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« Un crédit à long terme, ça veut dire que moins tu peux payer, plus tu
payes»,Coluche.
Dimanche 25 janvier, Syriza est sorti vainqueur des élections législatives en Grèce avec 36,3% des voix et 149 sièges sur les 151 nécessaires pour obtenir la majorité absolue. Le nouveau Premier ministre Alexis Tsipras a formé un gouvernement de coalition avec un parti eurosceptique classé à droite, les « Grecs indépendants », qui a obtenu 13 sièges. Les toutes premières mesures prises répondent aux vœux de la majorité des Grecs qui ont voté pour ce parti : augmentation du SMIC, arrêt des privatisations et réintégration des fonctionnaires mis en disponibilité. Toutes ces mesures sont au rebours de la politique d'austérité adoptée par le précédent gouvernement. A cela s'ajoute son objectif d'annulation des deux tiers de la dette (320 milliards d'euros, dont 240 détenus par les Etats européens et qui représentent 175% du PIB du pays. Cf. graphiques ci-dessous). Jusque-là les «nuisances et désordres» consécutives à l'arrivée au pouvoir du parti de «gauche radicale» qui inquiètent les instances européennes et internationales, étaient prévisibles et se limitaient à la gestion de la dette de ce pays. Athènes menace en effet de remettre en cause les accords signés par les précédents gouvernements et vont même jusqu'à refuser dorénavant de discuter de quoi que ce soit avec la Troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fond monétaire international) chargée de l'administration de la dette grecque, des conditions de son recouvrement et de l'octroi des prêts accordés. Les deux graphiques ci-dessous aideraient facilement à comprendre la situation et l'échec des mesures apportées par la commission européenne, le FMI et la BCE qui se sont plus préoccupés de la solvabilité des banques que du développement de l'économie grecque la seule à même de régler à la fois son endettement et la prospérité de la population. Or, depuis 2006, la dette augmente, pendant que les Grecs et la Grèce continuent de s'appauvrir.[1] Aplatis sur le sol, certains auraient tort d'en déduire qu'ils ne peuvent pas tomber plus bas. Il semble bien que la situation est encore plus compliquée que prévu et que les Européens n'ont pas correctement mesuré les origines et les conséquences des changements intervenus en Grèce et de toute l'étendue des remises en cause qu'il implique. Et pour comprendre cela un léger recul s'impose. D'ABORD UNE QUESTION DE SOUVERAINETE. La Grèce est au cœur d'un maelström financier et tous les observateurs ne se sont préoccupés que une seule question : comment les Européens (mais aussi les autres institutions financières internationales impliquées) allaient gérer la dette grecque étant donné l'évolution politique récente de ce pays ? Impossible à solder, impossible à exiger. Les nouvelles autorités arrivées à la tête de la Grèce, et cela conformément au mandat que leur ont confié dimanche dernier leurs électeurs, paraissent décidés à faire table rase des accords et engagements conclus jusque-là avec leurs partenaires. Ce dont les observateurs ne se sont pas aperçus, ou pas voulu entendre, c'est que les nouveaux maîtres de la Grèce réinitialisent non seulement le dossier financier, mais aussi tous les autres, c'est-à-dire tous ceux qui relèvent de la souveraineté de leur pays qu'entendent rétablir Alexis Tsipras et son gouvernement. Ces derniers semblent en effet tenir à ce que leurs partenaires comprennent que les Grecs n'ont pas élu un nouveau conseil d'administration de la Banque Centrale grecque mais un gouvernement doté de la plénitude de ses prérogatives, y compris dans le domaine qui a paru échapper aux politiques et aux médias : l'espace diplomatique qu'entend occuper la Grèce en Europe et dans le monde. Pas moins. Peu ou prou, dans les milieux politiques, médiatiques et même financiers, on ne semblait pas prendre au sérieux l'arrivée la «Gauche radicale» au pouvoir à Athènes. Certes, les thèses qu'elle défend sont à des années lumières des principes fondateurs de l'Europe libérale depuis Maastricht. Ce pays affaibli économiquement et financièrement est dans un tel état de dégradation et d'humiliation, dans une telle dépendance qu'il ne peut - croit-on - effrayer personne, quelle que soit d'ailleurs la ligne politique de ceux qui le dirigent. «2% du PIB européen» rappellent ceux qui désignent les pays du sud de l'Europe par des acronymes offensant «PIGS»[2] ou «pays du Club Med.» (formule venue d'Allemagne, premier pays de départ de touristes, suggérant que ces pays «indolents et paresseux» seraient tout juste aptes à s'occuper des vacances des hommes besogneux, industrieux et rigoureux de l'Europe septentrionale). Tout au plus conviendrait-il de prendre garde à ce qu'aucun effet domino -affectant de proche en proche des pays dans une situation similaire- n'en procède. Tous les observateurs regardent naturellement du côté espagnol où l'on craint de voir le parti Podemos surfer sur le succès de ses homologues hellènes et bousculer les programmes de «réformes structurelles» engagés.[3] Certains sourient à la vue ces «gauchistes infantiles» bomber le torse, ces amateurs encadrés par quelques vieux routards sortis d'un musée de l'histoire politique de l'Europe des années soixante, ou de bien plus loin dans le passé (canuts, saint-simoniens, communards, spartakistes?). L'HISTOIRE DU PAPILLON QU'ON INVITE A ENTRER DANS LE BOCAL POUR LE FAIRE BOUGER... Tout le monde sait que l'Union Européenne s'est dotée de nombreux instruments dans les domaines économique, financier, juridique? Mais l'Europe unie a oublié (ou préféré s'en abstenir) de se doter d'un mode d'emploi politique de l'ensemble de ces outils. La plupart des pays ont consenti au projet britannique d'un vaste marché où le social, le salarial, le fiscal sont admis comme avantages comparatifs ouverts à la compétition entre les membres. Pour ce qui concerne sa défense et sa politique internationale, l'Union demeure amputée de l'essentiel : les Européens, eux qui ont une si longue histoire en ces matières, cèdent peu à peu, sous couvert d'une étrange unité de destin atlantiste, leur défense et leur intelligence diplomatique aux Etats-Unis d'Amérique. Sans aucune illusion sur un éventuel partage de commandement. Jamais les Américains n'y consentiraient. Jamais ils n'y ont consentis. MacMillan à Nassau en décembre 1962 face à Kennedy, comme avant lui Churchill à Terre Neuve en août 1941 face à Roosevelt, a bien été obligé d'en convenir et de s'en accommoder. Le «Général» a boudé dans son coin et ? car il en savait l'enjeu véritable - bloqué l'adhésion de la Grande Bretagne au Marché Commun, finalement admise en 1973, en compagnie de l'Irlande et du Danemark. Formant une chambre d'enregistrement plutôt docile, les ministres des affaires étrangères de l'Union sont invités de temps à autres à ratifier des décisions en réalité dictées de Washington qui, «par derrière» (behind), tire les ficelles d'une assemblée de supplétifs. LES MARTIENS, LES VENUSIENS ET LE GRAIN DE SABLE Les Américains ne réussissent pas toujours à obtenir une adhésion unanime dans les rangs cafouilleux des Européens. En revanche, Ils obtiennent des accords de principe : qu'ils débattent de leurs divergences autant qu'ils le veulent entre eux, mais à deux conditions : 1.- Qu'ils le fassent discrètement, que cela ne sorte pas des enceintes de leurs réunions. 2.- Que leurs communications officielles soient conformes à la politique transatlantique, c'est-à-dire conformes à ce que l'Amérique a décidé. Les diplomates et fonctionnaires européens sont rompus à cet exercice. Des décennies d'expériences. Chacun vient avec ses cartes et tous les coups sont permis. Il ne s'agit pas ici d'une figure de style. Les tractations intereuropéennes n'ont rien de commun avec les civilités entre gentlemen's. Les négociateurs savent faire couler le sang avec beaucoup de distinction et s'étranglent discrètement dans des salons cossus, of the record. Naturellement, la pression de Washington ne se limite pas à la rhétorique. (Les Américains savent qu'en matière de bavardage les Européens ne craignent personne)[4]. Washington pousse aussi pour que l'Europe prenne en charge les financements, aides économiques, la logistique? A l'Amérique, la stratégie, aux Européens l'intendance. Malgré ces grincements dans le moteur, au moins en façade, Européens et Américains réussissent à offrir aux opinions publiques occidentales et au monde un front plus ou moins uni. Et négocient et signent dans leur dos des traités (TTIP, TISA) dont les dispositions demeurent secrètes, mais si transparentes. C'est dans cette ambiance consensuelle que les ministres des Affaires Etrangères européens réunis le 28 janvier à Bruxelles publient un communiqué («commun» comme il se doit, fin prêt à être signé dès lundi) appelant à la programmation de nouvelles sanctions contre la Russie et, reprenant l'antienne, «coupable de déstabiliser son voisin ukrainien, de diviser une Europe qui ne demande qu'à s'unir, en quête d'un retour vain au lustre et prestige d'une Union Soviétique définitivement vaincue et, tout compte fait, obsolète». Tout se déroulait «comme d'habitude» mais voilà qu'un grain de sable impromptu va perturber la machine. Rompant le consensus, la Grèce d'Alexis Tsipras conteste avoir signé le moindre communiqué et reproche à l'UE de ne pas avoir demandé à Athènes son assentiment avant de le rendre public. Il a fait part de son mécontentement, lors d'une conversation téléphonique, à Federica Mogherini, Haute représentante de l'UE pour la politique étrangère et de sécurité commune. LA REACTION DES GRECS CONSTITUE UNE RUPTURE A PLUS D'UN TITRE C'est d'autant plus singulier qu'il n'y a pas de véritable unanimité au sein de l'Union à propos de la crise ukrainienne. Non pas parce que les européens divergent politiquement à propos de la Russie poutinienne. Non pas parce qu'ils sont soucieux de faire la part de ce qu'ils doivent à leur amitié pour l'Amérique et ce que leur impose le respect de leur souveraineté. Non, les divergence exprimées depuis de début de la crise les Européennes ne les doivent qu'au strict respect de leurs intérêts nationaux et des prébendes de leurs entreprises engagées dans en Europe centrale et en Russie depuis que les Etats-Unis (convaincus trop vite d'avoir gagné la guerre froide) ont décrété que celle-ci était définitivement vaincue et n'était plus un adversaire crédible. La chasse fut alors ouverte aux bonnes affaires. Et ce fut la curée avec des projets de pillage en règle d'un espace riche en ressources naturelles couvrant 11 fuseaux horaires. Ainsi, l'Allemagne qui a tissé des liens étroits avec la Russie pour la fourniture de produits énergétiques (un tiers du gaz acheté par l'Europe à Gazprom) n'était pas très disposée à compromettre l'avenir de ses industries pour défendre une Ukraine fortement endettée, insolvable et corrompue. Par ailleurs, les Européens, s'ils ne le déclarent pas publiquement, n'ont nulle envie de prêter le moindre liard à l'Ukraine, et encore d'envisager accueillir ce pays au sein de l'Union. 1.- Toutefois, les Grecs auraient pu, comme beaucoup de leurs partenaires opposés à des sanctions envers la Russie, faire part de leur dissentiment subtilement, comme le font tous les autres. Au contraire, ils le clament haut et fort et brisent le semblant de cohésion que l'Occident a eu tant de mal à bricoler, avec la collaboration complaisante habituelle des médias professionnels embedded. 2.- La contestation publique du «communiquer commun» place l'Europe en fâcheuse posture : qu'il y ait des divergences de point de vue et des rapports de forces entre européens, soit. Mais il serait bien léger que l'Union se permette de rendre public un accord unanime qui n'existe pas. Pour parer au plus pressé et tenter de réparer les dégâts et sauver la face, on proposa aux Grecs d'ajouter une note de bas de page au «communiqué commun». Rien n'y fait. Un porte-parole du président du Conseil européen Donald Tusk (un conservateur polonais qui ne parle ni anglais ni français, mais parfaitement allemand) explique : «Lorsque nous avons eu connaissance, mardi matin, des hésitations de la Grèce (...), nous avons proposé d'insérer une note en bas de page expliquant que la Grèce n'était pas partie prenante du communiqué.» Evidemment, il a échappé à la présidence du Conseil européen que l'opposition grecque - fut-ce confinée dans une note en bas de page, en petits caractères- ruinait l'idée même d'une posture européenne commune. Sans doute, pour tenter d'amadouer Athènes, alors qu'ils auraient dû le faire au moins 24h plus tôt, Merkel (par télégramme) et Obama (par téléphone, et cela en pleine réunion des ministres des Affaires Etrangères européens) présentent mardi des félicitations chaleureuses à Alexis Tsipras pour son élection dimanche. Les mots de Obama, diffusés par la Maison Blanche pèsent du poids d'une ambiguïté (voir plus bas). Pour mettre un terme à ce vaudeville de mauvais aloi, le ministre grec de l'Energie, Panagiotis Lafazanis, acheva de refroidir l'ambiance et déclare mercredi que la Grèce n'avait aucun intérêt à imposer des sanctions à la Russie et n'avait pas de divergence avec Moscou pas plus qu'avec le peuple russe. Le nouveau ministre grec des Affaires étrangères, Nikos Kotzias, revendique la modification apportée au communiqué des Européens (précédemment annoncé), confirmant que son gouvernement était opposé à un durcissement européen vis-à-vis de Moscou. «On a fait enlever la mention sur de nouvelles sanctions», s'est-il permis d'ajouter au cours d'une conférence de presse. «L'Europe doit promouvoir» les accords de paix de Minsk «par le dialogue avec la Russie, pas par des sanctions», a-t-il insisté. M. Kotzias glisse au passage que la Grande-Bretagne, qui défend avec la Pologne et les pays baltes une ligne dure, avait [sous-entendu, en vain] «essayé de mettre son veto» à cet assouplissement. «LULA OU CHAVEZ ?» «Soyons réalistes, exigeons l'impossible» Prêté à E. Guevara. Après les entrechats et les tentatives de conciliation, viennent tantôt la séduction, tantôt les menaces. Chacun s'y était essayé à tour de rôle. Ces intimidations ne datent pas du 25 janvier. Elles avaient commencé à la veille des élections, dès que des sondages successifs concordant prédisaient un succès électoral de Syriza. La directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde, «prévient» la Grèce qu'une restructuration de sa dette aurait des «conséquences». «En principe, les efforts collectifs sont les bienvenus mais dans le même temps, une dette est une dette, c'est un contrat», expliquait-elle dans les colonnes du quotidien irlandais The Irish Times. «Un défaut, une restructuration, une modification de ses termes ont des conséquences sur la signature d'un pays et sur la confiance accordée à cette signature»[5]. Le communiqué de félicitations de la Maison Blanche précise le contenu de ce que Obama a confié à son homologue grec. «Le président a dit que les Etats-Unis, en tant qu'amis et alliés de longue date, avaient hâte de coopérer étroitement avec le nouveau gouvernement grec pour aider la Grèce à retrouver le chemin de la prospérité à long terme». «Les deux dirigeants ont évoqué la coopération entre la Grèce et les Etats-Unis concernant la sécurité européenne et la Suite lutte antiterroriste». Y aurait-il délire d'interprétation à traduire ce communiqué en des termes simples : «On peut vous aider pour vos problèmes de dettes, mais vous devez rentrez dans le rang.» Les Européens dépêchaient les plus fins négociateurs pour tâter le terrain et pour tenter de cerner au plus juste la position grecque. Après le refus de la Grèce de partager la position des Européens sur l'Ukraine, vint le tour du rondouillard (et faux souriant) président du Parlement de débarquer toutes affaires cessantes à Athènes. Avant même son départ il annonce la couleur : «J'ai noté à regret que la Grèce avait renoncé aujourd'hui à la position commune de l'Union européenne concernant la Russie», a déclaré Martin Schulz au micro de la chaîne allemande ZDF. «Vous ne pouvez pas demander d'un côté à l'Europe de faire preuve de solidarité envers votre pays, comme le fait M. Tsipras, et, de l'autre, rompre avec la position européenne dès votre premier geste officiel», a-t-il poursuivi. «Je lui dirai demain qu'aucune approche unilatérale des affaires étrangères ne l'aidera», évoquant lapidaire l'entrevue avec Alexis Tsipras jeudi 29 janvier à Athènes. Le lendemain, M. Schultz dîne à Strasbourg avec le président français et la chancelière allemande pour faire le point. Par-delà les généralités habituelles, rien n'a filtré de ce conclave qui s'est tenu dans un restaurant alsacien, à proximité du consulat des Etats-Unis. Une question au passage : Berlin craindrait-il de voir la France (dans une mauvaise passe économique et financière) profiter de la situation pour proposer, sans consulter les Allemands, des hypothèses de travail «hétérodoxes» ? La situation grecque a souvent été un théâtre d'affrontements franco-allemands et cela n'avait rien à voir avec le sort de la dette grecque. Certes, des intérêts bancaires français sont engagés en Grèce à la hauteur de 31 Mds? (40 Mds euros pour les Allemands). En fait toute la question revient à se demander : la position grecque procède-t-elle d'un principe politique d'ordre élevé, plutôt rare aujourd'hui dans le paysage politique ou bien, plus prosaïquement, d'un cynisme sophistiqué utilisant la crise ukrainienne pour peser dans les négociations difficiles qu'elle a engagées avec ses créanciers pour tenter de se sortir d'une mauvaise passe financière et desserrer le terrible étau qui étouffe la société et l'économie grecques ? Etant donné l'état de leur pays qui songerait sérieusement à le reprocher aux Grecs ? Très vite l'hypothèse a fait le tour des chancelleries. Et, à propos de Tsipras, la question est sur toutes les lèvres : a-t-on affaires à un Lula ou à un Chavez ? Les Lula, cela tombe sous le sens, serait les meilleurs interlocuteurs. L'histoire en déborde. Mais ils prolifèrent depuis les années 1990 un peu partout dans le monde, là où les difficultés exigent de sérieux changements : En Argentine, au Chili, au Pérou, dans les ex-pays de l'est (Pologne ou Tchécoslovaquie), en Espagne, au Portugal, en France, en Italie? Au 10 Downing Street, les travaillistes Antony Blair et G. Brown ont laissé un souvenir impérissable? Si tel était le cas la gestion de la dette grecque ne serait plus qu'une question d'arithmétique s'ajoutant au coût global de la «campagne» entreprise pour domestiquer la Russie. L'AVENIR EST A LA GUERRE Dans une déclaration diffusée juste avant la réunion de Bruxelles, Nikos Kotzias, ministre grec des AE levant toute équivoque avertit et établit un lien clair entre volet financier et volet politique du problème : «certains partenaires européens d'Athènes tentaient de placer le nouveau pouvoir issu des élections de dimanche devant un fait accompli, suggérant une forme de chantage lié au poids de la dette de la Grèce et à sa volonté de la renégocier». Pour que tous soient exactement au fait de la nouvelle situation à la tête de son pays, il ajoute : «Quiconque pense qu'en raison de sa dette la Grèce va renoncer à sa souveraineté et à une participation active dans le processus européen de décision politique commet une erreur». Cela n'a pas empêché Reuters de titrer une de ses dépêches : «UE. Sanctions contre Moscou prorogées de 6 mois avec l'aval d'Athènes»[6]. A l'évidence, les ministres des Affaires étrangères des Vingt-Huit s'étaient réunis en urgence jeudi pour rien. Une manipulation futile, car le contenu de la dépêche jure avec son titre. - En effet, aucun durcissement envisagé des sanctions contre la Russie n'a été décidé. - L'élargissement de la liste des personnalités pénalisées en raison de leur implication dans le conflit ukrainien d'Ukraine a été repoussé à une prochaine réunion des ministres prévue le 09 février. Aura-t-elle vraiment lieu ? - Et on sait, par la bouche de son ministre des AE, la véritable position de la Grèce. En réalité, l'examen de toutes ces questions a été renvoyé au sommet des chefs d'Etat programmé le 12 février à Bruxelles, avec l'espoir que d'ici là, le cas grec aura été «traité», d'une manière ou d'une autre. On devine le dépit de Washington et de Kiev. Mais aussi de tous les atlantistes et anti-russes des pays Baltes aux rives de la Tamise, en passant par Varsovie et Paris.[7] La question est d'autant plus cruciale que si la Grèce demeurait sur cette position, il ne sera plus possible d'envisager de résolutions européennes unanimes (jusque-là toutes en faveur de Kiev et de son soutien américain) dans la gestion de l'affaire ukrainienne. Une bravade irresponsable sans lendemain ? Une partie de poker menteur ? Peut-être. En attendant le micro et le macrocosme s'agitent. Et même si Washington fait le mort, on peut parier que de part et d'autre de l'Atlantique, le flux de communications a fortement augmenté. UNE DETTE, ÇA SERT A QUOI AU JUSTE ? Mme C. Lagarde n'a pas tort : Une dette a vocation contractuelle à être remboursée. Mais la Directrice générale du Fonds monétaire international n'a pas totalement raison. Dans l'histoire, les dettes ont eu des sorts divers : 1.- Peu de pays dans l'histoire se sont acquittés rubis sur ongle de leurs dettes, surtout quand elles atteignent ces niveaux. La Grande Bretagne a rembourse, durant tout le XIXe, l'intégralité de la dette colossale (300% du PIB) contractée lors des guerres napoléoniennes. En 2006, l'Algérie, a de même réglé ses dettes dès que ses moyens le lui ont permis, c'est-à-dire dès que le prix de ses hydrocarbures (l'essentiel de ses revenus extérieurs) lui ont fourni les excédents liquides à même de le faire.[8] Le fait est que la dette algérienne a fait la fortune de ses créanciers : L'Algérie leur a versé en 20 ans (1985-2005) 117,9 Mds$ (84 Mds$ pour le principal et 34 Mds$ pour les intérêts). Evidemment, ces sommes ne sont rien comparée à la facture la plus douloureuse que l'Algérie a payée : plus de 150 000 morts et disparus, la destruction de l'appareil industriel, la ruine de centaines d'entreprises publiques que des apprentis libéraux ? sous l'emprise idéologique des technocrates du FMI et de la Banque Mondiale - ont rétrospectivement déclarées obsolètes après les avoir méticuleusement asphyxiées, un blocage définitif du développement du pays, financièrement prospère et économiquement et politiquement désormais totalement informel. Merci Chadli ![9] 2.- L'inflation et les guerres, souvent concomitamment, ont le plus souvent servi à éroder ou solder les dettes, avec des taux d'intérêts réels qui deviennent négatifs au grand dam des rentiers et des agioteurs, mais à l'avantage des investisseurs dans l'économie réelle. 3.- Des créanciers, comme dans la gestion de la dette argentine en 2001, acceptent quelques fois d'en réduire la valeur faciale. Et c'est sur le marché gris de la dette que se négocie cette dépréciation. Déclarer un moratoire sur une dette souveraine exige de l'intelligence, du courage, du désespoir ou beaucoup d'inconscience. Cela se termine rarement au détriment des créanciers. 4.- Le cas de la dette américaine est unique depuis 1945. Le seul pays à s'endetter avantageusement dans sa monnaie dont il détermine la valeur selon les circonstances. «Le dollar, c'est notre monnaie et c'est votre problème» rétorqua en 1971 John Bowden Connally, Secrétaire au Trésor, à une délégation européenne qui s'inquiétait des fluctuations du dollar qui menace, stocké abondamment dans toutes les banques centrales mondiales, la stabilité économique du monde. Aujourd'hui, c'est toute la planète qui recycle la dette US. 5.- Enfin, la dette a souvent servi à établir un lien de subordination coercitif entre créanciers et débiteurs. Tel est son suprême intérêt. Dans les siècles passés, avec un espace médiatique très limité, les créanciers ne s'embarrassaient pas de circonvolutions formelles et se payaient directement sur la bête. Un peuple (sur)endetté incline à la docilité. «On ne meurt pas de dettes. On meurt de ne plus pouvoir en faire» écrivait Louis-Ferdinand Céline. Dans l'entre-deux-guerres aux Etats-Unis, la mafia entretenait de manière semblable ses intérêts et l'insolvabilité de ses victimes. Le plan Marshall, outre l'importance capitale qu'il eut pour le commerce extérieur et pour l'industrie américaine, était en réalité un plan de mise sous tutelle économique et culturelle des pays «libérés» par les armées US. Ce n'est fortuitement qu'il fut élaboré par un général. Si la politique d'austérité du gouvernement d'Antonis Samaras avait été poursuivie, dégageant un excédent budgétaire prévisible très faible, la Grèce aurait traîné sa dette sur de très nombreuses années, son économie structurellement désinvestie, aurait continué à être administrée par la Troïka et le pays aurait sans doute durablement disparu du paysage politique européen et mondial. Comme de nombreux pays (dont certaines «grandes nations» que par charité il conviendrait de ne pas nommer) qui aujourd'hui ne sont plus que des circonscriptions administratives vassalisées. Qui oserait poser les bonnes questions (et pas seulement à propos de la Grèce) et chercher à leur trouver réponse : - Comment la dette de la Grèce a-t-elle été formée ? - Qui a décidé et sur quels critères de prêter et d'emprunter ? - Quel rôle ont joué les banques occidentales dans cette affaire, en particulier Goldman Sachs ? - Que sont devenus les moyens ainsi mis à la disposition de ce pays ?[10] Ce 29 janvier Mikhaïl Gorbatchev, ancien dirigeant de l'URSS, dont il a été peu ou prou un des liquidateurs, est loin d'être comme on sait un admirateur de Poutine (et, à ces divers titres très appréciés en Occident), a fait des déclarations alarmistes qui mériteraient d'être entendues : «On n'entend que parler de sanctions de l'Amérique et de l'Union européenne contre la Russie. Ont-ils perdu la tête ?», a déclaré M. Gorbatchev cité par l'agence Interfax. «L'Amérique s'est égarée dans les profondeurs de la jungle et nous entraîne avec elle.», «Et pour dire franchement les choses, elle (l'Amérique) nous entraîne dans une nouvelle Guerre froide, en essayant ouvertement de suivre son idée géniale de vouloir toujours triompher». «Où cela va-t-il tous nous mener ? La Guerre froide est déjà déclarée. Et ensuite ? Je ne suis pas en mesure de déclarer avec assurance que la Guerre froide ne va pas tourner à une véritable guerre. J'ai peur qu'ils (les Américains) en prennent le risque». (AFP le J. 29/01/2015 à 11:34) Beaucoup de pays européens, en silence, n'en pensent pas moins et certains d'entre eux se réjouissent du pavé que les nouveaux dirigeants grecs ont jeté dans la mare. Notes [1] Entre 2010 et 2013, le revenu moyen par habitant a ainsi baissé de plus de 3 000 euros. Le taux de chômage a été multiplié par quatre entre 2008 (7,8%) et 2013 (27,5%). Celui des moins de 25 ans a triplé, passant de 21,9% à près de 60% en 2013. L'état social de la Grèce régressait au point de le rapprocher de celui d'un pays du tiers-monde. [2] (" Porc " en anglais, visant le Portugal, l'Irlande, l'Islande - ou l'Italie, selon le locuteur- et l'Espagne) [3] Samedi 31 janvier, entre 100 et 300 000 manifestants battaient le pavé à Madrid en écho au changement intervenu le dimanche précédent à Athènes. [4] Lire Robert KAGAN (2003) : La puissance et la faiblesse. Les Etats-Unis et l'Europe dans le nouvel ordre mondial. Plon, 160 p. [5] Reuters le L. 19/01/2015 à 09:51 [6] Reuters le J. 29/01/2015 à 23:24 [7] La prudence s'impose : Les " alliés " de l'Amérique n'arrivent plus à suivre le jeu complexe (opportuniste ?) de Washington. L'intendance et la cohorte militante sont pour le moins troublées. Obama refuse d'attaquer la Syrie alors que tout était prêt (militairement, diplomatiquement et médiatiquement) pour se débarrasser de Assad, comme cela avait été fait pour Saddam Hussein et Kadhafi. L'Iran a, depuis Reagan été pointé comme un avatar de l'Empire du mal. Cela n'a pas empêché les Etats-Unis de négocier avec Téhéran dans le dos de l'Europe, d'Israël et de l'Arabie Saoudite. L'anti-castrisme est des valeurs les plus partagées des rives de Floride à celles de la Seine. Et voilà que la Maison Blanche se réconcilie avec son vieil ennemi. Qu'en sera-t-il demain de l'Ukraine et du bras de fer avec Poutine ? [8] Ce remboursement anticipé qui n'a pas été aisé, notamment pour ce qui concerne les tractations avec le Club de Londres, ont donné lieu à des polémiques stériles. Toute chose égale d'ailleurs, avec la sévère chute du prix du pétrole aujourd'hui on peut imaginer ce qu'un service de la dette élevé aurait constitué pour le budget algérien. [9] Se souvient-on que Mourad Medelci a été, à divers titres, aux commandes du ministère du commerce de 1980 à 1989, puis ministre du budget en 1991-1992. Début 1992, M. Medelci disparaît. Il sera de retour aux affaires sept ans après, dès 1999 (au commerce, aux finances, au budget puis aux affaires étrangères). Aujourd'hui, il préside discrètement, comme il se doit, aux destinées du Conseil Constitutionnel. [10] On s'interroge toujours en Algérie sur ce que sont devenus les fameux 30 Mds de dollars empruntés au nom du peuple algérien. En réalité, cette question a très vite été jetée aux oubliettes. Elle ne préoccupe plus personne. |