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Il s'agit d'un territoire luxueux et ultra-sécurisé, uniquement accessible
aux porteurs d'un laissez-passer spécial (familles de généraux, d'hommes
politiques, hauts fonctionnaires), le Palais des nations, construit au début
des années 1960 et qui sert à la réception d'hôtes de marque, un ensemble de
villas ou «chalets» attribuées à des personnages importants du régime (dont un
lot de 53 villas achevé durant les années 2010, dont Ahmed Ben Bella est le
premier à profiter) ; leur taille dépend de l'importance de chaque personnage,
une plage privée, un projet de palais des congrès, l'hôtel cinq étoiles
Sheraton-Club des Pins, possédant sa propre plage privée, entre le Club des
Pins et la plage Moretti. Moretti qui est une autre
zone de villas à accès restreint, comprenant une plage privée. Le club des Pins
est devenu en Algérie un symbole des avantages obtenus par le cercle rapproché
du pouvoir et leur famille, formant une jeunesse dorée à part du reste de la
population » (9). Si je parle de « Cité Interdite », ce n'est donc pas une
simple vue de l'esprit. Cette résidence d'état qui n'est pas accessible au
commun des mortels est bel et bien une « Cité Interdite », résidence d'une
minorité de privilégiés qui vit dans une Algérie parallèle. Je crois même que
l'Algérie est l'un des rares pays au monde dont les dirigeants vivent à l'écart
du reste de la population. Comment dans ce cas ne pas parler de caste et de
cité interdite ?
Hormis donc cette caste de seigneurs totalement déconnectée des réalités sociales et économiques de l'Algérie profonde, cette oligarchie qui ne partage pas les mêmes tracasseries quotidiennes que nous devons subir : les embouteillages, les chaussées défoncées, l'absence de trottoirs, d'espaces verts, de jardins publiques, d'aires de loisirs pour nos enfants, de lieux d'aisance et tant pis pour ceux qui ont des problèmes de prostate et des femmes enceintes qui ont souvent des besoins urgents, le reste des algé(riens) est condamné à vivre dans un environnement où rien n'est pensé pour l'aider à se civiliser et à se conduire en être civilisé. Notre environnement est tellement décadent qu'il se répercute forcément sur nos mœurs transformant cette populace que nous sommes en horde primitive (Lire à ce propos mon article «Cogito Ergo Sum» paru dans le quotidien El Watan du 12 - 01 - 2013) (10). A l'opposé de la réalité de notre quotidien, cette caste rentre chez elle par des voies balisées, sous haute protection policière et surtout sur des chaussées où il n'y a ni ralentisseurs, ni nids de poules et autres ornières. Leurs enfants fréquentent des clubs privés. La «Cité Interdite» dans laquelle ils vivent en reclus eux et leurs familles dispose de toutes les infrastructures modernes. Ils ont des espaces verts et leurs enfants savent à quoi ressemble une rose ou un parterre fleuri. Quant à notre environnement à nous, il n'a rien à envier aux «Township» (Un township, en Afrique du Sud, est un ghetto réservé aux non-blancs créé à la périphérie des grandes agglomérations pendant l'apartheid...) (11). Nos villes sont dans une saleté repoussante avec des poubelles à ciel ouvert avec des chaussées défoncées et par jour de pluie, il vaut mieux ne pas sortir parce que la circulation devient impossible surtout au niveau des trémies qui se transforment par endroit en véritables réservoirs. De même et puisque pratiquement tous les caniveaux sont bouchés, certaines routes se transforment rapidement en véritables torrents. Je ne sais pas ce qu'il en est pour les autres villes d'Algérie, bien que j'imagine que c'est la même chose qu'à Constantine, mais le fait est que dans cette ville on ne peut pas faire cent mètres sans tomber dans une ornière ou encore sans être soulevé par un dénivèlement dû au fait que le bitume se gondole sous l'effet de la chaleur. C'est bien simple, il n'y a pas, à Constantine une seule rue ou ruelle qui soit décemment praticable. Je parle de Constantine avant qu'elle ne soit promue au rang de capital de la culture Arabe. En effet, cette ville a subi depuis un lifting visant à la réhabiliter, mais cette réhabilitation ne concerne pas toute la ville et je dirais même qu'elle vient trop tard parce que l'essentiel de ce qu'il fallait réhabiliter n'existe plus : la vieille ville. Un patrimoine historique, inestimable qui aurait permis à cette métropole d'être classée au patrimoine universel de l'humanité. Il faut savoir que la vielle ville de Constantine s'étale sur une très grande surface, cette vieille ville a été séparée en deux par le tissu urbain colonial avec les tracés de la rue Larbi Ben-M'hidi (Trik Jdida) et celui de la Rue de France principalement, donnant deux concentrations distinctes : Souika et Rahbat Ladjmel d'un côté, ce vieux tissu urbain s'étale jusqu'au bord du précipice qui longe le Rhumel et qui fait de lui un site unique au monde. Concernant cette partie de la ville, elle a pratiquement disparu, il n'en reste qu'un tas de gravats. C'est ainsi qu'un des sites les plus pittoresques au monde, et encore je mesure mes mots, est en train de partir en ruines et gravats. De l'autre côté du tissu urbain colonial, qui est venu comme une balafre horrible, défigurer cette cité séculaire, s'étale l'autre partie de la ville qui étire ses ramifications jusqu'au pont suspendu de Sidi M'Cid, avec principalement la place Sidi Ledjlis et sa fontaine, laquelle je ne sais par quel miracle est toujours là mais de laquelle ne coule plus une seule goutte d'eau, la place des Galettes (Rahbet Essouf) et Souk El Asser. Malheureusement, cette partie de la ville est aussi en voie de disparition. La plus grande partie n'est déjà plus là. Il ne reste plus que quelques vestiges qui s'accrochent encore au rocher contre vents et marées comme de vieilles molaires rongées par la carie et qui continuent à résister à la folie destructrice de l'homme et c'est surtout ça la vérité qui blesse. Toutes ces destructions sont bien le fait de l'homme et non celle du temps. En effet, la plupart de ces habitations ont été sciemment et volontairement détruites par leurs occupants pour pouvoir bénéficier du statut de sinistrés et être relogés. Cet état de fait démontre clairement l'absence totale des autorités et de leur inculture abyssale. Comment expliquer autrement leur indifférence par rapport à ce crime commis contre notre mémoire collective inscrite dans les murs de cette vieille cité qui part en ruine ? Pour terminer sur ce patrimoine historique, j'ajouterais cette passerelle (le chemin des touristes) qui longe les gorges du Rhumel tout au fond et d'un bout à l'autre donnant sur des thermes romains qui ne sont plus que des ruines en voie d'extinction et qui auraient pu, si elles avaient été réhabilités à temps, ajouter une plus-value inestimable au capital touristique de Constantine. Chaque fois qu'il m'arrive de traverser le pont Sidi Rached avec sa vue imprenable sur cette partie de la vieille ville qui surplombe le ravin qu'on appelle ici à Constantine « Errimis », et que je vois cette vieille ville partir sans que personne ne s'en émeuve, quand je vois aussi les flancs du ravin souillés par un amoncellement de détritus qui défigure complètement ce qui reste à voir des gorges du Rhumel sans que personne ne lève le petit doigt pour dire halte au massacre, j'ai envie de pleurer. Voilà donc où nous en sommes aujourd'hui, ces travaux, cette réhabilitation arrivent en retard. C'est comme si on a voulu farder une vieille dame pour lui donner un semblant de jeunesse. Mais encore une fois, il est bel et bien trop tard. Ce qui a été fait, même s'il est louable, ne compensera jamais ce qui a été définitivement et irrémédiablement perdu. En fait, tout le monde sait que cela n'est qu'un leurre parce que ce lifting ne touche que Constantine intra muros, la périphérie de la ville continue et continuera à vivre dans la saleté des poubelles à ciel ouvert et des chaussées défoncées. L'exemple le plus significatif de cette catastrophe urbaine est la nouvelle ville Ali Mendjeli, qui est la négation même de ce que peut être une ville. Avec presque un demi-million d'habitants, ses deux universités, dont la ville universitaire Constantine3, la plus grande université en Afrique, sans compter le nouveau Zénith, une salle de spectacle de 3 000 places, sa zone industrielle, l'aéroport international, cette nouvelle ville n'a qu'une seule voie d'accès. Je ne sais pas comment se sont arrangés les urbanistes qui l'ont conçue ? Ils pensaient peut être qu'on y accèderait par la voie des airs, par hélicoptère ? Je ne sais pas ? Allez savoir ? Cette agglomération, cette « poubelle ville » comme l'appellent ses propres habitants, n'obéit à aucune norme urbaine. Je ne peux terminer mon propos sur l'anachronisme qui caractérise toutes ses nouvelles réalisations sans évoquer la catastrophe de l'autoroute Est-Ouest, qui n'a d'autoroute que le nom car c'est souvent d'une piste impraticable et même mortelle qu'il s'agit, notamment dans le tronçon Bouira-Alger. Je ne vous parlerais pas non plus du tunnel de Djebel-El-Ouahch. Et dire que d'autres nations ont creusé un tunnel sous la manche avec des tonnes de pression d'eau par-dessus alors que chez nous, l'entreprise qui a été chargée de réaliser cet ouvrage n'a même pas été foutue de creuser un tunnel praticable d'à peine un ou deux km. Je ne vous parlerais pas non plus de l'enlisement des travaux de cette même autoroute dans la région d'El-Taref et du massacre écologique qu'elle est en train d'occasionner. C'est tout simplement scandaleux. Il n'y a pas de mots pour décrire cette gabegie, résultat de la mauvaise gouvernance qui gangrène le pays, de cette mauvaise gouvernance où le népotisme et le clientélisme sont érigés en système et dans laquelle l'impunité et les passe-droits sont devenus la règle. Rien d'étonnant alors que personne ne contrôle personne et ne demande des comptes à personne. Le pays est mis en coupe réglée par une oligarchie qui s'est mise au-dessus des lois et qui vit dans une Algérie parallèle, une Algérie qui n'est pas la nôtre. Voilà la ségrégation dont je parle. Il y a aujourd'hui un véritable apartheid qui est le fait de cette classe politique totalement déconnectée des réalités de ce pays et ses véritables difficultés. Un livre entier ne suffirait pas à décrire le mal profond qui ronge ce pays. Aussi, je vais m'arrêter là et je terminerais par mon rêve, mon « I have a dream à moi » en paraphrasant le discours qu'a prononcé il y a 53 ans Martin Luther King, discours qui a fait qu'un an plus tard en 1964, la ségrégation était abolie. Prouvant l'efficacité de ce discours à mobiliser ceux qui l'ont entendu (Toulon, op.cit.). Martin Luther King commence par le récit de l'enfer vécu par les Noirs que beaucoup de Blancs ignorent. Par transposition je parlerais de l'enfer que vivent les Algé(riens) ignorés par l'oligarchie régnante et vivant dans sa « Cité Interdite » après avoir trahi les engagements des Pères fondateurs de la Nation tombés au champ d'honneur et travestis les idéaux de Novembre 54. Tout comme Martin Luther King, justifiant le mouvement des droits civiques et terminant avec l'espoir qui donne envie de se lever et d'applaudir à tout rompre. Je rêve d'une Algérie où tous les Algériens auront les mêmes chances, où tous les Algériens, comme dans le gospel entonné par tous ceux qui ont assisté à ce discours, « seront capables de se tenir la main et chanter ensemble : Libre enfin ! Libre enfin ! Merci Dieu tout puissant, nous sommes libres enfin !» Selon Toulon (op.cit.), le message adressé ce jour-là par King est fort et simple : le changement c'est maintenant. Il y a 187 ans (en 1776) que l'Amérique a promis «Liberté et Justice» à tous ses enfants. Les Noirs viennent réclamer leur dû : «Nous venons à la capitale de notre nation pour demander en quelque sorte le paiement d'un chèque (...).» Je paraphraserais King en disant que les pères fondateurs de l'Algérie ont également promis «Liberté et Justice» à tous leurs enfants. Aussi, de même que King, je dirais qu'aujourd'hui aucune alternative n'est possible aujourd'hui en Algérie que celle du changement maintenant. Pour Martin Luther King, les Blancs doivent prendre conscience que la ségrégation trahit les valeurs et idéaux qui ont forgé le rêve américain. Sans les mêmes droits pour tous, l'Amérique ne peut pas se regarder dans les yeux, ni affronter le regard de Dieu. Je dirais qu'en Algérie également le pouvoir doit prendre conscience que cette ségrégation qui ne dit pas son nom trahit les valeurs et idéaux de Novembre 54 et sans les mêmes droits pour tous, le pays risque de sombrer corps et âme. Martin Luther King ajoute qu'il « est évident aujourd'hui que l'Amérique a manqué à son engagement envers ses citoyens de couleur », je le paraphraserais en disant : depuis l'indépendance à nos jours, l'Algérie a également manqué à ses engagements envers ses citoyens en instaurant de fait une ségrégation inique. Et si pour King : «Un siècle plus tard, les Noirs représentent un îlot de pauvreté dans un océan de prospérité matérielle. Je dirais à l'inverse de King : qu'un demi-siècle plus tard, les Algé(riens) représentent un océan de malvie dans un îlot de prospérité. Un demi-siècle plus tard les Noirs (les Algé(riens) languissent toujours dans les marges de la société américaine (algérienne), des exilés dans leur propre terre» (Toulon op.cit.), Dans son discours, Martin Luther King répètera 9 fois «Que la liberté retentisse». Mais la répétition la plus fameuse est bien sûr «Je fais un rêve», répétée sept fois : «Je fais un rêve que même l'État du Mississipi, désert étouffant d'injustice et d'oppression, deviendra une oasis de liberté et de justice». Je rêve également d'une Algérie, depuis Tamanrasset en passant par Djanet, El Oued, Ouargla, Tindouf, d'une Algérie, d'Est en Ouest et du Nord au Sud qui est une Oasis prospère. « Je fais un rêve que mes quatre enfants vivront un jour dans une nation où on ne les jugera pas sur la couleur de leur peau mais sur leur caractère ». Je fais un rêve dans lequel mes quatre enfants auront les mêmes chances de réussite et d'accès à l'emploi que leurs congénères de la «Cité Interdite» et qu'ils seront évalués sur leur compétence et non sur leur appartenance à un clan ou à une caste. Comme Martin Luther King et comme Toulon, mon rêve à moi est de montrer, à travers cette contribution que la force, la détermination et la vision d'un avenir sans discrimination est possible. Mon discours, mon rêve est de pouvoir redonner espoir, envie et confiance aux Algériens. Et comme l'écrit Toulon, « si nous ne voulons nous payer de mots, nous avons tous besoin de discours mobilisateurs. À toutes les époques et en tous lieux ». En attendant que ce rêve devienne réalité, je terminerais avec cette « sentence » prophétique assénée par Benissad en 2006, il y a de cela 11 ans déjà (14) : « Il y a en Algérie une société très forte qui marche toute seule et des hommes qui se forgent sans dignité des destins individuels dans l'impunité des fortunes colossales. Parmi ces hommes, on compte les plus fervents adeptes d'un sursis à la mandature actuelle plus pour des intérêts de clans ou personnels que pour tout autre chose». PS. Je conseille à tous ceux qui ont encore à cœur ce pays d'aller sur youtube visionner la magistrale interprétation de «Min Ajlika Ya watani», de Yasmine Belkacem. Elle nous saisit aux tripes et nous fait chialer comme des bébés parce qu'on se rend compte à travers le montage qui a été réalisé et la voix envoutante de l'interprète de tous les sacrifices que ce pays à dû consentir pour obtenir son indépendante et toute l'étendue du mal qui lui a été infligé. Références : 9-. http://fr.wikipedia.org/wiki/Club_des_Pins. 10- «Cogito Ergo Sum». El Watan du 12 - 01 ? 2013. 11-.http://fr.wikipedia.org/wiki/Township. 12- Crépon, M., philosophe, directeur de recherche au CNRS, directeur du département de philosophie de l'École normale supérieure, conférence du cycle «Cours méthodiques et populaires» enregistrée en mars 2017. https://www.franceculture.fr 13- http://fr.wikipedia.org/wiki/Mohandas_Karamchand_Gandhi. 14- Nour Eddine Benissad, «L'indépendance du pouvoir judiciaire : la mère des batailles ?», El Watan du 21/03/2006, |