|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Olivia Zemor réhabilite la notion de militantisme et lui réoctroie toute sa noblesse. Cette dame de 60 ans, ancienne journaliste de l'AFP, fondatrice d'une agence de presse spécialisée dans l'information médicale, cédée en 1999 à Reuters, mène un combat des plus dignes en France, dans un environnement pas souvent propice à ses actions. Elle dirige une association antisioniste militant pour une paix juste au Proche-Orient et une librairie, devenue, en peu de temps, espace de diffusion et d'expression de la littérature et la pensée exclues des circuits conventionnels de la distribution, parce que non conformes aux standards établis. Olivia est issue de parents juifs déportés lors de la Seconde Guerre mondiale. Ce qui lui a sûrement ouvert les yeux sur toutes les formes de fascismes, dont le sionisme en est une variante. Le Quotidien d'Oran: Pour vous présenter aux lecteurs de notre journal, je suis tenté de vous qualifier de militante pour la cause palestinienne. Ce qui est forcément réducteur de votre dimension et de votre trajectoire: vous avez déjà milité pour la reconnaissance des crimes de la France en Algérie, par exemple. Par ailleurs, vous menez une autre activité militante sur le plan culturel en dirigeant une librairie un peu particulière. Donc, le plus simple serait de vous demander de vous présenter vous-même ? Olivia Zemor: Je suis présidente depuis 7 ans de l'Association CAPJPO-EuroPalestine, qui regroupe des personnes de toutes origines, et qui lutte contre l'occupation des territoires palestiniens, pour le respect du droit international et contre toutes les formes de racisme, y compris en France. Bien décidés à ne pas nous laisser intimider par le chantage à l'antisémitisme, nous avons mené de nombreux combats en France, depuis le début de la 2ème Intifada, sous des formes très variées qui vont d'actions de rue originale à la présentation d'une liste EuroPalestine en Ile de France aux élections européenne de 2004, en passant par d'énormes concerts pour la Palestine qui ont réuni près de 15 000 personnes à Paris, en 2003 et 2004. Nous avons également combattu, y compris devant la justice, des racistes de tout poil, comme Alain Finkielkraut ou Arno Klarsfeld, qui ont dû annuler des conférences publiques, suite à nos interventions. Dernièrement, c'est à notre initiative que le Grand Hôtel Intercontinental a renoncé à tenir dans ses locaux, le Salon du tourisme israélien. Mais la meilleure manière de connaître notre association et ses actions est d'aller consulter le site www.europalestine. com qui donne tous les jours, depuis 7 ans, des informations - que l'on pourrait difficilement trouver dans les médias français -, et qui propose des vidéos de nos actions. En effet, il ne faut pas compter sur ces médias, totalement à la botte du pouvoir, pour relayer les actions qui concernent la Palestine, mot devenu carrément tabou ici, avant les récents massacres dans la bande de Ghaza. Q. O.: Déjà dans un texte que vous avez rédigé au lendemain de la guerre de juin 2006 contre le Liban, vous avez annoncé l'échec du projet sioniste. Est-ce que l'agression contre Ghaza confirme vos hypothèses ou au contraire les infirme ? O. Z.: Tous les observateurs honnêtes, y compris des universitaires américains comme John Mearsheimer, disent qu'Israël a choisi la fuite en avant, mais que jamais il n'obtiendra la paix et la sécurité par la violence, malgré la toute puissance non seulement de son armée, mais aussi de sa propagande. Soixante ans de mensonges bien orchestrés et relayés ont certes fait des ravages, mais depuis la guerre du Liban et encore plus depuis ces trois semaines de massacres en vase clos dans la bande de Ghaza, Israël a définitivement perdu la bataille de l'opinion publique mondiale. Israël, qui a désespérément poussé les Etats-Unis et l'Europe à s'engager dans des guerres un peu partout au Moyen-Orient, en espérant que bientôt, ils attaqueraient également la Syrie et l'Iran, joue depuis longtemps la carte du chaos généralisé. Chaos, qui permettrait de détourner les projecteurs de ses propres exactions contre les Palestiniens. Mais devant la menace d'une trêve prolongée, d'un accord entre le Hamas et le Fatah, il a «devancé l'appel», bouché toutes les issues, interdit l'accès à tout journaliste, à tout témoin, et espéré que ses méthodes fascistes passeraient par pertes et profits. Mais tout se sait à notre époque, et qui plus est, Israël, malgré l'ampleur des crimes commis et des dévastations, n'a pas réussi à vaincre la résistance palestinienne. Q. O.: Actuellement, de plus en plus de voix, à l'intérieur d'Israël, pensent que l'agression de Ghaza s'est soldée par un échec cuisant pour Israël, notamment en se référant au large mouvement de protestation qu'a suscité cette agression à travers le monde. Partagez-vous cette opinion ? O. Z.: Oui, et je pense que ce n'est pas fini. Chaque jour, les gens qui entrent dans Ghaza, depuis l'arrêt des bombardements, rapportent de nouvelles atrocités: des exécutions d'enfants et de bébés à bout portant devant leurs parents, les preuves de l'utilisation de bombes au phosphore et autres engins de mort visant de toute évidence l'ensemble de la population. Cela a toujours fait partie de la stratégie israélienne de développer l'antisémitisme, afin de pouvoir essayer de retourner la situation et de se poser en victimes en lieu et place de bourreaux. Mais cette fois-ci, il y a tellement de gens indignés et écoeurés par cette boucherie, dans le monde entier, et pas seulement dans le monde arabe, qu'Israël ne s'en relèvera pas. Et on le voit non seulement aux poursuites judiciaires qui commencent à pleuvoir sur les dirigeants israéliens, qui vont désormais hésiter à mettre les pieds dans un nombre croissant de pays, mais surtout aux campagnes de boycott qui commencent à être lancées un peu partout. Et seules ces sanctions qui viendront du public, des syndicats, des pressions sur les firmes qui continuent à avoir des collaborations éhontées avec Israël, vont peut-être déciller l'opinion publique israélienne, qui s'est retrouvée comme un seul homme (à part une poignée d'opposants et, bien entendu les Palestiniens de 1948) derrière ses dirigeants. Q. O.: Dans le même texte (Echec du projet sioniste), vous énumérez quelques-uns des problèmes de la société israélienne actuelle. Le sentiment d'insécurité sciemment entretenu par les différents responsables politiques sionistes semble, selon vous, produire un effet inverse, c'est-à-dire au lieu d'être un catalyseur de la mobilisation contre un ennemi réel ou supposé, il devient un blocage. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur ce sujet ? O. Z.: Ce que nous expliquons en fait, c'est le lavage de cerveau auxquels sont soumis les Israéliens dès le berceau. Comment à l'école, à la maison, à la télé, on déforme l'histoire, on leur ressasse qu'ils doivent avoir peur des Arabes, et les abreuve des images insoutenables des camps de concentration, en leur faisant croire que c'est ce qui les attend s'ils ne font pas preuve de brutalité à l'encontre des Palestiniens. «C'est eux ou nous», «ils nous attendent pour nous planter un couteau dans le dos», «Ne vous laissez pas mener à l'abattoir comme vos grands-parents», «Un bon Arabe est un Arabe mort»: telle est l'éducation reçue et la constante déshumanisation de leurs voisins, chez lesquels ils n'ont même plus le droit d'aller depuis une dizaine d'années. Difficile, dans ce contexte, de prendre du recul ! Q. O.: Vous avancez le constat d'une acculturation très avancée de la société israélienne qui a laissé tomber ses traditions séculaires au profit d'une culture guerrière. Est-ce que vous pouvez nous développer cette idée ? O. Z.: La société israélienne ne peut avoir de traditions séculaires, étant donné qu'elle n'existe que depuis 60 ans. Mais les différentes formes de culture yiddish ou judéo-arabe ont été combattues pour ne laisser place qu'aux «sabras», ces purs guerriers israéliens. A la fois, Israël a fait venir, parfois de force ou en leur mentant, des juifs (ou supposés tels) de différents pays comme l'Irak, la Russie ou l'Ethiopie, tout en continuant à les considérer comme des citoyens de seconde zone. «L'ennemi arabe commun» devient finalement le seul ciment entre tous ces gens, et la guerre permanente est un bon moyen de faire oublier tous les aspects anti-démocratiques et inégalitaires de cette société israélienne. Q. O.: Vous soulevez aussi les lignes de fractures de cette société entre Ashkénazes, Sépharades, Arabes de la ligne verte et Falashas. Pour vous, la conjugaison de ces malaises se traduit déjà par des départs importants d'Israéliens vers d'autres horizons. Est-ce que cette immigration constitue une tendance lourde ou juste un phénomène passager ? O. Z.: Mes amis opposants israéliens, y compris ceux qui n'ont pas encore quitté Israël, me disent que leurs enfants et beaucoup d'autres étudiants israéliens partent faire leurs études à l'étranger... et n'en reviennent pas. Ils ne sont pas nécessairement comptabilisés par le gouvernement israélien comme ayant définitivement quitté le pays, mais ils n'ont aucune intention d'y revenir, apparemment. Et ils sont de plus en plus nombreux, depuis notamment que les fondamentalistes religieux sont de plus en plus influents en Israël et imposent leurs volontés partout et notamment au niveau des programmes éducatifs. Quant à ceux qui quittent tout pour aller vivre en Israël, il y en a très peu, et Israël ne cesse d'ailleurs de s'en plaindre. Beaucoup de juifs en France, qui n'ont aucune envie d'émigrer en Israël, mais qui culpabilisent un peu de ce fait, essaient d'ailleurs de «compenser» par une agressivité particulièrement développée contre toute critique de la politique israélienne. Q. O.: Amnon Kapeliouk, journaliste d'origine juive, a déjà soulevé dans un article publié dans Le Monde diplomatique l'infiltration et l'installation d'éléments religieux à la tête de l'appareil militaire israélien. Vous aussi, vous abordez cet aspect. Est-ce qu'il constitue une source d'inquiétude pour la paix dans la région ? O. Z.: Ce n'est pas la religion en soi qui pose problème. Ce sont les extrémistes religieux juifs, dont on ne parle jamais ici en Europe - où l'on est pourtant prompt à fustiger tous les musulmans comme des extrémistes religieux -. Ces tarés qui se prennent pour le peuple élu et qui agressent les Palestiniens sur leurs terres, dans leurs villages, sont ceux qui ont distribué, au sein de l'armée israélienne, pendant les massacres, des brochures appelant les soldats à «n'avoir aucune pitié» pour les hommes, femmes et enfants palestiniens, en expliquant «chaque pouce de cette terre est à nous». Cela fait tout de même froid dans le dos, non ? Q. O.: Vous avez qualifié Israël de «grande fabrique du virus de l'antisémitisme». Est-ce que les images terribles d'enfants de Ghaza massacrés par des bombes prohibées par les conventions internationales va participer au surdimensionnement de cette «fabrique» ? Et qu'est-ce qu'il y a lieu de faire pour circonscrire et pourquoi pas bannir cet antisémitisme ? O. Z.: La seule chose qui pourra endiguer l'antisémitisme, alors qu'Israël a tout intérêt à ce qu'il se développe (à la fois pour pouvoir se poser en victimes, mais aussi pour amener davantage de juifs rétifs à aller en Israël), c'est, d'une part, que nos gouvernements cessent de considérer Israël comme un Etat à part qui aurait le droit d'être hors-la-loi, qu'ils prennent des sanctions contre lui, mais aussi qu'il y ait davantage de juifs en Israël et dans le reste du monde pour dire NON à ce déni israélien de droit et de justice. Q. O.: Déjà vous avez qualifié Ariel Sharon de criminel de guerre. Est-ce que selon vous ce qualificatif sied aussi à Livni, Barak et Olmert et le chef d'Etat-major de l'armée israélienne ? Et est-ce que vous êtes confiante que les démarches engagées un peu partout dans le monde, pour les traduire devant une juridiction internationale pour crime contre l'humanité et crimes de guerre, ont une chance d'aboutir ? O. Z.: Je crois non seulement qu'il faut traîner tous les dirigeants israéliens devant des tribunaux internationaux, mais aussi devant la justice de chaque pays, afin qu'il devienne plus difficile de leur dérouler le tapis rouge ici et là, et que la population israélienne se pose quelques questions en voyant moins de touristes étrangers, et moins de complaisance à leur égard. Q. O.: Vous avez mené ou participé à plusieurs campagnes de sensibilisation sur la question palestinienne, dont «Israël ment» et vous avez relevé le peu d'intérêt, pour ne pas dire plus, que les médias ont consacré à vos entreprises. Est-ce que les massacres de Ghaza, dont on connaîtra l'ampleur dans peu de temps puisque plusieurs reporters de la presse mondiale sont actuellement sur place, ont une chance de provoquer un éveil des consciences, un sursaut contre l'injustice ? O. Z.: C'est ce que nous allons voir maintenant: si dans les divers pays, à commencer par le nôtre en France, les gens qui sont descendus manifester dans la rue (il y en a eu des centaines de milliers en tout), vont se contenter de pleurer devant leur écran de télé, ou bien s'ils vont participer aux actions pour mettre fin à l'impunité d'Israël. Il est clair que les sanctions ne viendront pas de nos gouvernants. Il va donc falloir bouger un peu, et je les invite à être nombreux à participer aux campagnes de boycott que nous lançons. Chacun à son échelle peut faire un peu. Et je peux vous assurer que si c'est le cas, beaucoup de choses vont changer. Il faut arrêter de se trouver des excuses pour ne rien faire. Q. O.: Dans votre librairie, vous faites la promotion d'écrivains et peintres. Est-ce que vous avez déjà présenté des jeunes talents algériens ? O. Z.: L'Algérie est un sujet qui revient assez souvent au sein de notre librairie Résistances au travers de conférences, de films, de présentation de livres. C'est même sur les massacres du 17 octobre 1961, à Paris, commis par la police française contre des centaines d'Algériens, que nous avons choisi de mettre l'accent lors de l'ouverture de la librairie le 17 octobre 2006. Mais il nous reste à découvrir et accueillir des jeunes talents algériens, ce que nous ferons avec le plus grand plaisir. |