à cette occasion. Dans ce sillage, il y a lieu de souligner l'impact de la photo dite engagée où s'étaient impliqués deux paparazzis, en l'occurrence Mounir Meghelli et son frère Noureddine. « Lors de la grève des huit jours, le « Major » (responsable de la cellule OCFLN, ndlr) nous demanda de filmer le maximum d'exactions perpétrées par la police et l'armée française, nous fournissant dans ce but une caméra perfectionnée », selon un témoignage de Morad, brigadier, membre de la « cellule des policiers ». L'un des frères Meghili, Noureddine, photographe de son état, se porta immédiatement volontaire pour cette opération. Il sera secondé dans sa mission par Ba Mostefa, qui servira d'éclaireur et de guide marchant devant la camionnette bâchée (Peugeot 206), conduite par un volontaire, à l'arrière de laquelle prendront place Noureddine, caméraman, secondé par Morad Hassaïne. Ils réussirent à filmer avec une caméra Carrera 20 mm, à travers une ouverture faite dans la bâche, de nombreuses scènes d'exactions commises à l'encontre de la population. Une autre fois, c'était à partir d'un balconnet d'un appartement (aujourd'hui cabinet dentaire de Belkherroubi de derb Zirar) de la rue de la Sikak que le paparazzi précité opérait discrètement avec sa Carrera, à l'insu des forces coloniales déployées au centre névralgique de la vieille médina (triangle El Medress-Souiqa-El Mawqaf). Pour tromper la vigilance de l'armée française, Ba Mostefa simulait une colère à la cantonade au passage des barrages aux fils barbelés : « On n'arrive pas à trouver le lait Guigoz pour nos bébés à cause de ces cons de grévistes ! ». Cette opération fut initiée à l'instigation du chahid Khedim Ali, responsable de cellule, en coordination avec le mentor Mounir. Le film qui en résulta, transmis par le « Major » de la Djebha aux instances supérieures, serait parvenu jusqu'à l'ONU où il aurait été diffusé à l'appui des thèses indépendantistes du FLN. Il faut savoir que le timing de ladite grève, à savoir la date du 28 janvier au 04 février, fut judicieusement étudié car il coïncidait avec l'ouverture de la session de l'ONU devant laquelle la question algérienne devait être portée, selon Yacef Saâdi, responsable de la zone autonome d'Alger... |