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Je
crois sincèrement que réfléchir sur la ville et sur l'urbanisme est plus important
que de réfléchir sur le patrimoine, bien que le lien entre ces trois entités me
paraisse évident, historiquement parlant. Vers le dix-huitième siècle, il y a
eu deux facteurs qui ont perturbé la longue et lente accalmie des villes et
concouru dans la fabrication des villes modernes, mais qui ont, aussi, suscité
l'intérêt pour le patrimoine matériel : la révolution française qui a failli
propulser une véritable idéologie de la démolition, et l'industrialisation
européenne aux effets différenciés qui a provoqué le déplacement des
populations rurales vers les villes. La qualité du cadre de vie s'est donc
jouée dans ces dernières avant qu'elle ne s'affirme, tel que nous le voyons
actuellement dans les extensions plus que dans les quartiers anciens. Aussi, depuis,
deux idéologies ont cheminé dans un esprit de contradiction totale ; celle de
la sauvegarde contre celle de la démolition. D'ailleurs, de nombreux ouvrages
évoquent le caractère nazi des porteurs de l'esprit de l'ancien, comme de
nombreux ouvrages s'attellent à confondre la possibilité du progrès avec celui
de la nécessaire démolition.
Sid El-Houari pris au piège du patrimoine L'atelier que j'ai fait réaliser dans le cadre d'une convention universitaire Oran-Strasbourg1 dont je suis responsable avec Volker Ziegler, une convention encouragée et autorisée par madame la Rectrice de l'USTO-MB, rendue possible grâce à l'implication de l'architecte penseur et critique, trois fois prix d'architecture algériens, monsieur Mohamed Larbi Merhoum, et enfin soutenue par messieurs Hasnaoui, promoteur de l'immobilier et Tarik Bey Ramdane, prix national d'architecture, a démontré les limites de la réflexion sur le patrimoine, côté algérien. En effet, malgré l'effet audacieux des propositions des groupes d'étudiants mixtes, les présentations ne sont pas allées au-delà du caractère passéiste du nom de la revue Madinati. Cette appellation est d'autant plus insensée lorsque nous savons que la structuration des médinas, se révélant incapable d'intégrer les nécessités de l'économie moderne, est pour quelque chose dans leur délabrement, voire même leur écroulement. En plus, Oran n'est pas une médina au sens conceptuel du terme. La ville basse comme la ville haute, qui sont en train de devenir «la vieille ville» d'Oran selon le propos de Messahel Abdallah, géographe et urbaniste, sont constituées d'un tissu urbain typiquement européen, où il est même difficile de parler d'architecture sans se sentir obligé d'évoquer cette dernière avec le caractère dominant de l'urbanisme dix-neuvième. En réalité, peu d'étudiants ont eu une attitude du type «Bip» de Dominique Aubier. Le patrimoine qui s'est manifesté chez une élite «sur-socialisée» sous forme de religion qu'il ne faut surtout pas renier, se constitue en véritable obstacle à sa propre réanimation et intégration dans l'esprit de la modernité. Comme j'ai eu à le signifier à l'auditoire, la modernité telle que je la conçois, consiste en une attitude imperturbable devant l'essentiel. Pour reprendre un propos de Fernand Pouillon, il ne s'agit pas de faire du patrimoine une question de vie ou de mort, il aurait été question pour lui d'hérésie face à une époque où les priorités se sont déplacées. Il s'agit de réfléchir profondément sur la condition de l'homme, sur la capacité de ce dernier à prendre le contrôle d'abord sur lui-même pour pouvoir sauver ce qui est à sauver, à intégrer son être individuel dans un être global, voire même, pour reprendre un propos de Silarbi Abdelhamid, architecte, à considérer la divinité existant dans chaque chose plus que le divin. Je pense que cette élite que je cite dans mes articles récents, allusivement parce que pour le moment je ne lui trouve pas d'intérêt, a contribué à amener Sid El-Houari à s'installer presque définitivement dans son état urbainement suicidaire, particulièrement depuis son classement. J'y vois une forme d'aliénation du devenir du quartier dans le présent, au profit d'une convocation d'un passé excessivement fabriqué dans le présent. D'ailleurs, à mon grand désespoir, et le désespoir de nos invités internationaux, un sociologue a appelé à l'utilisation des calèches et à l'installation d'un artisanat de poterie dans Sid El-Houari. Dans des sites authentiques, comme le Mzab, André Ravéreau, architecte, n'a jamais espéré changer le cours de l'histoire et dénaturer les pratiques socioculturelles pour les remplacer par d'autres qui n'ont jamais existé sur place et faire croire à la présence d'un passé grossier et désancré. Toutefois, pratiquement, personne ne s'est posé la question sur ce qui fait l'authenticité du lieu, si ce n'est qu'encore une fois, j'ai déclaré et je ne sais pas si ça été entendu, Sid El-Houari peut être considéré du point de vue des savoir-faire que les Européens de la période coloniale ont apportés avec eux, et que nos professionnels ne possèdent pas. C'est à partir de là, en partie, que je considère que le secteur de Sid El-Houari est pris au piège du patrimoine. Mais un patrimoine presque démuni de sens, puisqu'il apparaît dans les propos des uns et des autres sous une forme de «mémoire indéfinie et sans rapport avec la matière qui recouvre le lieu». En ce sens toujours, la recherche de quelques témoignages, comme nous l'avons constaté, qui vont dans le sens du poil des fous de la sauvegarde absolue, n'a pas rendu compte de la détresse des populations établies sur place parmi les nombreux immeubles menaçant ruine. C'est le cas de la rue des Jardins fermée à plusieurs reprises. La possibilité d'une troisième voie ou voix J'adhère au propos intuitif de Mohamed Larbi Merhoum qui m'a affirmé dans l'entretien en cours qu'il m'accorde, que ce sont les démolitions entreprises au début de la colonisation qui ont sauvé La Casbah, au même titre que celles qui ont été menées par Haussmann à Paris et qui ont fait de cette dernière une ville touristiquement attractive. Sid El-Houari est un secteur dont le potentiel est fabuleux. Seulement il est mis entre les mains d'une communauté pseudo intellectuelle qui manque de vision et ne sait pas quoi en faire. Une des grandes défaillances du classement de février 2015, c'est qu'il n'a pas permis l'émergence d'une politique du patrimoine locale, voire même l'affirmation d'un véritable outil de sauvegarde, par lequel on saurait quelles sont les poches qui nécessitent des interventions urgentes, et celles qui peuvent attendre. Il en demeure que le secteur nécessite un véritable travail de lifting, d'aménagement et de ménagement urbains. Je crois que seules des actions de gestion urbaine et de sauvegarde conjuguées peuvent donner des résultats appréciables, mais elles ne doivent le faire que sur fond de «locusophie», un concept que j'ai inventé pour signifier l'importance de travailler avec la philosophie qu'inspire le lieu, au point où on pourrait procéder à des changements importants, même en démolissant, sans pour autant trahir l'esprit du «tout». Ainsi donc, la méthode Haussmann est peut-être la troisième voie pour Sid El-Houari, comme le propos de Merhoum concernant La Casbah fut la troisième voix. Nous avons plus que jamais besoin de diagnostiquer le secteur, ressortir ses forces et ses faiblesses, et recourir à une véritable action de restructuration urbaine qui intégrerait le lieu dans la dynamique de l'agglomération d'Oran, et qui le ferait asseoir dans l'esprit atemporel de la modernité. *Architecte-docteur en urbanisme et maître de conférences au département d'architecture d'Oran 1- Atelier du 5 au 14 novembre 2016. |
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