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Femmes libres et libérées

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Cherifa ou Le serment des hommes libres. Roman de Ali Bedrici. Casbah Editions, Alger 2016, 213 pages, 800 dinars.



Une histoire à plusieurs dimensions. Qui commence à Seddouk Oufella. D'abord, une histoire d'amour (fin 1870) entre Ahmed, le fier guerrier amazigh qui n'hésita pas à répondre à l'appel du «djihad» contre l'occupation coloniale, et Chérifa, la belle et fière Berbère, son épouse, qui accepte (elle l'encourage même) le départ de son «homme» pour rejoindre, en 1871, les troupes de Hadj Mohamed et Boumezrag Ben Hadj Ahmed el Mokrani et de Cheikh Mohand Ameziane Aheddad.

Une histoire de guerre et de combats parsemée de poudre et de sang, de victoires mais aussi d'échecs, face à l'hostilité et les armes de «destruction massive» (après l'expropriation et l'occupation massive des terres) de l'armée coloniale

Ensuite, une histoire de combattants de la liberté, faits prisonniers et déportés dans des conditions inhumaines, qui en Guyanne, qui sur l'Ile de la Réunion. Certains, épuisés et fatigués, s'intègreront, d'autres (rares) s'évaderont... Ahmed résistera...grâce à l'espoir de revoir, un jour, sa bien-aimée, qui avait juré de l'attendre quoi qu'il lui en coûte.

Enfin, c'est l'histoire d'une «grâce» qui mit trop de temps à venir (grâce à la campagne menée par d'anciens prisonniers, des Communards, repartis en France)... et le retour, en 1905, de Ahmed au village natal après plusieurs décennies d'exil forcé. Il arrivera un tout petit peu trop tard... ne retrouvant qu'une lettre de Chérifa (qui avait, entre-temps, appris à écrire). Il était revenu vieilli, usé, découragé... mais, encouragé par le doux poème hérité, fidèle à la mémoire de son aimée, transcendant sa douleur et les effets de l'âge, il va continuer «à semer les graines qui donneront les blés de la liberté»

L'auteur : né en 1951 à Taguemount El Djedid (Djurdjura), Ali Bedrici est diplômé de l'ENA. Il rejoint l'administration territoriale après le service national. Wali durant 22 ans.

Extrait : « Notre condition deviendrait insupportable sans le secours du rêve qui nous permet d'espérer au lieu d'abdiquer devant les difficultés de la vie » (pp 70-71)

Avis : Déjà un livre de nouvelles (2011), un roman (2012) et deux ouvrages de poésie (2011 et 2014). La «préfecture» et le «terrain» mènent à tout...si l'on en sort indemne! Une très belle histoire de résistance (bien documentée) et d'amour. Simplement écrite, facilement lisible.

Citations : «La meilleure façon de tromper le temps, c'est de l'ignorer» (p 20), «L'injustice est l'huile de la révolte» (p 51), «Quand l'injustice chuchote, la révolte gronde» (p 73)



Printemps. Roman de Rachid Boudjedra. Barzakh Edtions, Alger 2014, 301 pages, 950 dinars.



Quel livre ! Du Boudjedra comme on n'en avait pas lu depuis bien longtemps (en fait, je le relis et le présente pour la seconde fois pour se sortir un peu d'une atmosphère littéraire assez morne). Décidemment, le talent littéraire (prouvé, cela s'entend) se bonifie avec le temps? et «flamboie» quand il retombe? en jeunesse. Une histoire boudjedréenne comme il se doit. La femme, des femmes, l'indépendance, la solitude, l'amour, le sexe, encore du sexe, l' angoisse, la liberté, la vie, la mort?

Déjà, rien que le corps de l'histoire est, en lui-même, toute une philosophie de vie : Une jeune femme, Teldj, née en hiver 84 dans les Aurès enneigés, enseignante universitaire (donc autonome financièrement), intellectuelle (car elle pense), libre (elle n'aime pas les hommes?qui, dans son enfance, à l'âge de sept ans, ont tenté de la violer et les terroristes islamistes ont «égorgé» au sein de la clinique où elle travaillait, sa mère, une sage-femme ; l'égorgeur étant un résident devenu par la suite professeur et doyen paradant) et libérée (elle aime les femmes, jeunes et mignonnes de préférence), sportive, ancienne championne olympique du 400 m haies (un parcours d'obstacles très difficile en raison des haies multiples et de la nécessaire précision des gestes, conjuguée à la rapidité) avec, aussi, pour autre spécialité, la course de vitesse...et très belle et mordue de Chine où elle a séjourné en tant qu'enseignante. Pas facile de la rattraper et encore moins de l'attraper !

L'auteur ne manque pas de multiplier des digressions explicatives parfois pour ce qui concerne les personnalités ou les périodes historiques citées?et des digressions critiques pour expliquer, à sa manière et selon ses idées politiques. Qui ne les connaît, tant sa franchise est proverbiale et claire, défenseur d'une révolution collective et pourfendeur des «printemps arabes» -dont l'Octobre 88 d' Algérie- derrière lesquels il ne voit que complots et autres manip'extérieurs. Tout y passe : le pays, le système, l'actualité nationale et internationale, la gouvernance, les gouvernants, les dérives?ce qui rend parfois difficile le suivi et compréhension de l'histoire principale. Dans tout cela, ne mâchant pas ses mots, l'islamisme, le terrorisme, le capitalisme, le «système», le machisme, tous en prennent pour leur grade !

Boudjedra ? Romancier, bien sûr. Mais aussi, sociologue, psy', historien, politologue...Une véritable encyclopédie vivante et en perpétuel mouvement. Ça va, ça vient, ça repart, ça revient. La jouissance littéraire, la vraie, la grande, c'est ça. Peut-être ?

L'auteur : Est-il encore nécessaire de le présenter ? Né en 1941 à Ain Beida, ayant étudié la philosophie et les mathématiques. Poète, romancier, essayiste, scénariste, auteur d'une œuvre plus que considérable, traduite dans le monde entier.

Avis : Surtout ne le manquez pas. Difficile à lire (c'est du Boudjedra, pardi ! avec ses mots, ses petites (ou très longues) phrases qui se mélangent, s'enlacent, se pénètrent, ses échappées, ses mots excessifs et ses jugements tranchants, mais à lire, car c'est une de ses plus belles œuvres, peut-être la plus aboutie, qui montre aussi que Rachid Boudjedra reste le plus grand, le plus fort, le meilleur de la littérature national? et plus (+). Avec «la Répudiation», on a eu les mémoires romancées d'un jeune homme, d'un homme en devenir. Aujourd'hui, on a les mémoires (sous forme de roman et une histoire-alibi) d'un homme-citoyen accompli.

Extraits : «Mon pays est si douloureux? mon pays c'est une histoire effroyable et une géographie interminable. Mon pays souffre de la malédiction coloniale, cinquante ans après son indépendance. Encore aujourd'hui?Mon pays, c'est une plaie ouverte ! Une malédiction post-coloniale» (p 104), «Un homme qui s'immole c'est horrible ! Mais pas suffisant» (p 105), «Lorsque ce sont les autres qui fabriquent vos propres concepts, c'en est fini. Foutu. C'est la mort. Ce que nous sommes : des non-êtres. Des absents. Des fantômes» (p 146), «Les Arabes, eux aussi, ont été d'horribles colonisateurs en Espagne, en Italie, en France et ailleurs. Ils ont été parmi les premiers esclavagistes dans l'Histoire de l'Humanité. C'est qu'ils ont commencé tôt les Arabes, dès le XIVè siècle. Mais, eux aussi ont perdu toutes leurs colonies» (p 183), «Il n'y a pas un peuple, un pays, un Etat, une nation qui n'ait été un jour raciste, guerrier, colonialiste, esclavagiste et impérialiste ! Cruellement. Sadiquement. A commencer par les Arabes et les musulmans» (p 272)

Citations : «L'Histoire est répétitive, têtue et incorrigible» (p 73), «L'Histoire est une saloperie (?). Faite plus par des salauds qui la confisquent que par les peuples qui la paient de leur vie?Les peuples sont pauvres. Les peuples sont naïfs. Les peuples sont souvent trop dociles, trop passifs ! Incultes. Crédules. Veules aussi ! Lâches aussi !» ( p 106), «Une dépression individuelle ne fait pas une révolution collective» (p 106), «Lorsque ce sont les autres qui fabriquent vos propres concepts, c'en est fini. Foutu. C'est la mort. C'est ce que nous sommes : des non-êtres. Des absents. Des fantômes... » (p 146), «Un pays (l'Algérie) trop grand et trop petit. Trop riche et trop pauvre. Trop naïf et trop malin. Trop généreux et trop avare. Qui s'aime et qui se trahit. Qui se fascine et qui se répugne. Qui souffre et qui ne souffre pas. Passionné et indifférent. Placide. Brûlant. Glabre. Glacial. Passsionnant, quoi !» (p 164), «Il arrive toujours un moment dans l'Histoire des hommes où tout devient crucial, essentiel, vital, indispensable ; et qu'il n'y a alors qu'une seule façon de s'en sortir : la mort. C'est-à-dire une sorte de mort dans les deux sens : que l'on donne et que l'on reçoit » (p 246)



Un automne au soleil. Textes libres (Nouvelles) de Mouloud Achour. Casbah Editions, Alger 2016, 229 pages, 900 dinars.



A travers une quinzaine de «textes libres», des sortes de nouvelles assez basées sur la réalité vécue ou racontée ou rapportée, l'auteur, doté d'expériences confirmées d'écrivain, de nouvelliste... de journaliste... et d'enseignant, retranscrit, avec simplicité et pédagogie mais vérité, une réalité que beaucoup d'entre nous ont soit vécue, soit croisée, soit entendue sans jamais y prêter une grande attention... l'âge n'aidant plus et pris par la vie quotidienne de la ville, loin, très loin... des années du bonheur alors simple, bien qu'infernale du fait de la présence coloniale.

Quinze textes qui font le tour de la question :

La vie en état d'émigration et la difficulté de s'en défaire, surtout si, à la clé, il y a l'amour d'une femme aimante et compréhensive qui, entre autres, a pleinement participé au combat libérateur.

La rencontre avec un «étranger», soldat baroudeur échappé d'on ne sait combien de guerres, mais portant en son cœur une proximité certaine avec tous les «damnés de la terre».

Les faux mendiants, l'amour, l'amitié internationale (avec ceux qui n'ont jamais oublié l'Algérie), la vie populaire au Caire, le «fou d'adhan», la vie en Kabylie avec ses années de bonheur (bien plus liées à l'enfance) et ses années de malheur (bien plus liées aux affres de la guerre), le frère aîné devenu moudjahid après avoir été un dandy insouciant (du moins, le croyait-on !), la, rencontre... nocturne d'un tout jeune émigré avec le «crachin breton», l'Indépendance du pays... et juste après, les «imposteurs»... et le petit dernier (texte), la première rencontre d'un enfant... avec Alger... une autre histoire d'amour qui ne s'est jamais terminée... Pour l'auteur ?

L'auteur : né à Tamazirt, du côté de Larbe Nath Iraten, 1944, Mouloud Achour est, aujourd'hui, chargé d'édition. Etudes de droit interrompues au bout de deux années (Université d'Alger), diplômé de l'Ecole normale supérieure, enseignant, puis journaliste (il avait très longtemps «lancé» et animé les pages culturelles d'un grand quotidien) et directeur de rédaction de journaux... et, aussi, un bref passage dans la haute administration. Plusieurs ouvrages à son actif dont le premier en 1971.

Extraits : « Même si les extraordinaires performances de la communication en avaient fait un village, le monde étalait, juste sous des formes différentes et de nouveaux décors, les dramatiques scénarios de la condition humaine» (p 81), «Dans ce coin ingrat d'une vallée perdue où la tribu fondatrice, au terme d'une errance désespérée a décidé il y a bien longtemps de se redonner une histoire, la vie des femmes et des hommes, leurs activités et leurs humeurs sont réglés par le rythme des saisons. A la longue, ils se sont forgé des usages et des traditions..»

(p 141), «1871 n'était plus qu'un mythe auréolé d'un reste de gloire et de nostalgie qui s'effaçait chaque jour un peu plus, enfoui en terre avec les dépouilles de ceux qui en portaient le souvenir» (p 158).

Avis : L'art et la technique de la (très bonne) nouvelle, à lire et à faire lire... Des leçons de vie.

Citations : «On dirait que cette guerre (de libération nationale) ne nous a apporté que le nouveau cimetière qui domine à présent notre village pour nous rappeler que des dizaines de nos enfants y dorment du sommeil des braves» (p 201), «Les révolutions profitent rarement à ceux qui les font. Il se trouve toujours des gens habiles à moissonner le blé qu'ils n'ont pas semé» (p 205), «Alger est un livre d'Histoire. Cest aussi un livre d'histoires» (p 219)



PS : -L'animation culturelle de haut niveau est-elle en train de reprendre dans nos villes et nos vies devenues peu à peu tristounettes et préoccupées seulement par la «bouffe» et les «subventions et autres soutiens financiers». Peut-être bien que oui, tout particulièrement à Alger qui, en tant que Capitale (devenant, il faut le dire au passage, un tout petit plus propre et plus accueillante qu'auparavant bien que l'incivisme hygiénique perdure) doit être un phare culturel attractif et exemplaire. Deux bons cas à citer : celui de la librairie Chaib Dzair avec un programme de rencontres culturelles, élaboré et dirigé par l'Anep (Y a pas que la pub' !)...et l'ouverture très récente d'une galerie d'expositions et des rencontres initiée sur les hauteurs d'Alger (ex-Télemly).

Elle est (toujours) belle, notre Ahlem Mosteghanemi nationale, elle écrit beaucoup, elle écrit bien et elle est célèbre. De plus, elle va se rendre très utile...puisque nommée récemment «Artiste de l'Unesco pour la paix», elle va consacrer une bonne partie de sa vie à la cause de «l'éducation des enfants victimes des guerres, de la pauvreté et de l'injustice». «Une cause pour laquelle je consacrerai tous mes efforts et les années qui me restent à vivre», dit-elle. Longue vie, car on t'adore encore bien plus qu'hier.