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Deuxième stade historique
1971-1979 ? Origine de l'inflation mondiale
Entre 1971 et 1973, les crises monétaires ne s'atténuent pas. Malgré le mécanisme du Serpent monétaire européen pour stabiliser les monnaies européennes entre elles et le dollar, la situation reste toujours conflictuelle sur le plan monétaire. Si les Banques centrales européennes refusaient de soutenir le dollar, et de plus ont adopté le régime de changes flottants, les États-Unis auraient de grandes difficultés pour financer leurs déficits commerciaux. Le problème qui se posait, c'est que «ce sont les États-Unis par leurs déficits extérieurs qui soutiennent la croissance mondiale. Sans ces déficits, qui soutiendra l'économie mondiale ? C'est simple, le monde sera privé de moteur». Pour répondre, il faut revenir aux origines de la frappe monétaire. Et le Moyen-âge, en tant que période intermédiaire entre l'Antiquité et l'époque contemporaine, nous paraît le mieux à nous éclairer sur les phénomènes monétaires souvent mal saisis. Au Moyen-Âge, le pouvoir monétaire était centralisé entre les mains du roi, comme aujourd'hui par l'Etat. Lorsque des fortes dépenses royales affectaient le budget du roi (train somptuaire de la cour, guerre contre un autre royaume), les caisses royales se vidaient, et l'argent vient à manquer. Ceci est valable aujourd'hui pour un pays qui entre en guerre, ou se livre à des fortes dépenses (train de vie élevé, dépense d'armements, etc.). L'exemple de l'Amérique endettée est parlant. Le grenier du roi où se trouvent les réserves de céréales commence aussi à se vider. Et les céréales, au Moyen-Âge, constituaient une nourriture de base vitale pour les populations des royaumes. Pour prévenir les famines, il faut rappeler que les céréales étaient sous la garde du roi. Supposons que des fortes dépenses royales ont affecté le prix des biens et services dans le royaume. Et cette hausse des prix est due au recours de la frappe monétaire par les services financiers du roi pour financer le surplus de dépenses. Supposons qu'il se produit une situation de crise financière. Le roi ne peut lever de nouveaux impôts, la situation sociale du royaume a empiré, en raison de la famine, de l'appauvrissement de la classe paysanne et manufacturière (artisans), y compris princière. Et le risque des troubles dans le royaume est potentiel. Le roi doit réagir à cette situation. Une possibilité pour cette situation de crise, comme au temps de guerre, est d'user de la frappe de monnaie et augmenter le prix du blé. La hausse de la frappe de monnaie sera contrebalancée par la hausse du prix du blé. Supposons que les princes du royaume frappent aussi de la monnaie. Et le roi consent, vu le rapport des forces. Cependant, seule la monnaie du roi a cours dans l'achat du blé. Les princes qui ne disposent pas suffisamment de blé pour nourrir leurs populations sont obligés de se procurer la monnaie du roi par les échanges de biens que leurs serfs produisent sur les marchés pour se fournir en blé dans les magasins du roi. On vient au constat suivant : «La hausse de la frappe de monnaie du roi en concomitance avec celle du prix du blé touche autant la classe populaire que la classe princière. Les deux classes sociales subissent une perte du pouvoir d'achat». Une exception cependant. Les paysans qui disposent d'une quantité importante de blé pour leurs semences, attirés par la hausse des prix, profitent de cette situation pour vendre une partie de leur semence. Ils sont encouragés pour augmenter les terres cultivables. Cultiver plus de blé leur permet, par la vente de plus de récoltes avec les nouveaux prix, gagner plus d'argent. De plus, dans les nouvelles terres cultivables, ils peuvent être aidés par de nouveaux bras. En cas de guerre terminée, des soldats-paysans (mobilisés) libérés amènent plus de paysans à travailler la terre. Devant la hausse du prix du blé, les artisans augmentent à leur tour le prix de leurs produits, pour compenser la perte de pouvoir d'achat. Si la situation est conjoncturelle, et l'économie du royaume se rétablit, le roi met fin au surplus de la frappe monétaire et à la hausse des prix du blé. En revanche, si l'économie du royaume ne se rétablit pas, et les hausses se répètent, il se produit une spirale inflationniste qui obligera le roi, devant le risque de troubles graves, de mettre fin à ce processus dangereux. Et la nécessité de diminuer la frappe monétaire, imposer un prix donné du blé et une austérité dans tout le royaume. Ce processus dans l'époque féodale se retrouve encore aujourd'hui. Une Banque centrale d'un pays qui voit ses réserves de change diminuer, et qui est confrontée à une crise de liquidités en devises internationales (recul des recettes dans le commerce extérieur, fuite de capitaux à l'étranger) se trouve, devant le constat que la quantité de monnaies émises dépasse la quantité de devises et d'or en réserve, c'est-à-dire les contreparties physiques internationales qui ont diminué (auxquelles les monnaies nationales étaient adossées), encore forcée d'en émettre la monnaie nationale pour financer (sans contreparties physiques) l'économie. C'est-à-dire à procéder à de la création monétaire ex nihilo (à partir de rien) ou planche à billets. La baisse des réserves de change qui oblige la Banque centrale à augmenter la masse monétaire pousse en même temps l'Etat à prendre une série de mesures pour faire face à la chute des réserves de change. D'instaurer des taxes aux produits importés (automobiles, produits de luxe, etc.), augmenter le prix de l'essence, etc., pour freiner les importations et préserver les réserves de change, ou du moins à les faire durer plus. Au final, on constate bien que la Banque centrale de cet Etat qui a augmenté la quantité de monnaie et provoqué, par le biais des institutions de l'Etat, la hausse des prix a procédé, comme les financiers du roi qui ont augmenté la frappe monétaire et le prix du blé. Evidemment, cette augmentation de la masse monétaire adossée à des réserves de change qui diminuent se traduit par une dépréciation de la monnaie de ce pays. Une dépréciation qui rend les importations plus chères et les exportations moins chères. Ce cas de figure peut être rentable pour un pays qui exporte des biens industriels et manufacturés, mais ne l'est pas pour un pays mono-exportateur. Par exemple, un pays comme l'Algérie, qui exporte essentiellement des hydrocarbures dont les prix sont fixés par les marchés internationaux, n'a pas d'instruments macroéconomiques pour influer sur son économie. La seule alternative qui lui reste, c'est d'amener le cartel pétrolier à influer sur le prix du pétrole, comme elle l'a fait en septembre 2016, ou à se tourner vers d'autres gisements inexploités. Et encore faudrait-il qu'ils soient rentables. Si l'Algérie n'arrive pas à influer sur l'OPEP, il s'ensuit pour son économie une spirale inflationniste. Une faible rentrée de devises entraîne une spirale de déficits commerciaux récurrents lesquels, à leur tour, provoquent une hausse des prix récurrents. Une situation qui se termine par une crise de liquidités en devises internationales et endettement. L'insolvabilité de l'Algérie entraîne inévitablement le recours aux institutions internationales (FMI, etc.), avec toutes les conditionnalités drastiques qu'elle aura à appliquer en échange d'un prêt financier minimal juste pour que l'économie ne sombre pas dans une crise grave, et que les conditionnalités soient appliquées. Dans l'exemple de l'Algérie, comme dans tant d'exemples de par le monde dans les années 1980, pour ne citer que celui récent de la Grèce après la crise financière de 2008, on constate bien une similitude entre le modèle du royaume médiéval et le modèle de l'Etat contemporain. Et cela passe par une augmentation de la quantité de monnaies et de la hausse des prix nationaux, indifféremment d'un Etat moderne ou d'un royaume médiéval. On peut étendre le modèle médiéval à la conjoncture économique mondiale des années 1970. Postulons que les États-Unis sont ce royaume et supposons qu'ils sont en difficulté financière. Les émissions monétaires des États-Unis pour financer leurs déficits commerciaux s'assimilent à la frappe monétaire du pouvoir royal. L'augmentation du prix du pétrole lors du krach pétrolier de 1973 s'assimile à l'augmentation du prix du blé entreposé dans le grenier du roi. Ce que la monnaie du roi est au blé, le dollar américain l'est au pétrole (monnaie de facturation). La décision des pays arabes d'augmenter le prix du pétrole lors de la guerre du Kippour (quatrième guerre israélo-arabe) n'a été qu'un moyen politique pour l'Amérique de se décharger sur une partie tierce. Car si c'était réellement les pays arabes qui ont augmenté unilatéralement le prix du pétrole, les États-Unis n'avaient qu'à agir sur les émissions de liquidités en dollars (les diminuer) pour pousser les prix à la baisse. D'autre part, la survie des régimes politiques absolutistes des pétromonarchies dépend entièrement du parapluie nucléaire américain. On voit donc mal les monarques arabes se mettre à mal contre leur protecteur. Par conséquent, les États-Unis se trouvaient astreints à augmenter les liquidités pour monétiser leurs déficits extérieurs. Par ces émissions monétaires, l'Amérique répercutait le financement de ses déficits extérieurs sur le reste du monde. Par son statut de première puissance monétaire dans le monde et son pouvoir de créer et d'augmenter de la monnaie à partir de rien (planche à billets) mais adossée à l'augmentation du prix du pétrole, l'Amérique obligeait les pays consommateurs nets de pétrole à acheter les dollars sur les marchés pour régler leurs importations de pétrole que leurs facturent les pays pétroliers arabes et du cartel pétrolier, l'OPEP. Si les États-Unis avaient répondu positivement aux demandes des Européens en 1971 de financer les déficits commerciaux par une hausse d'impôts, il n'y aurait évidemment eu ni inflation ni choc pétrolier en 1973, et donc pas de surplus de dollars créés par la Fed pour permettre la hausse du prix du pétrole. Pour preuve, l'exemple récent de la crise pétrolière en 2014 éclaire l'impact du problème monétaire dans le monde. La Fed, ayant mis fin au dernier programme de quantitative easing (QE3) au deuxième semestre 2014, a provoqué un retournement des prix du pétrole. En décembre 2014, le prix du baril fluctuait autour de 60 dollars, loin des 115 et 120 dollars en juin 2014, et des années qui ont précédé. Restons dans le modèle du royaume médiéval. Les pays européens peuvent être assimilés aux princes qui ont procédé à la frappe de leurs monnaies, devenues concurrentes à la monnaie du roi. Les pays européens, par leurs monnaies convertibles et leur puissance exportatrice, concurrençaient dès les années 1960 les États-Unis et, par conséquent, le dollar américain. A l'instar des princes qui ont acheté la monnaie du roi pour se pourvoir en blé, les pays européens ont acheté des dollars pour importer le pétrole pour leurs économies. La hausse des prix pétroliers se généralisant aux autres matières premières et produits industriels et manufacturés, va pousser les États européens, à l'instar des princes à frapper plus de monnaies, à augmenter la création monétaire ex nihilo. Ce qui est naturel, tout pays qui a une monnaie reconnue internationalement augmente la quantité de monnaie s'il se trouve pénalisé par un autre pays reconnu internationalement sur le plan monétaire et qui a augmenté unilatéralement une quantité de monnaie. Ainsi, on comprend pourquoi une hausse de liquidités des pays européens contre une hausse de liquidités américaines s'est généralisée et a créé une spirale inflationniste. A chaque déficit commercial, les États-Unis émettaient plus de dollars, suivis par les pays européens. Ce surplus de création monétaire sans fin, sans contreparties de richesses productives, adossé au seul pétrole et qui a impacté les autres matières premières et produits finis, a provoqué, en mars 1979, un second choc pétrolier. Le paradoxe qui ressort montre que, bien que des siècles nous séparent de l'époque médiévale, le principe de la frappe monétaire n'a pas changé. Il a toute sa valeur aujourd'hui. N'ont changé que les formes qui sont plus modernes aujourd'hui. Les Bourses mondiales et les marchés monétaires sont interconnectés. Une hausse de liquidités opérée par un pays est immédiatement sanctionnée par les marchés internationaux. Nous avons «ce tout le monde qui surveille tout le monde». Et c'est dans l'intérêt des États. On comprend pourquoi le grenier du roi n'est plus rempli de blé, mais de pétrole, et les guerres et conflits armés qui s'y jouent au Moyen-Orient et au Maghreb n'en finissent pas. Ils finiront que lorsque le pétrole de cette région ne serait plus le grenier américain, qu'il devienne une matière première comme les autres matières, sans portée géostratégique. Au-delà de toutes considérations, force est de dire que cette forte hausse du prix du pétrole suivie de la hausse des matières premières et des produits finis est de portée historique, dans le sens qu'elle a eu un impact positif pour l'économie mondiale. Puisqu'elle a permis de transférer un pouvoir d'achat aux pays exportateurs de pétrole et de matières premières, transformant le reste du monde en deuxième moteur au côté du premier moteur, les États-Unis, pour l'économie mondiale. Le problème donc n'est pas la hausse du prix de pétrole qu'ont bénéficié les pays exportateurs de pétrole ou les déficits commerciaux américains, mais le sauvetage de millions d'emplois dans les pays industriels, et ce uniquement par une absorption mondiale plus étendue dans le monde. Enfin, un autre point non moins important, la hausse du pétrole a permis d'équilibrer dans une certaine mesure les échanges économiques entre le Nord riche et le Sud pauvre. Et c'est ainsi que l'on doit comprendre le travail des forces historiques dans la marche du monde. Troisième stade historique 1979-1991 - L'endettement mondial Evidemment le processus inflationniste comme il s'était développé ne pouvait durer indéfiniment. La spirale des déficits occidentaux et leur monétisation nécessitaient forcément un troisième choc pétrolier. D'autant plus que les pays arabes, d'Afrique et d'Amérique du Sud n'ont pas fait bon usage de la masse de pétrodollars qu'ils ont reçus. Des usines clé en mains, produits en main, n'ont jamais réellement fonctionné. Des détournements massifs de capitaux arabes, africains et sud-américains sont allés grossir les avoirs des banques américaines et européennes. Et étrangement, le recyclage des pétrodollars que les pays arabes, africains, sud-américains, investissaient en Occident, paradoxalement leur retournaient sous forme de prêts pour les ligoter dans l'endettement. Et le plus incroyable, les pays arabes, par exemple, n'avaient pas compris le processus, pensant qu'ils allaient, par l'arme pétrolière, imposer un «Nouvel Ordre Economique Mondial» (NOEI), alors qu'en réalité, ils n'étaient que des instruments dans la stratégie américaine pour dominer le monde. Et c'est ce qui s'opéra à la fin de l'année 1979, le nouveau gouverneur de la Banque centrale américaine (Fed), Paul Volcker, relevait brusquement le taux d'intérêt directeur à court terme nominal pour combattre la spirale inflationniste, le faisant passer de 10% à plus de 20%. L'inflation atteignait cette année 13,5% en moyenne. Si le remède a été très sévère pour lutter contre l'inflation, il demeure cependant que le reste du monde fut frappé aussi soudainement par l'endettement. De plus, les dettes libellées en dollars montèrent, vu l'appréciation considérable du dollar sur les marchés monétaires. L'afflux massif de capitaux vers les États-Unis a porté le taux de change du dollar à des sommets sans précédent. L'inflation a certes fortement baissé, passant à 3,2% en 1983, mais au prix, il faut le souligner, d'une grave récession aux États-Unis en 1982. Le taux de chômage aux États-Unis a doublé, passant de 5,7% en 1979 à 10,8% en 1982, et 10,4% en 1983. (1) Comme dans le modèle royal, devant le risque de soulèvements populaires, le roi devait mettre fin à la spirale haussière du blé. Par conséquent, il devait cesser la frappe de monnaie sans contreparties productives, imposer un prix fixe du blé, diminuer les dépenses royales, mener une politique d'austérité pour lutter contre la crise économique dans le royaume. Et la Fed n'a pas dérogé au principe monétaire médiéval. Serrant le robinet monétaire, à l'instar du roi, elle a mis en difficulté, par l'endettement, pratiquement l'ensemble des pays du monde. Une politique d'austérité à l'échelle mondiale. Cependant, contrairement aux dépenses royales revues à la baisse et une politique d'austérité dans le modèle médiéval, les États-Unis se sont lancés dans des réductions massives d'impôts, des dépenses d'armements (la guerre des étoiles) et des fortes dépenses pour doper la consommation, ce qui a creusé fortement les déficits budgétaires et courants durant les deux mandats de l'administration Reagan. Comment comprendre ce pouvoir financier américain qui finance sans difficulté ses déficits budgétaires et courants ? Qu'il répercute sur le reste du monde. D'autant plus que la Réserve fédérale a fortement diminué les injections monétaires. Il est évident que la hausse du prix du pétrole maintenue après le deuxième krach pétrolier -le prix du baril est passé de 12 dollars à 36 dollars, dans la première moitié de la décennie 1980-, conjuguée à la forte appréciation du dollar, ont fait que les pays importateurs nets du reste du monde ont enregistré des déficits importants dans leurs balances commerciales, dus essentiellement au coût important des importations pétrolières. De plus, les pays du Sud ont vu leurs dettes contractées, auprès des banques américaines, fortement augmentées sous le double impact : hausse du taux d'intérêt des banques occidentales et du taux de change du dollar américain. Une inversion de transfert de richesses s'est produite dans le monde. Si dans les années 1970, une partie de la richesse mondiale s'est transférée au reste du monde, en particulier vers les pays exportateurs de pétrole, dans les années 1980, la richesse s'est inversée, et transférée vers les États-Unis, l'Europe et le Japon. L'Europe et le Japon ont été frappés par le deuxième choc pétrolier (hausse du prix du pétrole), par l'appréciation du dollar US et par la fuite des capitaux vers les États-Unis (attirés par la hausse du taux d'intérêt américain). Par contre, les États-Unis n'ont pas souffert de la hausse des prix du pétrole facturé en dollars, il ne tient qu'à la Fed d'en émettre. D'autre part, la politique monétaire restrictive de la Fed américaine ne laissait aucune marge de manœuvre, sur le plan monétaire, à l'Europe. Toute injection de liquidités pour monétiser leurs déficits pétroliers était sanctionnée par les marchés. C'est ainsi que le franc français est passé de 4,066388 FR/USD, en décembre 1979, à 10,111696 FR/USD, en mars 1985. Le change du dollar a plus que doublé. La Deutschemark de 1,735014 DEM/USD, en décembre 1979, à 3,110070 DEM/dollar, en mai 1985. La livre sterling 0,454852 GBP/USD, en décembre 1979, à 0,911996 GBP/USD, en février 1985. (2) On comprend dès lors que les États-Unis ne pouvaient être comparés à ce roi qui augmentait la masse de monnaie tout en augmentant le prix du blé pour financer ses déficits et qui, ensuite, devant une spirale inflationniste, procéda au processus inverse, par crainte de son peuple. Les États-Unis qui régnaient en maître sur le monde, par ces deux donnes géostratégiques majeurs, le dollar et le pétrole, ou le pétrodollar, ne pouvaient être comparés qu'à un empire, à l'instar de l'empire de Rome. Les autres peuples ne sont pas le peuple de Rome. Les États-Unis avaient une liberté totale sur le plan monétaire. Comme l'a énoncé John Connally, secrétaire d'Etat au Trésor sous la présidence Nixon : «Le dollar est notre monnaie mais votre problème». Cependant, au-delà des problèmes impériaux, un mérite ressort dans ce processus. Qu'il s'agisse d'un empire, d'un royaume ou d'un État moderne, la politique monétaire ultra-restrictive menée par les États-Unis était ultra-nécessaire car elle extirpait le mal à la racine. Destructrice quant à la valeur du travail, l'inflation, si elle était poursuivie, aurait constitué un danger pour l'économie mondiale. Avec le succès de la politique monétaire et financière, et la dépendance du reste du monde des marchés financiers, surtout avec la nouvelle donne, l'endettement mondial, les États-Unis et l'Europe ont opté pour la «dérégulation de leurs systèmes financiers». L'Occident trouvait rentable de libéraliser la finance mondiale. Une dérégulation des marchés financiers dans le monde permettait à l'Amérique et à l'Europe, grâce au recyclage des pétrodollars et à l'endettement, d'ouvrir les barrières protectionnistes qu'opposaient les États du reste du monde pour protéger leurs économies et leurs systèmes bancaires. Mais cette situation d'endettement mondial va atteindre des limites en 1985. Des continents entiers (Afrique, Amérique du Sud, une partie de l'Asie, et le bloc socialiste de l'Est) ployaient sous le poids de la dette. Une situation de marasme et de faillite économique pour un grand nombre de pays dans le monde va provoquer, en 1986, un contre-choc pétrolier. Le prix du baril de pétrole a faibli jusqu'à atteindre 10 dollars. Dès 1985, les grands pays occidentaux, prévoyant le retournement pétrolier, programmaient l'atterrissage en douceur du dollar, par les accords de Plaza, à New York, le 22 septembre 1985. Le contenu de ces accords non connus va amener le taux de change moyen du dollar/franc à passer de 8,665503 FR/USD en septembre 1985, à 6,680336 FR/USD en septembre 1986. Le dollar chutera encore pour atteindre en décembre 1987 la valeur de 5,536810 FR/USD. Même évolution pour la Deutschemark et la livre sterling. (2) Ce contre-choc pétrolier a eu aussi des conséquences sur l'Empire. En effet, les États-Unis, frappés économiquement et financièrement par la crise pétrolière, ne pouvant créer fortement des dollars ex nihilo pour financer leurs déficits -le prix du pétrole trop bas- ont cherché à aspirer les capitaux allemands par une hausse du taux d'intérêt directeur de la Fed, en 1987. La Banque centrale de la République fédérale allemande, anticipant une hausse qui se précisait du taux d'intérêt de la Fed américaine, releva son taux d'intérêt directeur la première pour parer une fuite de capitaux allemands vers les États-Unis. Ce relèvement du taux d'intérêt de la Bundesbank provoqua une riposte immédiate et violente de la Fed. Une injection massive de liquidités en dollars par la Fed créant une panique des investisseurs et des retraits massifs de capitaux se solda par un krach de Wall Street, le 19 octobre 1987. Selon les médias, 1000 milliards de dollars de capitalisation boursière s'évaporèrent en une journée. Il a fallu le voyage éclair du nouveau gouverneur de la Fed, Alan Greenspan, et du secrétaire américain du Trésor, James Baker, pour rencontrer en Allemagne le ministre allemand de l'économie, Gerhard Stoltenberg, et le président de la Bundesbank, Karl Otto Poehl, pour trouver un compromis, enrayer la baisse du dollar et mettre fin à la crise. Cette situation difficile de l'économie mondiale se terminera par de profonds changements dans le monde. Chute du mur de Berlin en 1989, fin de l'Union soviétique en décembre 1991, éclatement de la Fédération de Yougoslavie en 1992, guerre contre l'Irak lancée par les États-Unis à la tête d'une coalition internationale en 1991, la Chine se convertit au socialisme de marché en 1980. Ces événements majeurs qui changent la configuration du monde témoignent que les problèmes économiques, financiers et monétaires et les crises qui en résultent relèvent de puissantes forces historiques. A l'instar des forces souterraines qui ébranlent la surface de la Terre et changent la configuration des mers et continents. Le Japon est lui aussi dans l'œil du cyclone. Depuis la réévaluation de sa monnaie par les accords de Plaza -le taux de change du yen est passé de 236,739103 en septembre 1985, à 127,701089 JPY/USD en février 1989- il a été touché par la plus grave crise immobilière et financière de son histoire en 1990. L'indice phare de la Bourse de Tokyo, le Nikkei 225, est passé de son sommet historique à 38.957,44 le 29 décembre 1989, à 15.000 en 1992. Après plus de deux décennies depuis la crise, le Japon est toujours enlisé dans la déflation. Sur ces événements se termine le troisième stade historique. Quatrième stade historique 1991-1999 ? Le monde en mutation Le quatrième stade historique est une période de transition d'un processus qui a pris naissance avec la grande inflation des années 1970. Le retournement de la politique monétaire fortement restrictive de la Réserve fédérale américaine portait en lui cette grande mutation du monde qui a commencé à paraître dès le début des années 1980. Le monde tel qu'il était configuré était instable. Deux mondes s'affrontaient depuis 1945. Un monde devait disparaître. Le moins viable était le régime soviétique. Certes, ce régime était nécessaire pour la fécondation du nouveau monde tel qu'il était apparu à la fin de la Deuxième Guerre mondiale et le recouvrement des indépendances de continents entiers. D'autre part, les pays du tiers monde étaient prédestinés à jouer un rôle central, via leur absorption mondiale, dans la stabilité économique mondiale dans les années 1970. Et c'est une évidence : Sans le tiers monde, l'Occident serait parti pour une autre crise économique mondiale, comparable à celle de 1929. Le monde changeait, la démographie mondiale explosait grâce aux progrès de la science, de l'industrie, de l'agriculture et de la médecine. De 2,2 milliards d'êtres humains en 1945, la population mondiale en 1975 passait à 4 milliards. 25 ans après, à 6,1 milliards. Aujourd'hui, les services de l'ONU l'estiment à 7,43 milliards d'êtres humains vivant sur Terre. Et le monde se régionalisait face à la démographie galopante et la concurrence internationale dans le commerce mondial. Les peuples cherchent à se parer des crises économiques en s'associant dans de vastes blocs économiques. Une option presque de survie qui leur assure une garantie sur l'avenir. Cette option s'appliquera même à l'Empire. La crise de l'endettement mondial et les difficultés économiques, financières, monétaires et militaires que rencontrent les États-Unis, pourtant première puissance du monde, les poussent à copier l'Europe. Ils se sont engagés dans une vaste zone de libre-échange, à l'échelle sous-continentale. En s'unissant au Canada et au Mexique dans l'ALENA, les États-Unis entendent renforcer leur économie et celles de leurs voisins immédiats pour opposer une zone nord-américaine aux autres zones régionalisées. Le traité de l'ALENA est entré en vigueur le 1er janvier 1994. La Fédération de Russie fait de même avec la CEI (Communautés des États Indépendants). En Europe, l'organisation à l'échelle communautaire s'affine. Le traité de Maastricht en 1992 institue une Union européenne et prévoit le lancement d'une zone monétaire, la zone euro. Le 1er janvier 1999, la monnaie unique, l'euro, devient une réalité. L'Amérique du Sud se régionalise aussi. Une communauté économique regroupe plusieurs pays d'Amérique du Sud, le MERCOSUR est lancé en 1991. En Asie, l'ASEAN+3 ou ASEAN Plus Trois (Corée du Sud, le Japon et la Chine) est lancé en mai 2000 à Chiang Mai. Tous ces marchés régionaux visent à faire front à la nouvelle donne du monde, la mondialisation. Seuls les pays arabes et africains manquent à l'appel. Les regroupements économiques dans le monde arabe et africain sont encore au stade de balbutiement. Ainsi constate-t-on que la régionalisation du monde à marche forcée témoigne que le monde est devenu à la fois trop petit et trop complexe. Cette régionalisation est marquée par une nouvelle donne, la troisième révolution industrielle, c'est-à-dire les Nouvelles technologiques de l'information et de la communication (NTIC). Internet constitue aujourd'hui un formidable instrument mondial d'information, de communication, d'une base de données unique au monde. Dans toutes les langues, dans toutes les disciplines scientifiques, technologiques, économiques, financières, monétaires, militaires, culturelles, médicales?, il contribue fortement au rapprochement des peuples. Un simple clic et vous avez toutes les informations sur le monde, qui se comptent par milliers, de centaines de milliers, voire des millions de sites. Des renseignements et des explications sur n'importe quel domaine de la vie humaine sont donnés. Internet fait désormais partie du quotidien des hommes. D'autre part, la libéralisation financière (investissements massifs américains, européens, japonais et des pays riches d'Asie) fait des prodiges. C'est elle qui a permis le transfert d'entreprises occidentales (délocalisations) qui n'étaient pas rentables vers les pays à faible coût de main-d'œuvre. Cette libéralisation a joué comme un courant convectif d'une masse d'air chaude surplombant une masse d'air froide. C'est ainsi qu'un cycle de croissance économique vertueux s'est opéré entre 1993 à 2000 dans le monde. S'il favorisera l'Occident, en tant que maître de l'œuvre de cette libéralisation et des délocalisations qui ont suivi dans le cadre d'un monde mondialisé, en réalité, c'est le reste du monde qui tirera le plus grand profit puisqu'il bénéficiera à la fois des entreprises occidentales et des capitaux occidentaux. Mondialisation oblige ? Tony Blair dira un jour que les délocalisations d'entreprises occidentales appartiennent à un processus naturel de l'Histoire. Certes, cela est vrai, elles relèvent d'une évolution naturelle de l'humanité, mais il demeure que l'histoire a agi aussi par ruse (Hegel) pour favoriser toujours plus l'équilibre entre les peuples. Ce qui a amené la Chine en trois décennies à se transformer en atelier du monde. Nonobstant les crises financières mexicaine (1994), asiatique (1997), brésilienne et russe (1998), qui seront vite dépassées par l'accélération de la frénésie de la consommation et le boom des valeurs technologiques aux États-Unis qui stimuleront fortement la croissance mondiale. A suivre... Notes : 1. États-Unis - Taux de chômage http://fr.tradingeconomics.com/united-states/unemployment-rate 2. «Historique des taux de change depuis 1953 à aujourd'hui », par L'OBS. 13 octobre 2016 http://fxtop.com/fr/historique-taux-change.php *Auteur et Chercheur indépendant en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective |