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« Un jour idéal pour mourir »
de Samir Kacimi - traduit par Lotfi Nia. Sindbad/Actes Sud - Paris 2020
« Un jour idéal pour mourir » est le deuxième roman de Samir Kacimi dans l'ordre chronologique de publication. C'est aussi le deuxième traduit en France aux éditions Actes-Sud. Un roman algérien et universel dont il faut saluer ici l'auteur, témoin d'une génération nouvelle d'écrivains arabophones ou francophones (voire amazighophones), eux-mêmes témoins d'une Algérie actuelle, et connectés dans le même temps et irrémédiablement au monde. Des écrivains qui ne manquent ni de talent, ni d'audace, ni même d'humour... Une nuit, à court de cigarettes, il est allé en demander à de fumeurs de haschisch de son voisinage. Ces misérables, dévastés par la marginalisation, le mal-vivre, la drogue et l'alcool, lui ont semblé soudain très proches de lui, qui a réussi à leurs yeux, et du bilan désastreux de sa propre vie, jonchée de chômage, de dettes et de problèmes de famille. Il faut ajouter à cela, et ce n'est pas le moindre des détails, l'impossibilité pour lui de connaître un amour qu'il a tant espéré : « [Il] avait bien essayé de se marier [...]A cette époque il avait encore des cheveux sur le crâne, il prenait soin de lui et de son apparence [...], on aurait même pu dire qu'il était beau [...] Cette beauté relative lui avait permis de faire la connaissance d'une jeune fille qui vient de terminer ses études [...]son premier amour et le dernier. » Tout ceci lui a sauté brutalement aux yeux cette nuit-là. Une déflagration qui ne sera pas sans conséquences. Halim Bensadek, journaliste algérois (Halim el-Jôrnalîste), issu des bas-fonds de la capitale et ayant le plus grand mal à en sortir, a donc décidé d'en finir, en se jetant du haut d'un immeuble de 15 étages, seule façon sans doute pour lui de connaître une forme de tranquillité et de bousculer, de défier même, pour peut-être l'aider à sortir de son sommeil, une société gangrénée. Mais c'est sans doute aussi pour lui une manière d'exister enfin aux yeux des autres. Il a décidé de quitter la partie de ce jeu sans fin, ce jeu que lui livrait une existence sans possibilité de la moindre espérance, sans possibilité de l'idée même d'une accession au bonheur. Au moins aura-il eu le courage, avec cet acte radical, de décider de sa destinée ; au moins aura-t-il eu une prise sur ce terrible jeu qu'il n'avait pas choisi : « Mais il y avait quelque chose de plus important que tout cela : il avait réussi à se soustraire au destin et à faire de l'instant de sa mort, une décision prise par lui seul... » Tout le roman de Samir Kacimi tient dans quelques instants d'hésitation à se donner la mort ? et dans les dix secondes de sa chute. « Dix secondes c'est très long quand c'est mesuré en souvenirs. » Quarante ans de vie défilent. Ils mêlent un regard intérieur et des rencontres, jusqu'à l'épilogue. Dix secondes suffisent à un corps élancé du 15e étage pour atteindre le sol. C'était le temps estimé par Halim au moment où il a décidé de mettre fin à ses jours. Dix secondes durant lesquelles le temps dilaté lui donnera le loisir de dérouler le fil de sa vie, de douter quelque peu de sa décision, de revenir aussitôt sur ses doutes et enfin de voir dans sa chute une délivrance paisible d'un fardeau beaucoup trop lourd à porter. C'est la pesanteur d'une certaine Algérie qui l'a précipité dans le vide. Cette Algérie de la périphérie. Cette Algérie où s'entassent les damnés comme lui. Ce roman, d'un écrivain algérien arabophone de 46 ans, est le deuxième de ses 7 livres à être traduit et publié en France, après « L'amour au tournant » (Seuil 2017). C'est un texte d?une grande lucidité sur la réalité de l'Algérie, et qui représente en soi un grand espoir. A travers plusieurs personnages comme Omar Toubna, un jeune du quartier, perdu, ravagé par l'alcool et la drogue lui aussi et tombé follement amoureux d'une femme débauchée que même son propre père fréquentait ; un « chikour » désœuvré, qui cache mal sa sensibilité et tente tant bien que mal de la faire taire à coups de poings ou de consommation de stupéfiants. S'il ne cesse d'aspirer à une vie tranquille avec son amour passionnel, le cours des événements vient inlassablement le déposséder de ce rêve... A travers ces personnages perdus, condamnés au désespoir et touchants, Kacimi explore donc une Alger d'exclus, de marginaux, de crève-la-faim, ravagés par toutes formes de vices. Une Alger qui est en réalité un miroir grossissant (et sans concession) de la société algérienne dans son ensemble, et ce dix ans avant le Hirak : «[...] son avenir lui apparut, noir sur moi dans le noir. Quarante années d'une vie de mendicité, vingt ans de travail pour rien, dix ans à pourvoir aux besoins d'une famille qui n'en était plus une [...] » La langue arabe, langue d'écriture de Samir Kacimi, et il faut rappeler ici qu'elle est antérieure à l'Islam et sécularisée depuis si longtemps, à travers et grâce, notamment, à la littérature, contrairement à ce qui est affirmé, çà et là, à l'occasion d'un triste et récent débat sur l'enseignement de cette langue en France. Sans doute que celles et ceux qui disent et écrivent que la langue arabe est intimement et exclusivement liée au Coran, n'ont-ils pas lu les classiques de la littérature antéislamique, ni à titre d'exemple, Mohamed Choukri le Marocain, Naguib Mahfouz ou Alaa El-Aswany les Egyptiens, Nizar Kabbani le Syrien, Mahmoud Drawiche le Palestinien...et bien d'autres encore...Cette langue magnifiée par la littérature et les écrivains qui se battent aussi pour lui faire respirer le langage de la rue, la langue populaire, malgré la rigidité des régimes en place qui voudraient à la fois la figer dans le temps et en faire le porte-parole d'un message politique et religieux, et surtout lui imposer une forme d'aliénation des autres langues des peuples qu'ils gouvernent, comme le berbère (Tamazight) en Algérie et ailleurs. S'il est donc nécessaire de donner une preuve parmi d'autres, de la possibilité d'une langue arabe débarrassée des fioritures, des dogmes et des références religieuses, elle réside, entre autres et à nouveau, dans ce roman lumineux et impeccablement construit, qui traite, sans tabous, de questions souvent cachées dans la société algérienne : l'amour, le sexe, la drogue et l'alcool qui cohabitent certes et forcément avec les islamistes, les qamis, le musc et les prières du vendredi. Un texte ancré dans la réalité, comme il se doit. Après « l'amour au tournant », « ce banquet platonicien à la mode algéroise », traduit en 2017 aux éditions du Seuil par le même Lotfi Nia, un véritable festin littéraire auquel nous a conviés alors Samir Kacimi, il faut lire « Un jour idéal pour mourir », roman profondément algérien, parfaitement universel et en phase avec les questions du temps présent. *Né en Algérie. Journaliste et cadre supérieur de l'éducation nationale, il est également doctorant en anthropologie au Laboratoire d'Anthropologie sociale du Collège de France. |