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La Cour pénale
internationale est devenue la destination préférée de nombreux dignitaires des
États africains. Le lieu est monté en gamme puisqu'il accueille pour la
première fois un ancien président, l'Ivoirien Laurent Gbagbo. Les réservations
pour cette seconde carrière sont pléthoriques et l'attente assez longue pour y
obtenir une place.
Le procès africain d'Hissene Habrè1 vient à peine de se tenir que nous voilà de retour devant une autre cour internationale où ont défilé un nombre impressionnant de personnalités africaines pour des faits dont la gravité n'aurait jamais, en d'autres temps, fait frémir le moindre poil de moustache d'un magistrat local. En 2010, le président ivoirien perd les élections et conteste la victoire de son rival, Alassane Ouattara, laquelle sera reconnue par la communauté internationale. Dans son réquisitoire préliminaire, la procureur de la CPI, Fatou Bensouda, déclare : «lorsqu'il a compris que la présidence allait lui échapper, Laurent Gbagbo a commencé à mener une campagne de violences». Son co-accusé, Charles Blé Goudé, un homme de quarante-quatre ans, est poursuivi pour avoir mené la folle équipée meurtrière d'une milice organisée pour le compte de l'ancien président. Surnommé le « général de la rue », il haranguait la foule et attisait les haines qui ont conduit aux débordements criminels. Ces violences se sont déroulées à la fin 2010, date de l'élection perdue, et ont continué durant l'année 2011. Reprenons l'affaire dans son explication juridique, énonçons les faits reprochés et remettons l'ensemble dans la nouvelle perspective des peuples qui ne sont plus du tout près à passer l'éponge sur les massacres perpétrés par des chefs d'États. Un petit rappel historique L'idée est apparue au lendemain de la Seconde Guerre mondiale lorsque l'ONU constate que les atrocités du vingtième siècle ont atteint des niveaux insoutenables. Mais ce n'est qu'au lendemain de la guerre froide que l'Organisation internationale entreprend le projet. Depuis, le vingtième siècle prouvera qu'il n'en a pas fini avec les atrocités. Celles qui surviendront en ex-Yougoslavie et au Rwanda ont convaincu le Conseil de sécurité de créer rapidement des tribunaux ad hoc puisque les négociations portant sur la création du tribunal international traînaient en longueur. Ces événements qui ont troublé l'humanité entière vont finalement provoquer la convocation de la Conférence internationale de Rome en 1998, qui sera l'acte de naissance du Tribunal pénal international (on dit également Cour). Cent soixante États vont signer un accord que l'on dénommera le «Statut de Rome»2. Le statut définit les compétences et les mécanismes de la Cour. Les pays signataires seront les «États parties» qui se réunissent au moins une fois par an dans l'Assemblée des États parties afin de délibérer des activités de la Cour, de son administration et de ses projets. En 2015 on comptait cent vingt-trois signataires. Le siège du tribunal se trouve à La Haye, aux Pays-Bas, mais les juges peuvent siéger ailleurs s'ils estiment que cela est nécessaire pour les commodités du jugement. La Cour ne se substitue pas aux tribunaux internes des États concernés mais agit lorsque ces derniers n'ont pas ouvert une procédure d'instruction, ne le souhaitent pas ou en sont incapables pour diverses raisons. Elle est compétente pour les crimes de génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et le crime d'agression. Trente-quatre États parties sont africains et certains ont déjà menacé de se délier du Statut de Rome après qu'ils ont constaté que ce tribunal avait un peu trop l'œil sur les affaires africaines, selon leur opinion. Nous y reviendrons avec l'affaire Gbagbo. Les faits incriminés Les deux prévenus, l'ancien président de la Côte d'Ivoire et son co-accusé, devront répondre de l'accusation de quatre crimes contre l'humanité : meurtres, viols, persécutions et actes inhumains. Si le chef de la milice est le responsable direct et visible des massacres puisqu'il en a pris le commandement opérationnel, la procureur déclare que «bien qu'ayant été en position de le faire, Laurent Gbagbo n'a jamais ordonné que les violences cessent». L'accusation dispose de cinq mille trois cent éléments de preuves et de cent trente-huit témoins qui ne seront pas tous appelés à témoigner directement devant la cour. Le procès s'annonce donc très long et, selon la prévision donnée par la procureur, peut durer entre trois et quatre ans. Simone Gbagbo, l'épouse de l'ancien président ivoirien, a déjà été condamnée à vingt-quatre ans de prison en Côte d'Ivoire. Il faut rappeler que dans ces histoires de dictatures sanglantes, c'est souvent une affaire de famille car les intérêts sont liés. Soixante-dix autres personnes ont été également condamnées par la justice ivoirienne en même temps que l'épouse. La Côte d'Ivoire refuse de donner suite au mandat d'arrêt international lancé par la Cour pénale internationale à l'encontre de Simone Gbagbo. Toujours la même histoire C'est toujours la même histoire, un président est élu, il se représente autant qu'il le souhaite et lorsqu'il échoue ou fait face à une résistance plus rude, il assassine, torture et met le pays à feu et à sang. Si le scénario est répétitif et lassant, il est vrai qu'il nous offre parfois quelques variantes. Il y a celui qui se proclame à vie et le fait inscrire dans la Constitution et il y a celui qui la modifie pour bénéficier de mandats supplémentaires. Il y a celui qui reste en poste jusqu'à la mort et celui qui finit par fuir pour éviter le lynchage. Il y a celui qui s'arrange à être candidat unique et celui qui pense prendre la suite au motif qu'il est le frère ou le fils. Certains dirigeants ont une autre posture gestuelle et vestimentaire qu'auparavant3, ont fait parfois des études et des carrières prestigieuses, souvent à l'étranger. Leur langage n'est plus aussi rustre que celui de leurs prédécesseurs et ils ont parfois un fonds de culture qui est apprécié de tous ceux qui les rencontrent. Pour autant, sont-ils moins dangereux que ne l'étaient le fantasque Mobutu, le fou furieux Idi Amine Dada ou le caricatural Bokassa qui s'est fait couronné empereur sur un trône en forme d'aigle ? Une mère qui a vu ses enfants ou son mari assassinés n'a que faire de savoir que celui qui les a exécutés a lu Rimbaud ou André Gide. Nous savons que si les illettrés ont beaucoup plus de chance de sombrer dans la dictature sanguinaire lorsqu'ils sont grisés par le pouvoir, l'hystérie de la puissance peut tout autant pénétrer l'esprit des plus instruits lorsque les mêmes conditions sont réunies. Nous avons tous été bernés par un Léopold Sedar Sanghor, possédant une immense culture et, probablement, d'un humanisme sincère. Il n'y a aucune comparaison à faire avec ceux que nous venons de citer. Mais néanmoins, lorsque nous revisitons l'histoire, avec le recul et l'âge de raison, pouvons-nous dire que le Sénégal était une démocratie et son leader prêt à lâcher le pouvoir avant d'en avoir usé la force humaine qui permet de l'exercer ? La réponse a été donnée par l'histoire, c'est certainement non. Ce sont les usages et les circonstances qui sont responsables. Tous les diplômés du monde pourront défiler au pouvoir des pays africains, il n'y a aucune chance qu'ils ne soient pas contaminés si le niveau général des pratiques détestables persiste, accompagné de la terrible tentation humaine du pouvoir et de l'argent. Une justice des blancs ? Un grand nombre d'éditorialistes et de militants africains s'insurgent contre une justice qu'ils estiment être coloniale puisqu'elle serait exclusivement dirigée contre des Africains. Six pays sont en cours d'instruction et, effectivement, tous les six sont africains : l'Ouganda, la République démocratique (il faut en rire!) du Congo, la République Centrafricaine, le Soudan, le Kenya et la Libye. La Côte d'Ivoire étant la première dont l'instruction est terminée. Il y a là quelque chose de troublant mais il faut aller au-delà de l'énumération, trop propice à faire réagir dans le sens que voudraient certains. D'une part, on ne peut pas faire partie d'une communauté internationale, signer à tour de bras des conventions et s'indigner lorsque le couperet tombe sur vous. D'autre part, la ficelle de l'argument du colonialisme est assez grossière car la quasi-totalité des dictateurs sanguinaires n'ont pu réaliser leur forfait qu'avec la bienveillance des pays accusés et qu'ils vilipendent lorsqu'ils sont lâchés au profit d'une autre concurrence, politique, religieuse ou ethnique. Hissene Habré est l'exemple le plus éclatant. Grand pourfendeur de la domination « blanche », il fut l'instrument le plus coopératif et le plus zélé de l'armée française lorsqu'il s'était agi de ses propres intérêts pour massacrer ses adversaires politiques et son peuple. Certes, la relation était tumultueuse et entrecoupée de violentes disputes mais, sans l'armée et le gouvernement français, Hissene Habré n'aurait été qu'une sombre victime de ses adversaires directs. Il a beau jeu de hurler à la foule, lors de son procès à Dakar, que c'est la « main du colonialisme ». Plus personne n'est dupe, pas plus qu'on ne peut l'être pour d'autres dirigeants africains qui savent tirer intérêt et profit des ex-puissances coloniales au détriment de leur population, mise à genoux et torturée. Puis, il faut bien comprendre que les principaux pourvoyeurs des accusations auprès de la CPI sont soit les populations africaines elles-mêmes, soit les adversaires politiques qui s'empressent de trouver une bonne façon de se débarrasser d'un homme encombrant, surtout lorsqu'il possède encore une base populaire de soutien. Un jugement équilibré ? Mais il est un autre argument que la presse africaine met en avant, surtout après les exposés argumentaires des avocats de l'ancien président, dès le second jour du procès. Ces derniers accusent le président ivoirien actuel, Alassane Ouattara, d'être coupable d'avoir usurpé le pouvoir par la violence. L'argument est recevable s'il est prouvé mais il ne dédouane pas l'accusé et ne justifie pas l'atrocité de ses crimes. En droit pénal, un crime n'est pas exempté d'une lourde peine si l'accusé répond par un autre crime. En matière de crimes contre l'humanité, l'argument est absolument irrecevable et ne mérite même pas que l'on s'y attarde. Ou alors que l'Afrique se proclame du droit de la barbarie, peut-être que l'argument y sera mieux reçu en plaidoirie. En droit pénal criminel, les peines ne sont pas collectives et le juriste, comme le démocrate, ont une révulsion contre les procès collectifs, même si les peines sont au final individualisées. La prise de pouvoir par la violence du président Ouattara serait aussi abjecte que ne l'a été la tentative de maintien au pouvoir par le sang de l'ancien Gbagbo. Tout cela est sur le dos d'une population qui se déchire et qui souffre d'une situation des plus atroces. Pour le moment, Alassane Ouattara est au pouvoir, Laurent Gbagbo sur les bancs d'un tribunal. Chacun son tour, c'est ainsi que se passe la nouvelle comédie africaine, l'un remplacera l'autre au moment venu et ainsi de suite. La conclusion qui s'impose est que, d'une part, l'Afrique se délimite d'Alger au Cap et le crime contre l'humanité n'est pas prescriptible. Et lorsqu'on a perdu l'être cher dans des conditions atroces de barbarie d'État, la mémoire humaine est longue, très longue, du nord au sud du vaste continent. D'autre part, l'exigence des peuples démunis se dirigera, un jour où l'autre, vers l'élargissement de la compétence internationale en matière de poursuite pénale. Depuis les crimes contre l'humanité jusqu'aux massifs détournements de fonds publics lorsque l'indélicat personnage a assumé de hautes fonctions publiques et, a fortiori, la plus haute magistrature d'un État. *Enseignant 1- Pour ce dernier, ce sont les «chambres africaines extraordinaires» qui le jugent, une toute nouvelle disposition judiciaire africaine. 2- Il s'agit d'un traité, terme habituel en Droit, mais il «porte statut», ce qui légitime une appellation, il est vrai, peu courante. 3- Rares d'entre eux se présentent aujourd'hui dans la ridicule tenue militaire encombrée d'une quincaillerie aussi lourde que leur prétention de puissance. |