Il
y a Culture et culture. Celle qui se forme de tout cet ensemble d'art, de
lettres, de beauté et d'émerveillement, et l'autre qui constitue une conduite,
une manière de réfléchir et de se comporter. La Culture dans son premier sens
est-elle uniquement une dépense publique, un besoin politico-organique ou une
simple enseigne lumineuse accrochée au fronton d'un palais ou d'un ministère ?
Les bancs, les loggias, les balcons de nos enceintes culturelles, cinémas ou
autres sont condamnés à demeurer dans les ténèbres sauf si le temps d'une mise
en scène, l'Etat vient leur injecter de l'éclairage et de la gratuité d'entrée.
Cette façon d'agir a fait que personne ne tend à payer son ticket, laissant ce
soin à la débrouillardise du comment recevoir ou s'octroyer des invitations. Si
le cas échéant où s'acquitter de droits d'entrée se pratique, il ne se fait que
par les pauvres et les passionnés. Personne parmi le secteur privé ne pense
investir dans une salle de cinéma, un théâtre ou un stade, car sachant d'avance
que les spectateurs ou les visiteurs n'ont pas la qualité de clients mais
d'invités et de partisans du gratos. Malheur ne leur incombe pas. Ils ont perdu
ou n'ont pas connu ces moments où l'on payait nos séances en matinée, en soirée
dans des salles privées avant qu'elles ne soient nationalisées au titre d'une «
propriété exploiteuse ». Réapprendre ce geste culturel face à l'acte Culturel
est difficile à réaliser. Depuis, l'on trouve dans ces « palais » ou « salles »
toute une marmelade d'activités. Du politique, de l'économique à des
séminaires, des fêtes de mariage, de circoncision. On ne peut mettre une
conscience culturelle dans un crâne intégralement bourré de béton, d'appétit
immobilier et de spéculation foncière. La crise qui transperce les finances du pays,
à l'instar d'autres pays, ne s'exempte pas de faire des coupes budgétaires dans
tous les secteurs. C'est une aubaine pour la sauvegarde de l'authenticité de
dame Culture de la voir revenir au marché et de fuir ainsi la fatalité de sa
dépréciation. La Culture, certes, n'a pas de prix mais doit avoir énormément de
valeur. Qu'on ne la fasse pas comme à la passe. Elle doit recouvrer sa
valorisation. Voir une pièce d'un drame, d'une tragédie ou d'une comédie
gratuitement et se payer un kilo de bananes à 600 dinars devra faire réfléchir
plus d'un. Alors, disons oui au marché privé des arts et de la culture ! Vive
cette Culture que l'on veut installer. Mais, elle doit se faire sans compter
sur le sou de l'Etat. Les vaches laitières ne sont plus de ce monde. La crise
de la Culture est d'abord une crise de culture, soit ce refus génétique d'avoir
tout sans le moindre sou. L'argent, cette implacable loi de l'offre et de la
demande, vient ainsi à point nommé s'investir dans l'acte culturel. Nous
saurons dire un jour que payer sa place est un signe de respect à l'art et aux
artistes. C'est comme chez un féru d'art de débourser un propre fonds pour
l'acquisition d'une œuvre ou d'une toile. Ce créneau n'est malheureusement pas
encore en cours dans notre propre petite culture.
L'on
ne meurt pas par absence d'un festival, l'on souffre néanmoins et à injuste
douleur du manque de compréhension. Créer l'illusion d'une joie ou la faire
vivre à autrui n'est forcément pas au bout d'une facture salée. La Culture en
tant que patrimoine immatériel et celle en tant que mode de vie n'ont toujours
pas eu les mêmes définitions. La richesse de la Culture ne peut donc bellement
provenir que d'une culture sociétale bien ancrée et continuellement enrichie de
valeur et de bon sens. Ainsi, le consensus aura à faire des miracles là où
l'argent s'avère vain et sans importance. A-t-on besoin de l'Etat pour fêter Yennayer, le Mouloud, la victoire de l'équipe nationale ?
C'est dire aussi que le bon spectacle ne peut émaner que du cœur de la société.
Tout spectacle est censé être payant considérant son caractère de production en
aval. En fait, il ne pourrait s'agir que d'une opération nettement commerciale
s'enrobant dans un conditionnement artistique, théâtral, musical ou autre. C'est s'interpeller sur cette relation habituelle non
seulement d'appui et d'organisation mais de totale prise en charge de l'acte
culturel par le seul Etat. Alors que sous d'autres cieux, cet Etat ne fait
qu'édicter un cahier des charges, assurer l'ordre public et garantir la liberté
de mouvement, d'expression et de création pour une quelconque manifestation du
genre. Avez-vous vu ailleurs dans le monde un musée, une galerie, un cinéma, un
théâtre s'ouvrir gratuitement ? Le service public culturel sera cependant
assuré dans les établissements scolaires de tout niveau participant de la sorte
à l'éducation des apprenants à aimer l'art, la culture et aussi l'amour de
participer financièrement à leur épanouissement. Payer reste un acte citoyen et
de civilité culturelle.