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J'aimerai
disparaître. Comme ça. Pour que ceux qui m'ont connu se demandent si j'ai
décidé de partir en mission, ailleurs, en zone d'exclusion, sans crier gare.
Pour ne plus revenir cette fois. Tout comme Steve Fossett? toutes choses égales
par ailleurs - qui accomplit cinq tours du monde sans escales. En ballon, en
bateau en équipage et en solitaire en avion. Lui qui établit 115 records, dans
cinq disciplines - 60 d'entre eux toujours valides ?disparut aux commandes d'un
vulgaire monomoteur de type Citabria Super Decathlonun 3 septembre 2007.
Bien avant cette disparition, j'avais demandé à mes collègues, en Somalie, au Congo, au Rwanda et ailleurs que, s'il m'arrivait d'être abattu par un fou au cours d'une de nos opérations, que mon corps soit enterré précisément là où la vie m'aura quitté. C'étaient des américains, mes collègues. Pratiques. Ils m'ont fait remarquer qu'en disparaissant, et tant que mon corps ne sera pas trouvé, je priverai ma famille de toucher l'assurance-vie de mon Organisation. Un demi million de dollars. J'en suis revenu de ces zones de violences et ma famille vécut sur le même niveau de vie, ni au sommet, ni au ras des pâquerettes. Décemment, pour tout dire. Mais je continue de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour disparaître sur la pointe des pieds, sans pleurs ni discours. Ni procession devant ceux qui voudront s'assurer, pour pouvoir en témoigner plus tard, qu'ils m'ont bien vu enterré. Pour avoir été assez, sinon trop, exigeant dans ma vie professionnelle, j'ai soupçonné mes collègues, qui désiraient m'accompagner à l'aéroport - pour me dire adieu -de vouloir être là pour constater, de visu, mon embarquement, que j'avais bien pris le vol, que le jet s'était bien envolé sous leurs yeux. Et pour plus d'assurance, je suis certain qu'ils avaient attendu au bar de l'aéroport, craignant, entre nous, qu'un incident technique n'oblige l'avion à rebrousser chemin. Ce qui les aurait contraint de me supporter quelques jours de plus, ou quelques heures peut-être. En quittant Kaboul, après avoir fais mon possible pour éviter ces « pots » d'adieu, pas d'au revoir, notez bien, je me laissai entrainer par mon successeur vers son bureau. Il prétendait qu'il voulait discuter un dernier aspect de nos programmes. En y pénétrant je faillis faire marche arrière. Ils étaient tous là, entassés. Celui qui allait présider aux destinées de l'Organisation, craignant ma fuite, claqua la porte sur mon dos. Bien. Il fit l'éloge du travail accompli ? qu'en savait-il ? Il venait d'arriver et la passation de pouvoir ne pouvait pas avoir été si complète qu'il pouvait en tirer des conclusions et administrer des bons points -. Les chefs de service se sont succédés pour dire de belles choses. Sur le plaisir qu'ils avaient éprouvé ? à souffrir à mes cotés. Des choses si différentes les unes des autres qu'elles m'en apprirent davantage sur eux, trop tard, certainement, sur leurs angoisses et leurs ambitions, que j'avais ignoré tout le temps que j'ai partagé, si je puis dire, avec eux. Je ne me reconnaissais pas. Je ne les reconnaissais pas dans leurs propos si diverses mais si liés à leurs êtres. A leurs conditions, à leurs ambitions. Puis, ils réclamèrent un discours au cours duquel j'en profitais pour leur dire ce que je pensais. Franchement. J'y allais comme un mufle. Ca ne se fait pas. Mais ça m'a fait du bien, beaucoup de bien.Un délestage, en somme. C'est pourquoi ils boycottèrent, cette fois-ci, mon départ, pariant que je n'allais pas rater mon avion. Ainsi je pus passer d'agréables minutes avec le plus sérieux et le plus efficace des chauffeurs que le monde entier m'enviait au Rwanda. Une femme. Mécanicienne, jeune, agréable à regarder et si vivante, de surcroit, dans un pays qui sortait d'une guerre civile atroce. De ce pays là, j'en garde ce souvenir. Et son sourire. Tout compte fait, je m'étais trompé sur tout le monde et tout le monde s'est trompé sur moi. Non pas de mon point de vue seulement, mais au regard de leurs déclarations. Une facette déballée pour profiter pour se dire, rien que pour se dire, pour prétendre me trouver des qualités qu'une poussée positive d'adrénaline leur enjoignait d'exprimer. Facette trompeuse qui ne s'emboitait pas dans l'ensemble d'autres facettes qui prétendaient, elles aussi, me raconter. Avant de passer au contrôle de police, j'invitais « mon » chauffeur à prendre un verre avec moi. Parce que je voulais me désaltérer et je ne pouvais décemment pas la renvoyer sans un minimum de partage. De proximité. J'avais été assez mufle dans la journée. Elle me dit, les yeux brillant de malice, entre deux lampées d'une boisson douce : « ça vous a servi de me prendre comme chauffeur, n'est-ce pas ? Une belle publicité auprès des dirigeants à Rome ». Elle se trompait. Je lui dis qu'elle fut choisie parce qu'elle était aussi mé-ca-ni-cien. Et que cela aurait pu nous servir dans des circonstances difficiles. Que je ne pouvais pas me permettre de tomber en rade en pleine débâcle si elle s'était présentée. Et disparaître bêtement. Elle n'en crut pas un mot.« On ne disparaît jamais », dit-elle. Tu vois, Malek, elle avait raison. « L'épave de l'avion de Steve Fossett fut retrouvée le 1er octobre 2008 dans l'est de la Californie. Le 3 novembre 2008, des tests ADN, effectués sur des os retrouvés près du site de l'accident, confirmèrent sa mort au moment de l'impact de l'avion au sol ». Voilà. Toi non plus tu ne disparaitra pas. Tu me manqueras, toi qui craignais pour ma vie. Qui voulait rece voir de mes nouvelles de chez moi. Pour te dire adieux, moi aussi je n'ai parlé que de moi. Comme tout le monde. Parce que je ne sais plus parler de toi en ton absence, et en rire. De notre adolescence. De M'dina Jedida d'Oran. De la cité Universitaire Revoil d'Alger. De nos diners à Paris. Des dimanches passés à l'Hay-les-roses avec Aissia. Que tu as pleuré avant de décider, comme nous tous, un jour, « qu'au delà de cette limite, votre ticket n'est plus valable ». |