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Obligée de
s'engager dans des guerres d'usure continues, la ministre de l'Education y a
dépensé toute son énergie.
Nouria Benghebrit était supposée introduire plus de modernité au sein de l'école algérienne. Plus de rationalité, de pédagogie, de savoir, de réflexion. Moins d'archaïsme, de charlatanisme, de tricherie. Plutôt que le nivellement par le bas que subissait l'école algérienne, du fait du nombre et de la scolarisation de masse, elle devait apporter de nouvelles méthodes, de nouveaux concepts, pour permettre aux nouvelles générations d'entrer dans la vie mieux armées que les précédentes. Un projet aussi ambitieux était-il à sa portée ? Quinze mois après sa nomination, et quoi que puissent dire les partisans de Mme Benghebrit qui veulent en faire une icône, force est de constater que non. Même si, à sa décharge, son échec n'est pas le résultat de sa seule action, mais aussi la conséquence d'un contexte particulièrement hostile. Mme Benghebrit devait réunir trois conditions pour réussir. Elle devait d'abord être porteuse d'un projet cohérent, fiable, clairement énoncé. Son projet devait être décliné dans une feuille de route, avec des évaluations d'étape, définissant les virages à prendre, les moyens à mettre en œuvre et les partenaires avec lesquels s'engager. Son profil semblait plaider pour elle. Anti-intégriste, se présentant comme une héritière des luttes universitaires des années 1960-1970, elle devait naturellement s'orienter vers des programmes plus scientifiques, plus rigoureux. Plus d'invitation au raisonnement et au savoir, moins de place aux dogmes et au prêt-à-penser. Plutôt que de faire apprendre aux élèves des versets du Coran, les initier à la réflexion et à l'histoire des civilisations. Les inciter à s'intéresser à la philosophie plutôt que de les pousser à devenir des croyants. Contexte politique difficile Seconde condition du succès, le contexte politique. Mme Benghebrit est arrivée au gouvernement dans le pire moment qui soit : au début du 4ème mandat. C'était un handicap insurmontable. Son manque de légitimité l'a paralysée. Quitte à se répéter, certains grands dossiers -défense nationale, politique étrangère, énergie, éducation-, doivent faire l'objet d'un consensus minimum. Aucun groupe, aussi brillant soit-il, ne peut imposer ses choix. Troisième élément : les partenaires. La ministre de l'Education a marqué quelques points, sans plus. L'administration de l'éducation lui semblait plutôt hostile. Elle a réussi à faire avec, s'appuyant tantôt sur les uns, rejetant les autres à la marge, ce qui est de bonne guerre. Elle a aussi réussi à apaiser le front syndical, ce qui est apparemment son plus gros succès. Mais elle n'a rien pu faire face à un phénomène qui s'est répandu dans le pays, l'indiscipline, le laisser-faire, l'insouciance, le manque de rigueur. Ce dont ses adversaires ont largement profité. Mme Benghebrit a sous-estimé la capacité de ses adversaires et le profit qu'ils pouvaient tirer des réseaux sociaux. Le moindre incident était relayé de manière surdimensionnée, y compris quand elle n'y avait aucune responsabilité : la ministre de l'Education n'est pas responsable de l'eau de pluie qui traverse le toit d'une salle de classe, ni des longues distances que certains élèves des campagnes sont obligés de parcourir pour atteindre l'école. Elle n'est pas non plus responsable du contenu d'un livre diffusé par un éditeur semi-clandestin. Mais c'est elle qui en a payé le prix. Point de fixation En fait, Mme Benghebrit a été totalement paralysée dès sa nomination. Une campagne aussi haineuse qu'infâme avait été lancée contre elle aussitôt après son entrée au gouvernement. Elle était coupable. De quoi ? De rien. Mais elle était coupable. Tous ses faits et gestes étaient dès lors suivis à la loupe. Piégée, elle dépensait toute son énergie à éviter les fautes. Mais le terrain était miné. Fuites du bac, livres scolaires, comportement des enseignants, rien ne lui a été épargné. Elle était si vulnérable qu'elle ne pouvait plus rien tenter, de peur de soulever une tempête. Elle cédait face à la moindre adversité. Elle a même cédé là où il n'y avait pas d'adversité du tout, comme l'a montré son attitude quand il fallait fixer les dates d'examen. Alors qu'elle avait développé un argumentaire rigoureux pour une augmentation du nombre de semaines de scolarisation, elle a fini par faire l'inverse durant l'année scolaire écoulée. Pour éviter toute accusation de nuire à l'islam, elle a fait du zèle. Avec l'approche du Ramadhan, en juin 2016, elle a avancé la date de tous les examens de fin d'année, pour éviter d'avoir le bac en plein ramadhan. Ce qui a réduit d'autant la période de scolarité. Pour les cycles primaire et moyen, les examens ont eu lieu à partir de la mi-mai : c'est clairement à l'opposé de ce qu'elle avait promis. Pour son malheur, les dérapages, avec les fuites du bac, l'ont contrainte à refaire partiellement le bac en plein Ramadhan. Là, surprise : les choses se sont passées sans accroc. Guérilla idéologique Au final, Mme Benghebrit a été amenée à livrer une série de batailles inutiles face à des agitateurs qui lui ont imposé une sorte de guérilla idéologique dans laquelle elle s'est épuisée. Mais sur le fond, elle n'a pas avancé d'un pouce. L'école algérienne en est toujours au même point. Il reste, par ailleurs, à apprécier le bilan de la ministre de l'Education sous un autre angle, sans rapport avec l'éducation. Alors qu'elle n'a mené aucune action significative, Mme Benghebrit a constitué un point de fixation vers lequel ont convergé les attaques anti-gouvernement. A certains moments, elle a réussi à occulter des dossiers très lourds, comme le manque de légitimité du pouvoir, la corruption, la paralysie du gouvernement face à la crise économique et le délitement des institutions. Les polémiques dont elle a été victime, souvent alimentées par des accusations collectées dans les égouts, l'ont totalement discréditée auprès d'une partie de l'opinion. Mais le gouvernement a gagné au change : laisser se déchaîner les islamistes contre Benghebrit vaut mieux que lâcher les enquêteurs et les juges contre Chakib Khelil. De ce point de vue, Mme Benghebrit n'était pas si inutile. |
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