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Avant de
commencer, je te fais parvenir, ami Daho, la demande d'un lecteur qui voudrait
voir précisée la référence de cette affirmation (in Naqd
- éd. spéciale/11.12.1960) : (le PPA) « seul parti qui, à la suite de l'Etoile
nord-africaine, avait écrit dans son programme l'indépendance totale de
l'Algérie ».
Cet ami m'a aussi fait parvenir cet extrait de la Déclaration du bureau politique du PPA du 10 avril 1937 (écrite par Messali), faite au lendemain de la légalisation du Parti : «Le Parti du Peuple Algérien a pour tâche immédiate la lutte pour l'amélioration morale et matérielle des Algériens (...). Il travaillera pour l'émancipation totale de l'Algérie, sans pour cela se séparer de la France. Par conséquent, l'Algérie émancipée, en jouissant des libertés démocratiques qu'elle aura conquises au courant de son action, ayant ainsi une autonomie administrative, politique, économique à l'intérieur, elle s'intègrera librement dans le système de sécurité collectif français de la Méditerranée.» [n'est pas indiquée la référence de cette déclaration.] Je corrige ici une information inexacte venue dans ma dernière intervention. Elle concerne la réunion où Ben Abdelmalek Ramdane a fait son intervention à la place de Ben M'hidi, élu mais plus activement recherché : j'ai dit que c'était une réunion du CC tenue dans la légalité (coloniale) pour empêcher les gens de l'OS d'y assister. En fait, c'était la réunion du congrès du PPA - MTLD d'avril 1953. Donc la manœuvre organique est plus grave, touchant une rencontre où se décide la ligne du parti, les réunions du CC entre deux congrès étant consacrées à la mise en œuvre des décisions adoptées : ce procédé oblique préparait à la transformation du parti en simple MTLD qui œuvre dans le seul cadre légal... Comme promis, je continue ici le débat à l'occasion de la prise de position de M. Harbi «face à la déclaration du 1er Novembre 1954». Je vais m'y prendre en revisitant, avec lui, le processus révolutionnaire enclenché par cette déclaration historique. C'est-à-dire en éclairant les idées condensées dans son court texte par ce qu'il en a dit antérieurement. Car pour celui qui n'a pas lu les productions de M. Harbi sur le sujet, il est très difficile de le suivre dans ce concentré de récit qui paraît téléologique concernant l'armée de notre pays : partant de sa naissance, dans la suite logique de l'affirmation de l'OS, à l'installation du FLN en 1962, à l'armée d'aujourd'hui qui doit rassurer le «hirak» en disant qu'elle n'est pas la poursuite du «paradigme de la lutte armée» dans lequel le FLN aurait enfermé le peuple, qu'elle n'est pas une armée de dictature... Si, dans une première intervention, j'ai trouvé utile de clarifier l'origine de l'OS, cette injonction à l'armée de l'État algérien m'amène d'emblée à faire les remarques suivantes : L'armée qui se proclame aujourd'hui «novembriste» tirant son origine de l'OS et de cette ALN qui a pulvérisé l'Algérie française, est le résultat d'une évolution, fruit de luttes politiques sous-tendues par des intérêts de classe; une évolution poursuivant le cours qui avait marqué la crise de fin du mouvement national. J'aurai l'occasion, dans une prochaine intervention, de donner mon avis et des éléments d'information sur ces luttes d'avant Novembre... Au bout de cette évolution, l'armée est-elle bien ce qu'elle se dit ? 1-. La volonté des «22» anciens de l'OS s'est concrétisée dans les petits groupes mal armés mis en place à partir du 1er novembre 1954; la Soummam les a mieux structurés... Quel heureux hasard a fait que j'ai eu l'honneur de rejoindre ces groupes, justement pendant que se tenait cette rencontre historique marquante ! Je ne peux résister au plaisir de rappeler des moments forts de mon court passage dans l'ALN. Dans ce coin de la Medjana1 où j'ai été affecté en ce mois d'août mémorable, j'ai pu, moi le débutant en médecine, venu là avec la petite équipe d'universitaires assurer un service public jamais fourni dans ce coin du pays depuis l'occupation coloniale, faire le diagnostic d'un mal de Pott au genou d'une paysanne ! La Soummam a donné un statut au service de santé de la zone 1 de la wilaya 3. Mon ami et notre chef - le regretté Nani, Si Ahmed Bouderba - a été intégré au Conseil de la zone dirigé par le capitaine Si H'mimi2... ceci pour dire la considération que l'ALN nous montrait, nous autres intellectuels... Et surtout j'ai retrouvé une héroïne, Doudja, que j'avais connue à Alger dans le réseau dirigé par une autre héroïne, Nefissa, dont l'hôpital ex-Parnet porte aujourd'hui le nom. J'ai eu encore cet honneur de travailler avec ces deux héroïnes qui ont été parmi celles qui ont secoué notre société, comme l'a démontré F. Fanon dans L'An V de la Révolution algérienne3. Le chef de la wilaya, misogyne, avait décrété les infirmières «persona non grata» et les sommait de rejoindre la Tunisie. Doudja a été parmi celles qui ont refusé d'obtempérer - voyez-vous, à Si Nacer (Mohammedi Saïd) ! Allah Yaghfarlou -, malgré les menaces et sans doute des mesures vexatoires et humiliantes. Bientôt la rejoignait Louisa, venue de Bejaïa. Elles ont tenu tête, soutenues par Si H'mimi et le conseil de la zone... à notre grande joie ! Elles ont été arrêtées avec moi et Nani, lors d'une opération de l'ennemi, fin février 1957. Gloire à elles et à leur combat ! C'est dire que dans le mouvement lancé le 1er Novembre on ne «faisait» pas «de l'affrontement armé la seule lutte et en dépréciant toutes les autres»... 2-. La réorganisation décidée par la Soummam a permis à notre jeune armée de résister héroïquement même au formidable «rouleau compresseur» du plan Challe, déployé - du 6 février 1959 au 6 avril 1961 - après que les wilayas ont été quasi hermétiquement isolées de l'extérieur par le barrage miné et électrifié dressé sur les frontières est et ouest du pays. L'échec de l'armée de reconquête a été reconnu dès décembre 1959 par de Gaulle lui-même, dans son ordre du jour à ses officiers (Cf. en annexe) au cours d'une de ses «tournées des popotes»; qu'il conclut par cette idée: malgré des forces et des moyens sans commune mesure avec ceux des «rebelles», nous ne pouvons les vaincre. La solution est dans l'autodétermination des Algériens ! Une résistance comme celle dont il a admis l'impossibilité de la vaincre n'en était-elle pas une, d'autodétermination ? Mais, là-bas, au GPRA - Krim compris -, on défend, «faute de solution militaire, [...] la nécessité d'un compromis»4 !... La question qui fait problème n'est pas dans la nécessité ou non du compromis. Elle est dans où situer le compromis : hors du champ politique français, c'est-à-dire hors du système colonial, dans le cadre international, comme l'a posé la Proclamation de Novembre; ou dans le cadre de la loi française, le seul horizon, culturel et politique, possible pour les forces et partis du mouvement national d'avant Novembre. 3-. C'est cette ALN invincible qui a fait avorter le projet politique de l'«Algérie algérienne» concocté par de Gaulle avant même que le plan Challe n'ait été complètement déployé; et c'est pour la promotion de cette initiative qu'il a organisé sa tournée de décembre 1960. L'ALN - sous la direction de Si Mohamed - lui a préparé, avec le magnifique peuple de la Capitale, l'inoubliable «réception» du 11 décembre5, de façon telle qu'il a préféré rejoindre son «Hexagone» sans demander son reste ni passer par l'étape algéroise... Là, est tombé au champ d'honneur de cette bataille politique en plein «Belcourt», un des jeunes officiers de la wilaya, Si Zoubir, Boualem Rochaï. Il était parmi les militants armés qui avaient, depuis quelques mois, réinsufflé l'âme révolutionnaire de feue la «Zone autonome» à la Capitale et sa grande banlieue, réorganisées comme région 6 de la wilaya 4; réorganisation ratifiée, je le précise, par le président Benkhedda et le CNRA (décembre 1959). Nombre de valeureux compagnons de Si Zoubir dans ce glorieux épisode sont encore vivants... De Gaulle a compris qu'il n'y avait «rien à gratter» avec l'ALN, d'autant qu'il a bien enregistré la réponse de Si Mohamed à la question du sort de l'ALN et de ses djounoud qui devaient, selon l'Élysée, déposer leurs armes dans le poste ou la caserne les plus proches... : «ça, personne ne l'acceptera !» avait-il fermement soutenu. C'était lors de la réception à l'Élysée, en pleine guerre, de la direction de la wilaya 4 (Si Salah et ses deux adjoints, Si Lakhdar et Si Mohamed), dans le cadre de ce qu'on a appelé le «dossier Tilsitt» ou «affaire Si Salah». L'armée de reconquête croyait tenir là sa victoire dans cette équipée de dirigeants de wilaya venus, à l'insu de Tunis, s'enquérir des conditions de la paix à Paris... Mais son chef, de Gaulle, plus circonspect et plus sensible aux changements mondiaux qui donnent leur force aux «rebelles», préfère rester en contact avec le ventre mou du FLN, avec sa représentation politique, là-bas à Tunis... où ses informateurs patentés ou militants (journalistes, politiciens, etc.) lui permettent de savoir appuyer là où il y a du répondant... Là où, «faute d'une victoire militaire», on reconnaît la «nécessité d'un compromis»... 4-. Toujours est-il que c'est cette même ALN de la wilaya 4 - parce qu'elle est installée dans la Capitale - qui est la première à être directement confrontée avec le point politique sans doute le plus sensible des accords que le GPRA venait de signer, et que le CNRA (réuni en congrès à Tripoli) a adopté, sans parvenir à l'unanimité... La direction de la wilaya a tôt fait de mettre en échec, après le cessez-le-feu, l'accord ridicule et incompréhensible - pour elle - qui a donné à l'Exécutif provisoire la tâche de créer l'armée de la future Algérie devant résulter du référendum d'«autodétermination». Cela devait se faire à partir des soldats du contingent indigène incorporés dans l'armée française. Cette armée devait remplacer à la fois l'armée française et l'ALN, qui n'auraient plus eu le droit d'effectuer des missions opérationnelles. Fixée en vertu des accords d'Évian, la tâche de la responsabilité du maintien de l'ordre sous l'Exécutif était donc de remplacer - subrepticement, sous le couvert du «provisoire»6 comme l'était l'Exécutif lui-même ? - l'ALN à qui n'aurait été laissé d'autre choix que de déposer les armes dans les casernes françaises de l'Exécutif. La direction de l'ALN de la wilaya 4, installée publiquement comme autorité politique après le cessez-le-feu dans la Capitale (de sa zone 6), souffle cette «armée», comme on soufflerait une bougie. Elle appelle à déserter les conscrits algériens incorporés dans ladite «force locale», et à se présenter à elle avec leurs armes et leurs tenues militaires en échange de quoi on leur donne une tenue civile et un petit pécule pour rejoindre leurs foyers... Et pour pallier l'échec signé par la désertion massive de ces soldats, les historiens idéologues de la colonisation ont créé le terme de «marsiens» pour faire croire que ce sont ces déserteurs qui, en tant que soldats de la dernière heure, ont permis de «remplumer» les rangs de l'ALN de la wilaya «décimés» par Challe... Mais la wilaya dépouille ladite force locale pour équiper nombre de ses prisonniers de l'ALN libérés par le cessez-le-feu... 5-. C'est encore cette même ALN de la wilaya 4 qui, en faisant échouer un plan bien ficelé, va éviter au pays une grave dérive, qui aurait pu se muer en guerre civile à l'indépendance. En effet, brouillé avec les chefs politiques de l'Aln de l'extérieur, le Gpra n'a pas de force militaire pour asseoir son autorité et faire respecter les accords signés avec la France. Aussi pense-t-il se faire précéder par des «officiers de réserve»7 pour prendre les rênes de la Wilaya 4 dont ils avaient fait partie de la direction avant de se retirer à Tunis. C'est là une opération «trouble» rapporte M. Harbi, qui précise en note (p. 291) que «leur acheminement a été assuré avec la complicité d'éléments français et algériens liés à des appareils au service du général de Gaulle.» Cela n'a pas échappé à la direction de la wilaya : elle ressent le danger de l'entreprise comme volonté de mettre politiquement l'ALN au service d'un GPRA devenu un des groupes en lutte pour le pouvoir à l'extérieur, et que le pouvoir français y a quelque intérêt. Elle refuse net la visée de ces prétendants, et défend la Capitale contre leurs menées visant à y recréer une néo «zone autonome», sous prétexte de lutter contre l'OAS et sa politique terroriste, alors qu'ils dirigent plutôt leurs coups contre les forces de la wilaya 4. Les chefs de la wilaya voient dans cette entreprise une conjuration car elle bénéficie d'armes de guerre, dont une partie est saisie lors de barrages de contrôle; de plus, elle s'appuie sur des militants dévoyés par Yacef Saadi qui s'en prennent aux djounoud de l'ALN, et couverts par les ex-officiers dépêchés de Tunis... Elle profite également d'une fausse couverture politique du GPRA qui, en cautionnant la remise en cause frauduleuse de la création de la zone 6 de la wilaya, avec l'approbation du CNRA, transforme cette instance dirigeante en outil de complot. Le président Benkhedda, apostrophé par le colonel Hassan sur ce sujet, baragouine, mal à l'aise, une explication qui ne tient pas la route... mais le mal était fait, aggravant la crise. La jeune équipe qui défend la wilaya contre ces empiètements indus liés à des plans étrangers à l'esprit du combat auquel ses membres se sont associés, ne cherche pas à préserver un pré carré pour arracher sa part dans cette course au pouvoir. Leur chef, le colonel Hassan, ne rêve que de reprendre ses études interrompues en 19568 quand il a décidé de rejoindre le combat des hommes de Novembre. Mais Si Hassan se sent le devoir d'aider à dépasser la crise en préservant l'espace de la wilaya et la Capitale, un espace où les armes n'ont pas à parler, un lieu pacifique où on peut régler par l'échange politique les problèmes de direction du pays enfin libéré. Alger est déclarée ville ouverte, appartenant à tous les acteurs de la Révolution. Il ne s'est pas opposé à l'entrée du GPRA, malgré le contentieux qu'ils lui ont opposé... ni d'ailleurs, un peu plus tard, à celle de Benbella et de son BP... De Rabat, Benbella demande à le voir. Il n'hésite pas à se déplacer vers lui, accompagné du sage Mohand Oulhadj. Il le trouve avec ses compagnons et leur souhaite la bienvenue, mais en précisant les conditions... c'est alors qu'il entend Mohamed Khider proférer : «Nous prendrons le pouvoir quel qu'en soit le prix. Même s'il faut encore verser du sang...» Benbella ne pipe mot devant cet écart de langage... Si Hassan tente d'établir les conditions d'une reprise de Tripoli. Il est par monts et par vaux, à Zemmouri, à Lasnam, réunissant les chefs des wilayas de l'intérieur, cherchant à les faire parler d'une même voix malgré les contradictions qui les clivent... Se constituent alors deux groupes : celui de Tlemcen et celui de Tizi Ouzou qui semblent décidés de cohabiter... bientôt sur la base d'un accord noué entre eux début août 1962... A suivre |