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«Les armées ne suffisent pas
pour sauver une nation, tandis qu'une nation défendue par le peuple est
invincible» Napoléon Bonaparte
L'Afrique du Nord vit un important chamboulement géopolitique. Les Etats sont secoués de l'intérieur et menacés par l'extérieur. L'histoire est un éternel recommencement et la géographie une source intarissable de conflits. La découverte d'importants gisements pétroliers et gaziers dans la région suscite des convoitises. Enjeu pétrolier et gazier, le Maghreb prend la forme d'un champ de bataille. Un pétrole de bonne qualité avec des coûts d'exploitation compétitifs et l'exploitation du gaz de schiste à portée de main loin de Paris et de ses environs. La Libye est devenue un espace de rivalité entre la Turquie et les monarchies du Golfe. Mais aussi entre les Etats-Unis, la Russie et la Chine, les pays européens restant dans l'expectative. Evidemment, « quand deux éléphants se battent, c'est l'herbe qui est écrasée ». Ce sont les peuples qui en pâtissent et paient le prix fort. Le pétrole est un instrument redoutable de domestication des peuples et d'aliénation des élites. Le pétrole donne l'illusion aux dirigeants que le pouvoir est éternel et qu'il peut se transmettre de père en fils à l'instar des monarchies du Golfe. Il masque l'autoritarisme des Etats et la paresse congénitale des populations. Il abolit la propriété privée des moyens de production au profit de la propriété « publique » rendant invisibles et infaillibles les actionnaires « politiques » en socialisant les pertes et en privatisant les profits. Il sera à l'origine de la constitution d'une classe sociale formée d'une bourgeoisie d'Etat parasitaire et d'une oligarchie hégémonique, disposant d'un appareil sécuritaire puissant et de l'argent du pétrole et du gaz pour se pérenniser. Il a empêché quasiment le renouvellement du personnel politique atteint par la limite d'âge, la diversification de l'économie et la renaissance d'une culture ancestrale qu'elle soit ethnique ou religieuse. Les élites politiques âgées et usées sont dépassées par les évènements. Elles ne sont plus en phase avec leurs sociétés respectives. Elles sont mises à l'index. Elles n'ont pas su gérer le partage de la rente à des fins productives pour en faire un moteur de développement, diversifier leur économie pour la rendre indépendante de cette ressource providentielle : autant d'incapacités que d'aveuglement qui ne sont pas de bon augure. «L''avenir nous tourmente, le passé nous retient, voilà pourquoi le présent nous échappe». Au crépuscule de leur vie, les dirigeants arabes s'accrochent au pouvoir comme si le pouvoir s'identifiait à la vie et les jeunes veulent accéder à la démocratie comme un moyen de parvenir à l'âge adulte, c'est-à-dire être traités d'égal à égal comme des gens responsables. Pour ce faire, ils veulent plier le père, l'autorité, l'Etat. Ils veulent gagner leur pain à la sueur de leur front et non à la souplesse de leur échine. Ils savent que de toute façon cela ne dure pas. Ils sont conscients des enjeux. Ils sont interconnectés. La planète est devenue un village africain. Après des siècles d'engourdissement, les peuples maghrébins reprennent conscience de leur passé glorieux, de leur aliénation présente et de leurs forces potentielles futures. Les difficultés économiques, le malaise social, l'impasse politique, le règne de l'immoralité ne sont pas étrangers à ce réveil des peuples maghrébins et musulmans. Ce qui frappe d'emblée l'observateur, c'est la jeunesse des mouvements contestataires dans la quasi-totalité des pays où la démocratie est absente. Le phénomène contestataire contemporain est le produit de toutes les tensions, les traumatismes et les frustrations accumulées durant ces dernières décennies. Les mouvements de protestation traduisent le désarroi d'une population privée d'idéal et de perspectives d'avenir dans un contexte de crise politique et de contradictions économiques. Partout dans le monde les jeunes aspirent à participer plus activement à la gestion des affaires politiques et économiques. Cependant dans la plupart des pays de l'Afrique du Nord, les systèmes sont sclérosés empêchant le renouvellement des élites et la renaissance des idées. La jeunesse arabe et musulmane ne veut plus d'un Etat comme un legs du colonialisme ou comme un instrument hégémonique occidental. Ce qu'elle désire par-dessus tout c'est d'un Etat de droit ouvert sur le monde fondé sur une morale et animé par des dirigeants honnêtes et compétents élus en toute liberté sur la base d'un programme clair et d'un échéancier précis et sur la base duquel ils seront appelés à être jugés. Dans les sociétés traditionnelles, avant l'avènement de l'Islam, les dirigeants arabes étaient soit des chefs de tribus, soit des chefs de clans jouissant de la même autorité que les rois et une obéissance totale leur était due en temps de guerre comme en temps de paix. Les Arabes avaient avec leurs parents ainsi qu'avec leur clan des relations profondes, l'esprit de clan était leur raison de vivre ou de mourir. L'esprit de société qui régnait au sein de la tribu était exacerbé par le tribalisme. Les chefs de tribus s'arrogeaient une part considérable du butin. Les tribus arabes furent constamment jalonnées de troubles et de désordres. Les guerres intestines incessantes firent des peuples arabes et musulmans des proies faciles pour des invasions étrangères. C'est l'Islam qui a unifié les tribus arabes et c'est sous sa bannière qu'ils se sont libérés du joug colonial. L'Algérie contemporaine s'insère dans un ensemble géographiquement plus vaste plus prometteur qu'est le Maghreb des peuples qui s'étend du Maroc jusqu'en Lybie et historiquement plus lointain remontant aux Phéniciens, aux Romains, aux Arabes et aux Turcs. Les pays de la région ont tourné le dos à leur passé ancestral commun et les Etats veillent à l'intégrité géographique présente. Alors que le mur opposant des idéologies s'est effondré en 1989, de nombreux murs séparant des peuples se sont élevés depuis en Amérique, en Russie, au Moyen-Orien, au Maghreb Eternel dilemme : se combattre ou s'entraider, se faire tuer par l'autre ou s'allier à l'autre ; échange de balles (la guerre) ou échange de sœurs (la paix) entre Maghrébins de race berbère et de religion musulmane vivant sur un même espace géographique depuis des millénaires envoûtés par le miroir aux alouettes que représente l'Europe. Chacun veille à sa petite épicerie en empêchant l'implantation d'un supermarché salutaire pour l'ensemble des peuples de la région par l'ouverture des frontières, la diminution drastique des dépenses militaires, la construction d'une économie complémentaire, la constitution d'un front uni contre la politique de division des puissances étrangères qui a fait ses preuves de son efficacité depuis l'effondrement de l'empire ottoman à la recherche d'un second souffle. Le Maghreb des peuples renaîtra-t-il de ses cendres ? Le Maghreb est une terre convoitée par les puissances étrangères et des peuples à asservir par leurs propres élites pour la prospérité et la sécurité de l'Occident triomphant. Le Maghreb a connu plusieurs envahisseurs tout au long de son histoire. Le dernier en date est la France. La colonisation a émietté la région pour en faire la propriété des Etats qui vont en faire une propriété privée. Les Etats africains dans leur configuration actuelle sont les produits de la décolonisation opposant des monarchies aux républiques, des dictatures militaires aux régimes laïcs, des Berbères aux Arabes, les Marocains aux Algériens, des Tunisiens aux Libyens. Le Maghreb dans sa configuration actuelle est une création de la colonisation française qui a tracé ses frontières pour en faire un « socle de la France » laquelle a façonné les mentalités des autochtones en les dressant les uns contre les autres (les Kabyles contre les Arabes, les harkis contre les fellagas, les illettrés contre les lettrés, les musulmans contre les musulmans !) et en inculquant au colonisé qu'il est inférieur au colonisateur, qu'il soit Marocain, Algérien, Tunisien ou Libyen. L'un ne peut se définir que par opposition à l'autre. Par conséquent un colon ne peut être qu'un privilégié par rapport aux indigènes ; le colonisé est dépourvu de tout droit, c'est un être inférieur constamment soumis et humilié, en état de carence permanente. Du statut de l'indigénat au statut de citoyen, que de chemin à parcourir, que d'obstacles à franchir, que de pièges à éviter. Le passage de la soumission aux autres au contrôle de soi-même et de la domination à l'autonomie est une œuvre de longue haleine qui exige patience et persévérance. A un moment où la planète tend à être un village africain, le Maghreb des peuples doit renaître de ses cendres. C'est un impératif politique, économique et social majeur. Que serait-il devenu le Maghreb aujourd'hui si la conférence de Tunis s'était tenue comme prévue en 1956 ? Que ce serait-il passé si les peuples maghrébins s'étaient soulevés comme un seul homme face à un ennemi commun ? Peut-être que le problème des frontières ne serait-il pas posé ? Tout nous unit, notre géographie, notre histoire, notre religion, nos réalités, nos rêves. Malheureusement, comme disait Ibn Khaldoun: «Les Arabes se sont mis d'accord pour n'être jamais d'accord » faisant ainsi le jeu des puissances dominantes depuis la nuit des temps, tombant dans le jeu de la division mené par les puissances pour mieux les dominer et exploiter leurs richesses naturelles et minières en toute impunité, réduisant les peuples à des tubes digestifs explosifs. «Les armées ne suffisent pas pour sauver une nation, tandis qu'une nation défendue par le peuple est invincible» aurait dit Napoléon Bonaparte du haut des pyramides d'Egypte. Du Maghreb des Etats au Maghreb des peuples, l'espoir serait-il permis ? Le Hirak algérien ouvre la voie. Les jeunes manifestants qui n'ont pas connu la colonisation scandent «selmya-selmya», «khaoua-khaoua», des messages de paix et de fraternité. La France n'occupe pas leur cerveau. L'Islam n'est pas inscrit sur leurs fronts, ni au bas d'une carte mais enfoui dans leurs cœurs meurtris. La modernité qu'ils recherchent, elle est faite de science, de technique, de justice et de liberté. Elle n'est pas dans les apparences et les faux-fuyants. Un vent nouveau souffle sur le Maghreb. Il est jeune, doux, paisible et prometteur. Malheureusement, une hirondelle ne fait pas le printemps dans un monde de faucons. Le pétrole est un champ magnétique qui attire les grandes puissances. C'est de l'eau bénite pour les économies occidentales florissantes et un purgatoire des sociétés musulmanes décadentes. Quant aux Arabes, ils ne sont que l'ombre d'eux-mêmes, des fantômes cherchant une place parmi les vivants. Ils ont perdu leur cheval, il est peut-être mort de soif dans un désert gorgé de pétrole. Il ne leur reste que la selle pour se consoler en attendant l'appel du muezzin pour se donner bonne conscience. La nécessité d'avoir un Maghreb intégré n'a jamais été aussi forte. Le comportement des Etats maghrébins est totalement anachronique eu égard aux problèmes socio-économiques et d'insécurité qui se posent avec acuité à l'ensemble des peuples de la région. Les frontières peuvent être des sources de guerre comme elles peuvent être les artisans de la paix. Il ne s'agit pas de couper mais de coudre. Couper, le colonisateur s'en est chargé ; coudre c'est l'affaire des peuples. Les Etats postcoloniaux ont fourni la preuve de leur inefficacité dans la construction d'un Maghreb pacifique, uni, solidaire et prospère. Les élites au pouvoir pour la plupart vieillissantes doivent changer de mentalité et s'ouvrir à la jeunesse laquelle évolue dans un monde virtuel sans frontières. Les vieux vivent dans un espace clos de leur esprit borné. Les frontières n'existent que pour diviser les peuples pour mieux les dominer tant en interne qu'en international. Elles constituent des obstacles infranchissables au développement, à l'émancipation des peuples et des passerelles confortables aux puissances étrangères hégémoniques. Que faire pour rapprocher les peuples et repousser les menaces externes si le fil et l'aiguille sont entre les mains des Etats importés de l'étranger ? Malheur à un peuple qui se vêtit de ce qu'il ne tisse pas et se nourrit de ce qu'il ne produit pas. L'aiguille est la tête de l'homme, le fil est la chevelure de la femme. Plus les frontières sont longues, plus le fil doit être long. Ce ne sont pas les perles qui font le collier mais le fil. En réalité, tout tient à un fil. A coudre du vieux, on finit par perdre son fil. Les élites politiques au pouvoir ou dans l'opposition doivent changer de mode de pensée et se hisser au diapason des ambitions de leurs jeunesses qui affrontent les mêmes difficultés et partagent les mêmes aspirations. Le logiciel des Etats date des années 60, le logiciel des peuples est de la dernière génération. L'un vit sur son passé, l'autre se projette dans le futur. Ils ne sont pas sur la même longueur d'ondes. La politique a horreur de la vertu et la jeunesse a la tête dure. «Cœur tendre et tête de bois». Entre le peuple et le pouvoir, le médiateur est le temps. Le temps est sage, il révèle tout. «L'histoire des peuples est l'histoire de la trahison de l'unité». Dieu est un, l'humanité est une, la terre est une. Le diable est partout, il porte plusieurs masques. Il a pour nom pétrodollar. Pétrole comme don de Dieu, dollar comme ruse de Satan. Il est l'eau et le feu, la guerre et la paix, la richesse et la misère. Il est une chose et son contraire. Nous fuyons la lumière d'Allah et nous nous refugions dans les ténèbres de Satan. Nous sommes des égarés. |