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Des décennies durant,
l'atmosphère dans le pays de nos valeureux aïeux se chargea de frustrations, de
déceptions, de ressentiments, de lassitude ? et de colère. Comme percluse de
mauvais sort, que lui ont «patriotiquement» jeté les apprentis sorciers au pouvoir,
l'Algérie n'a pas pu se joindre au monde moderne d'aujourd'hui.
Prenant, de plus en plus ombrage, du comportement de ses dirigeants et du personnel politique, celui de la ?moualate' en particulier, le peuple a souvent manifesté son mécontentement, en vain, face à un pouvoir enfermé dans une perverse logique de palais, le rendant quasiment autiste. En ce fatidique et mémorable vendredi 22 février 2019, l'averse de l'espoir fit déferler une belle crue populaire sur les espaces publics. Le soulèvement béni fut alors baptisé « Hirak » et ne s'arrêta plus. Par sa dimension, son pacifisme, sa cohésion, son horizontalité et la justesse de la cause qu'il porte et défend, il a résisté, comme une forteresse inexpugnable, à toutes les tentatives visant son étouffement, son sabordage. Il va bientôt souffler sa première bougie, en hautes et belles couleurs, dans la gaité et en toute fraternité entre enfants du même peuple. Rendons-lui grâce d'avoir libéré des pans entiers de la société algérienne. Grâce à sa volonté, à son opiniâtreté, à sa force tranquille, puisées dans l'union et la solidarité citoyennes, le sinistre projet du cinquième mandat de ?Fakhamatouh' n'a pas pu se concrétiser. Rien que pour cette délivrance, nous devons nous sentir débiteurs envers cette merveilleuse révolution du sourire. Prosaïquement parlant, le ?Hirak' a dès lors, provoqué un sérieux chambardement dans les nids de guêpes, confortablement installés au sein des plus hautes instances de l'Etat et à leurs alentours. Il a brisé les chaînes, libéré les énergies et ouvert la voie à une mobilisation pacifique, sans précédent, pour une Algérie meilleure. Une Algérie, démocratique, où le pouvoir ne pourra plus s'autoriser à étouffer violemment toute voix dissonante, à excommunier des milliers de citoyens pour non allégeance ou crime de lèse majesté. On ne mesure, peut être pas encore à sa juste valeur, la portée des changements induits par cet historique soulèvement populaire. En revanche, tout le monde s'accorde à dire que l'Algérie de demain ne sera pas celle d'avant février 2019. Du reste, le système est sérieusement bousculé mais tient encore debout. Il a perdu quelques dents mais pas sa nature, pour paraphraser un proverbe anglais. Le changement revendiqué et espéré par le peuple est tributaire de la mobilisation citoyenne, de sa persévérance, de son endurance, de la volonté politique du pouvoir et enfin du génie des uns et des autres. Le passage du mode de gouvernance dirigiste, où le citoyen est considéré comme simple sujet assisté par la providence de l'Etat, au modèle démocratique moderne, où le citoyen jouit et use librement de ses droits et devoirs civiques, participe activement à la vie politique et socioéconomique à travers des institutions jouant pleinement leur rôle, dans le respect des lois de la République, est aujourd'hui une nécessité impérieuse. Bien entendu, une réforme aussi laborieuse ne peut se réaliser que dans un climat sociopolitique serein et apaisé, nécessitant l'adhésion des représentants de la société civile, des partis politiques, des associations et surtout du ?Hirak'. Un concept singulièrement algérien voudrait qu'on associe les « personnalités nationales ». J'en conviens, mais j'avoue que j'ai du mal à saisir le sens de cette bizarrerie, qui semble s'installer, confortablement, dans les traditions du sérail. Aussi, j'attends qu'on m'explique les critères objectifs d'éligibilité à ce statut. C'est à croire qu'il suffit qu'un individu soit décoré d'un couvre-chef de personnalité nationale pour que le génie vienne habiter son cerveau et son esprit. Il devient alors monsieur sait tout, recommandable, consultable, par moments indispensable, parfois influent?et que sais-je encore. Avis aux amateurs ! Enfin, à chacun sa conception du mérite. En tout état de cause, les décideurs seraient bien inspirés d'œuvrer à gagner l'adhésion d'une majorité populaire à leur projet, à leur programme, au lieu de s'entêter à vouloir imposer leur feuille de route, à tout prix, par divers subterfuges. C'est en s'appuyant sur l'engagement, voire le dévouement de leur peuple que les grands leaders réussissent les meilleures prouesses et embarquent leur nation vers les meilleurs horizons, lui assurant un avenir radieux. Ce sont là des principes élémentaires. Il serait vain d'espérer un quelconque changement prometteur en niant leur évidence et leur inexorabilité. En toute modestie, il me paraît pertinent d'apporter quelques éclaircissements sur certains aspects du ?Hirak'. Force est de reconnaître que ce dernier s'impose par son poids révolutionnaire. Il n'attend ni du pouvoir ni d'une quelconque partie de lui accorder un poids politique. Il est tout sauf une forme d'opposition politique qui ferait pression sur le régime pour négocier une alternance au pouvoir. Il s'agit plutôt d'une révolution qui s'est fixé comme objectif le changement du système. En d'autres termes, un soulèvement populaire qui ne souscrit point à la logique partisane. Il n'évolue pas dans la même base de temps que les partis politiques. Il s'inscrit apparemment dans la durée, sait contenir sa colère et continue le combat, en attendant de meilleurs jours. Ne dit-on pas que l'arme fatale des révolutions est le temps et la patience. D'aucuns reprochent aux manifestants des écarts de conduite ou de propos malvenus, voire irraisonnables. Est-il besoin de rappeler à ses bons sieurs combien il est difficile de contrôler des milliers de personnes, sorties en même temps dans la rue pour exprimer leur ras-le-bol d'un système pourri qui les a asservis et méprisés tant d'années. On doit plutôt traiter ce fabuleux mouvement avec révérence et lui témoigner notre gratitude, notre admiration, pour son pacifisme et son civisme. Quant aux slogans exprimés par les foules, avec une certaine exubérance, le bon sens et la maturité politique suggèrent qu'on ne les prenne pas au premier degré. Leur interprétation ne doit pas se faire selon les mêmes grilles de lecture que celles des déclarations des professionnels de la politique. Aussi, au regard de la nature du soulèvement populaire et en l'absence d'interlocuteurs désignés ou élus, on peut raisonnablement penser que le dialogue avec le Hirak n'est pas possible dans le mode d'un schéma classique. Des mécanismes appropriés sont à inventer. Il appartient aux politiques de faire preuve d'imagination et de génie. En sont-ils capables ? En tout cas, ils ne l'ont pas prouvé par le passé. Nos dirigeants se sont trompés tant de fois et si longtemps qu'ils sont pratiquement devenus antonomases de bérézina. Ils ont fait de la méprise un métier. Ils ont érigé la prédation en mode de gouvernance, en particulier sous le règne de ?Fakhamatouh'. Le sobriquet « Issaba » leur va comme un gant. La question fondamentale, en cette cruciale phase de notre histoire, est de savoir si l'on a tiré les enseignements qu'il faut pour nous affranchir de ce putride système, pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. Rendez-vous est pris avec un nouveau destin. Reste à savoir de quelle nature sera-t-il ? On doit reconnaitre au chef de l'Etat des intentions affichées, exprimées publiquement, allant dans le sens d'une prise en charge des revendications du ?Hirak'. Est-ce pour autant suffisant pour prêter à l'optimisme ? Il reste que ce ne sont-là que des déclarations qui gagneraient en crédibilité pour peu qu'elles soient suivies d'actions concrètes. Il est trop tôt pour en juger. Néanmoins, le doute est permis car après tant d'années de tromperies et de désillusions, il n'est pas aisé d'amener l'opinion publique à souscrire à l'idée d'une réelle volonté politique de changement. Combien même l'intention serait sincère, la tâche est loin d'être une sinécure. Bien au contraire, les sentiers des réformes profondes sont escarpés et semés d'innombrables écueils. Et pour cause, la ?Issaba' a laissé à l'actuelle équipe gouvernante un pénible et lourd héritage, difficilement gérable, quasi-inextricable à certains égards. A cela vient se greffer la résistance farouche des privilégiés du système. Ce fatras de ?boulitiques', d'affairistes parvenus, de responsables véreux et autres clientèles du système, ne manifeste aucune disposition, ni la moindre intention, à faire amende honorable pour les graves préjudices causés à la nation. En effet, si la conjoncture dissuade les nostalgiques de « la moualate à fakhamatouh » de s'opposer ouvertement et frontalement au changement, ils ne manquent jamais l'occasion de glisser des peaux de bananes sous les pieds des bonnes volontés. Je ne saurais, par ailleurs, omettre de prévenir des méfaits des professionnels de l'inféodation au pouvoir, orfèvres en entourloupes et galéjades. Jamais en retard d'un reniement, d'un retournement de casaque, ils s'activent toujours, assidument, à polluer le paysage politique. Tels des virus tenaces, ils ne peuvent pas vivre dans la salubrité. Outre une situation économique en détresse, agonisante en certains domaines, la scène politique est tellement insalubre que même les écuries d'Augias en rougiraient. Qui parviendra à y faire le ménage sera ce chevalier blanc, cet Hercule algérien, qui inscrira dans l'histoire son nom en lettres d'or. Pour atteindre une telle hauteur, l'homme devrait être pétri de moralité, de patriotisme, de force de caractère, de pugnacité, de réalisme, de bon sens, de discernement, de pragmatisme et autres valeurs de ce registre. En somme, un leader qui s'impose par son charisme et ses valeurs intrinsèques, non par ses titres, ses galons ou sa fonction. S'il est capable de taire ses ambitions personnelles, vaincre la tentation du pouvoir et ses privilèges, s'émanciper de la tutelle des forces occultes, autrement dit du cabinet noir, abjurer les pratiques du système et son mode de gouvernance, il serait alors prédisposé au service de l'intérêt général. Dès lors, la raison lui dicte de se rapprocher de son peuple et d'épouser pleinement sa cause. Il devient alors impératif de prendre des mesures d'apaisement allant dans le sens des revendications du ?Hirak', notamment en ce qui concerne les questions cardinales de libertés et de justice, au demeurant rappelées, maintes fois, dans le discours du président de la République comme faisant partie de son programme. Il va sans dire qu'il est nécessaire et urgent d'engager un dialogue sincère, inclusif et transparent. Il convient, par ailleurs, de veiller à informer les citoyens, via des médias libres, de son contenu aux différentes phases de son déroulement et des propositions qui en résultent. Il appartient ensuite au citoyen de se reconnaitre dans telle ou telle approche et de prendre position en connaissance de cause. Le fruit pourrait en être une feuille de route consensuelle, à même de contribuer efficacement, avec efficience, à résorber la crise multidimensionnelle que vit notre pays. Enfin, de par sa nature, la cause de cette périlleuse situation devrait être appréhendée de manière politique, non évènementielle. Les règles de la rigueur exigent de prendre de l'avance avant l'occurrence des évènements fâcheux, afin de se préparer à les éviter ou les contenir. Etre à l'heure, c'est déjà être en retard, vous diront les professionnels de la stratégie. Cet article pourrait avoir des allures de lettre ouverte à monsieur le président de la République. J'avoue que je l'ai voulu ainsi au départ. Cependant, je l'ai formulé autrement car mon sens de l'Etat et mon respect pour la fonction présidentielle m'enjoignent de ne pas interpeller un chef d'Etat de la sorte. A mon sens, une telle démarche serait éthiquement inappropriée et politiquement incorrecte. Osons espérer, toutefois, que les alertes et les propositions émanant des intellectuels, de la classe politique, des associations ou des citoyens en général, ne se dilueront pas, encore une fois, dans les méandres des obscurs arcanes du pouvoir. Ainsi soit-il ! *Professeur. Ecole Nationale Supérieure de Technologie |