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Né le 9 février 1921 à Tlemcen, Benaouda a dû affronter tous les obstacles scolaires. Il poursuit ses études jusqu’au Baccalauréat à l’ex-Collège de Slane (C.E.M. Ibn Khaldoun actuellement).
Excellent élève et très brillant en Allemand, il obtint le premier prix de tout le département d’Oran et gagne un voyage en Allemagne. (Le choix de la langue allemande n’était pas fortuit, il répondait à son admiration pour le peuple allemand, qui venait d’occuper la France) Dans sa jeunesse tlemcénienne, Benaouda milite au sein du parti de l’UDMA présidé par Ferhat Abbas. Il décroche avec succès le baccalauréat série mathématiques en juin 1941. Il décide de s’inscrire aux études de médecine. En 1942, il s’inscrit au niveau de la faculté d’Alger pour entamer sa première année de médecine (P.C.B.). Il décroche avec succès son premier diplôme universitaire. En 1943, il décide de poursuivre ses études, cette fois-ci en France où il était quasiment impossible de s’y rendre à cause de la guerre. Il avait pourtant toutes les facilités pour continuer ses études médicales à Alger : sa famille était aisée, ce qui le débarrassait du souci matériel. D’autre part, partir en France c’était aller à l’aventure. En effet la France, sous occupation allemande, était quasiment coupée de toute communication avec l’Algérie. Qu’importe, malgré les interdits répétés de ses proches, il s’embarque clandestinement en France et se fait inscrire à l’université de médecine de Montpelier. Dans son épopée européenne, Benaouda intègre le parti du P.P.A/M.T.L.D. de MESSALI Hadj. Son adhésion était motivée par les visions justes de cette structure, entre autres, celle qui réclamait l’indépendance totale du pays. Son premier reflexe après son inscription, a été donc de prendre contact avec ses compatriotes nord africains, pour la plupart nationalistes, militants, acquis aux thèses du P.P.A. Sur le plan financier, comme il connaissait parfaitement la langue allemande, il a pu se débrouiller plus ou moins sans l’aide de sa famille. Dans cette France occupée par les Allemands, on ne pouvait pas lui envoyer de l’argent pour qu’il puisse subvenir à ses besoins. La vie était d’une manière générale extrêmement difficile pour tout le peuple français. Il a été confronté, à plusieurs reprises à des situations d’indigence. C’est ce qu’il fit savoir aux siens lors de son retour au bled en 1945. Il se rend ensuite à Paris, où il se fait inscrire en 3 ème année de médecine. Il s’installe dans cette capitale où se trouvait le fleuron de la jeunesse algérienne et son cœur battant représenté par l’association des étudiants algériens : A.E.M.A.N. (Qui deviendra U.G.E.M.A en 1955). Leur local était situé au 115 Bd St Michel à Paris. Benaouda est alors désigné comme secrétaire principal et trésorier de cette organisation. Cela ne l’empêche pas de poursuivre toujours aussi brillamment ses études. Parallèlement à ses études de médecine, il s’est fait inscrire pour une formation de puériculture. Il obtient son diplôme de Doctorat en Médecine en Aout 1949 avec le titre de «Lauréat». Il regagne le domicile familiale et avec l’aide pécuniaire de sa mère née BENOSMANE Fatéma (dite Lalla F’téma) qui vendit une partie de ses biens, il a pu s’installer et ouvrir en 1949 un cabinet de médecine générale où il s’occupait principalement des maladies infantiles. Il ne tardera pas à se faire une clientèle de choix à la fois européenne et algérienne musulmane. Sur le plan social : De nature, il était discret et modeste. Aucune pression ni familiale, ni amicale n’arrivait à le décider à se marier, préférant se consacrer à la cause nationale. Sur le plan politique : Médecin installé, il active clandestinement avant même le déclenchement de la lutte armée. Ce sont des va et vient incessants entre la ville et la campagne. Il lui arrivait souvent, de s’absenter la nuit et de ne rentrer que très tard vers l’aube. Son but était de créer à l’intérieur des grottes situées à la périphérie de la ville, des structures devant servir : - d’une part de dépôts pour le stockage d’armes et de munitions - et d’autre part pour recevoir ou même hospitaliser les futurs malades et/ou blessés de la révolution En effet, il faisait faire des courses à son frère Mohamed pour l’achat de benzine destinée à la fabrication de bombes locales, tout en lui intimant l’ordre de n’en souffler mot à personne. Un jour, empruntant un itinéraire en pleine campagne, il avait à répondre, lors d’un contrôle effectué par une patrouille de gendarmerie, quand à la présence d’un chargement de médicaments, de coton et de pansements qui se trouvaient dans sa voiture pleine à craquer. Sans perdre son sang froid et bien calmement, il leur dit qu’il avait à soigner des malades dans un village voisin mais qu’il ne connaissait pas la route qui y menait. Le caducée médical, collé sur le pare-brise avant de sa voiture, rassura les gendarmes qui se sont fait un devoir de lui indiquer le chemin qui menait à ce village. Souvent aussi, il emmenait avec lui, pour diversion ; lorsqu’il se déplaçait à la campagne, ses petits neveux (BENMANSOUR Mohamed, Réda, HADJ KADDOUR Abdelhak….). La lutte armée déclenchée, il redouble ses activités clandestines. Il continue à alimenter les maquis en matériel médical, en armement et soigne les djounouds blessés. Il lui arrivait très souvent de recevoir dans la maison familiale un ou deux invités venus de la campagne, il n’admettait personne s’approcher d’eux : c’étaient des moudjahidines. Pour la petite histoire et pour rappeler certains évènements qui vont certainement faire sourire nos compatriotes tlemcéniens pour l’avoir vécu et qu’ils ont certainement enfouis dans leur mémoire comme beaucoup d’autres faits : Un mot d’ordre avait été donné en 1955 avisant la population tlemcénienne «de ne pas se teindre les mains et les pieds avec du henné pour la fête du Mouloud Ennabaoui courant». Ces mises en garde, énoncées à la veille des fêtes religieuses et autres festivités; répondaient aux soucis de mobilisation d’une part et pour renforcer l’esprit de solidarité communautaire d’autre part. Un cireur a blessé à cet effet, avec une lame, les pieds d’une femme qui avait enfreint la consigne. Elle n’hésita pas à appeler la police qui se saisit de l’enfant et qui va le conduire en même temps que l’agressée chez le Dr BENZERDJEB. Car cet incident a eu lieu juste en dessous de son cabinet médical. Les policiers sont restés avec le cireur dans la salle d’attente pendant que la femme se faisait soigner par le Docteur. Il lui fait un pansement et lui conseilla de dire aux policiers que le cireur n’avait pas fait exprès. Ce qu’elle fit et le cireur fut relâché. Le Docteur était d’un courage et d’une audace sans pareils. Sa prise de conscience précoce, dès l’âge de 16 ans, pour la cause nationale, ses responsabilités politiques en France, son niveau intellectuel, le peu de personnes engagées à cette période ont en fait de lui, l’un des principaux acteurs politiques de la wilaya V. Son engagement n’était pas exclusivement médical. Ce n’était pas uniquement en qualité de médecin qu’il agissait, il était surtout un chef politique, un grand responsable qui s’investissait: - Sur le plan de la logistique en alimentant le maquis non seulement en médicaments, mais également en y stockant des bombes artisanales - Sur le plan politique, il prenait des décisions de grandes importances comme celle entre autres d’envoyer le Dr HAMIDOU Fethi, son ami, vers l’Egypte pour une formation. (ce qui prouve qu’il avait des contacts avec la direction politique nationale) A part son frère, personne, même ses amis les plus intimes n’étaient pas au courant de ses activités politiques, jusqu’au jour où la fatalité le fit tomber dans un piège. Il savait que le peuple algérien, très peu politisé, n’était pas du tout préparé à la Révolution. Il a jugé impératif de l’encadrer, de le sensibiliser, de l’orienter. C’est ce qui va amener le Docteur à acheter une ronéo pour diffuser des tracts à la population. Il se présente donc, de sa propre initiative, dans son véhicule personnel, chez un libraire du nom de Laurent FOUQUES à Oran. Il se procure la machine sous le nom de la «librairie BEDJAOUI». Il ne voulait mettre personne au courant de cet achat. Dès que le Docteur a quitté le magasin, le concessionnaire européen, s’est fait un devoir d’aviser la police de Tlemcen, car l’instrument était considéré en cette période de guerre comme dangereux, étant qualifié d’outil de subversion. La police a vite fait d’identifier l’acheteur qui possédait selon les indications transmises «un monsieur possédant une voiture de marque allemande». Ce fut donc très facile, de retrouver son propriétaire qui était le seul à posséder cette marque à Tlemcen. Le lendemain, elle se rend à son domicile, procède à une perquisition et trouve les preuves tangibles de sa participation à la lutte armée: elle venait de découvrir les pièces à conviction (benzine, coton, pansements en grande quantité, mais pas d’arme). C’était un samedi 14 janvier 1956. Il fut embarqué et martyrisé pendant deux jours et deux nuits consécutifs : pas un seul mot ne sortit de sa bouche. Le lundi 16 janvier, début de semaine (weekend universel), il demanda à la police de lui permettre de se rendre à son cabinet médical afin de soigner des malades urgents avec lesquels il avait rendez-vous. Il savait qu’il pouvait se mettre en contact avec des moudjahidines qui venaient souvent et régulièrement le voir pour prendre des consignes. C’est sous le motif de la consultation, qu’Ils se présentaient, bandés de faux pansements. Accompagné de deux agents de la sureté, il est emmené à son bureau médical, les agents eux sont restés dans la salle d’attente. Il consulte quelques malades parmi lesquels un «Itissal» DALI YOUCEF Kouider (fonctionnaire de la mairie, employé comme chef du parc communal situé près de la gare ferroviaire), le bras bandé pour se faire passer pour un blessé. Ce dernier lui propose de sortir par la cuisine (sortie à part) sans être vu, une voiture a été prévue à cet effet, il lui était facile d’échapper à la surveillance des inspecteurs. Le Docteur refuse et lui remet par contre une lettre destinée aux moudjahidines. Ce qu’il y avait dans cette lettre personne ne le sait. Est-elle arrivée à destination ?est-elle parvenue à temps? Le mardi 17 janvier 1956, l’inspecteur de police judiciaire BENAHMED Yahia voit à huit heures du matin, le Docteur sortir du commissariat de police accompagné du commissaire VALENTINI, des inspecteurs de police SCOTT et LASCAR, du brigadier de police judiciaire Allal EL HADDAD et de MARIN (le chauffeur). Ils se sont embarqués dans une voiture Citroën, je me suis dit : «ça sent mauvais, pourvu qu’ils ne tombent pas dans une embuscade !» Le scénario envisageable, est que le Docteur aurait projeté de contacter les moudjahidines par l’intermédiaire de DALI YOUCEF Kouider. Dans le message adressé, il s’agissait probablement de tendre une embuscade au lieu même où il allait conduire la gendarmerie et la police ; c’est à dire au douar «Ouled Halima» (appelé aussi DERMAM) près de Sebdou, situé à une trentaine de kilomètres de Tlemcen. Le Docteur n’ayant vu personne se présenter au rendez-vous, aurait tenté de fuir dans le but de rejoindre le maquis comme vont l’affirmer les autorités françaises dans leur rapport. Il a été abattu par un gendarme. Le docteur voulait-il rejoindre le maquis non sans avoir fait un pied de nez aux soldats tombés dans un guet-apens, en emportant armes et bagages dont avaient besoin les djounouds ? Cette manœuvre du docteur, si elle avait réussi, aurait été inscrite en lettre d’or dans les annales de la guerre d’Algérie. Dans l’après midi du mardi 17 janvier, un policier se présente au domicile du Docteur. Il demande à voir la mère de Benaouda, dès que celle-ci se présente, il lui annonce que son fils a tenté de fuir et qu’il a été abattu par un gendarme au douar «Ouled Halima», près de Sebdou. Le Docteur a été enterré à 4 H du matin par l’armée. L’assassinat du Dr BENZERDJEB ; mort en martyr, est considérée parmi les pages les plus émouvantes qu’a connues la cité zianide. Elle est à consigner dans son livre d’or. Tlemcen a juré de venger son fils. La peur, enfouie depuis des décades n’attendait qu’une étincelle pour se transformer en brasier. C’est le jour qui a fait basculer tous les Tlemcéniens sans exception dans les rangs de la lutte armée. En guise de protestation, une manifestation a été décidée. Elle sera organisée par l’un des principaux artisans du mouvement révolutionnaire à Tlemcen, Sid Ahmed INAL (professeur d’histoire et de géographie l’un des rares diplômés de la Sorbonne). Dans leur parcours à travers les artères, les rues et les ruelles qui conduisaient la procession vers le cimetière «Cheikh Senouci», les manifestants ont bravé les soldats, les colons en scandant des slogans hostiles à l’occupant et en réclamant l’Indépendance. Ce cortège avançait au début sans commettre aucun délit, ni vol ni saccage des magasins, d’ailleurs quelque fois désertés par leur propriétaire. Toute fois, arrivés près du cimetière, les esprits des contestataires se sont embrasés et les manifestants se sont pris à une maison d’un Français, en malmenant les grilles du portail. Au sous sol de cette demeure, se trouvait une cave servant d’atelier où des jeunes employés algériens filaient la laine. Affolé, le propriétaire, Mr RENARD (2) a pris son fusil de chasse et a tiré dans le tas. Malheureusement un jeune homme a été touché, il trouvera la mort. Il s’agit de BELKAID dit «El Harfoul». Ce sera Melle Fatéma MECHICHE(3), future héroïne de la guerre d’Algérie, qui enveloppera avec son haïc le corps étendu par terre, gisant dans une mare de sang. Ce sang écarlate, va déchainer les passions, c’est un moment où plus rien n’a de l’importance, un seul idéal galvanise les esprits : celui du sacrifice. Les Tlemcéniens meurtris, emportés par la colère se font le serment de ne mourir qu’en martyrs. L’exacerbation est à son comble, l’administration redoute le pire et va réagir illico en instaurant le jour même, un couvre- feu fixé sans plus attendre à 16 heures. En fait Il sera mis en place et pour de longues années. Il y aura ce jour là, beaucoup d’arrestations, parmi lesquelles figurera, le jeune GAOUAR Abdelaziz, âgé de 13 ans, qui sera condamné à 5 ans d’internement et placé dans une maison de rééducation ; pour… atteinte à la sécurité de l’Etat ! C’est la rupture entre le peuple et l’administration coloniale. Toutes les familles tlémcéniennes s’engagent dans le mouvement révolutionnaire naissant. Par compassion au sang injustement versé des deux victimes, elles s’acquittent en encourageant à leur tour leur progéniture au sacrifice suprême. Malgré, les multiples mesures répressives, les dépassements, les exactions de toutes sortes, la France coloniale ne connaitra plus de paix dans la «perle du Maghreb». Elle sera malmenée, elle se verra dépassée par les actions éclatantes des fidaïyines, des moudjahidines soutenues par les youyous retentissants d’espoir de nos femmes, sans discontinuité, jusqu’à l’indépendance. La mort du Dr Benaouda BENZERDJEB a suscité une indignation nationale et tout autant en métropole, perçue aussi bien chez les Algériens que chez les Français(4). C’est ainsi qu’une grève a été lancée le 19/01/1956 par la section de l’UGEMA. d’Alger En effet le 20/1/1956 une grève de la faim et des cours a eu lieu à l’université d’Alger. Des étudiants communistes d’origine européenne (Maurice AUDIN, les frères TIMSIT) participent à la grève (fait souligné par Mohamed BENYAHIA). Le soir, à 18 heures, Mohamed BENYAHIA, président de la section de l’UGEMA d’Alger, présidera une assemblée générale des grévistes au cercle «Cherif Saadane», local de l’UDMA, Place de Lavigerie. 1) A mon avis le récit décrit est le plus proche de la réalité, si l’on tient compte du nombre de témoins (dont son frère) et de leurs déclarations. La controverse concerne uniquement la cause du décès. Le Docteur est-il mort sous tortures ou a-t-il été tué ? En effet, Il existe une autre version défendue mordicus, par les fidaïyines contemporains du Dr Benaouda BENZERDJEB affirmant que celui-ci est mort sous la torture. Notamment, BERBER Mohamed Seghir, arrêté à la même période que le docteur, et torturés en même temps. Il déclare qu’il est témoin de sa mort sous les effets des tortures. Quant au certificat médical de constatation du décès - Certains l’attribuent au Dr KARA MOSTEFA Mansour qui a établi le constat. Requis par l’armée, le médecin a été obligé de mentionner sous pression que la victime a été abattue par une balle en tentant de s’en fuir. - Pour d’autres c’est le Dr HADJ ALLAL qui aurait fait l’autopsie et aurait déclaré que la victime était de santé fragile et qu’il a été soumis à des tortures atroces qu’il n’avait pu supporter. - De leur côté, les habitants d’Ouled Halima, déclarent que le Docteur a été abattu sous leurs yeux, dans leur village. (témoignages des familles BENSAHA et BEY) Mourad MEGHELLI, inspecteur de police exerçant du temps de la France, sera arrêté à son tour en tant que fidaï, et torturé par ses collègues français. Contacté à cet effet pour un témoignage, Il m’a affirmé sans équivoque que personne ne connait exactement ce qui s’est passé. 2) ce Français se confiant plus tard à des amis algériens avoue qu’il avait tiré pour faire «peur» et qu’il aurait fortement regretté son geste. 3) Melle Fatéma MECHICHE, habitait le quartier Riat El Hammar, à Tlemcen. Elle avait pour voisin les familles GAOUAR, les Abi AYAD, les MERAD BOUDIA (dont Kheir Eddine le professeur de cardiologie)…. Elle sera l’épouse du Colonel DGHINE Lotfi, tombé au champ d’honneur. Elle est veuve à 20 ans. Elle se remariera avec Mohamed KHEMISTI, Ministre des Affaires Etrangères du 1 er gouvernement de l’Algérie indépendante et qui sera assassiné 6 mois plus tard. 4) Précisions historiques communiquées par Mr Mohamed REBAH. |