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J'ai appelé à la nécessaire
sortie des outils d'urbanisme actuels que nous n'avons fait que reprendre de
nos anciens colonisateurs dans une situation d'urgence politique plus qu'autre
chose.
La reconduite des outils de l'ère coloniale a institutionnalisé un second temps d'urgence et de priorité qui date depuis 1962. Il s'en est suivi un étalement au niveau national de la laideur et un affaiblissement certain de l'esprit critique, et en milieu de l'urbanisme et en celui de l'architecture. Je crois qu'avant de revenir sur le sujet de l'urbanisme, je vais mettre mon grain de sel sur le sujet de l'architecture en Algérie. D'abord j'ai bien envie de commencer par dire que l'architecture est un vaste, très vaste sujet qui sait accueillir toutes les disciplines liées à l'homme. Je pense, cependant, que nous avons donné beaucoup de crédit, en tout cas plus que ce qu'il en fallait, à la parole des sociologues, des anthropologues, mais aussi des historiens, des écrivains, s'agissant de l'architecture. Je commence par dire que je n'ai pas du tout l'intention, ça ne m'intéresse pas, de tout rejeter en bloc et de dire que tout ce qui ne vient pas des architectes n'est pas bon. Au contraire ! J'ai moi-même beaucoup appris des autres disciplines. Seulement, je trouve que les architectes algériens ne disent pas grand'chose, ils doivent passer à l'acte le plus sacré qui est l'écriture, et qui permet absolument d'imposer une référence d'architecte. Il ne s'agit pas de demander aux architectes de produire des livres scientifiques, ce n'est pas ça l'intérêt, mais de leur demander de publier des ouvrages dans lesquels ils expriment une pensée qui soit liée directement à leur personnalité, leur vie, leurs rencontres et échanges, et l'objet de leur pratique. Nous restons, y compris moi-même, il faut bien le préciser, attachés aux livres d'architectes étrangers du genre Fernand Pouillon, Frank Lloyd Wright, Hassan Fethy, Louis Kahn, Le Corbusier, etc., qui sont, certes, importants et le demeureront d'ailleurs, sans que nous n'ayons cette occasion de lire un livre de témoignage d'un architecte algérien qui tente de nous éclairer sur notre réalité, nos réalités architecturales1. Autrement dit, nous ne pouvons pas engager un vrai débat, un débat crédible, sur et autour de l'architecture, si les architectes pratiquants de la conception ne décident pas de plonger dans cette aventure périlleuse de l'écriture, peut-être plus dangereuse que la construction. Je me complais de dire au moment même où l'espace de l'architecture est envahi d'intrus, seule une architecture cohérente autorise une écriture cohérente parce qu'elle est en adéquation avec la personnalité de son auteur. La parole n'est pas suffisante. Il faut l'écrire pour qu'elle puisse servir de référence aux générations futures. D'autant plus que l'écriture entraîne à l'assiduité de l'insatisfaction de sa parole propre. En somme, la réécriture comme l'exercice à d'autres activités permet certainement l'élaboration d'une philosophie. Alors ça, peut-être une philosophie de l'enseignement, une philosophie architecturale, etc. La réalisation de l'être est impossible sans la philosophie. Wright, dans son livre «Testament», dit : La philosophie est à l'esprit de l'architecte ce que la vue est à ses pas». C'est-à-dire que la philosophie qui est pour l'architecte un retour à soi pour soi, pour les autres, éclaire son cheminement, elle permet de dépoussiérer les superflus qui peuvent empêcher de distinguer le vrai du faux, le bon du mauvais. Pour Wright toujours, l'architecte «exprime la vérité avec une évidente beauté de la pensée. S'il est architecte, ses bâtiments sont naturels. En lui cohabitent la philosophie et le génie». En plus, l'architecture transcende la construction. L'architecture comme concept moderne se confond avec l'histoire de l'humanité. Elle mobilise de nombreuses disciplines et, selon moi, de par sa capacité d'interpeller plusieurs disciplines, elle n'a pas besoin d'être une science, donc de se rigidifier dans une formule ou règle dite scientifique ou juridique. L'architecture s'occupe de l'habitat de la même manière que l'homme se soucie de son habillement. Je veux dire qu'habit et habitat ne sont pas loin étymologiquement l'un de l'autre, et qu'à partir de là, au même titre que l'habit qui doit être à la taille de celui qui le porte, l'habitat doit convenir à l'idée que l'habitant se fait de lui-même. C'est dire que l'architecture correspond en effet à l'histoire de l'humanité et celle de la culture. Elle ne peut pas se limiter à un souci d'esthétique ou de technicité. Toutefois, il ne faut pas le perdre de vue, ces deux éléments sont le pivot de l'architecture. Ainsi, ceux qui croient par exemple qu'une loi peut améliorer le cadre bâti, se trompent complètement. La loi doit exprimer d'abord un souci pour la protection de l'environnement et veiller rigoureusement à sa longévité : les forêts, les lacs, les oueds, le foncier agricole, la faune et la flore, l'air que nous respirons et l'eau qui nous arrive aux robinets. Mais une loi qui organise l'asservissement des populations urbaines en vue de les soumettre toujours plus à la dictature de la consommation sous l'égide de la loi du marché, cette loi ne peut faire que le bonheur de ceux qui jouissent à l'occasion d'avoir un pouvoir à exercer sur les masses et à en abuser. Une loi qui ne prend pas en compte la dimension humaine, la civilisation et son rapport à la vie en tant que telle, c'est une loi fasciste d'essence, c'est le cas de la loi 90-29 et d'autres lois qui aspirent à enrégimenter, militariser les esprits comme dans le milieu des architectes. Il faut garder en esprit que l'architecture est une affaire de culture, de société, de bien-être et de bonheur. Qu'en architecture comme en urbanisme, le désir surplombe le besoin. Le désir comme le rêve est l'affaire du poète, et le besoin comme la statistique est l'affaire du technicien. En guise de commentaire à ce dernier propos, Mohamed Larbi Merhoum m'a dit : «C'est joliment dit, mais ce n'est pas très juste. L'urbanisme et l'architecture n'obéissent pas tout à fait aux mêmes attendus. L'urbanisme est une combinaison de règles et de droits. L'architecture est l'interprétation possible de ces règles et droits». J'y souscris aussi. Aujourd'hui, c'est certain, l'architecte est incontournable, de ce fait que les peuples ne sont plus ce qu'ils ont été durant des millénaires, c'est-à-dire des peuples qui construisent pour le peuple. Pour l'histoire, une des premières postures de l'architecte est celle de l'arkhitecton, mot grec de tekton, qui était l'ouvrier travaillant le bois, le charpentier. En latin, on disait architectus, ce qui signifiait surtout à la fois auteur et artisan. Jusqu'à la période classique, durant laquelle l'architecte qui était appelé architecteur, regroupait de nombreuses compétences tout en étant ouvrier de chantier. Il manipulait les matériaux et produisait de l'art naturellement. Sa conscience de l'architecture manuelle était très forte. C'est la séparation des compétences et le culte de la spécialisation qui ont produit l'architecte d'aujourd'hui, appelé desagneur pour reprendre le mot de Bernard Marrey, auteur d'un livre à lire absolument puisque d'actualité «Architecte - du maître de l'œuvre au desagneur» éditions du Linteau, 2013. C'est dans ce livre qu'on se rappelle à l'esprit que le mot architecte ne signifie pas forcément une réalité historique. «Les mots sont trompeurs -involontairement si l'on peut dire- car ce qu'ils désignent évolue inévitablement avec le temps. Ainsi en est-il du mot «architecte». On dit qu'Imoteph était architecte; il serait même le plus ancien architecte connu puisqu'il vivait vers 2800 avant notre ère. Mais on ne sait évidemment que peu de choses, sinon rien, sur la façon dont il pratiquait son métier qui ne pouvait avoir qu'un lointain rapport avec le travail de l'architecte d'aujourd'hui». En effet, c'est intéressant aussi de savoir que ceux qui étaient chargés de diriger la construction des bâtiments étaient des princes qui étaient à la tête d'une armée d'ouvriers, parmi eux de très nombreux forçats comme dans l'Égypte pharaonique. Ces architectes, même si nous savons aujourd'hui que ce mot est hors contexte, construisaient pour les tyrans, ce qui fait que les pyramides, à titre d'exemple, sont l'expression de la répression tyrannique exercée à l'époque. Cette information reste tributaire de surenchères et d'hypothèses qui passent pour des vérités pour ceux qui pensent encore que l'histoire des historiens a toujours raison. Ainsi, pour ce qui concerne les moyens, Lewis Mumford affirme à propos de la ville de Thèbes du roi Ménès, unificateur de la Haute et Basse Egypte, et de l'édification des pyramides qu'il «fut fort malaisé de reconnaître ou d'identifier la machinerie utilisée à cette époque, car le plus puissant des mécanismes et le plus complet était fait, non de bois ou de métal, mais d'un assemblage de corps humains périssables, chacun ayant son rôle et sa fonction dans ce vaste mécanisme, commandé par des organes hiérarchisés». Quant à la maîtrise d'œuvre, elle recouvrait au départ une posture religieuse (je pense à «Les pierres sauvages» de Fernand Pouillon). Ce sont les moines qui construisaient les cathédrales, et pour reprendre encore une fois le propos de Bernard Marrey, c'est la «laïcisation» des chantiers des cathédrales qui a laissé place à la maîtrise d'œuvre laquelle, encore une fois, n'a rien à voir avec la posture de l'architecte actuel. La construction des cathédrales gothiques est qualifiée par Jan Gympel de révolution architecturale grâce à ses grandes avancées structurales. Dans les temps modernes, le cas de Fernand Pouillon (dès lors que l'intérêt porté à l'œuvre de Hamid Silarbi, véritable maître d'œuvre aussi est insuffisant) reste exceptionnel. Son inspiration d'abord de «l'architecture indigène» (propos de Wright pour définir l'architecture organique) est très forte, qu'il s'agisse des grands ensembles de l'ère coloniale, ou des complexes touristiques de l'après indépendance. Pouillon était un maître d'œuvre au vrai sens du terme, il excellait dans la gestion de ses projets en termes de conception et de leur réalisation. Il était doté d'une culture architecturale qui lui permettait de réinterpréter merveilleusement le registre varié des architectures vernaculaires, et d'échapper à la dictature du béton qui piège la majorité des architectes algériens. L'œuvre de Pouillon qui s'est attelée à ressortir l'esprit poétique de l'architecture, me donne conscience que le béton n'est pas responsable de la laideur de nos environnements, de leur indigence. C'est plutôt la pauvreté d'esprit de nos architectes qui préfèrent le geste de la bravoure à celui de la vérité que Fernand Pouillon assumait pleinement. L'Ordre des architectes se trompe complètement de stratégie en s'enfermant sur des considération juridiques au lieu d'élargir ses perspectives à relancer le débat sur l'architecture, à redonner le goût de l'expérimentation et de l'expérience, à inciter à la recherche révolutionnaire en matière de construction architecturale, et à encourager à la naissance de l'architecte intellectuel comme ce fut le cas de Franck Lloyd Wright avec son livre excellent intitulé « L'avenir de l'architecture ». Aujourd'hui, l'architecture, pour changer le visage de nos villes, a besoin d'architectes de la verve de Mohamed Larbi Merhoum qui défend son choix assumé de la modernité et de bonheur à travers l'architecture qu'il dessine, ou de Hamid Silarbi qui refuse les formes d'aliénation de la loi du marché, et qui se bat contre les formes d'incarcération des urbanismes codifiés et régis par les procédés d'incitation à la consommation des populations urbainement dépendantes, grâce à son architecture qui se veut être vraie en étant vernaculaire. *Architecte USTO et docteur en Urbanisme IUP Notes: 1 Là je me mets un bémol. Notre livre Mohamed Larbi Merhoum et moi-même 3 Palabres algéroises 3 paraitra bientôt. |