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L'écrivain
Salah Guemriche est né, en 1946, à Guelma et vit en France depuis 1976.
Journaliste indépendant, il a collaboré, au milieu des années 1980, à
l'hebdomadaire ?Jeune Afrique', basé à Paris, et signé depuis une centaine de
tribunes, notamment dans les quotidiens français ?Le Monde' et ?Libération'
ainsi que dans plusieurs journaux algériens. Comme écrivain, il a publié en
France de nombreux ouvrages dont «Un été sans juillet:
Algérie, 62» au Cherche-midi éditeur en 2004; «Dictionnaire des mots français
d'origine arabe» aux éditions du Seuil en 2007; «Le Christ s'est arrêté à Tizi
Ouzou, enquête sur les conversions en terre d'Islam» aux éditions Denöel, en 2011. Son dernier ouvrage «,Israël
et son prochain, d'après la Bible,» paru en avril 2018 aux éditions de l'Aube,
vient d'être insidieusement écarté du prochain salon «Maghreb-Orient des
livres» qui se tiendra à Paris du 8 au 10 février prochains. Nous avons demandé
à M. Salah Guemriche ce qui a motivé, selon lui,
cette censure qui ne dit pas son nom, de la part des organisateurs de la
manifestation littéraire parisienne.
Le Quotidien d'Oran : - M. Salah Guemriche, comment avez-vous appris que votre dernier livre «Israël et son prochain, d'après la Bible», publié aux éditions de l'Aube, courant de l'année 2018, n'a pas été retenu pour le salon «Maghreb-Orient des livres» qui aura lieu, ce mois de février 2019, à Paris ? Les organisateurs vous ont-ils fait part, directement de leur refus d'accueillir cet ouvrage ? Salah Guemriche : Il y a plusieurs manières de refuser la présence de quelqu'un à un événement. D'habitude, je reçois en tant qu'auteur connu de l'Association ?Coup de soleil' (co-organisatrice de ce salon du livre, à la Mairie de Paris. Ndlr) un formulaire à remplir. Même quand je n'ai pas de nouveauté à présenter. Le premier critère pour participer est d'avoir publié un ouvrage, l'année précédant celle de la nouvelle édition (2018 pour l'édition 2019). J'ai fait plusieurs fois le salon «Maghreb-des-Livres», devenu «Maghreb-Orient-des-livres». Je n'ai jamais eu à m'en plaindre. Même que mon précédent ouvrage : «Petit Dico à l'usage des darons et des daronnes» (sur les mots des «djeun's» et du rap) et, surtout, l'édition poche de mon «Dictionnaire des mots français d'origine arabe» connurent un franc succès, lors des séances de dédicaces. Curieusement, pour l'édition 2019, je n'ai jamais reçu ledit formulaire. Or, je tenais à y participer avec mon dernier livre, «Israël et son prochain, d'après la Bible», et j'y tenais d'autant plus que l'ouvrage m'a coûté cher en temps et en stress (dix ans avant de trouver un éditeur !). N'ayant pas reçu ledit formulaire, j'ai écrit aux organisateurs pour me rappeler à leur bon souvenir, et profitant de la période des vœux, je présentais les miens avant d'annoncer mon intention de participer au prochain salon. En pièce jointe, j'envoyai la couverture à plat de mon ouvrage. Mon courriel resta lettre morte, ce qui m'étonna de la part de la direction. En fait, une semaine avant l'envoi de ce courriel, je me suis trouvé à Paris, où je devais participer à une table-ronde, à l'Institut du Monde arabe. C'était le 10 janvier. Après le débat, un homme m'avait abordé pour me parler, justement, de mon essai sur Israël, qu'il avait lu et sur lequel il avait quelques questions à me poser... Après nos échanges, je le quittai non sans lui lancer : «Peut-être à bientôt... Au Maghreb-Orient-des livres, j'y serai !» C'est alors que l'homme eut un geste et un rictus qui m'intriguèrent. Comme je restai bouche bée, et alors que le responsable de l'IMA me hélait avec insistance pour aller dîner, mon lecteur s'approcha de moi et me murmura : «Euh... C'est délicat à dire... Mais votre livre pose problème à certaines personnes !». À quoi je répondis, d'un rire : «Vous ne m'apprenez rien, vu que...». Je n'eus pas le temps de poursuivre, il me salua aimablement et tourna talon... Q. O.: Il s'agit bien d'un acte de censure non? S. G.: Je ne parlerai pas, du moins pas pour le moment, de censure. Je dois être tout bonnement indésirable, aux yeux de certaines personnes. Ce dont je suis sûr, c'est que le «lecteur» que je viens d'évoquer, et que je n'ai plus revu, doit en savoir plus... À vrai dire, c'est bien plus tard que ses mots m'étaient revenus : après avoir attendu une semaine la réponse à mon courriel, dans lequel je demandais que l'on m'envoie le formulaire... J'avoue que, pour le moment, je ne sais pas de qui vient la décision de me «zapper». J'en ai une idée... Mais ce qui est sûr c'est que mon nom ne figure pas au programme du salon ! Ce qui n'est pas normal, puisque je remplis tous les critères... Et j'attends, toujours, une explication de la part des organisateurs. Q. O.: Est-ce que vous pensez qu'aujourd'hui, en France, le thème d'Israël n'est pas un sujet comme les autres qu'un auteur peut traiter objectivement, et même, s'il le faut, avec un oeil très critique ? Est-ce qu'il existe, d'après vous, une sorte d'immunité intellectuelle dont bénéficie Israël dans l'intelligentsia et les médias occidentaux ? S. G.: Immunité intellectuelle ? C'est peu dire !... Ajoutez cette impunité effarante, et sans précédent dans l'Histoire, dont bénéficie le gouvernement israélien, dont ont bénéficié tous les gouvernements israéliens, de gauche comme de droite ! Je m'étais rendu en Israël (mais aussi à Gaza et Ramallah), en 1997, et j'étais à Jérusalem, le 4 novembre de la même année, deux ans jour pour jour, après l'assassinat de Yitzhak Rabin, comme participant à la Conférence internationale de la paix. C'est quand même inouï : voilà plus de soixante-dix ans qu'un peuple subit occupation, expropriation et massacres, et de l'autre côté, un État, présenté comme «la seule démocratie de la région», qui fait fi de plus de soixante résolutions de l'ONU, sans que rien ne vienne forcer cet État à en appliquer la moindre de ces résolutions, alors qu'il suffit, à un tout autre pays, de ne pas appliquer une seule résolution pour qu'un déluge de bombes lui tombe dessus, entraînant des centaines de milliers de morts ! Vous parlez des intellectuels... Hélas ! Oui, Israël est intouchable aux yeux d'une grande partie des intellectuels médiatiques du pays des droits de l'Homme ! En France, vous pouvez toucher à la devise républicaine, à Marianne, ou à la dignité du président de la République, mais ne vous aventurez pas à toucher à Israël ! Par contre, dites que la Palestine n'est pas votre problème, ou, mieux encore, qu'il n'y a pas lieu de parler de colonisation en Israël, surtout si vous êtes maghrébin et/ou musulman, et vous aurez le sésame qui vous ouvrira toutes les portes, absolument toutes. C'est un peu comme si l'élite médiatique et le CRIF vous chantaient le fameux refrain de Driassa : «Khoud el-meftah, yel Fellah !»... Q. O.: C'était une idée particulièrement originale d'aller «fouiner» dans la Bible et dans des textes juifs anciens et contemporains pour écrire un livre sur Israël... S. G.: Cet essai m'a demandé quatre ans de travail. J'ai étudié l'Ancien Testament, de bout en bout. Soit dit en passant, ceux qui, en Europe, dénoncent la violence dans le Coran devraient lire l'Ancien Testament... J'ai potassé aussi plus de cent textes d'auteurs juifs anciens et contemporains. Et vous savez, une fois le travail terminé, je me suis demandé : au fait que vaut-t-il vraiment ? Ne serait-ce pas une imposture, de ma part, que de m'être aventuré dans pareille étude sans être juif, ni théologien ? J'avais eu besoin de me rassurer, en faisant appel à une valeur sûre : mon premier lecteur et correcteur est un grand ami, un Juif de Constantine, donc de ma région, un compatriote en somme... Ecrivain, ancien journaliste, hébraïsant et traducteur des plus grands auteurs israéliens, notamment David Grossman. Après quelques corrections précieuses, relatives à la Torah et au Talmud, sa conclusion fut nette : «Mon cher Salah, tu auras plus de chance de trouver un éditeur en Israël qu'en France !». Et il savait ce qu'il disait !... Q. O.: Vous voulez dire que vous avez éprouvé les pires difficultés pour trouver un éditeur en France pour votre ouvrage ? S. G.: Entre 2007 et 2011, le manuscrit avait intéressé trois grands éditeurs : deux Parisiens et un Genevois. Le premier Parisien, un éditeur disons «historique», fut emballé par mon manuscrit, mais il était contraint de «lever le pied sur la question», comme il me l'écrira. Le deuxième Parisien, directeur des éditions Desclée et Brouwer, m'avait invité dans ses bureaux, pour me dire que mon approche de la Bible l'intéressait, surtout venant d'un Algérien, et donc, forcément avait-il pensé : «Un musulman qui se penche sur l'Ancien Testament, il y a bien de quoi faire un coup !». Sauf que trois chapitres lui posaient problème, car trop pointus pour son lectorat. Ce qui était compréhensible. J'avais donc essayé de simplifier lesdits chapitres, mais sans réussir : le sujet, trop sensible, exigeait justement un maximum de rigueur théorique... Le troisième éditeur, directeur des célèbres éditions suisses Labor et Fidès, m'avait écrit pour me dire tout le bien qu'il pensait de mon texte, dans lequel il avouait «se reconnaître» et qu'il envisageait même de le publier dès la rentrée d'automne 2011. Pour cela, il me proposa de le rencontrer à Paris. Une semaine après, rétractation stupéfiante et sans explication!... Q. O.: On dirait que ce livre sur Israël a fait fuir pas mal de monde... S. G.: On est loin, en Algérie, d'imaginer le prix à payer pour mener à bien, sinon au mieux, son parcours d'écrivain, ici, en France, pour qui refuse de céder aux diverses pressions de ce qu'Edward Saïd, le Palestinien d'Amérique, appelait «l'inconscient colonial». Je ne parle jamais de «lobby juif», personnellement, car il y a en France, et malgré le poids politique évident du CRIF, de nombreux juifs qui dénoncent régulièrement la politique de Netanyahu ! Alors que des Algériens vous déclarent qu'il n'y a pas lieu de parler de colonisation en Israël ou que la Palestine n'est aucunement leur problème ! Imaginez... Q. O.: On peut tout vous reprocher sauf votre long engagement en faveur de la Cause palestinienne... S. G.: Je vais vous faire un aveu... Et je profite pour le dire à ce journaliste algérien qui, un jour, parlant de moi, avait affirmé que «notre écrivain vit un exil doré». Mon aveu ? Il est simple : si ma vie était à refaire, je ne la mènerais pas comme je l'ai menée jusqu'ici. Pour qui tient à sa liberté absolue, sans compromission, il lui faudrait vivre seul, avec, pour toute «famille», des livres et des livres ! Et toute sa dignité. Car, pour préserver celle-ci, il arrive un moment où vous n'en sentez plus la force. Bien entendu, pour certains grands esprits, c'est connu : plus parano qu'un Algérien, tu meurs !... Parano, moi ? Schizophrène, ah, ça, oui ! Et je l'assume, mais comme romancier : en me défaussant sur mes personnages de fiction. Après tout, un personnage est bien fait pour ça, non ? Ceci dit, une seule foi m'habite aujourd'hui : ce livre, «Israël et son prochain», restera l'édifice central de ma bibliographie. Il y a, bien-sûr, mon «Dictionnaire». Mais «Israël et son prochain», paru finalement, en France, et grâce à un éditeur engagé, Jean Viard, et à son équipe des éditions de l'Aube, je suis heureux, oui, et fier, qu'il existe. Et j'ai la ferme conviction qu'il aura longtemps, très longtemps, sa place au rayon «Essais, Religions». |